Traité populaire d’agriculture/Assainissement

SECTION PREMIÈRE.

Assainissement.

L’eau est un des éléments les plus indispensables de la végétation ; c’est le véhicule destiné à transmettre à la plante les différentes matières qui doivent l’alimenter.

Sa présence dans le sol est donc une nécessité.

Mais autant les plantes bénéficient d’une quantité convenable d’eau, autant elles souffrent d’un excès d’humidité. Lorsque l’eau stationne dans un terrain quelconque, qu’elle y demeure sous forme liquide, elle devient aussi nuisible à la culture que son absence complète.

Si l’on trouve des terres qui souffrent d’un excès d’humidité, on en rencontre aussi quelques-unes plus rares, il est vrai, qui ont besoin d’une humidité qu’elles n’ont point.

Il y a donc nécessité

1od’égoutter, de dessécher les terres trop humides ;

2od’irriguer ou arroser les terres trop sèches.

I
ÉGOUTTEMENT DU SOL.

On donne le nom d’égouttement aux diverses opérations qui ont pour but d’enlever à la terre l’humidité surabondante et nuisible.

Pour se débarrasser de cet excès d’eau on pratique

1osoit des tranchées ouvertes,

2osoit des rigoles couvertes.

1oTranchées ouvertes.

Elles sont de trois espèces :

1oles raies,

2oles rigoles et

3oles fossés.

a]Raies. — Les raies reçoivent l’excès d’eau ou d’humidité qui se trouve sur les planches auxquelles elles sont toujours parallèles.

Pour être bien faites, les raies doivent avoir une pente légère, être droites, libres de toute pierre ou motte de terre, ne pas être trop creuses, mais assez pour être plus basses que le fond du labour. Réunissant ces conditions, les raies enlèvent mieux l’humidité ou l’eau surabondante qu’elles conduisent aux rigoles ou aux fossés.

b]Rigoles. — Les rigoles reçoivent l’eau des raies pour la conduire aux fossés.

Les rigoles sont transversales aux raies, par conséquent aux planches ; elles doivent réunir les conditions des raies elles-mêmes.

On leur donne toutefois plus de profondeur et plus de largeur pour la raison bien simple et bien évidente qu’elles doivent égoutter les raies et recevoir une plus grande quantité d’eau.

c]Fossés. — Ce sont des tranchées plus ou moins profondes et plus ou moins larges suivant la quantité d’eau qu’elles sont destinées à recevoir.

Cette eau leur arrive des rigoles et des raies.

Les bords des fossés doivent être en talus et d’autant plus inclinés que la terre est plus meuble. L’eau les minerait autrement et leur enlèverait, dans son cours, des morceaux de terre de droite et de gauche.

Il faut tenir les fossés et les décharges, qui reçoivent l’eau des fossés, en état d’éconduire rapidement les eaux de la surface du sol. On obtient ce résultat par un curage périodique.

Lorsqu’il est possible d’approcher des fossés avec des tombereaux, on doit se faire un devoir d’enlever immédiatement les curures ; on en forme des dépôts qui deviennent, comme on le verra, avec peu de travail, un excellent engrais.

Les cultivateurs font ordinairement des petits tas de ces curures sur les bords mêmes des fossés ; ces tas se couvrent d’herbe en une saison et deviennent un sérieux obstacle à l’égouttement du terrain et à la marche des instruments aratoires.

2oRigoles couvertes ou drains.

Lorsque l’humidité dont souffre le sol a pour cause, non seulement l’eau qui tombe à la surface, mais encore la présence de sources ou de filtrations dans le sol, ou lorsque le terrain est plat et d’égout difficile, il faut alors avoir recours à l’établissement de fossés couverts ou drains.

Le nombre et la largeur des fossés couverts sont déterminés par la quantité d’eau qu’ils doivent écouler. Leur profondeur se règle par celle même des eaux qu’il s’agit de détourner, par le plus ou moins d’espace que l’on veut laisser entre chaque drain et par la plus ou moins grande porosité du sol ; dans tous les cas, elle doit être assez considérable pour que les instruments aratoires ne viennent pas déranger les matériaux employés dans la construction des drains.

Les drains doivent aussi être soustraits à l’action de la gelée.

Leur pente doit être suffisante pour permettre à l’eau de s’écouler facilement. On obtient ordinairement ce résultat en faisant suivre aux drains la plus grande pente du terrain. Dans un drainage bien fait, à fond bien nivelé, une pente de 17½ pouces à l’arpent suffit amplement à faire écouler l’eau.

En général on doit tâcher de faire aboutir les drains dans un fossé ouvert ; l’eau s’y écoule plus facilement et l’on s’assure mieux en tout temps, de leur bon fonctionnement, car c’est aux bouches des drains que la gelée cause le plus de dégâts.

Les drains ne doivent pas être trop longs, surtout si la pente qu’ils suivent est très rapide ; on établit alors un drain transversal, de plus grandes dimensions, qui reçoit l’eau de tous les drains ordinaires.

C’est le drain collecteur ou conducteur.

La jonction des drains ordinaires avec le drain collecteur ne doit pas se faire perpendiculairement à ce dernier drain mais obliquement. On empêche, ainsi, que les vitesses des petits courants ne se fassent obstacle en se réunissant, ce qui occasionnerait des dépôts de vase ou de sable. Il faut aussi, et pour la même raison, éviter de faire converger sur le même point du drain collecteur deux drains ordinaires, venant en sens contraire.

Les matériaux employés dans la construction de ces fossés souterrains peuvent être de diverses natures.

On se sert le plus avantageusement de tuiles ou conduits en terre cuite que l’on place au fond des drains : ce sont des tuyaux de diamètre variable, placés les uns à la suite des autres, sur une même ligne, unis entre eux par des articulations, en tuile aussi, d’un diamètre plus grand, et auxquelles on donne le nom de manchons ou collets. Les manchons ne sont pas pourtant absolument nécessaires.

La pose de ces tuiles ou conduits en terre cuite demande beaucoup de soin.

On peut aussi employer des pierres dans la confection des drains.

On forme alors, au fond du fossé, un conduit au moyen de grosses pierres plates, convenablement disposées et par-dessus lesquelles on entasse des cailloux. Le tout est couvert d’une tranche de gazon ou d’une écorce de cèdre ou de bouleau, et de terre jusqu’au niveau du sol.

Un drainage aussi efficace est le suivant, indiqué dans le petit Manuel d’agriculture du Dr La Rue.

Dans les fossés ouverts on couche deux morceaux de bois ronds, des sapins dépouillés de leurs branches, de la grosseur du bras ou de la jambe. Entre ces deux morceaux de bois on laisse un espace libre de deux à cinq pouces. Par-dessus ces deux tronçons de sapin, on en couche un troisième ; ou mieux, on les recouvre d’une croûte. Ces fossés ou drains sont ensuite remplis de terre.

Il est parfaitement établi aujourd’hui que le drainage en tuiles est le plus effectif et le plus économique et on ne doit lui préférer le drainage en pierre que dans les terrains où la proximité du roc empêcherait de placer les tuiles à l’abri des gelées.

Voici les avantages que les agronomes attribuent au drainage :

Il abaisse le niveau des eaux stagnantes à une profondeur suffisante pour qu’elles ne puissent plus nuire au développement des racines des récoltes ;

Il facilite le passage à travers la couche arable, des eaux pluviales et des éléments de fertilité qu’elles peuvent apporter sur le sol qui les reçoit ;

Il facilite à l’air le moyen de pénétrer dans le sol, jusqu’à la portée des racines, et jusqu’au contact des engrais dont il active la décomposition au profit des récoltes ;

Il contribue à l’ameublissement des terres fortes ;

Il augmente la chaleur du sol, en diminuant l’évaporation superficielle de l’eau, et, par suite, en atténuant le refroidissement que cette évaporation produit toujours ;

Il augmente la fertilité du sol d’une manière étonnante, par suite d’une introduction plus facile, d’un transport plus régulier, d’une transformation plus avantageuse des gaz et des substances propres à contribuer au développement des plantes cultivées.

Et, comme résultats plus pratiques, plus tangibles, on peut ajouter que le drainage augmente la superficie du terrain consacré à la production des récoltes, — par conséquent augmentation des produits, — par la suppression des planches étroites et des raies d’égouttement ;

On laboure et on sème les terres drainées plus tôt au printemps et plus tard à l’automne ;

La maturité des récoltes est avancée de quinze jours, grâce à la végétation plus énergique et plus uniforme des plantes.

II
IRRIGATIONS.

L’irrigation est une sorte d’arrosement en grand.

Elle a pour but de remédier à la sécheresse du terrain, de fournir aux plantes l’humidité dont elles ont besoin pour prospérer et de leur apporter, dans certains cas, les substances destinées à leur nutrition.

Les irrigations, en effet, sont un moyen très efficace de donner au sol de la fertilité ; les eaux ainsi répandues sont de véritables engrais.

Toutes les eaux cependant n’ont pas des propriétés également fertilisantes ; on reconnaît les meilleures à la facilité avec laquelle elles dissolvent le savon ou cuisent les légumes. Ces eaux, soit qu’elles aient conservé leur limpidité, soit, au contraire, que cette limpidité soit troublée par la présence des matières fécondantes, doublent dans tous les cas la fécondité du sol qui est convenablement arrosé.

Toute la théorie de l’irrigation consiste à amener l’eau par un canal sur la partie la plus élevée du sol, à la déverser sur le terrain, à l’évacuer ensuite par un canal de décharge, après que le sol a été suffisamment arrosé.

Le canal au moyen duquel on amène l’eau sur le terrain s’appelle canal de dérivation.

Le canal de dérivation donne naissance aux rigoles principales d’irrigation et celles-ci, au moyen de rigoles secondaires, distribuent leurs eaux sur tous les points qu’on veut arroser.

L’irrigation terminée, on enlève les eaux, aussi promptement que possible, au moyen de rigoles d’écoulement, qui doivent être pour le moins aussi nombreuses que les rigoles d’irrigation.

On distingue trois modes d’arrosement principaux :

1ol’arrosement proprement dit,

2ol’arrosement par submersion,

3ol’arrosement par infiltration.

1oIrrigation proprement dite.

L’arrosement proprement dit consiste à répandre l’eau sur la surface du sol, en couche très mince, au moyen du système de canaux et de rigoles.

Cet arrosement a pour but unique de rendre au sol l’humidité qui lui manque.

Pour être avantageux, cet arrosement demande que les prairies irriguées soient recouvertes d’une certaine quantité d’engrais, pour réparer l’épuisement du sol auquel il donne lieu de deux manières différentes : d’abord, en provoquant une plus grande production de matière végétale ; en second lieu, en dépouillant le sol délayé d’une partie de son humus.

2oIrrigation par submersion.

Elle consiste à couvrir le sol, sur toute son étendue, d’une couche d’eau plus ou moins stagnante, et d’une certaine épaisseur.

Cette irrigation n’est employée que pour l’amélioration du sol et peut se passer de l’emploi du système de canaux et de rigoles.

On choisit le moment où l’eau est le plus chargée de limon, de matières organiques, de substances fertilisantes, afin que ces matières se déposent à la surface de la prairie et concourent à son amélioration.

Aussitôt que l’eau commence à s’éclaircir ou à se putréfier, on rompt la digue qui la retenait prisonnière et on la fait écouler le plus promptement et surtout le plus complètement possible.

3oIrrigation par infiltration.

Cet arrosement consiste à ne pas laisser l’eau s’élever au-dessus des bords des rigoles d’irrigation que l’on construit pour amener ce liquide dans les différentes parties du champ que l’on veut irriguer.

L’eau n’agit alors sur le sol que par infiltration latérale.

Cet arrosement donne d’excellents résultats dans les terrains légers, brûlants, très perméables à l’eau.