À quatre-vingt-dix-mille lieues de la Terre/05

La Jeunesse illustrée (p. 10-13).

CHAPITRE v

Les malices du Dr Sulfate.

Un homme ennuyé, c’était le Dr Sulfate, ce confrère de Lancette que nous avons vu accourir auprès de notre savant le soir de la fameuse syncope.

Oui, depuis ce moment fatal, le malheureux Sulfate passait son temps à se demander quelle découverte pouvait bien avoir faite son collègue Agénor Lancette ; car, sûrement, il y avait eu découverte, Sulfate sentait cela, il en avait la tête bouillante, tenaillée par le doute et la jalousie.

Or, le hasard voulut qu’il passât précisément devant la maison de son confrère au moment où l’hélice lunaire perçait dans la toiture du hangar son trou circulaire de diamètre rigoureusement égal à l’envergure de ses ailes.

Ce percement produisit, comme on doit bien le penser, un bruit effrayant. Des morceaux de bois et des ardoises hachés furent projetés tellement haut, en un mouvement circulaire et vertical à la fois, qu’ils passèrent au-dessus de la maison. Un des morceaux d’ardoise ainsi lancé retomba dans la rue d’une facon si franche et si nette sur le porte-cigare du confrère Sulfate, que ledit porte-cigare, arraché des dents de son propriétaire, tomba sur le sol ; Polyte, le chien d’Agénor, se jeta dessus et l’emporta dans sa niche, le prenant pour un os.

Aussitôt, Sulfate et quelques passants se précipitèrent dans la cour et virent le dégât : le hangar percé, le pavé couvert de débris, le concierge immobile et pâle dans sa flaque d’eau, Adrien et Agénor gesticulant.

Aux fenêtres, les gens habitant l’immeuble se penchaient pour voir, et tous les visages étaient effrayés, sauf celui d’un locataire du quatrième, mauvais payeur devant trois termes, qui s’épanouissait de gaîté en voyant son ennemi mortel le portier, ce pauvre père Aristide, assis dans l’eau claire.

Deux hommes ramassèrent le concierge qui fut, tant bien que mal, traîné jusque dans sa loge. Il revint à lui presque immédiatement et un verre de kirsch le remit sur pied.

Dans la cour, Sulfate s’était approché de Lancette, et, brusquement, lui avait dit en montrant la mécanique gisant sur le sol de son hangar :

— Ah ! la voilà donc, votre découverte, homme mystérieux, je savais bien que l’évanouissement de l’autre soir avait une cause cachée : l’émotion produite par une grande trouvaille, parbleu ! et vous n’avez pas voulu me le dire de suite, ô Agénor ! Mais le secret découvert est là, sous mes yeux. C’est quelque aviateur, hein ? ajouta-t-il en observant avec admiration les palettes de l’hélice. C’est du plus lourd que l’air ; la navigation aérienne trouvée, peut-être !

Agénor était, nous le savons, peu disposé à faire connaître ses projets au Dr Sulfate. Il fut obligé de mentir.

— Eh bien, oui, dit-il ; c’est un moteur… un… aviateur ; et, comme vous dites… plus lourd que l’air.

— Sapristi ! répondit Sulfate, il a une jolie force, votre aviateur ; c’est lui qui a fait ce trou dans la toiture !

— Parfaitement, et il n’était que temps d’arrêter le mouvement, croyez-le bien, sans cela moi, mon neveu et le père Aristide, nous partions tous dans la… campagne.

— Et pourrait-on voir, contempler ce moteur, ami Lancette ? dit Sulfate en s’approchant.

— Ah ! ça, non, par exemple ! l’inventon n’est pas complètement terminée ; je travaille encore secrètement aux derniers préparatifs nécessités par mes ascensions prochaines… Vous verrez cela lorsqu’il sera temps… avec les autres…

La réponse était, en somme, aigre-douce. Sulfate ennuyé s’éloigna.

— C’est donc la direction des ballons qui occupe cet infatigable cerveau, se dit-il. J’étais certain que ce diable d’Agénor avait découvert quelque chose. Oh ! il faut à tout prix que je sache, il faut que je pénètre son secret, dussé-je, pour cela, employer les moyens violents. Oui ! oui ! je saurai ! foi de Sulfate !…

Nous n’avons pas encore dit au lecteur que le confrère d’Agénor faisait partie de la nombreuse phalange d’êtres humains qui cherchent avec ardeur la solution de cet extraordinaire problème : la direction des ballons. Le nombre de dessins, de modèles de dirigeables plus lourds ou moins lourds que l’air crayonnés par le Dr Sulfate était inimaginable. L’on comprendra facilement quelle dut être sa surprise lorsqu’il crut avoir deviné que les recherches et les préparatifs d’Agénor Lancette avaient également pour but la conquête de l’air. La jalousie, aussitôt, le mordit cruellement au cœur. Le voir partir bon premier, cet Agénor, dans la lumineuse atmosphère, le savoir maître de cet ennemi terrible des chercheurs, le vent ! oh ! non ! ce serait trop cruel ! Comment ! n’en être encore qu’aux plans et aux projets ! espérer, en somme, un résultat futur encore lointain, mais possible, réalisable, et voir là, près de lui, cet heureux confrère possesseur d’un appareil terminé déjà et de fort belle mine, ma foi. Ah ! l’épouvantable chose ! !…

Telles furent les pensées de Sulfate lorsque, la tête baissée et l’œil étincelant, il reprit le chemin de sa demeure.

Rentré chez lui, ce fut pire encore ; même au lit, le soir, la torturante pensée l’obséda sans laisser à sa tête le moindre repos, la moindre détente.


… Là, une sorte de baraque très haute et de forme cylindrique fut édifiée pour contenir la fameuse machine…

— Dépasser Lancette dans sa tentative, ruminait le pauvre Sulfate en s’agitant dans ses draps, ce serait impossible : je n’ai rien de prêt et sa machine est faite. Je partirai plutôt avec lui ! de force ! ou, s’il y a moyen, par surprise ! Cela dépendra des événements. En attendant, je vais observer attentivement ses faits et gestes. Oh ! il ne sera pas dit que cet homme s’élèvera seul et le premier là-haut sur un appareil parfait. Je veux partager avec lui la gloire qui rejaillira sur les premiers conquérants de l’atmosphère ! Je le veux ! !…

Sulfate avait, on le voit, la certitude inébranlable et jalouse que la découverte d’Agénor était parfaite en tous points ; son admiration pour la science et l’intelligence de son confrère était, d’ailleurs, sans bornes. Il lui eût été impossible de penser un seul instant que le moteur volant de Lancette fut, comme ceux déjà expérimentés, peu propre à la navigation aérienne par temps quelconque.

— Le plus lourd que l’air ! se disait-il, cet homme génial a choisi le plus lourd que l’air ! Il a bien raison : l’oiseau, le dirigeable par excellence, n’est-il pas lui-même plus lourd que le fluide transparent dans lequel il plane !

Agénor, de son côté, était tout heureux de voir son ami Sulfate plongé dans une erreur aussi complète. Le confrère, de cette façon, penserait moins au voyage vers la Lune ! Lagogué, ses hommes et les camionneurs avaient d’ailleurs reçu une somme assez rondelette pour garder secrète l’histoire de la trouvaille. Quand à Cécile, Adrien, Célestin et Honorine, le docteur pensait pouvoir compter sur eux ; ils ne parleraient pas.

Aux questions nombreuses et pressées qui lui furent posées, tant par les savants intéressés accourus de partout que par les ignorants simplement curieux, notre docteur répondit :

— Je prépare une ascension en dirigeable, ascension qui sera le triomphe certain du plus lourd que l’air. Je ne peux, à ce sujet, vous donner aucun détail avant mes expériences ; mais vous me verrez partir ; et, soyez-en sûr, j’irai loin !

Dès lors, étant donnée l’impossibilité d’obtenir du faux inventeur quoi que ce soit concernant sa prétendue invention, savants et curieux s’en allèrent et le laissèrent tranquillement à ses préparatifs.

Lancette fit d’abord réparer le hangar détérioré par son appareil. Puis, étant parvenu à démonter les pièces principales de sa mécanique, il les fit transporter dans un terrain vague qui se trouvait derrière la maison. Là, une sorte de baraque très haute et de forme cylindrique fut édifiée à ses frais pour contenir la fameuse machine. Des ouvriers menuisiers et mécaniciens travaillèrent à l’abri des regards, dans ce nouvel atelier improvisé, pendant plus d’une année, sous la direction d’Agénor. On vit entrer des planches, des morceaux de fer. Force caisses, grandes et petites, arrivèrent d’un peu partout, de France, d’Angleterre, d’Amérique, d’Allemagne, à l’adresse du Dr Lancette. On les ouvrait seulement dans l’atelier, en présence du maître.

En somme, un travail totalement ignoré des non-initiés s’accomplissait derrière ces planches. Et l’on se hâtait, car le docteur se disait pressé et payait bien.

Tout Orléans avait causé de l’aventure du hangar perforé, ce qui, tout d’abord, avait fortement inquiété notre savant ; mais il en fut de cet événement comme de tout autre : l’oubli vint. Les esprits excités recouvrèrent peu à peu le calme. Et, un mois après, la question du dirigeable Lancette semblait à tout jamais enterrée, pour le plus grand plaisir de ce dernier.

Cependant, seul au milieu de l’indifférence devenue générale, un homme, tapi dans l’ombre, n’avait pas oublié : c’était le Dr Michel Sulfate.

Tout ce que la ruse d’un être vraiment décidé peut faire tenter, il l’avait essayé, mais en pure perte. Il offrit de l’or pour savoir ; les hommes au service d’Agénor refusèrent et ne parlèrent pas. Il se grima comme un acteur, mit de fausses barbes, changea chaque jour de physionomie pour pouvoir rôder sans attirer l’attention autour de la mystérieuse baraque. Il entendit bien le bruit des outils et aussi le souffle ardent d’une forge, mais il ne put savoir à quoi servaient ces outils et cette forge.

Il alla même jusqu’à essayer de se faire embaucher par le chef d’équipe, dans le but de travailler à l’atelier ; mais ledit chef d’équipe, un malin, devina l’espion. Saisissant une des moustaches de l’inconnu, il tira dessus, et, bien entendu, la moustache postiche lui resta dans la main ; le pauvre docteur, non reconnu, s’enfuit à toutes jambes en enlevant le reste de barbe qui garnissait sa figure ordinairement glabre.

Cette dernière déception le désespéra. Dès lors, on le vit errer dans les rues retirées d’Orléans ou, en dehors de la ville, le long du fleuve, tout à son idée fixe, négligeant ses malades, oubliant son devoir de guérisseur.

Or, un soir du mois d’août, tandis qu’il flânait près de sa demeure en songeant à la glorieuse et prochaine ascension de son heureux rival, il vit passer près de lui un homme portant péniblement sur son épaule une caisse assez grosse. L’homme, courbé, avait la figure cachée par son fardeau.

— Je connais cette silhouette, se dit Sulfate.

Vivement, il revint sur ses pas pour croiser de nouveau le porteur de la caisse et regarder son visage. Il le reconnut aussitôt.

— Mais, s’écria-t-il avec jovialité, c’est mon grand ami Célestin !

— Tiens ! c’est vous, docteur Sulfate, répondit l’homme qui, en effet, n’était autre que le domestique de Lancette. Ah ! que j’ai chaud ! cette maudite caisse est d’un poids terrible !

Et, ce disant, le bon Célestin prit, de sa main libre, un mouchoir pour essuyer sa figure ruisselante de sueur.

Sulfate le contempla un instant sans rien dire, mais, pendant ce moment qui fut très court, une idée malicieuse lui germa dans le cerveau.

— Mon cher ami, dit-il à Célestin, vous allez attraper du mal ; il faut vous reposer un instant. Voulez-vous venir chez moi, là, tout près.

— Non, merci, docteur, il faut absolument que je continue mon chemin. Cette caisse est attendue impatiemment par M. le docteur Lancette, et

— Mon très bon ami, je vous dis, moi, médecin, qu’il fait vous arrêter et vous reposer un instant. Vous avez même besoin de prendre un cordial, cela se voit à votre physionomie. Je suis persuadé que vous ne pourrez faire cent pas de plus sans qu’il vous arrive quelque chose de grave !

— Vous croyez, docteur !

— J’en suis absolument sûr, et Lancette lui-même, s’il vous observait en cet état, vous ordonnerait de faire ce que je vous recommande.

— Mais, ma caisse ! je ne vais bien sûr pas laisser ma caisse comme ça dans la rue ! Monsieur m’a surtout recommandé de veiller attentivement sur elle ; personne au monde ne doit voir ce qu’il y a dedans.


— Le voilà, dit Célestin en ouvrant sa caisse ; nous en avons déjà reçu cinq comme cela !

— Et qui donc vous dit de la laisser dans la rue. Apportez-là chez moi, c’est facile. Je demeure au rez-de-chaussée, vous le savez bien. Personne ne l’ouvrira, ni moi, ni d’autres. Ça ne me regarde pas, d’ailleurs, ce qui est dedans ; mais venez prendre un cordial ; l’ordre d’un médecin ne se discute pas ; allons, venez.

Célestin, un peu malgré lui, suivit Sulfate en portant toujours sa caisse. L’appartement du docteur était à cinquante pas. Ils entrèrent tous deux dans le cabinet de consultation où le domestique d’Agénor introduisit également son fardeau précieux qu’il plaça sur le tapis.

Célestin, nous l’avons dit au début de cet ouvrage, était une perle ; mais, avouons-le, cette perle n’était pas d’un orient irréprochable. Ses qualités l’emportaient assurément de beaucoup sur ses défauts, ce qui était suffisant, pensons-nous, pour en faire un domestique plus que convenable, mais, enfin, il avait ses petits travers, un peu comme tous les mortels ; ainsi il aimait trop la Chartreuse, la verte, la plus forte. La vue de cette liqueur le rendait tout joyeux, surtout lorsqu’il la contemplait dans un petit verre placé bien en face de lui et destiné à son usage personnel. Sulfate n’ignorait point ce détail.

Dès que notre Célestin fut bien confortablement assis dans un des sièges garnissant le cabinet, le docteur alla dans la salle à manger, puis revint aussitôt avec une bouteille et deux petits verres. Le domestique eut un frémissement de bien-être : la bouteille contenait de la Chartreuse.

— Docteur, s’empressa-t-il de dire, vous soignez donc vos malades avec cette liqueur ?

— Parfois, mon cher. Cela vous rendra les forces qui vous abandonnaient. En disant ces mots, le malicieux médecin emplit le verre de Célestin et le sien.

Ils trinquèrent comme deux camarades ; et, avant de boire, le domestique put voir les derniers rayons du jour se jouer dans le cristal fin de son verre et illuminer de feux verdâtres la liqueur délicieuse ; on eût dit une émeraude liquide. Célestin but d’un trait.

Immédiatement, Sulfate remplit de nouveau le verre de l’imprudent.

— Buvez, mon cher, lui dit-il, cela ne vous fera aucun mal ; c’est efficace et souverain comme un rayon de soleil.

Célestin hésita un peu ; mais la liqueur était si belle, si verte ! qu’il but encore.

Au sixième verre, il appela Sulfate : « mon vieux frère ». Au septième, le malin disciple d’Hippocrate pensa qu’il était temps de questionner, car son homme semblait avoir oublié complètement les recommandations d’Agénor au sujet du silence imposé.

— Eh bien ! dit d’abord Sulfate, et ce dirigeable ?

— Ah ! oui, répondit l’autre, la mécanique, la fameuse mécanique ; mais on part demain !

— Comment : on, dit le médecin très intéressé ; Agénor ne part donc pas tout seul ?

— Pas du tout ; je m’en vais avec lui, et M. Adrien vient aussi ; mais, surtout ne dites rien de tout cela, c’est entre nous, n’est-ce pas ?

— Soyez tranquille, ami Célestin ; mais où allez-vous comme cela tous les trois ?

— Ah ! dame ! je n’en sais rien, mais ces messieurs savent.

« Nous partons pour un long voyage aérien, m’a dit monsieur, veux-tu nous accompagner, Célestin ?

« Ah ! mon maître, ai-je dit, avec vous j’irais jusque dans la Lune !

« Merci, ami, m’a-t-il répondu, en me serrant la main avec émotion, je compte sur toi. Et, voilà, on a fait un tas de préparatifs. Nous en avons empilé dans ce satané wagon qui doit partir, emporté par la grande mécanique !

— Il y a donc un wagon ?

— S’il y a un wagon ! Ah ! je crois bien ; c’est monumental !

— Et Lancette part comme cela, sans autorisation, sans avoir prévenu personne ?

— Une permission ! pourquoi faire ?

— Comment, pourquoi faire, dit Sulfate en versant un huitième verre à Célestin, mais il faut toujours une permission des autorités pour faire une expérience pareille ; il peut y avoir un accident ; vous et tout le matériel pouvez retomber des hauteurs de l’espace au beau milieu d’Orléans ; avouez, Célestin, que ça ne serait pas drôle !

— Ça marchera tout seul !

— Qu’en savez-vous ?

— Monsieur en est sûr ; il surprendra son monde, allez ! Quant aux autorités, on verra plus tard, au retour. On part demain, à deux heures du matin, c’est certain et tellement sûr que je viens de mettre à la poste une dernière lettre que mon maître adresse immédiatement avant son ascension dans les airs au directeur de l’Observatoire de Paris. De plus, je dois faire cette nuit, dans ma chambre, quelques modifications à un vêtement qui m’est destiné et que contient cette boîte. Il doit être placé dans le wagon demain matin avant deux heures, pour le départ. Le voilà, dit Célestin en ouvrant sa caisse ; nous en savons déjà reçu cinq comme cela.

Le docteur Sulfate regarda et vit un vêtement de scaphandrier muni de son énorme casque métallique et vitré. Le médecin reconnut immédiatement l’appareil inventé par MM. Desgrez et Balthazard, permettant de vivre dans tout milieu irrespirable ou vicié.

C’était, en effet, un de ces beaux vêtements que les deux savants confectionnèrent pour la première fois en 1900. Ayant reconnu que le bioxyde de sodium avait la propriété de se décomposer, au contact de l’eau, en oxygène et en soude, ils pensèrent qu’une faible quantité d’air non renouvelée pouvait rester continuellement respirable pour une personne hermétiquement enfermée dans un étroit espace, à la condition que du bioxyde de sodium et de l’eau y fussent enfermés aussi, l’un se dissolvant dans l’autre. En effet, l’oxygène ainsi obtenu continuellement par la dissolution remplace constamment la quantité de ce même gaz épuisé par les poumons de la personne enfermée, tandis que la soude qui se dégage en même temps fait disparaître l’acide carbonique asphyxiant expiré par les mêmes poumons. Et, tant qu’il y a de l’eau et du bioxyde de sodium, l’air n’a pas besoin d’être renouvelé.

Or, dans l’appareil inventé par MM. Desgrez et Balthazard, l’espace étroit où la personne est enfermée, c’est tout simplement l’intérieur du vêtement hermétiquement clos et contenant seulement quelques litres d’air. Sur le dos du sujet, une boîte circulaire et métallique est placée ; elle contient l’eau, le bioxyde de sodium, plusieurs petits appareils à mouvement d’horlogerie et un ventilateur.

C’est dans cette boîte communiquant avec l’intérieur du vêtement par des tuyaux, que la décomposition du bioxyde en oxygène et en soude s’opère automatiquement. Deux cents grammes de bioxyde peuvent fournir, dans un appareil ordinaire, une heure de respiration facile ; mais on peut augmenter la dose du bioxyde. Dans ceux exécutés pour le Dr Lancette et munis de certains perfectionnements, on pouvait respirer les quelques litres d’air contenus dans le vêtement pendant cent heures au moins !

— Cet homme pense à tout, murmura Sulfate émerveillé par ce que contenait la caisse. Il espère donc pouvoir planer dans les couches les plus élevées et les plus raréfiées de l’atmosphère, pour emporter de semblables appareils !

Mais le rusé docteur en savait assez sans doute, car il regarda le domestique, victime alcoolisée de son procédé malhonnête, et lui dit :

— Je ne vous retiens pas davantage, mon cher ami, continuez votre course et ne parlez pas à Lancette des soins que je vous ai donnés, c’est inutile, on se rend de ces petits services entre confrères.


— Cependant, mon père, songez à tous les services que je pourrais vous rendre en cas d’accident…

Célestin, un peu hagard, se leva et mit la caisse refermée sur son épaule. Sans dire un mot, en titubant, il sortit de chez son « vieux frère » et s’enfonça dans les rues assombries d’Orléans…

Lorsqu’il fut seul, Michel Sulfate rayonna.

— Lancette, murmura-t-il d’une voix sourde, demain je partirai de force avec toi, et je t’arracherai la moitié de ta gloire, aussi vrai, vois-tu, qu’en ce moment la nuit vient et que le jour s’en va…