L’Édition populaire (p. 10-14).

LES PLAINTES MYSTÉRIEUSES.


Raymond Dauriac en apprenant la nouvelle de l’attentat dont avait failli être victime sa fiancée, s’empressa d’accourir au château de Sauré.

Il trouva Judith Mauvin installée au rez-de-chaussée, dans un salon du château. Aussitôt qu’elle avait recouvré l’usage de ses sens, elle avait dit l’horreur que lui inspirait la « Chambre Noire » et elle avait manifesté le désir de n’y plus jamais pénétrer. M.  et Mme Mauvin s’étaient empressés de faire aménager hâtivement un salon et d’y disposer un lit, afin que la jeune femme pût recevoir les soins que réclamait son état.

Le médecin avait recommandé à la malade le plus grand calme, toute émotion trop intense pouvant lui être funeste, étant donné son état de surexcitation et la fièvre qui ne la quittait pas.

Inutile de dire que la jeune femme éprouva une joie très grande à revoir son fiancé. Malgré la défense formelle du médecin qui lui avait enjoint de ne point se fatiguer, elle n’avait pu résister au désir de faire à Raymond Dauriac le récit du drame mystérieux dont elle avait été la victime. Le jeune homme avait pris le parti de rester au chevet de celle qu’il aimait jusqu’au jour où celle-ci serait complètement rétablie. Il était assisté dans cette tâche par une garde malade que lui-même avait mandée de la ville voisine et par Madame Mauvin qui après avoir souffert de la commotion ressentie lors du drame dont avait failli être victime sa malheureuse enfant, avait repris courage en apprenant que celle-ci était hors de danger.

Toutefois, il fut convenu que Mme Mauvin afin d’éviter qu’elle ne succombât à la fatigue que lui occasionnait durant toute la journée les soins à donner à la malade, ne veillerait celle-ci que durant quelques heures de nuit et serait aidée dans cette tâche par son époux.

Il fallait voir ces parents au chevet de leur fille, tremblant au moindre soupir, reprenant courage au moindre sourire, pour comprendre toute la grandeur de l’amour familial. Comme on le voit, Judith Mauvin était on ne peut mieux soignée.

Raymond Dauriac passa la première unit dans la chambre qu’occupait la blessée, ne prenant qu’un peu de repos dans un fauteuil.

Cette veillée fut calme.

Il n’en fut pas de même de la seconde.

Vers onze heures du soir, alors que Judith Mauvin venait de s’endormir et que Raymond Dauriac assis près d’elle, lisait à la lueur d’une lampe, des cris étouffés s’élevèrent soudain. Ils semblaient sortir des murs mêmes du salon. C’était une plainte monotone, lugubre, prolongée, comme un gémissement ininterrompu de malade.

Judith Mauvin s’éveilla et regarda son fiancé qui prêtait l’oreille au bruit étrange qui lui parvenait, indistinct.

— Ces gémissements vous étonnent ? lui dit-elle.

Il se retourna vers elle.

— En effet, dit-il.

— Nous y sommes habitués ici.

— Vous les avez donc entendus souvent ?

— Très souvent. Voici des années déjà que l’on entend, certaines nuits, ces appels déchirants qui viennent on ne sait d’où et semblent filtrer au travers des murs. Mon père suppose que c’est le bruit du vent qui, en s’engouffrant dans des cheminées bizarrement construites, produit ce bruit qui ressemble à des gémissements humains. Les serviteurs du château originaires de la contrée prétendent, eux, que ces plaintes sont poussées par les âmes des malheureux qui furent jetés vivants dans les oubliettes du manoir. D’autres disent que ce sont les mânes des malheureuses épouses du baron Gaspard de Sauré qui crient vengeance ! Ce sont là des racontars. Des paysans affirment, au surplus, avoir déjà vu errer sur les tours, les fantômes des anciennes baronnes.

— Il est de fait, remarqua Dauriac, que ces bruits ressemblent étrangement à des voix humaines.

— C’est vrai, mais nous y sommes habitués ici et n’y attachons plus aucune importance. Ces mêmes bruits, ont du reste, déjà été entendus autre part.

— Où donc, mon amie ?

— À un quart de lieue d’ici : ils sortent parfois d’une espèce de gouffre ténébreux qui s’ouvre dans la montagne boisée et que, en raison de son apparence infernale, on appelle « Le Trou du Diable ».

— Tout cela est bien fantastique. Et ce « Trou du Diable » n’a jamais été exploré ?

— On dit que certains hommes curieux et audacieux descendirent à l’intérieur au moyen de cordes ; mais qu’aucun d’eux ne revint. Chaque fois qu’un homme disparaissait de la contrée, on prétendait qu’il avait pris le chemin du Trou du Diable. Tout cela était bien fait pour entourer de mystère cet endroit déjà si impressionnant et redoutable par lui-même.

À ce moment, la jeune fille qui, pour parler à son fiancé, s’était légèrement tournée vers la fenêtre, ouvrit des yeux effarés et poussa un cri d’effroi.

Dauriac s’était dressé :

— Qu’avez-vous donc, ma chère Judith ? demanda-t-il.

Mais la jeune fille, étouffée par une terreur subite, se taisait et tandis que ses yeux reflétaient l’effroi le plus intense, sa main indiquait la fenêtre, dont le store à demi baissé laissait entrevoir l’ombre épaisse de la nuit où les arbres du parc apparaissaient vaguement comme des silhouettes contorsionnées.

Dauriac se tourna vers l’endroit indiqué et crut voir une ombre furtive passer derrière les vitres et disparaître aussitôt

— Là… là… dit enfin la jeune fille… l’ombre… la sorcière….

— La sorcière ?

— Oui, n’avez-vous pas vu ?

J’ai cru, en effet, apercevoir une forme humaine.

— Elle a disparu maintenant.

— Et quelle est cette sorcière ?

— C’est une vieille femme nommée La vieille Margot, qui, dit-on, a signé un pacte avec le démon. Elle habite précisément près du « Trou du Diable » dont je vous parlais, dans une cabane malpropre. Elle vit solitaire. On l’a dit méchante et sournoise et tout le monde la craint. Elle est un sujet de répulsion pour tous les paysans. Aussi, vous comprenez ma stupeur, lorsque je l’ai vue coller son affreux visage aux vitres de la fenêtre et plonger son regard noir et brûlant dans cette chambre… Que nous veut-elle ? Pourquoi est-elle dans le parc du château ? je l’ignore…

À ce moment un chien aboyait furieusement, furieusement.

Dauriac prit son chapeau en déclarant :

— Je vais voir ce que cette vieille nous veut.

— De grâce ! prenez garde, mon cher Raymond !

— Ne craignez rien, mon amie, je suis armé.

Le jeune homme sortit. Il revint dix minutes après. Il avait fait le tour du château et s’était engagé dans les principales allées du parc sans rien découvrir d’anormal.

Le reste de la nuit s’écoula calmement. Mais les plaintes mystérieuses et l’apparition de la vieille sorcière avaient fait une profonde impression sur le cœur de Raymond Dauriac.