Éros et Psyché

Mystère antique en huit scènes et en vers.

PERSONNAGES

Saturne.

Jupiter.

Apollon.

Mercure.

Mars.

Bacchus.

Pluton.

Éros.

Le prêtre de Jupiter.

Le père de Psyché.

Le vieux pâtre.

Un bouvier.

Un jeune berger.

Un autre jeune berger.

Junon.

Vénus.

Diane.

Psyché.

La mère de Psyché.

Les deux sœurs de Psyché.

Une femme.

Une autre femme.

La vieille servante.

Une jeune fille.

Une autre jeune fille.


La scène se passe aux temps fabuleux, en Grèce, la première et la dernière partie sur l’Olympe, les autres, sur la terre.

Scène I


(Le sommet de l’Olympe, azur et soleil. Le festin des Dieux. Un hémicycle de colonnes de marbre, adossé à la crête du mont, du haut duquel Saturne, immobile et presque statue, domine la table, plongé dans un rêve sans fin. Les Immortels sont assis autour de Jupiter. Derrière eux, tapisserie vivante et mouvante, leurs animaux familiers : l’aigle de Jupiter, le paon de Junon, la chouette de Minerve, le tigre de Bacchus, l’oiseau-lyre d’Apollon, le serpent de Mercure. Des ramiers volent en couronne au-dessus de la tête blonde de Vénus. Un siège reste vide : celui d’Éros qui, accoudé à la terrasse, regarde en bas, vers la terre.)

Jupiter

Éros ! Désir des Dieux et des hommes, flambeau
Resplendissant, faiseur de blessures profondes,
Archer au front doré de fier es boucles blondes,
À quoi rêvez-vous donc de la sorte ?
À quoi rêvez-vous donc de la sorte ? J’ai beau
Vous convier du geste à la table éclatante,
Vous restez immobile…

Mercure

Vous restez immobile… Achille est sous sa tente !
Il nous boude : voilà huit jours qu’il est ainsi…

Vénus

Ô mon fils adoré ! quel étrange souci
Vers le pavé de marbre incline ainsi ta tête ?
À te voir mes ramiers roucoulent tristement…

Junon

Éros ! reprends ta place à l’éternelle fête,
Car pour te présenter le nectar écumant,
Voici la rose Hébé près du brun Ganymède !

Apollon

Éros ! raconte-nous le chagrin qui t’obsède !

Diane

T’aurions-nous offensé ? N’avons-nous pas tous fait
Tout ce que tu voulais, ô Désir ?

Éros

Tout ce que tu voulais, ô Désir ? En effet !

Jupiter

Que vous manque-t-il donc, ô mon fils ?

Éros (avec amertume)

Que vous manque-t-il donc, ô mon fils ?Je m’ennuie !

Junon

Quoi ! Tu peux t’ennuyer dans ce palais vermeil,
Parmi l’azur royal, sous ce divin soleil ?

Éros

L’homme est heureux : il a le ciel gris et la pluie !

Mercure

Il se moque de nous !

Éros

Il se moque de nous !Oh ! comme je m’ennuie !
Comme je donnerais votre Olympe vermeil,
Votre immuable azur, votre incessant soleil,
Pour le jour indécis dont la vapeur changeante
Baigne le tronc noueux des saules qu’elle argenté !
Voyez ! Il est là-bas un paisible vallon
— Peut-être y gardas-tu les troupeaux, Apollon,

Lorsque tu te cachais sous une forme humaine ! —
Les pieds nus, un berger adolescent y mène
Ses chèvres en chantant une fille aux doux yeux,
Et là-bas, près de l’eau, sous la verte ramée,
S’éveille un toit lointain, vénérable et pieux,
Et le vent matinal joue avec la fumée !…

Jupiter

Ô mon fils, revenez vous asseoir parmi nous !

Éros

Une vierge paraît : elle est timide et fière.
Elle s’en va laver du linge à la rivière.
Qu’elle est belle ! On devrait lui parler à genoux.
Elle ressemble au nom sonore qu’elle porte.
Une vague lumière émane de son front.
Ceux qui l’aiment seront heureux : ils souffriront !

Mercure

Regardez tous l’Amour amoureux !

Éros (se retournant vivement)

Regardez tous l’Amour amoureux ! Que t’importe
À toi, valet par goût ! à toi, Dieu serviteur !
Mercure, je n’ai pas besoin d’entremetteur !…

Jupiter

Paix, les langues ! Et vous, ô convive irritable !
Venez à mon côté prendre place à la table.

Éros

Non !

Junon

Non ! Tu ne veux pas ?

Éros

Non ! Tu ne veux pas ? Non !

Jupiter

Non ! Tu ne veux pas ? Non ! Pour la dernière fois…

Éros (tombant aux genoux de Jupiter)

Ô Père ! Roi des Dieux ! ô Père ! Dieu des Rois !
Si vraiment vous aimez via grâce et ma jeunesse,
Si vous avez pitié des cœurs désordonnés,
Ô vous le plus puissant des Dieux que l’on connaisse,
Si vous savez mon mal, si vous le comprenez,
Oh ! laissez-moi quitter cet Olympe où nous sommes
Spectateurs sans espoir du spectacle éternel,

Laissez-moi, pour un jour, vêtu d’un corps charnel,
Descendre sur la terre et me mêler aux hommes ;
Puis, je vous reviendrai, plus jeune et plus joyeux !…

Vénus

Hélas !

Mercure

Hélas ! J’en étais sûr : il a le mal des Dieux !

Jupiter

(tombant peu à peu dans une rêverie profonde, qui se communique aux autres dieux, pendant qu’Éros demeure agenouillé et sans entendre)
Oui ! c’est le mal divin ! Les uns après les autres
Nous en sommes atteints… Jusqu’ici deux des nôtres,
Minerve aux regards gris, Éros aux yeux de feu,
Avaient su résister au vertige du jeu !…
Ô vertige enivrant ! ô parfum de la terre !
Regrets mystérieux des délices d’en bas !
Ô tendres souvenirs que l’Olympe doit taire,
Plus capiteux que le nectar de nos repas,
Et que les Immortels burent jusqu’à la lie !
Baisers dont la saveur engendre la folie !
Ferez-vous donc toujours chanceler les Dieux las ?

J’ai respiré la fleur de la tendresse humaine !
Ravissement d’Europe, étonnement d’Alcmène !
Ô terrestre fraîcheur des lèvres de Léda !

Apollon

Ô candeur d’Hyacinthe !

Junon

Ô candeur d’Hyacinthe ! Ô berger de l’Ida !

Mars

Je ne sais plus… C’était dans une ville prise…

Pluton

Eurydice !

Bacchus

Eurydice ! Ariane !

Diane

Eurydice ! Ariane ! Endymion !

Vénus

Eurydice ! Ariane ! Endymion ! Anchise !

Éros

Père ! vous fléchissez dans votre âme indécise !
Vous savez être bon puisque vous êtes fort :
Adoucissez pour moi la dureté du sort !

Jupiter

Ô mon fils bien aimé ! votre plainte me touche.
Puisque le mot fatal a franchi votre bouche,
Allez ! Allez dormir sur un sein ignoré !
Mais avant de sortir de ce palais sacré,
Jurez-moi sur le Styx, par un serment terrible,
De ne point dépouiller votre forme sensible
Et de cacher à tous que vous êtes un Dieu !

Éros (se relevant)

Je le jure !

Mercure

Je le jure !Au revoir ! Et bonne chance !

Éros

Je le jure ! Au revoir ! Et bonne chance !Adieu !

Bacchus

Éros ! en ton honneur je vide mon cratère !

Jupiter

Et maintenant, mon fils, descendez sur la terre !

Vénus

Marche sans le savoir vers ton destin caché !
L’Olympe te regarde : adieu !

Éros

(descendant lentement de l’Olympe, les bras ouverts)

L’Olympe te regarde : adieu !Psyché ! Psyché !