Traduction par Henriette Loreau.
Hachette (p. 256-259).


CHAPITRE XLIII

À la recherche d’une autre caisse de biscuit


Je réfléchis pendant quelques heures au déplorable état de mes affaires, sans qu’il se présentât une idée consolante. Je tombai dans le désespoir où m’avait plongé au début la perspective d’une mort certaine ; je calculai, sans pouvoir en détourner ma pensée, qu’il me restait tout au plus de quoi vivre pendant dix ou douze jours, et cela, en usant de mes débris avec une extrême avarice. J’avais déjà souffert de la faim ; j’en connaissais les tortures ; et l’avenir m’effrayait d’autant plus que je ne voyais pas comment y échapper.

L’ébranlement que produisaient chez moi ces tristes réflexions paralysait mon esprit ; je me sentais pusillanime ; toutes mes idées me fuyaient, et quand je parvenais à les réunir, c’était pour les concentrer sur l’horrible sort, qui m’attendait, et qu’elles étaient impuissantes à conjurer.

À la fin cependant, la réaction s’opéra ; et je fis ce raisonnement bien simple : « J’ai déjà trouvé une caisse de biscuit, on peut en découvrir une seconde. S’il n’y en a pas à côté de la première, il est possible qu’il y en ait dans le voisinage. » Comme je l’ai dit plus haut, c’est d’après leur dimension, et non suivant les articles qu’ils renferment, que les colis sont rangés dans un navire. J’en avais la preuve dans la diversité des objets qui entouraient ma cellule ; n’y avais-je pas rencontré côte à côte, du drap, de l’eau, de biscuit et de la liqueur ? Pourquoi n’y aurait-il pas une autre caisse de biscuit derrière celle où j’avais pris l’étoffe ? Ce n’était pas impossible ; et dans ma position, la moindre chance de succès devait être accueillie avec empressement.

Aussitôt que j’eus cette pensée je retrouvai mon énergie, et ne songeai plus qu’au moyen de découvrir ce que je cherchais.

Mon plan de campagne fut bientôt établi. Quant à la manière d’y procéder, je n’avais pas à choisir ; pour instrument je ne possédais que mon couteau, et je n’avais d’autre parti à prendre que de m’ouvrir un passage à travers les caisses et les balles qui me séparaient du biscuit. Plus j’y réfléchissais, plus cette entreprise me semblait praticable ; il est bien différent d’envisager un fait au milieu des circonstances ordinaires, ou sous l’empire d’un danger qui vous menace de mort, quand surtout le fait en question est le seul moyen de vous sauver. Les essais les plus téméraires paraissent alors tout naturels.

C’est de ce point de vue que j’examinais l’opération que j’allais tenter et les efforts qu’elle exigerait. La peine, la fatigue disparaissent d’un côté devant la perspective de mourir de faim, et de l’autre en face de l’espoir de trouver des vivres.

« Si j’allais réussir ! » me disais-je ; et mon cœur bondissait. Dans tous les cas, mieux valait employer mon temps à cette recherche libératrice, que de me livrer au désespoir. Si mes efforts n’étaient pas récompensés, la lutte m’épargnerait toujours les terreurs de l’agonie ; du moins elle en raccourcirait la durée, en me distrayant d’une part, et en me laissant espérer jusqu’au dernier moment.

J’étais à genoux, mon couteau à la main, bien résolu à m’en servir avec courage. Lame précieuse ! combien j’en estimais la valeur ? Je ne l’aurais pas échangée pour tous les lingots du Pérou.

J’étais donc agenouillé ; j’aurais voulu être debout que les proportions de ma case ne me l’auraient pas permis ; vous vous rappelez que le plafond en était trop bas.

Est-ce l’attitude que j’avais alors qui m’en suggéra l’idée, je ne saurais pas vous le dire, mais je me rappelle qu’avant de me mettre à la besogne, j’élevai mon cœur vers Dieu, et que je lui adressai une prière fervente ; je le suppliai d’être mon guide, de soutenir mes forces, et de me permettre le succès.

Je n’ai pas besoin d’ajouter que ma supplique fut exaucée. Comment vous raconterais-je cette épreuve si je n’y avais pas survécu ?

Mon intention était de voir d’abord ce qu’il y avait derrière la caisse où était l’étoffe de laine. Celle qui avait contenu les biscuits étant vide, il m’était facile de pénétrer jusque-là ; on se rappelle que c’est en passant par celle-ci que j’étais arrivé aux pièces de drap qui me rendaient tant de services. Pour franchir la seconde caisse, il fallait tout bonnement en enlever quelques rouleaux d’étoffe, puisqu’elle était ouverte. Je n’avais pas besoin de mon couteau pour cette opération, je le mis de côté, afin d’avoir les mains libres ; je fourrai ma tête dans l’ancienne caisse à biscuit, et ne tardai pas à m’y trouver tout entier.

L’instant d’après je tirais à moi les rouleaux de drap, et je m’efforçais de les arracher de la boîte.