Pruneau et Kirouac ; V. Retaux et fils (p. 9-10).


III


L’heure de l’ouvrage manuel venait de commencer pour la division des grandes, à Port-Royal-des-Champs.

Assises sur des bancs sans dossier, une vingtaine de jeunes filles cousaient, brodaient, tricotaient pendant que l’une d’elles lisait à haute voix la vie des Pères du désert.

La salle était sombre. Les murs, noircis par le temps, suintaient la tristesse et le froid. Mais l’élève qui lisait, lisait très bien, et avait une voix singulièrement agréable.

— Mademoiselle Méliand ! dit tout à coup la maîtresse qui présidait à l’ouvrage.

La lectrice releva la tête, et, sur un signe de la religieuse, ferma son livre et se dirigea vers elle.

Sa démarche, un peu lente, avait une grâce particulière.

Malgré ses cheveux en broussailles, malgré son costume peu gracieux, elle était charmante à voir ; et tous les regards la suivirent, pendant qu’elle traversait la salle.

— Madame l’abbesse vous mande dans sa chambre, dit la maîtresse à qui l’on venait de remettre le message.

La jeune fille sortit doucement, ôta son tablier de toile grise et, s’approchant de la fenêtre en ogive creusée dans l’épaisseur du mur, elle jeta un regard au dehors.

Un brouillard morne et glacé pleurait sur les branches encore nues des arbres. — Comme c’est laid ! comme c’est triste ! murmura-t-elle.

Et, enfilant les corridors et les escaliers, elle alla frapper à la porte de madame l’abbesse.