Foucart - Éléments de droit public et administratif/Partie I/Livre I/Chapitre 1/Sénat

A. Marescq et E. Dujardin (1p. 76-79).
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§ II. — Du Sénat.

71 « Une autre assemblée prend le nom de Sénat ; elle sera composée des éléments qui, dans tous les pays, créent les influences légitimes : le nom illustre, la fortune, les services rendus. Le Sénat n’est plus, comme la Chambre des Pairs, le pâle reflet de la Chambre des Députés, répétant à quelques jours d’intervalle les mêmes discussions sur un autre ton. Il est le dépositaire du pacte fondamental et des libertés compatibles avec la Constitution ; et c’est uniquement sous le rapport des grands principes sur lesquels repose notre société, qu’il examine toutes les lois et qu’il en propose de nouvelles au pouvoir exécutif. Il intervient soit pour résoudre toute difficulté grave qui pourrait s’élever pendant l’absence du Corps législatif, soit pour expliquer le texte de la Constitution et pour assurer ce qui est nécessaire à sa marche. Il a le droit d’annuler tout acte arbitraire et illégal, et, jouissant ainsi de cette considération qui s’attache à un corps exclusivement occupé de l’examen des grands intérêts ou de l’application de grands principes, il remplit dans l’État le rôle indépendant, salutaire, conservateur des anciens parlements. » (Préamb. de la Constitution. V. pour la mise en action des attributions du Sénat, Const., 25 et suiv., et hic, no 79.)

Le Sénat se compose des sénateurs de droit que leur position élevée dans l’État appelle naturellement à ces fonctions supérieures, et des sénateurs nommés par l’Empereur. Les premiers sont les Princes Français, quand ils ont atteint l’âge de 18 ans accomplis ; mais ils ne peuvent siéger qu’avec l’agrément de l’Empereur ; les Cardinaux, les Maréchaux et les Amiraux ; le nombre des seconds ne peut dépasser cent cinquante. Les sénateurs sont inamovibles et à vie ; une dotation annuelle et viagère leur est affectée ; elle est incessible, insaisissable et inscrite au grand-livre de la dette publique [1].

72. Malgré le silence des lois nouvelles sur les prérogatives des sénateurs, l’autorité des précédents et l’analogie des dispositions édictées en faveur des députés (v. décr. du 2 février 1852, 9, 10, 11) permettent de penser qu’aucun membre du Sénat ne peut être arrêté ni poursuivi criminellement sans l’autorisation du corps auquel il appartient. La dignité du Sénat, la gravité d’une semblable mesure, l’intérêt de l’État, exigent encore aujourd’hui, comme autrefois pour la Chambre des Pairs, cette dérogation au droit commun ; mais, le Sénat ne pouvant être transformé en corps de justice (v. préambule de la Constitution), les crimes des sénateurs seraient poursuivis devant les tribunaux ordinaires, après que le Sénat en aurait autorisé la poursuite. (Arg. de l’art. 70 de la Const. de l’an VIII. − V. no 173.)

Il convient également et par les mêmes motifs d’appliquer l’art. 121 du Code pénal et la peine de la dégradation civique qu’il prononce aux officiers de police judiciaire et aux magistrats qui auraient provoqué, donné ou signé un jugement, une ordonnance ou un mandat tendant à la poursuite ou à la condamnation d’un sénateur, dans les cas prévus ci-dessus, sans l’autorisation du Sénat, ainsi qu’aux officiers de police judiciaire et aux magistrats qui, hors le cas de flagrant délit, auraient, sans la même autorisation, donné ou signé l’ordre ou le mandat d’arrêter un sénateur.

73. Le président du Sénat est nommé par l’Empereur pour un an et choisi parmi les sénateurs ; il en est de même des vice-présidents. L’Empereur préside lui-même le Sénat, quand il le juge convenable. Le président nomme les employés supérieurs du Sénat, le secrétaire notamment ; il convoque les sénateurs, préside les séances, et représente le Sénat soit dans ses rapports avec l’Empereur, soit dans les cérémonies publiques.

La direction du service administratif et de la comptabilité du Sénat est confiée au grand référendaire, qui est nommé par l’Empereur et choisi parmi les sénateurs. Le grand référendaire est le chef du personnel ; il présente les employés supérieurs à la nomination du président, désigne lui-même les gens de service et veille au maintien de l’ordre intérieur et de la sûreté.

Le Sénat se divise par la voie du sort en cinq bureaux. Ces bureaux peuvent former dans leur sein des commissions spécialement chargées d’examiner les affaires qui leur sont renvoyées. La discussion particulière précède ainsi la discussion générale, et lui fournit des éléments, en même temps qu’elle lui assure l’importance et la gravité nécessaires[2]

74. La Chambre des Pairs avait autrefois, outre ses attributions législatives, des attributions judiciaires ; elle jugeait les ministres qui avaient été mis en accusation par la Chambre des Députés, et connaissait des crimes de haute trahison et des attentats contre la sûreté de l’Etat. « Le Sénat, dit le préambule de la Constitution, ne sera pas transformé en cour de justice : il conservera son caractère de modérateur suprême, car la défaveur atteint toujours les corps politiques, lorsque le sanctuaire des législateurs devient un tribunal criminel. L’impartialité du juge est trop souvent mise en doute, et il perd de son prestige devant l’opinion, qui va quelquefois jusqu’à l’accuser d’être l’instrument de la passion ou de la haine. »

La connaissance des crimes dont il a été parlé appartient aujourd’hui à une haute cour de justice choisie dans la haute magistrature et ayant pour jurés des membres des conseils généraux de toute la France. (Const., 54-55.)

Enfin le Sénat délibère sur les pétitions qui lui sont adressées par les citoyens. Auprès de lui seul aujourd’hui s’exerce le droit de pétition ; le Corps législatif ne peut en recevoir aucune. Les pétitions doivent toujours être faites par écrit ; des commissions nommées chaque mois dans les bureaux les examinent, et font à ce sujet un rapport au Sénat. Le Sénat peut voter ensuite soit l’ordre du jour pur et simple, c’est-à-dire le rejet, soit le dépôt au bureau des renseignements, soit le renvoi au ministre compétent. (Id., 45. Décr. 31 déc. 1852, 30.)

  1. Const. du 14 janv. 1862, 19 et suiv. S.-C. du 25 déc. 1852, 11. — Décr. des 24 mars et 2 avril 1852.
  2. Const., 23. — S.-C. du 25 déc. 1852, 2. — Décr. du 31 déc. 1852, 6 et 32-40.