À une jeune Indienne (Leconte de Lisle, Premières poésies)

Premières Poésies et Lettres intimes, Texte établi par Préface de B. Guinaudeau, Bibliothèque-Charpentier ; Eugène Fasquelle, éditeur (p. 147-149).


À UNE JEUNE INDIENNE


À Mlle Amélie Delpit, ma cousine,
ceci est dédié.


Sous les palmiers, frais berceaux du vieux Gange,
Céleste enfant, quel rayon t’anima ?
De notre Christ es-tu quelque doux ange ?…
Ou de l’aurore, au souffle de Brahma,
Un blanc génie, aux ailes de topaze,
Abandonnant son palais dans les cieux,
Se cache-t-il sous ta robe de gaze,
Pour éblouir et notre âme et nos yeux ?

De ta venue apprends-nous le mystère ;
Cette senteur de la myrrhe et du miel,
Est-ce ton cœur qui parfume la terre,
Est-ce l’esprit qui regrette le ciel ?…
Ce long regard qui luit sous ta prunelle,
Toujours charmant, mais quelquefois pensif,
Reflète-t-il un séjour primitif,
Où s’entr’ouvraient les plumes de ton aile ?

Pardonne, enfant, nos désirs indiscrets ;
Mais la beauté du ciel même est l’image,
Et tout rayon qu’elle laisse au passage
Fait pressentir d’ineffables secrets.

Puis, quand du cœur reine est la poésie,
De son chef-d’œuvre il monte au Créateur…
Pardonne donc, ô perle de l’Asie,
Nous l’adorons dans ton être enchanteur !

Nous l’adorons quand tes lèvres frémissent,
Nous l’adorons quand, pliant tes genoux,
Pour le prier, tes jeunes mains s’unissent ;
Nous l’adorons quand s’arrête sur nous
Ton œil brillant de joie ou d’innocence ;
Lorsque, légère, ignorante de pleurs,
Laissant aller ta naïve existence,
Tu vis d’espoir, de rêves et de fleurs !…

Le colibri, diamant du feuillage,
Ainsi que toi chante, étincelle et dort ;
Ta rose aimée où l’aube a son mirage,
Ainsi que toi pleure des perles d’or…
Mais, comme lui, ne sois pas un prestige,
Un doux éclair qui vient, qui passe et meurt ;
Comme elle aussi ne quitte pas ta tige,
Frêle âme éclose aux lèvres du Seigneur !

Ah ! pourrait-il, d’une éphémère ivresse,
Flétrir les cœurs qui suivent ici-bas
Le bruit charmant ou l’ombre de tes pas ?
Pour leur laisser, enfant, non la tristesse,

S’il rappelait ton être harmonieux,
Mais le désir de mourir, à toute heure,
Pour espérer de trouver dans les cieux
Le bleu sentier qui mène à ta demeure !

Dieu ! permets-nous de contempler longtemps
Cet ange humain qu’un rayon fit éclore !
Permets, Seigneur, que ses traits éclatants
Gardent le feu de sa candide aurore…
Ou bien, du moins, si sa vie est un jour,
Ah ! que ce jour emplisse notre vie,
Et puis, alors, à la terre ravie,
Que l’âme au ciel remonte sans retour !

Sous les palmiers, frais berceaux du vieux Gange,
Céleste enfant, quel rayon t’anima ?
De notre Christ es-tu quelque doux ange ?
Ou de l’aurore, au souffle de Brahma,
Un blanc génie aux ailes de topaze,
Abandonnant son palais dans les cieux,
Se cache-t-il sous ta robe de gaze
Pour éblouir et notre âme et nos yeux ?