Épisodes, Sites et Sonnets/Jouvence

Épisodes, Sites et SonnetsLéon Vanier (p. 89-97).
◄  La Grotte
Cendres  ►

JOUVENCE

Nous voguions sur des mers de nuit et de colères,
Loin de la Terre et de l’Éternelle Saison
Où l’or de tes cheveux fut la seule moisson,
Loin des Jardins fleuris et des Jouvences claires ;

L’évanouissement de rives et de choses
Douces et mortes et plus lointaines toujours
Nous fit pleurer tous deux, et des aromes lourds
Parfumaient notre exil de mémoires de roses ;

L’enfantin Paradis qu’un caprice dévaste,
Du mauvais sortilège et de l’ombre néfaste,
Filet mystérieux où trébucha ma foi,

Surgit comme au lever des aurores premières,
Et revoici, telles qu’alors, toutes pour Toi,
Guirlande à la Fontaine et torsades trémières !

JOUVENCE

De la Mer propagée en lueurs de miroir
À l’horizon surgit en courbure de dôme
Un ciel d’azur profond et doux comme l’espoir,

Un vent marin chargé d’effluves que l’arome
Des algues satura de parfums inconnus
Souffle sur les Jardins de l’étrange royaume

Où la pose hiératique des Dieux nus
Tressaille sous le poids des offrandes dont s’orne
Le marbre enguirlandé des torses ingénus,


Quand l’appel guttural henni par la Licorne
Frappant du pied le sol où réside un trésor
Vibre aux pointes des caps aigus comme une corne.

La faulx des vagues ouvre et creuse aux sables d’or
Le croissant incurvé des golfes où s’abrite
Un blanc vol migrateur du Ponant ou du Nord.

Vers le Palais d’onyx pavé de malachite,
De la Mer au parvis s’étage le frisson
Des arbres où l’encens annonce quelque rite

Célébré par le chœur des beaux couples qui vont
Épars dans les massifs de myrtes et de roses
Pour y cueillir la gerbe et l’unique moisson.

Mais le décor paré pour les apothéoses
De l’amour fut sali des fraudes de la chair
Savante et déviée à des métamorphoses !

Au signe de ce vent qui souffla de la mer
Survint la Nuit victorieuse des prestiges
Évanouis avec le jour et l’Azur clair.


La fête et son tumulte ont laissé pour vestiges
Le désastre des lis brutalement brisés
Et que pleure la sève aux cassures des tiges ;

Le soleil saigne aux Occidents stigmatisés
Élargissant sa plaie en la pourpre des nues
Qu’attisent les pointes de Glaives aiguisés,

Et, chauds encor d’un vautrement de femmes nues,
Les Sphinx muets crispant leurs ongles acérés
Ont repris leur lent songe au fond des avenues ;

De l’escalier ruisselle au marbre des degrés
L’égouttement du Vin du crime et de la honte
Où se noya l’orgueil des Rêves massacrés…

Le Pays fabuleux évoqué par le conte
Que le songe du Temps narre à l’Âge futur
S’endort à tout jamais d’un lourd silence où monte

Le bruit des gouttes d’eau que filtre l’antre obscur
Au bassin d’où jaillit le flot de la Fontaine
Par qui la lèvre d’avoir bu rit à l’azur.


Mais ton onde leur fut à tous mauvaise et vaine
Et leur soif, ô Jouvence, a souillé ton cristal
Du souffle d’une bouche érotique et malsaine,

Le rajeunissement du breuvage fatal
Les rua vers la chair et vers l’amour immonde
Et les voici voués aux renouveaux du mal,

Et toute la douleur éparse par le monde
A repoussé pour eux ses rameaux et ses fruits
D’arbre miraculeux que nul Ange n’émonde,

Et dès lors, jusqu’à l’heure atroce des minuits,
Des couples, cœurs en sang et percés des sept-glaives,
Sanglotent au déclin venu des jours enfuis

Le cri des deuils d’amour errant au soir des grèves !




Ce soir de châtiment nous fut un soir de grâce
Et dans l’impur Jardin qui vers la mer descend
Notre rêve s’attarde aux fleurs de la Terrasse.

Nous avons bu le flot fatidique et puissant
Où la sénilité des âges se ravive
Pour le vierge baiser de celle qui consent ;

Le miracle de l’eau rajeunissante et vive
Suscite de l’oubli les mots des vieux aveux
Pour toi ma Fiancée éternelle et votive,

Rêvée aux nuits d’Été des Océans houleux
Où mon âme voguait vers d’étranges Florides
Pleines de fleurs ayant l’odeur de tes cheveux…

Serre en tes douces mains les miennes qui sont vides
Mes deux mains de rameur qui n’a su conquérir
L’or des Pommes miraculeuses d’Hespérides !


Explorateur des mers de pourpre et de saphyr,
Je suis las de la route et de cette aventure
Du blanc Septentrion jusqu’aux côtes d’Ophyr ;

Les vents mystérieux chantant dans la voilure
Ont raillé mon orgueil et mes deux bras roidis
Contre un courant marin déviant mon allure,

Les Équinoxes ont bercé mes chauds midis,
Les vagues ont gercé de sel et d’amertume
Mes lèvres à l’abord des golfes interdits ;

J’ai vu des Ganges dont le cours luit et s’allume
Au mirage divers des Pagodes du bord
Bifurquer leur delta dans le sable qui fume,

Et sous d’ardents soleils où leur langueur se tord,
Aux vignes qui tentaient les antiques conquêtes
La grappe intérieure en cendre à qui la mord !

Calme le désarroi de toutes ces défaites
Dont le ressouvenir s’immerge dans l’oubli
De tes baisers à qui vont mes seules requêtes ;


Le jour des vains passés à l’Occident pâlit,
L’horizon violet se fonce en crépuscule
Vague où ma Vie antérieure s’abolit ;

La Nuit impérieuse et sainte s’accumule
Sur la ruine vespérale et sans échos
Où le soupir épars d’un rêve se module ;

De la Terrasse en fleurs hautaines sur les eaux
Le vieux marbre effrité comme un songe qui croule
Tombe jusqu’à la mer murmurante de flots.

Ta chevelure en nappe blonde se déroule
Avec l’odeur des algues rousses et des fleurs
Et l’éternel ramier en nos âmes roucoule,

Et c’est ici le but des rencontres d’ailleurs
La route vers la mort s’éclaire et se dévoile
Et voici pour mon guide à des Pays meilleurs :

Ton nimbe sidéral dans la Nuit qui s’étoile.