Traduction par Henriette Loreau.
Hachette (p. 270-274).


CHAPITRE XLVI

Une balle de linge


Mon sommeil ne fut ni profond ni agréable ; aux terreurs de l’avenir se joignaient les souffrances du présent ; j’étouffais dans ma cabine, et l’oppression, causée par le manque d’air, augmentait les atrocités de mon cauchemar. Il fallut néanmoins se contenter de cet assoupissement, à la fois court et pénible.

À mon réveil, je fis l’ombre d’un repas, qui ne méritait guère de s’appeler déjeuner, car le jeûne n’en persista pas moins. Mais si la chère était rare, j’avais l’eau à discrétion, et j’en profitai largement ; le feu était dans mes veines, et ma tête me semblait embrasée.

Tout cela ne m’empêcha pas de retourner à l’ouvrage. Si deux caisses ne renfermaient que du drap, il ne s’ensuivait pas que toute la cargaison fût de même nature, et je résolus de persévérer dans mes recherches. Toutefois, il me parut prudent de suivre une autre direction : les deux caisses d’étoffe se trouvaient exactement l’une devant l’autre, il était possible qu’une troisième fût placée derrière la seconde. Mais il n’était pas nécessaire de continuer en ligne droite ; je pouvais traverser l’une des parois latérales, et me frayer un passage de côté, au lieu de sortir par le fond même de la caisse.

Emportant donc mon pain, comme j’avais fait la veille, je me remis à la besogne avec un nouvel espoir ; et après un rude labeur, que le peu d’emplacement, la fatigue précédente, les blessures de ma pauvre main rendaient excessivement pénible, je parvins à détacher le bout du colis.

Quelque chose se trouvait derrière ; c’était tout naturel, mais cela ne résonnait pas sous le choc. Ce fait me rendit un peu de courage : ce n’était pas une caisse de drap. Lorsque la planche fut assez écartée pour y passer la main, je fourrai mes doigts par l’ouverture ; ils rencontrèrent de la grosse toile d’emballage ; que pouvait-elle recouvrir ?

Je n’en sus rien, tant que je n’eus pas ouvert un coin de ce ballot, et mis à nu ce qu’il renfermait. Je le fis avec ardeur, et ce fut une nouvelle déception. Le ballot contenait de la toile fine, roulée comme le drap, mais tellement serrée, que, malgré tous mes efforts, il me fut impossible d’en arracher une seule pièce.

Je regrettais maintenant que ce ne fût pas une caisse de drap ; avec de la patience, j’aurais pu la vider et la franchir ; mais je ne pouvais rien contre ce bloc de toile, aussi dur que le marbre, qui ne se laissait ni entamer ni mouvoir ; la trancher avec mon couteau, c’était le travail de plus de huit jours, et mes provisions ne dureraient pas jusque-là.

Je restai quelque temps inactif, me demandant ce que j’allais faire. Mais les minutes étaient trop précieuses pour les employer à réfléchir ; l’action seule pouvait me sauver, et je fus bientôt remis à l’œuvre.

J’avais résolu de vider la seconde caisse de draperie, de la défoncer, et de voir ce qu’il y avait derrière elle.

La boîte était ouverte, il ne fallait qu’en retirer l’étoffe. Par malheur c’était le bout des pièces qui était tourné vers moi, et je crus un instant que j’échouerais dans mon entreprise. Néanmoins, à force de tirer, d’ébranler, de secouer ces rouleaux qui se présentaient de profil, je parvins à en arracher deux, et les autres suivirent plus facilement.

Comme dans la caisse précédente, je trouvai au fond de celle-ci des pièces plus volumineuses que les premières, et qui ne pouvaient plus sortir par le trou du couvercle. Pour m’éviter la peine d’agrandir l’ouverture, j’adoptai le moyen qui m’avait déjà servi : je déroulai mon étoffe comme j’avais fait la première fois.

Cela me parut d’abord facile. Je me félicitai de mon expédient ; mais il fut bientôt la cause d’un embarras que j’aurais dû prévoir, et qui vint singulièrement compliquer mes ennuis.

Mon travail se ralentissait peu à peu ; il devenait pénible, et cependant l’étoffe se déroulait avec d’autant plus de facilité que la caisse était moins pleine. Il fallut enfin m’arrêter ; je fus quelque temps sans deviner à quel obstacle j’avais affaire ; un instant de réflexion me fit tout comprendre.

Il était évident que je ne pouvais plus rien retirer de la caisse avant d’avoir ôté l’étoffe que j’avais accumulée derrière moi.

Comment faire pour me désencombrer ? Je ne pouvais pas détruire cette masse de drap, y mettre le feu, ni la diminuer ; je l’avais déjà foulée de toutes mes forces, et il n’y avait pas moyen de la presser davantage.

Je m’apercevais maintenant de l’imprudence que j’avais commise en déployant l’étoffe, j’en avais augmenté le volume, et il n’était pas moins impossible de la replacer dans la caisse que de la retirer de l’endroit qu’elle occupait. Elle gisait en flots serrés jusque dans ma cabine, qu’elle remplissait tout entière ; je n’aurais pas même pu la replier, car l’espace me manquait pour me mouvoir ; et je me sentis gagner par l’abattement.

« Oh ! non, pensai-je, il ne sera pas dit que je me serai découragé, tant qu’il me restera à faire un dernier effort. En gagnant seulement assez de place pour sortir une dernière pièce, je pourrai traverser la caisse. » L’espérance était encore au fond de la botte. Si après cela je ne rencontrais que de la toile ou du lainage, il serait temps de m’abandonner à mon sort.

Tant qu’il y a de la vie, on ne doit pas désespérer ; et soutenu par cette idée consolante, je me remis à la tache avec une nouvelle ardeur.

Je trouvai le moyen déplacer deux autres pièces de drap ; la caisse était à peu près vide ; je finis par m’y introduire, et, prenant mon couteau, je me disposai à m’ouvrir un passage.

Il me fallait, cette fois, couper la planche au milieu, car l’étoffe m’en cachait les deux extrémités. Cela faisait peu de différence ; l’ouverture que je pratiquai ne m’en suffit pas moins pour atteindre mon but : c’est-à-dire qu’elle me permit d’y fourrer la main, et de reconnaître ce dont la planche me séparait. Triste résultat de mes efforts : c’était un second ballot de toile.

Je serais tombé si le fait avait été possible ; mais j’étais pressé de toute part, et ne pus que m’affaisser sur moi-même, n’ayant plus ni force ni courage.