À genoux/Le Vêtement d’orgueil

Alphonse Lemerre (p. 157-158).

XXXV

LE VÊTEMENT D’ORGUEIL


 
Que les autres, le front couronné d’asphodèles,
Réjouissent leur cœur dans les amours fidèles,
Et qu’ils chantent, et qu’ils s’enivrent, et que leurs
Âmes divines soient exemptes des douleurs
Intolérables dont l’âme des hommes souffre !
— Moi, je vis comme dans un vêtement de soufre
Qu’auraient tissé pour moi des dieux magiciens
Avec mes désespoirs, mes délires anciens,
Mes épouvantements, mes hontes et mes haines,
Qui me pèse comme un déroulement de chaînes

Et qui me suit partout. Et c’est à cause du
Mystérieux et triste amour qui m’a perdu,
Horrible amour qui même à cette heure me hante,
Comme l’ultime appel d’une femme méchante
Que j’aurais adorée antérieurement
Et que j’aurais trompée en étant son amant !
Sans doute, se voyant de mon cœur délaissée,
Voulut-elle, dans son effrayante pensée,
M’envelopper le corps de l’éternel dégoût
Des êtres, et me rendre indifférent à tout !

C’est depuis ces jours-là que sur ma chevelure,
Sur mon front et sur ma poitrine j’ai l’armure
Épouvantable avec laquelle je parcours
Le monde actuel plein de palais et de cours,
Gardant ce seul désir immortel dans mon âme
De n’être jamais plus aimé d’aucune femme.