Épisodes, Sites et Sonnets/Les Mains

Épisodes, Sites et SonnetsLéon Vanier (p. 55-60).
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LES MAINS

L’appareil varié des riches artifices,
Étoffes, fards, bijoux, sourires, tu les as !
Mais les robes sont d’un tel poids à ton corps las
Qu’elles glissent au nu de tes épaules lisses ;

Comme un couchant de flamme au froid des horizons
Transfigurant la plaine où gisent les scories,
Le fard posé ravive à tes lèvres meurtries
Le jeu de leur sourire et de tes pâmoisons ;

Et l’étoile de diamants aux pendeloques
De tes oreilles a, sur tes nuits équivoques,
Lui comme sur mes soirs de mal les astres vrais ;

Et cette lassitude égale nous convie
À joindre nos destins douloureux et navrés…
Vous qui savez si bien les hontes de la Vie.

LES MAINS BELLES ET JUSTES

Attestant la blancheur native des chairs mates
Les mains, les douces mains qui n’ont jamais filé,
Hors des manches sortaient le blanc charme annelé
De bagues, de leurs doigts, tresseurs des longues nattes.

Mains, vous cueillerez au bord des fleuves calmes
Les grands lis de la rive et les roseaux du bord,
Et sur le mont voisin vous choisirez encor
La paix des oliviers et la gloire des palmes ;

Ô Mains, vous puiserez à la berge des fleuves
Pour laver sur les fronts l’originel méfait
Le trésor baptismal de l’eau sainte qui fait
S’agenouiller le lin pieux des robes neuves ;


Ô Mains de chair suave où la lenteur des gestes
Fait descendre le sang au bout des doigts rosés,
Vous ferez sur les fronts las où vous vous posez
Neiger le bon repos de vos fraîcheurs célestes !

Et les Poètes, ceints de pourpres écarlates,
Où saigne avec le soir leur songe mutilé
Vous baiseront, ô Mains, pour n’avoir pas filé
Le lin des vils labeurs et des tâches ingrates :

Car aux lèvres l’émail des carmins efficaces
Avive leur contour sinueux et fardé,
Et la bouche de la Femme n’a rien gardé
De sa fraîcheur de chair rose de sangs vivaces,

Et les yeux ont requis le bistre des cernures,
Et la joue a rougi d’un factice incarnat,
Et des feux de saphyrs qu’une main égrena
Scintillent en l’amas fauve des chevelures,

Et les doux seins, appas impérieux des lèvres,
Première puberté des torses ingénus,
Cachent frileusement leurs charmes advenus
Sous les joyaux trop lourds que vendent les orfèvres,


Et le ventre poli qui s’étoile d’un signe,
Où frise le secret des laines de toisons,
Les hanches et les seins bombent sous les prisons
Des tissus palpitants dont le rêve s’indigne ;

Les robes d’or rigide où remuant d’écailles,
La soie aux plis nombreux, variés et chantants,
Et l’émail éraillé des satins miroitants,
Et la moire ridée en ondes et les failles

Qui façonnent la grâce étrange et plus hautaine
Imposent au Désir leur stérile roideur,
Et d’un mensonge encor irritant son ardeur
Voilent des nudités qui la feraient sereine.

Et, seules, attestant la blancheur des chairs mates,
Les seules mains, les mains qui n’ont jamais filé,
Sortent mystiquement le blanc charme annelé
De bagues de leurs doigts, tresseurs des longues nattes.

Mains douces ! qui cueillez sur la berge des fleuves
Les grands lis de la rive et les roseaux du bord,
Et simples ! qui puisez le baptismal trésor
Équivalent à tout le lin des robes neuves,


Mains justes ! arrachez le voile qui dérobe
À nos yeux le secret des purs nus triomphaux,
Dénouez la ceinture et brisez les joyaux,
Déchirez la tunique et lacérez la robe

Et dans le bain sacré des ondes baptismales,
Lavez les fards impurs dont se fardent les chairs,
Et que le Fleuve chaste emporte en ses flots clairs
Tout l’incarnat dissous des roseurs anormales.