Étude militaire, géographique, historique et politique sur l’Afghanistan/01

ÉTUDE MILITAIRE,
GÉOGRAPHIQUE, HISTORIQUE ET POLITIQUE,
sur
L’AFGHANISTAN[1].



I.

PRÉLIMINAIRES

Les événements qui s’accomplissent dans l’Asie centrale ont appelé l’attention sur une contrée jusqu’à ce jour peu connue et que les géographes européens désignent sous le nom générique d’Afghanistan.

Cette région est restée si longtemps presque mystérieuse pour les peuples d’Occident, qu’aujourd’hui encore il serait téméraire d’admettre les descriptions qui nous en sont faites, quelle que soit l’autorité de ceux qui les ont écrites ou des récits des voyageurs dans lesquels elles ont été puisées, sans les examiner avec une scrupuleuse attention et sans les contrôler par tous les moyens en notre pouvoir.

Chacun voit le pays qu’il parcourt suivant ses impressions propres et les conditions dans lesquelles se fait son voyage, et chacun dépeint ce qu’il a vu suivant la situation d’esprit ou de nerfs dans laquelle il se trouve au moment où il écrit ; de plus, dans le récit le mieux fait et le plus véridique, il faut distinguer ce dont le voyageur s’est rendu compte par lui-même de ce qu’il ne rapporte que par oui-dire.

Il y a dès lors pour quiconque est chargé de faire la description d’un pays, un soin minutieux à prendre afin de rester dans la stricte vérité ; je me suis efforcé de ne pas m’en écarter, mais avant d’entretenir le lecteur du résultat de mes recherches, je tiens à lui dire que la géographie de l’Afghanistan est loin d’être faite, et que ce ne sera qu’après une longue et solide occupation de tout le pays par une armée européenne qu’on pourra avoir sur cette région des données à peu près indiscutables.

C’est au commencement du xviiie siècle seulement que nous trouvons une première relation sur les Afghans. Elle est due au père Krusinski, de la compagnie de Jésus, qui les a vus à Ispahan, lors de la conquête qu’ils firent de la Perse vers 1722.

Ensuite vient un récit de Forster, qui visita l’Afghanistan en 1782, en se rendant par terre du Bengale à Saint-Pétersbourg. Ce récit a pour titre : A journey from Bengal to England ; il a été publié à Londres en 1798 et traduit en français par M. Langlès.

En 1809, Elphinstone alla à Peschawar, chargé par le gouvernement des Indes d’une mission auprès du schah de l’Afghanistan, ayant pour but de contrecarrer les projets de l’empereur Napoléon qui avait envoyé le général Gardanne en Perse. La relation qu’Elphinstone a faite de son voyage est une des plus remarquables qui existent ; malheureusement il n’a vu qu’une petite partie du pays. Cette relation est intitulée : An account of the Kingdom of Cauboul ; elle a été publiée pour la première fois à Londres en 1815 ; une seconde édition a paru en 1838, revue, corrigée et augmentée par l’auteur. Cette dernière édition a servi de base à un travail de M. Perrin, dont je vais parler.

De 1831 à 1833, un officier de l’armée des Indes, M. Burnes, a exécuté différents Voyages de l’embouchure de l’Indus à Lahore, Caboul, Balk et à Boukhara et retour par la Perse. La relation qu’il en a laissée est on ne peut plus complète et intéressante. En 1834, la Société royale de géographie de Londres a jugé que ce travail méritait le prix qu’elle se réservait d’adjuger à l’ouvrage qui avait le plus contribué à étendre le domaine de la science géographique ; entrant dans les mêmes idées, la Société de géographie de France décida en 1835 qu’une médaille d’argent serait décernée à M. Burnes pour cette relation. L’ouvrage de M. Burnes a été traduit en français, en 1835, par M. Eyriès.

M. Burnes a complété les renseignements géographiques qu’il avait commencé à fournir sur l’Asie centrale, par un ouvrage publié à Londres en 1834 et intitulé : Travels into Bokhara ; et par une relation ayant pour titre Cabool, being a personal narrative of a journey to that city, qui parut à Londres en 1842. Cette dernière relation fut rédigée par le capitaine Burnes à la suite de deux voyages qu’il fit à Caboul vers 1838, dans un but semblable à celui qui avait amené Elphinstone à Peschawar, mais dirigé alors contre les agissements de la Russie.

Vers la même époque, MM. Masson et Honizberger ont parcouru une partie de l’Afghanistan, à la recherche des antiquités du pays ; ils y ont fait une récolte de médailles bactriennes fort importante, mais leurs mémoires, rédigés dans un but scientifique absolument spécial, ne présentent qu’un intérêt secondaire au point de vue qui nous occupe.

En 1842, parut un ouvrage intitulé l’Afghanistan, écrit par un français, M. Perrin, ancien élève de l’École royale des langues orientales, et alors collaborateur des Annales des voyages. L’ouvrage de M. Perrin, élégamment écrit et savamment rédigé, contient une description fort instructive du pays et principalement de ses mœurs, de ses coutumes et de ses institutions. L’auteur s’est appuyé pour faire ce travail sur les documents les plus sérieux qui existaient à cette époque et notamment sur les récits d’Elphinstone.

Les expéditions des Anglais, de 1839 à 1842, ont été l’occasion de nouvelles publications sur l’Afghanistan ; elles nous ont valu, entre autres, la relation de Hough, sorte de journal des marches et opérations de l’armée des Indes, qui parut à Londres en 1839 et est intitulé : Narrative of the march and operations of the army of the Indus in the expedition of Afghanistan ; celle de Havelok, récit de la guerre de l’Afghanistan, qui fut imprimée à Londres en 1840 sous le titre de Narrative of the war in Afghanistan 1838-39 ; celle de Outram, sur l’Indus et l’Afghanistan, publiée à Londres en 1840 et intitulée : Rough notes of the Campaign in Sind and Afghanistan 1839-40 ; enfin, celle du lieutenant Wood, qui contient la plus sérieuse de toutes les études que nous possédions sur le cours supérieur de l’Oxus ou Amon-Daria. Ce travail, intitulée : A Personnal narrative of a journey to the source of the river Oxus, parut à Londres en 1841.

En 1846, M. Vivien de Saint-Martin publia, dans les Nouvelles annales de voyages, de remarquables articles sur les acquisitions que la géographie devait aux derniers événements de l’Afghanistan. L’Histoire universelle des découvertes géographiques des nations européennes, dans les diverses parties du monde, que le même auteur a fait paraître de 1845 à 1847, est une œuvre capitale qui s’impose à tous ceux qui s’intéressent aux sciences géographiques.

En 1860, fut imprimée la relation des Voyages en Perse et dans l’Afghanistan, de Ferrier, ouvrage qui renferme de nombreuses données nouvelles, particulièrement sur la partie occidentale de l’Afghanistan.

En 1863, M. Arminius Vambéry, voyageur hongrois, parcourut, sous un déguisement, au delà de la Perse, les provinces turkomanes où nul étranger ne pouvait pénétrer. Après s’être préparé pendant plusieurs années à jouer le rôle de derviche, qu’il remplit jusqu’à la fin de son voyage, il partit de Téhéran avec une troupe de pèlerins, traversa les déserts des Turkomans, visita Mesched, Khiva, Bockara, Samarcand, et, revenant par le sud, parcourut la route qui traverse l’Afghanistan, d’Andkoi à Hérat. M. Vambéry rapporta de ce voyage de précieuses données géographiques, qu’il consigna dans un livre publié simultanément en Hongrie, en Allemagne et en Angleterre, sous le titre de : Relation de voyage dans l’Asie centrale, pendant les années 1862-1864, par un faux derviche. Le journal français le Tour du Monde a publié, en 1865, une traduction de cet ouvrage, par M. Forgues, qui parut, du reste, la même année, dans une édition spéciale de la maison Hachette ; cette édition fut elle-même abrégée, pour être mise à la portée de tous, par M. Belin de Launay, dans un petit volume publié en 1868.

Pour clore cette liste de documents géographiques relatifs à l’Afghanistan, je citerai encore le Nouveau Dictionnaire de géographie universelle, de M. Vivien de Saint-Martin, actuellement en cours de publication, qui renferme déjà la description générale et l’histoire sommaire de ce pays.

Depuis la déclaration de guerre, les journaux anglais, russes, français, allemands, etc., rivalisent de zèle pour tenir leurs lecteurs au courant des événements qui se produisent dans l’Afghanistan, et mettre sous leurs yeux tous les documents qui leur paraissent de nature à les instruire sur la géographie de ce pays.

Ne voulant m’occuper ici que des journaux français, et, sans parler de la Revue militaire de l’étranger, à laquelle le caractère officiel de sa publication et l’autorité de ses rédacteurs en semblable ma‍tière donnent une valeur incontestée, je citerai, comme pouvant être particulièrement consultés avec fruit, les articles du journal le Temps, dus à M. de Coutouly, ainsi que tous ceux qui ont paru dans cette feuille, remarquable par la sûreté de ses observations sur les événements et les pays qui sont aujourd’hui l’objet de notre attention. Le Journal des Débats a également publié une série d’articles particulièrement instructifs et intéressants ; le Bulletin de la Réunion des officiers donne à ses lecteurs une étude due à M. le capitaine Le Marchand, auteur de plusieurs ouvrages sur l’Asie central, qui présentent un grand intérêt. L’Armée française, l’Avenir militaire, sont également une source d’informations précieuses.

Les cartes qui paraissent les meilleures pour étudier la géographie de l’Afghanistan sont celles : de l’Atlas topographique, de l’Inde anglaise ; celle de Kiepert, au 3/1,000,000, intitulée : Karte von Iran. Œstliche Halfte : Afghanistan, Baluchistan und die Ozbegischen Khanate am Oxus ; celle de Kiepert, au 1/600,000, intitulée : Special-karte der Landschaft zwischen Kabul und dem Indus ; celle de Petermann : Russisch-Turkisch-Persisch-Englisch Greuzender ; celle de Stanford ; A map of the Indian and Afghan frontier ; celle de Stanford : Map of western Asia ; celle de Wyld, au 2/1,027,520, intitulée : Military staff map of Central Asia and Afghanistan.

Au moment où cette étude est livrée à l’impression, le Dépôt de la guerre fait tirer une carte de l’Afghanistan au 3/1,500,000.

Pour éviter à mes lecteurs la peine de longues recherches, j’ai joint à mon travail quelques cartes au 1/600,000, que j’ai fait établir d’après les données les plus récentes, et qui contiennent des renseignements suffisants pour suivre les opérations militaires.

Ces cartes spéciales sont intitulées :

  1. Route de Peschawar à Caboul, par le Khyber ;
  2. Route de l’Indus à Caboul, par le Kurum ;
  3. Route de Dadar à Candahar, par les passes de Bolan, du Khodjak et de Ghwaja.

Avant d’aborder la description géographique de l’Afghanistan, il est nécessaire que le lecteur soit au courant de la formation des noms géographiques que l’on retrouve à chaque instant sur les cartes. Le tableau ci-après fait connaître celle des noms principaux :

Français
Afghan ou persan.
Cours d’eau.
Ab, Su.
Rivière.
Rud, Tschaï.
Fleuve.
Daria.
Source.
Bulak, Kuyu, Kuduk.
Marais.
Hamun.
Lac.
Kol, Mechileh.
Plaine.
Dacht.
Montagnes.
Koh, Ghor, Tagh, Tau.
Pointe, pic.
Sar.
Défilé.
Kotal.
Village.
Deh.
Ville.
Abad, Scheher, Pur, Negar.
Place forte.
Kilai.
Forteresse.
Kôb.
Camp.
Dera.
Tribus (les fils). Zai.
  1. Cette étude est divisée en huit chapitres, savoir : I. Préliminaires. — II. Données générales sur le pays et ses habitants. — III. Frontières. — IV. Orographie et hydrographie. — V. Voies de communications. Passages et défilés. Description des principales villes et des principaux points stratégiques. — VI. Organisation intérieure, administrative et militaire. — VII. Aperçu historique. VIII. Relations politiques de l’Afghanistan avec l’Angleterre, depuis le commencement du XIXe siècle jusques et y compris les événements qui ont donné lieu au conflit actuel.