Alphonse Lemerre (p. 155-156).

XXXIV

LE RETOUR


 
Après avoir souffert d’horribles labeurs, mornes,
Vaincus, et, — comme sont les bœufs à grandes cornes
Qui reviennent après tout un jour de travail,
Soufflant tout l’obscur feu de leur sombre poitrail, —
Après être rentrés chez nous, vieux et livides,
Nous nous retrouverons devant des chaises vides,
Devant de longs et froids fauteuils, qui sembleront
Nous regarder. Alors nous courberons le front,
Et dans nos cœurs emplis encore d’étincelles
Nous considérerons attentivement Celles

Dont jadis les beaux yeux nous éclairaient, faisant
Tout notre orgueil ! Et nous nous dirons : « À présent
Il ne nous reste plus un seul regard, plus une
Seule affection qui, comme un beau clair de lune,
Nous apaise dans la douleur, et plus un seul
Mot d’amour qui nous fasse aimer notre linceul ! »
Et nous dirons encore : « Où sont toutes les femmes
Qui venaient là, faisant avec leurs belles âmes
Sur notre froide et lourde et triste obscurité
Choir le rayonnement divin de leur beauté ?
Où sont elles ? où sont nos sœurs ? où sont nos mères ?
Et ces femmes au vol radieux, les Chimères,
Où sont-elles ? Mais où sont les neiges d’antan ? »
Et sous l’ongle effroyable et morne de Satan
Nous tomberons ; et comme une pointe de glaive
Nous sentirons saigner en nous l’immense rêve.