Épisodes, Sites et Sonnets/La Grotte

Épisodes, Sites et SonnetsLéon Vanier (p. 83-87).

LA GROTTE

Cette heure de sieste lasse s’alourdit
Du Rêve évanoui de quelque vie éteinte,
Décor vague dans l’eau qui dort mirant sa feinte
De paysage inverse au fleuve du Midi ;

Il flotte un vieil aveu que mon amour a dit,
Émoi perpétué de quelque folle crainte…
Au lointain d’un passé se cambre à mon étreinte
L’offre pour mon désir d’un nu torse roidi ;

Mais ma bouche n’a plus de lèvres pour redire
Les mots dont ma parole a leurré le sourire
De la naïveté qui croyait à ma Foi,

Mes bras ne savent plus l’enlacement qui noue,
Et mon sang a coulé par le cruel exploit
Du Sagittaire astral dont la flèche me troue.

LA GROTTE
Elle

Je t’apparus au seuil en larmes de la Grotte
Merveilleuse où pendaient en gemmes de cristal
Les pleurs adamantins que la pierre sanglote.


L’écho mystérieux du vieil antre natal
Répercuta l’appel de la trompe marine
Que tu sonnas à pleine bouche, ô blond Héros
D’une aventure fabuleuse, au ras des flots
En rumeur sous la proue heureuse qui domine
Le blanc tumulte des écumes de la Mer
Déferlante jusques au sable de la grève

Où je vins ignorant le péril inconnu
De te voir autrement qu’au vague de mon rêve…
Un brusque souffle ouvrit ma robe ; et mon sein nu,
Divulgué par le seul hasard d’une surprise,
Et l’or de mes cheveux que dénoua la brise
Éblouirent tes yeux d’une apparition,
Et mon corps a tordu sa révolte inutile
Entre les bras dompteurs de la rébellion
Où se roidit ma chair de Vierge… mais nubile
Avait rêvé de toi mon songe inconscient
Et tu vainquis mon doux reproche souriant.


Depuis, quelque anse calme et sûre fut l’asile
Où ton navire désœuvré cargua l’essor
De ses voiles ayant des frissons d’envergures,
Peintes de monstres et d’effrayantes figures
Qui semblent rire quand grince le câble d’or !


La maternelle mer a tant bercé nos veilles,
La torche vespérale allumé de merveilles
À la voûte incrustée et riche de joyaux
De la grotte où dormit notre amour qui s’enlace

Au lit de sable où se marqua la double place
Qu’y creusa le poids las de nos sommes jumeaux !
Ce soir, la mer gémit la plainte de ses vagues
Et, présages, le feu de la torche s’éteint,
Et j’ai perdu ta bouche et ton doux corps étreint,
Et je vais donnant à la nuit des baisers vagues
Et murmurant tout bas des paroles d’amour
Auxquelles seul l’écho parmi l’ombre réplique.


Lui

Tout ce passé n’est plus déjà qu’un songe lourd,
Le vain halo d’une mémoire nostalgique.
Une heure morte comme les autres, hélas !
Ô compagne de ce jadis, cette heure est morte,
Et ces mots d’autrefois que tu redis tout bas
Le seul écho qui te répond me les apporte ;
Et cet adieu me fut cruel d’être un sanglot
Qui meurt parmi le vent dont s’étoffe ma voile
Où la chimère peinte éploie un vol nouveau
Vers quelque Nuit mystérieuse qui s’étoile.