Traduction par Henriette Loreau.
Hachette (p. 275-278).


CHAPITRE XLVII

Excelsior !


Ce fut encore la faim qui me tira de ma torpeur ; l’estomac réclamait sa nourriture quotidienne, il fallait lui obéir. J’aurais pu manger sans bouger de place, ayant mon biscuit avec moi ; mais la soif m’obligeait à retourner dans ma cabine. C’était là que se trouvait ma cave, s’il importait peu que je fusse ailleurs, soit pour manger, soit pour dormir, j’étais contraint pour boire d’aller retrouver mon tonneau.

Ce n’était pas une chose facile que de rentrer dans ma case ; il fallait déranger cette masse d’étoffe qui s’élevait comme un mur entre elle et moi. Je devais le faire avec soin pour ménager la place ; autrement je refoulais cette masse de laine dans la cabine, et je ne pouvais pas pénétrer jusqu’au fond.

Il me fallut beaucoup de temps pour gagner la futaille. Enfin j’y arrivai ; et lorsque ma soif fut apaisée, ma tête s’inclina, puis je m’endormis, soutenu par le monceau d’étoffe qui se trouvait derrière moi.

J’avais eu soin de fermer la porte aux rats ; et cette fois rien ne troubla mon sommeil.

Le matin, c’est-à-dire quand je m’éveillai ; cela pouvait être le soir aussi bien que le milieu du jour, car je n’avais pas remonté ma montre ; mes habitudes étaient détruites, et je ne savais plus rien des heures. Enfin, à mon réveil, je mangeai quelques miettes et bus énormément ; j’étais désaltéré, mais l’estomac criait famine ; j’aurais avalé sans peine ce qui me restait de biscuit, et j’eus besoin d’un courage extrême pour m’arrêter au début ; il fallut me dire que ce serait mon dernier repas ; sans la crainte de la mort je n’aurais pas eu la force de supporter cette abstinence.

Après avoir fait ce très-maigre déjeuner, l’estomac rempli d’eau, et le découragement au cœur, je retournai dans ma caisse avec l’intention de faire de nouvelles recherches. Ma faiblesse était grande, les côtes me perçaient la peau, et c’est tout ce que je pus faire que de remuer les pièces de drap pour me frayer un passage.

L’un des bouts de la caisse s’appuyait aux flancs du navire, je n’avais donc pas à m’en occuper ; mais celui qui était en face regardait l’intérieur de la cale, et ce fut de ce côté-là que je poussai mes travaux.

Il est inutile de vous les raconter ; l’opération fut la même que les trois précédentes ; elle dura plus longtemps et me conduisit au même résultat. Je ne pouvais plus avancer, ni dans un sens, ni dans l’autre ; le drap et la toile me bloquaient de toute part, nul moyen de me soustraire à mon sort, et cette conclusion me replongea dans la stupeur.

Mais ce nouvel accès de désespoir fut bientôt dissipé. J’avais lu un récit palpitant où était racontée la lutte héroïque d’un petit garçon qui, enseveli sous des ruines, avait fini par triompher de tous les obstacles, et littéralement vaincu la mort. Je me rappelais qu’il avait pris pour devise un mot latin qui voulait dire : « Plus haut, toujours plus haut ! »

Ce fut un trait de lumière : « Plus haut ! pensai-je ; mais c’est là que je dois aller. » En suivant cette direction, je pouvais trouver un aliment quelconque ; d’ailleurs je n’avais pas à choisir : c’était la seule voie qui me fût ouverte.

Une minute après j’étais couché sur un échafaudage de drap, et cherchant l’un des interstices que les planches laissaient entre elles, j’y fourrais mon couteau. Dès que l’entaille me parut assez grande, je saisis la planche à deux mains et l’attirai vers moi ; elle céda…. Juste ciel ! ne devais-je rencontrer que déception sur déception ?

Hélas ! j’en acquérais la preuve ; ces balles de toile, ces monceaux d’étoffe qui m’opposaient leur masse impénétrable, ou leurs plis moelleux, me répondaient affirmativement.

Il me restait la première caisse, où j’avais trouvé du drap, et celle où avaient été les biscuits. La partie supérieure en était encore intacte ; je ne savais pas ce qu’il y avait au dessus d’elles ; et cette ignorance me permettait d’espérer.

Je m’ouvris ces deux issues avec courage, mais sans être plus heureux : la première me fit trouver une caisse de drap, la seconde un ballot de toile.

« Seigneur ! m’avez-vous abandonné ? » m’écriai-je avec désespoir.