Scène VII


(Le Palais magique. Nuit noire. Éros est endormi dans l’alcôve.)

Psyché

Il dort ! J’ai dénoué son étreinte… Mon cœur
Est lourd… D’étranges voix lointaines, comme un chœur,
M’interpellent dans l’ombre et donnent à mon doute
D’insidieux conseils qu’en frissonnant j’écoute…
L’air de la nuit m’oppresse…
(Elle écarte les rideaux de l’alcôve.)
L’air de la nuit m’oppresseIl dort ! Il dort encor…
Des éclairs de chaleur illuminent l’espace…
Un orage amassé dans le ciel cinglé d’or
Est suspendu sur nous ainsi qu’une menace…
Désir ! ô cher Désir ! Parle-moi !
Désir ! ô cher Désir ! Parle-moi ! Comme il dort !
Il semblait triste et moins câlin que de coutume
Et son baiser me laisse une étrange amertume…
Pourtant, je fus aimée avec emportement
Et sa bouche cruelle avec une âpre joie
A marqué d’un baiser ma chair, comme une proie…
Puis il s’est endormi sur mon sein, doucement…

Ah ! si j’avais pu voir son visage d’amant,
J’aurais lu dans ses yeux le secret de sa peine !

Si je pouvais le voir à la lueur soudaine
D’un éclair ! Mais hélas ! le ciel redevient noir…
L’orage qui s’éloigne emporte mon espoir !…
Désir ! ô cher Désir ! Que ne puis-je te voir !

Hélas ! si je n’étais par mon serment liée,
Je sais, là-bas, dans l’ombre, une lampe oubliée.
Désir ! ô cher Désir ! Si je voulais te voir !

Lampe de ma douleur ! Lampe de mon parjure !
Sur quel obscur trésor, longuement convoité,
Tomberait tout à coup ta tremblante clarté ?
Comme il doit être beau ! Il est blond, j’en suis sûre
Comme un champ de blé mûr sous un soleil d’été !…
(Elle marche vers l’alcôve.)
Il dort !… Il dort toujours, renversé sur sa couche.
Ah ! Maudit entre tous le mortel dont la bouche
Aux Dieux pris à témoins fit le premier serment !
Cette bouche mentait, cette bouche était folle !
Les Dieux, en entendant l’imprudente parole,
Se mirent dans l’Olympe à rire bruyamment :

Le paon s’épanouit ; l’aigle dressa son aile ;
Jupiter à Junon jura d’être fidèle
Et Vénus à Vulcain de n’avoir pas d’amant !…

L’ai-je d’ailleurs compris, ce serment équivoque ?
Sais-je ce que j’ai dit et ce que j’ai juré ?
Ah ! ce serment maudit, vous qu’en pleurant j’invoque !
Vous qui me regardez du haut du mont sacré,
Déesse au front ailé de colombes heureuses !
Parmi votre troupeau de filles amoureuses
Dites-nous, ô Vénus ! celle qui le tiendrait !

Je n’ai qu’un geste à faire et nul ne le saurait…
Il dort !…
Il dort ! Un seul moment je verrais son visage !
Puis j’éteindrais la lampe inutile et mes yeux
Sous leurs cils garderaient captive son image
Et je n’aurais plus rien à demander aux Dieux !

Sais-je, pendant le jour, ce que fait mon doux maître ?
Il a beau se cacher, d’autres le voient peut-être !
D’autres yeux que les miens caressent sa beauté !
D’autres yeux que les miens font de lui leur délice,
D’autres yeux dans les siens trouvent leur volupté !
Et s’il disparaissait cette nuit, ô supplice !
Il ne me laisserait qu’un écho de sa voix !…

Assez ! Je veux le voir un instant, une fois !
Un instant, une fois, dussé-je en tomber morte !
À moi ! La lampe est là, derrière cette porte !
Sa paisible clarté ne me trahira pas…

(Elle ouvre la porte du fond et reparaît, tenant au-dessus de sa tête la lampe allumée.)

C’en est fait ! Je vais voir la forme de mon rêve !
J’obéis : une force obscure me soulève
Et m’entraîne… je vais plus vite que mes pas…

(à chaque distique elle fait un pas)

La voici palpiter ! J’entends sa vague haleine.
Elle vit dans ma main qui la retient à peine !

Ô lampe dont la flamme est comme une aile au vent,
Ta lumière me guide et me pousse en avant !

Bel oiseau radieux qui planes sur ma tête,
Dans ce palais désert Psyché t’offre une fête !

Sur mon front rayonnant dresse-toi ! Prends l’essor !
Dans le cœur de la nuit plante tes griffes d’or !

Vole, ô mon bel oiseau ! vers les lourds rideaux sombres
Et chassant devant toi le peuple noir des ombres,

Sur mon lit nuptial jette ton œil de feu !

(Elle écarte les rideaux d’un geste violent. Éros apparaît endormi. Psyché se penche. Reconnaissant le dormeur, elle est prise d’un tremblement convulsif. Une goutte d’huile tombe sur l’épaule du dieu.)

Éros (debout et tout lumineux)

Tu n’as pas su garder la foi jurée… Adieu !

Psyché

C’était un Dieu ! c’était un Dieu ! c’était un Dieu !

(Elle fuit éperdue dans la nuit. L’orage éclate. Le palais s’abîme. On voit Éros gravissant la montagne.)

Éros

Mon frère le Trépas ! Prends-la ! Je te la livre !
Elle a vu son désir ! Elle ne peut plus vivre !
Et maintenant, malheur aux Dieux ! malheur aux Dieux !