12 DÉCEMBRE.


La peste sévit cruellement à Odeypour, la résidence du Kami de Mewar, Fils aîné du Soleil, dont la famille s’enorgueillit d’avoir, enfermée, dans sa forteresse de Chittor, résisté pendant douze ans aux efforts des Musulmans qui l’assiégeaient. Nous n’irons donc point, malgré la curiosité qu’il inspire, visiter ce chef, tête suprême de tous les clans Radjputs, ce prince qui, obéissant aux vœux d’un de ses ancêtres, ayant juré de coucher sur la paille et de manger sur des feuilles tant que Delhy serait aux mains des ennemis de la race indoue, continue à faire étendre sous sa couche royale des brassées de paille et auquel on ne présente les mets que reposant sur des verdures de bananiers.

Nous ne verrons point les palais de marbre, le lac bleu, bordé de temples, d’Odeypour ; il me sera impossible de contempler ces princesses de Mewar, dont les aïeules se firent égorger par leurs pères et leurs frères, plutôt que d’apporter à la race des empereurs Moghols, le sang Radjput ; sa vaillance et sa loyauté.

Avec un soupir de regret nous dépassons en chemin de fer (car il n’y a pas même de sentier praticable jusqu’à Baroda), la ville endormie dont tout le monde a fui et où les trains ne s’arrêtent plus.

Les wagons de troisième sont bondés d’indigènes chamarrés de mille couleurs, étincelants de bijoux. Personne ne crie, ne se bouscule ni se presse ; s’ils arrivent trop tard, ils s’accroupissent sur le quai entre leurs ballots de literie, leurs ustensiles de cuivre, attendant avec une soumission admirable au destin le train suivant qui ne passe que 24 heures après.

Des marchands de fruits, des porteurs d’eau de différentes castes encombrent les marchepieds, les femmes enveloppées de longues draperies trébuchent en marchant et souvent des marmots les guident jusqu’aux compartiments réservés aux « Purda-Nashin »[1].

C’est un aspect nouveau de la vie indienne.

Le train siffle, il part ; pendant toute la nuit son cahotement nous tient éveillés ; enfin, à l’aube, il stoppe en gare de Baroda.


  1. Femmes voilées.