À genoux/La dernière Musique

Alphonse Lemerre (p. 264-268).

XXIX

LA DERNIÈRE MUSIQUE


Quand le tumultueux déroulement des Âges
Sera fini,
Monteront avec leurs délicieux visages
Dans l’air béni,

Monteront avec leurs chevelures de gaze
Qu’un Dieu vengea,
Les yeux sur l’éternelle et souveraine extase
Ouverts déjà,


Monteront, monteront lentement les Poètes
Et les penseurs,
Les Sirènes et les Muses aux belles têtes
Étant leurs sœurs.

Leurs lèvres s’enverront autour d’elles dans l’ombre
De longs reflets,
Et les Hommes, encor couchés dans leur nuit sombre,
Chétifs et laids,

Les Hommes les verront monter comme des vagues
De diamants,
Et les contempleront d’en bas avec de vagues
Ravissements.

Monteront les divins Poètes aux yeux calmes,
Beaux et nerveux,
Et leurs Anges gardiens balanceront des palmes
Sur leurs cheveux.

Alors ils entreront dans leurs palais étranges
Où l’air est chaud,
Les yeux émerveillés de la splendeur des Anges
Et le front haut,


Les pieds couverts, encor des fanges de la route,
Pleins de beauté ;
Et dès lors ils vivront dans ce ciel pendant toute
L’éternité.

L’air divin s’emplira d’une immense harmonie ;
Et les Dieux blancs
Leur chanteront la joie et l’extase infinie
En des chants lents.

Et les déesses dont les lèvres sont des roses
Leur chanteront
Les jours évanouis qui furent si moroses.
Ils les verront !

Ils verront resplendir les déesses aux torses
Miraculeux.
Et c’est ce qui fera qu’ils seront pleins de forces
Dans les ciels bleus.

Eux-mêmes, en voyant se joindre les déesses
À leurs travaux,
Chanteront les plaisirs sacrés et les ivresses
Des jours nouveaux.


Loin, oh ! bien loin du monde obscur chargé de crimes,
Ils chanteront.
Et le ciel sera plein de strophes et de rimes
Comme leur front.

Et lentement dans l’air des astres imphysique,
Oh ! lentement,
Lentement montera la divine musique
Du ciel charmant.

Tous ceux que dans leurs cœurs séduisirent les Lyres
Par leurs doux sons,
Revivront dans ce ciel le front plein de délires
Et de chansons ;

Les vieux Rois Juifs, avec leurs longs cheveux d’écharpes
Et d’anneaux ceints,
Chanteront, en mêlant leurs cris à ceux des harpes,
Les psaumes saints ;

Les Reines de la Perse et les princes tartares
Pleins de beauté
Célébreront parmi l’extase des guitares
La volupté ;


Les chimères aux cœurs de marbre et les Sirènes
Aux vagues voix
Chanteront sur le flux des eaux, aériennes,
Comme autrefois !

Les cieux profonds seront plus que jamais sonores,
Et par moments
Tous ces Musiciens tendront dans les aurores
Leurs bras charmants,

Extasiés d’amour devant ces Reines tristes
Aux si beaux corps,
Et ravis de revivre au milieu des harpistes
Qu’ils croyaient morts.

Puis les Musiciens et les Musiciennes
Aux cœurs brisés
Interrompront le chant des Lyres anciennes
Par des baisers.

Et tout le ciel sera rempli de cette gloire ;
Et ces baisers
Eux-mêmes sonneront comme des luths d’ivoire
Divinisés.