Étude militaire, géographique, historique et politique sur l’Afghanistan/03

III.

FRONTIÈRES.

Les frontières de l’Afghanistan, sauf une partie de celle du nord et une partie de celle de l’est, sont absolument idéales et n’offrent aucun intérêt au point de vue militaire. Je me contenterai donc d’en décrire rapidement ici le tracé, me réservant de revenir, dans le chapitre IV, consacré à l’orographie et à l’hydrographie du pays, sur les défenses naturelles qu’une partie de ces frontières peut présenter, et d’étudier les routes, passages ou points stratégiques importants, dans le chapitre V.

A. — FRONTIÈRE DU NORD.

L’Afghanistan a pour frontière au nord :

1° Un bras de la rivière Ab-i-Pendjab ou Amou-Daria supérieur, depuis le lac Victoria jusqu’au confluent de l’Ab-i-Pendjab avec le Zour-Ab ou Zurkh-Ab ; vers le 67° de longitude E. et le 37° de latitude N.[1].

2° L’Amou-Daria (Djinoun ou Oxus), formé par la réunion de l’Ab-i-Pendjab, plus justement appelé Amou-Daria supérieur, et du Surk-Ab, jusqu’à un point situé au-dessous du gué de Kélif, près de la petite ville de Khoja-Saleh, par 37°, 25’ environ de latitude N. et 63°, 10’ environ de longitude E.

3° Une ligne idéale partant du gué de Kélif et se dirigeant vers l’O.-S.-O., à travers les déserts turcomans, jusqu’au fleuve Murg-Ab, qu’elle atteint en aval de Robat-Abdula-Khan. Cette ligne s’infléchit un peu alors vers le S.-O. et atteint la frontière persane au pied des montagnes du Gulistan, à huit milles environ à l’ouest d’Irolan, entre cette localité et le village persan d’Idaji qui se trouve lui-même à une quinzaine de milles à l’est de la ville persane de Sarakhs ou Syrin, située sur le fleuve Hari-Rud.

Par sa frontière nord, l’Afghanistan confine au plateau de Pamir (le toit du monde), à la Boukharie, dont il est séparé par l’Ab-i-Pendjab et l’Amou-Daria, et au khanat de Khiva.

Le long de cette frontière, nous signalerons dans l’Afghanistan, les places ou principaux postes fortifiés de Kila-Pendjab, Iskashim, Bar-Pendjab, Jomarj, Kila-Stikai, Takhti-Khan, Aranja, Robat, Abdula-Khan, Irolan, et, en seconde ligne, Mastuj, Faizabad, Khairabad, Khulm, Balk, Shibarghan, Kafir-Kala, Maimanz, Bala-Murgab.

À cette occasion, je rappellerai que presque toutes les villes et presque tous les villages des pays afghans sont entourés d’une enceinte et susceptibles d’une défense plus ou moins prolongée.

B. — FRONTIÈRE DE L’OUEST.

1° Une ligne idéale partant d’un point situé entre Irolan et Idaji, se dirigeant vers le S.-O. jusqu’à sa rencontre avec le fleuve Hari-Rud, qu’elle rejoint vers 59° de longitude O. et 35°, 30’ de latitude N.

2° Le fleuve Hari-Rud, depuis 35°, 30’ latitude N. environ jusqu’au coude que fait ce cours d’eau près de Kusan, à 100 kilomètres O.-N. de Hérat.

3° Une ligne idéale partant de ce point et se dirigeant à travers les montagnes et les déserts dans la direction du sud jusqu’à Schah-i-Sagak, localité située sur une des routes de Mesheb à Lash ou Javain et Schah-i-Sagak ; cette ligne, se dirigeant vers le S.-E.-S., passe près de la rive méridionale du lac formé par le confluent de l’Hari-Rud et du Farah-Rud, au nord des marais d’Hamun, traverse la route de Lash à Nasirabad, entre Tapeh (Afghanistan) et Kolak (Perse) et rejoint le fleuve Helmand, en aval de Nadali.

4° Le fleuve Helmand, depuis Nadali jusqu’à Kohak.

5° Une ligue idéale allant rejoindre, dans la direction O.-S., un point situé environ à 50° longitude E., et 30°, 20’ latitude N., sur la rive occidentale des marais de Hamun.

Le long de cette frontière, nous remarquerons, sur le territoire afghan, les places ou principaux postes fortifiés du Kusan, Ghorian, Lash, Kala-Fatha, et, en seconde ligne, Kala-Tapa, Hérat, Sabzawar, Farah.

Par sa frontière de l’ouest, l’Afghanistan est séparé de la Perse.

Le tracé de la frontière orientale de l’Afghanistan a été l’objet de longues contestations et de luttes violentes. Hérat a été revendiqué longtemps par la Perse, qui n’a renoncé ouvertement à ses prétentions de ce côté qu’en 1857, par un article d’un traité signé à Paris, et intervenu entre la reine d’Angleterre et le schah. La possession du Seistan, pays situé à l’extrémité méridionale de cette frontière, a été également l’objet de vives convoitises. Le général anglais Goldsmid fut chargé de régler, en 1870, comme médiateur, cette question de la frontière occidentale ; il y procéda de façon à ne contenter aucun des principaux intéressés, et cet arbitrage n’est pas un des moindres griefs que l’émir actuel de Caboul a contre l’Angleterre.

C. ― FRONTIÈRE DU SUD.

1° Une ligne idéale partant de la rive occidentale des marais de Hamun, suivant, pendant 60 kilomètres environ, le 30°, 20’ de latitude, en se dirigeant, vers l’est, jusqu’à la rivière d’Helmand, qu’elle rejoint entre Kala-Padishah (Afghanistan) et Bud-Bar (Bélouchistan).

2° La rivière Helmand, sur un parcours de 140 kilomètres.

3° Une ligne imaginaire de 400 kilomètres en ligne droite, partant de l’Helmand pour se diriger à travers le désert de Saudy, vers Nushki (Bélouchistan) et Quetta, qu’elle laisse au sud, et de là vers la vallée de l’Indus, où elle se relève brusquement vers le N.-E.

Les places ou principaux postes fortifiés établis par les Afghans sur cette frontière sont : Kala-Mir, Mel-Guidar, Kala-Nau, Kala-Bust, Kala-i-Sadu, Kala-Abdula, Makam, Pain-Kala, Kahun, et, en seconde ligne, Girishk, Kandahar, Kala-Fathi-Ula.

Par sa frontière du sud, l’Afghanistan est séparé du Balouchistan.

Depuis 1877, ce pays s’est placé sous le protectorat de l’Angleterre, et la ville de Quetta, située à une vingtaine de kilomètres à peine de la frontière afghane, est occupée par une garnison anglo-indienne.

D. — FRONTIÈRE DE L’EST.

À l’est, la frontière afghane suit la ligne des monts Soleiman, qui la séparent du Pendjab (Inde anglaise). Elle se prolonge ensuite, vers le nord, par une ligne idéale qui suit la base des monts Sefid, traverse le Caboul-Daria, en amont du fort anglais de Michni, coupe la rivière Lundai, au-dessus du fort anglais Abazai, à 16 kilomètres en aval de la petite ville afghane de Dagh, décrit ensuite un arc de cercle jusqu’à sa rencontre avec le fleuve Indus, vers 70°, 40’ longitude E., et 34°, 1’ latitude N., se redresse pour suivre, pendant une trentaine de milles, le cours de ce fleuve, pénètre dans le massif montagneux du Kafaristan et va rejoindre le lac Victoria.

Par sa frontière est, l’Afghanistan est séparé de l’empire anglo-indien (Pendjab, Kashmir, Raskum, etc.).

Ainsi que nous le verrons plus loin, il n’y a, pour pénétrer des possessions anglaises dans l’intérieur du pays à travers cette frontière, que trois voies réellement praticables, qui sont les défilés de Gomul, de Korum et la passe de Khyber.

Les principaux postes afghans que nous trouvons de ce côté sont, en partant de l’ouest, Maskham, avant-poste à l’entrée du défilé de Gomul ; Jundoola, Ali-Medsjid, situé à l’entrée du défilé de Khyber, Dagh, et, en seconde ligne, Ghazni, Mohamed-Azim et Jellalabad.

La sécurité de la frontière des Indes anglaises qui fait face à la frontière orientale de l’Afghanistan, est assurée par une chaîne de forts plus ou moins importants ou de postes avancés, construits à des intervalles de 5 à 16 kilomètres, et situés principalement au débouché des défilés qui permettraient de descendre des montagnes.

Au nord, nous voyons d’abord l’importante place de Peshawar, entourée d’un système de fortifications qui donne à tout ce district et à toute la vallée inférieure du Caboul-Daria l’aspect d’un vaste camp retranché.

Ce système défensif se compose de sept forts détachés se reliant entre eux ; ce sont : le fort de Jumrood, à l’entrée du défilé du Khyber ; le fort Bara et le fort Makeson, au sud-ouest de Peshawar ; le fort Michni, sur la rivière du même nom ; le fort Abazai, sur la rivière Lundai ; le fort Jung, le fort de Toroo et le fort de Torbela, près de l’Indus.

À ce système de fortifications, il faut ajouter la place d’Attock, située sur la rive gauche de l’Indus, qui assure aux Anglais la possession de ce fleuve et défend la tête de ligne du chemin de fer de Lahore.

Toute une ligne de postes défensifs a été établie, en outre, le long de la frontière, au pied des monts Soleiman ; nous citerons particulièrement ceux de Dera-Ismaël-Khan, Dera-Ghazi-Khan et Jacobabad, qui sont des chefs-lieux de commandement, et les postes moins importants de Bunnoo ou Edwardezabad, en face du défilé du Kurum, de Mahew, de Nurpur, de Mithuncote, etc.

En outre de ces forts ou postes militaires, le gouvernement des Indes entretient en tout temps, le long de la frontière afghane, entre cette frontière et l’Indus, une petite armée d’observation, désignée sous le nom de Pundjob Frontier force, et dont l’effectif se monte à environ 12,000 hommes. Ces 12,000 hommes se répartissent entre 11 régiments d’infanterie, 1 régiment de guides (à pied et à cheval), 5 régiments de cavalerie, 2 batteries d’artillerie à cheval et 2 batteries de montagne.

Pour compléter cette digression sur la frontière afghane de l’empire des Indes, je terminerai en citant, d’après la Revue militaire de l’étranger[2], un extrait d’un ouvrage de M. Thornburn, fonctionnaire du gouvernement des Indes, intitulé : Bannu or our Afghan frontier :

« La sécurité de notre frontière, dit l’auteur anglais, est assurée par une chaîne de forts importants et de postes détachés. Dans la division de Peschawar, cette chaîne n’est occupée que par des troupes régulières ; dans celle du Derrajat, elle l’est par des troupes régulières et par une milice locale.

« Si l’on tient compte de la nature et de l’étendue de la frontière à garder, et si l’on remarque que des patrouilles parcourent continuellement l’excellente route militaire qui relie les forts, on comprendra les difficultés que présente la surveillance de la frontière.

« Les troupes régulières constituent une excellente petite armée, composée principalement de Sicks et de Pathans, spécialement affectée à la protection de la frontière. Toute l’armée du Pundjab peut être mobilisée en quelques heures ; chaque régiment a, en permanence, les mulets et les chameaux nécessaires pour ses transports.

« Unie aux nombreuses autres troupes cantonnées dans la vallée de Peschawar (environ 8,000 hommes), elle constitue un excellent boulevard et une excellente ligne de défense avancée sur la frontière nord-ouest de l’empire des Indes.

« La garnison du district de Bannu se compose ordinairement de deux régiments d’infanterie, d’un régiment de cavalerie et d’une batterie d’artillerie.

« Le gros de ces troupes est cantonné à Edwardezabad et envoie des détachements dans les postes-frontières de Satamar, de Barganattu, de Kurum et de Janikhel. Les autres postes ne sont occupés que par des milices. Ces milices consistent en levées indisciplinées, à pied et à cheval, fournies par les chefs de tribus ou maliks les plus influents des Waziris, Bannuchis, etc., établis dans le voisinage de chaque poste ; et comme ces chefs indigènes sont largement récompensés pour chaque homme qu’ils fournissent, ils rivalisent tous pour avoir l’honneur et le profit que rapportent les nominations dans la milice. »

  1. D’après Kiepert, cette partie de la frontière nord est déterminée par une ligne suivant le faîte des montagnes situées sur la rive droite de l’Ab-i-Pendjab, qu’elle couperait vers 37°, 15’ latitude nord et 69°, 15’ longitude est, et, suivant ensuite le sommet des hauteurs qui prolongent ces montagnes vers l’ouest, dans l’intérieur de la boucle formée par le fleuve.
  2. Numéro 420, du 16 novembre 1878.