Épisodes, Sites et Sonnets/Cendres

Épisodes, Sites et SonnetsLéon Vanier (p. 99-106).
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CENDRES

Selon les jeux divers du couchant, vers la Mer
Où mourut la splendeur d’un soir en pierreries,
Notre âme s’exalta de Rêves et de Vies
Belles selon l’orgueil de l’Être et de la Chair ;

N’avons-nous pas conquis aux Terres d’or célestes
Ces lambeaux de nuée en flocons de toisons ?
Le sang de l’Hydre morte aviva les tisons
Du bûcher fabuleux où brûlèrent nos restes ;

Et l’ombre cinéraire en le ciel envahi
Drape un linceul de nuit sur le vaillant trahi
Que pleure un rite nuptial de Choéphores,

Et le vent qui travaille en l’ombre à l’œuvre obscur
Vide le mausolée et les urnes sonores
Des cendres pour qu’en naisse le Printemps futur.

CENDRES
Ô quel farouche bruit font dans le crépuscule
Les chênes qu’on abat pour le bûcher d’Hercule.
Victor Hugo.

Le soleil a saigné ses couchants héroïques !

La rumeur de la Mer sonne aux galets des grèves
Par delà les caps d’ocre et les hauts promontoires,
Et c’est comme un écho d’heure morte et de gloires
Toutes d’exploits et de conquêtes emphatiques,
Et d’aventures où fulgurèrent les Glaives…
C’est comme un rappel prestigieux de victoires
Et d’un passé cruel où périrent des rêves
Qu’atteste ce coucher caillé de sang et d’or,

Sacre d’un soir élu pour l’offrande farouche
Du fabuleux bûcher où le Héros se couche
Et se consume, nom et cendre pour la mort !

Des grands soirs éperdus de vogues et de voiles
Où souffle un vent marin pour de folles dérives
Vers les Pays de Conte et vers d’autres Étoiles
Que double leur mirage aux lagunes des rives
Rien ne reste sinon la mémoire sonore
Et vague que la Mer en perpétue encore
Évanouis en écumes les vains sillages !

Et mort le charme aussi des jardins et des plages…

La marée agressive a noyé les Sirènes
Et le flot a roulé leurs corps de blondes femmes
Chanteuses du vieil amour aux terres lointaines,
Et le vent ne sait plus qu’il a brisé les rames
Ni l’écueil émergé qu’il troua les carènes
Des galères qui rapportaient des Hespérides
L’amas des Pommes parmi la Toison magique
Conquise ailleurs par un Héros de notre équipe.

Par la blessure ouverte aux flancs des nefs splendides
La cale — où sommeillait le labeur des dangers :

Joyaux plus variés que les couchants d’automne,
Rubis, sang des vaincus par l’Érèbe exigés,
Améthystes, éclairs pâles d’un ciel qui tonne,
Fruits, parfumant la mer d’une odeur de vergers —
Laissa tout le trésor conquis parmi les mondes
Ruisseler, et marquer en le remous des ondes
Un sillage saigné par mille pierreries ;

Le mystère du flot avide s’est fermé
Sur le rayonnement des gloires enfouies,
Et le soleil en nuages d’ombre a fumé,
Torche funèbre, sur le deuil des vains travaux
Et ce qui fut ma Vie exaltée et sa joie.

À l’opposé des Mers où l’Occident rougeoie
Voici la Terre immense et ses autres échos,
Et la ligne des bois bleuis d’ombre et de brume,
Et c’est une autre Vie et ses luttes et toutes
Ses hontes qui s’évoquent et les mâles joutes
En ce décor d’un ciel de cendre et d’amertume,
Marécage qui stagne aux soirs paludéens.

L’Hydre a tordu d’un cri les squames de ses reins
Et roulé dans la fange immonde sa défaite

Quand l’Épée, une à une, eut coupé chaque tête
Qui renaissait de son sang même et de la boue ;
Le massacre a souillé l’honneur des vierges mains
— Car le mal est mauvais même à qui le déjoue —
Et le monstre annelé mal tué par le glaive
Râle encore au marais livide d’horizon.

J’ai crispé mes doigts robustes à la toison
Et, comme un vendangeur qui fait jaillir la sève
Des grappes, j’ai serré la gorge des lions
Dont la gueule saignait parmi les touffes d’herbes
Et fus dompteur viril de leurs rébellions,
Et j’ai fait de leurs peaux et des griffes acerbes
Un bestial trophée à mes épaules nues !
Et Nemée exultante en un matin d’avril
Au prestige ébloui des tâches inconnues
Salua le vengeur de son fauve péril.

Aux arbres alourdis de la Forêt heureuse
Où l’Automne à présent pleure aux carrefours d’ombre
J’ai suspendu le poids des dépouilles sans nombre,
Prix opime de la prouesse valeureuse ;

Et le vent en des soirs d’orgueil et de mystère,
Rebrousseur des toisons effrayantes et douces,
Échevelait éparses les crinières rousses.

Voici que meurt la fête ardente de la Terre,
Et les feuilles s’en vont comme des rêves las
Ou des fibres de chanvre arraché des quenouilles,
Et dans le deuil des bois dénudés et lilas
Tout l’inutile sang des antiques dépouilles,
Goutte à goutte, a saigné sur la Terre assouvie ;
Et les abeilles d’or fuyant les ruches vides,
Ivres des chauds midis en fleurs et de la Vie,
N’ont pas laissé de miel en les gueules avides.

Le Printemps a donné d’excessives prémices,
Trésors que l’implacable Automne a dissipés,
Et la brume qui monte aux horizons trempés
Fume comme l’encens d’injustes sacrifices.

Le vol aveugle et lourd des Oiseaux du Stymphale
Tourne en cercle au ciel noir où vibre le défi
Du clair rire équivoque et railleur de l’Omphale
Au lointain d’ombre et d’eaux de son Jardin fleuri,
Et les flèches du vent sifflent à travers bois
Où s’entend un galop ravisseur et sonore

Sur la route où s’en va la fuite du Centaure
Dont la croupe plie et frissonne sous le poids
Du Rêve qu’il emporte par delà les flots
D’un Léthé bienfaisant où mon âme va boire
L’oubli de cette fuite atroce et des galops
Qui sonnent encore aux échos de ma mémoire.

Ce fut l’Aube sanglante et belle : c’est la Nuit
Où le feu du bûcher simule une autre aurore,
Honneur du ciel où son rayonnement a lui ;
Le vin de Vie écume au trop plein de l’Amphore
Pour une libation funèbre et déborde,
Et les jours sont vécus de la vieille aventure ;
Et voici l’holocauste où le Rêve s’épure
Aux flammes de la Mort qui veut que ne se torde
Pas de guirlande aux bras levés de la victime
Ni joyaux attestant des splendeurs de jadis
Parmi l’écroulement des bûchers refroidis,
Lapillaire surcroît d’une gloire unanime :
Car il est héroïque et viril de s’étendre
Nu pour mourir afin que ses chairs péries,
Poussière que l’oubli de l’urne va reprendre,
Ne survive parmi le néant de la cendre
L’éclat victorieux d’aucunes pierreries.