À genoux/Le Bruit faux

Alphonse Lemerre (p. 269-270).

XXX

LE BRUIT FAUX


Tandis que relégué dans ta mansarde étroite
Près d’un lit à jamais déserté par les corps,
Tu recherches au fond de quelque vieille boîte
Une lettre, un bouquet oublié, des trésors !

Cependant que dans la vieillesse et l’abstinence
Tu trouves une vive et cruelle saveur
À déchirer ton âme avec ta souvenance ;
Cependant que la Mort te prend, triste rêveur,


Triste rêveur, entends du fond des hautes salles
S’élever jusqu’à toi dans les grands soirs d’été,
Comme des floraisons d’Égypte colossales,
Les senteurs de la joie et de la volupté,

Les rires et les cris d’amour et les cadences,
Et ce tournoiement lent, montant comme un essor,
La valse langoureuse entre toutes les danses,
Quand frissonnent les bras sous les bracelets d’or.

Et reconnais parmi ces troupes embaumées,
Abandonnant leurs corps à de lâches ardeurs,
Reconnais toutes tes anciennes bien-aimées
Pleines de voluptés, de grâces et d’odeurs.

Mais n’aie alors pas une amertume en ton âme !
Reste désespéré, mais sois silencieux,
Détournant tes regards de l’éphémère femme
Pour les faire plonger dans les éternels cieux !

Et que tout ton passé douloureux et frivole
Te soit un aiguillon sacré, pour que ton cœur,
Ce cheval magnifique et terrible, s’envole
Immédiatement vers le rêve vainqueur !