Foucart - Éléments de droit public et administratif/Partie I/Livre I/Chapitre 1/Empereur

A. Marescq et E. Dujardin (1p. 68-75).
§ I. — De l’Empereur.

66. Il a été établi dans l’Introduction que la souveraineté relative, la seule qui appartienne aux hommes, repose dans la société, et que le pouvoir, dont l’origine est divine, doit être organisé conformément aux besoins et aux vœux de la nation. Ce principe est aujourd’hui la base du droit public français. La Constitution du 14 janvier 1852, le sénatus-consulte du 7 novembre suivant, sont l’œuvre de la volonté nationale, (V. nos56 et 57.)et l’un et l’autre renferment les règles constitutionnelles qui nous régissent.

Les essais de république qui ont eu lieu dans notre pays à deux reprises n’ont servi qu’à prouver combien cette forme de gouvernement est en désaccord avec les besoins et les vœux de la France. Aussi la nation a-t-elle, à la suite de ces deux essais, cherché un refuge dans un pouvoir énergique. En 1852 comme en 1800, c’est le pouvoir impérial qui l’a sauvée de l’anarchie.

La dignité impériale, rétablie en France par le sénatus-consulte du 7 novembre 1852, est héréditaire de mâle en mâle, à l’exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance. C’est la confirmation d’un vieux principe de la monarchie connu sous le nom de loi salique, et que les anciens publicistes formulaient en disant que le royaume de France ne tombe point en quenouille.

La loi salique, dont nous possédons le texte, n’est pas, comme on pourrait le croire, une loi de droit public statuant sur l’hérédité de la couronne ; c’est la législation des Saliens, l’une des peuplades franques qui vinrent s’établir dans les Gaules romaines. Cette législation exclut les filles de l’hérédité des terres saliques, c’est-à-dire possédées par des Saliens, à cause de la nature des services militaires que devait rendre le possesseur des terres et les besoins de l’agriculture[1]. Elle a été invoquée par le Parlement, pour exclure du trône de France la branche anglaise qui, après la mort de Charles IV sans enfants mâles, aurait pu être appelée dans la personne d’Édouard III, plus proche parent du roi défunt par les femmes, que Philippe de Valois, son compétiteur. Depuis ce temps, elle est devenue une des bases de notre droit public, indépendant des transformations du principe monarchique. (Rapport de M. Troplong sur le S.-C. du 7 nov. 1852, no 14.) La dignité impériale est transmise par ordre de primogéniture ; il est nécessaire en effet que le droit à la couronne ne soit pas un instant douteux, pour éviter toute interruption dans l’action du pouvoir, ainsi que les troubles et les guerres civiles occasionnés par des prétentions rivales. Elle est transmise dans la descendance directe et légitime de l’Empereur actuel des Français, Louis-Napoléon Bonaparte[2].

67. À défaut d’un héritier naturel de la dignité impériale, l’empereur Louis-Napoléon a le droit de se choisir un héritier adoptif. Ce droit lui est personnel ; ses successeurs en sont formellement privés ; de plus, il est restreint aux enfants et descendants légitimes, dans la ligne masculine, des frères de l’empereur Napoléon Ier. Un droit illimité se serait trouvé, suivant l’expression de M. Troplong, « en contradiction manifeste avec le vœu populaire du rétablissement de l’Empire… L’Empire est inséparable du nom de Bonaparte, il ne saurait se concevoir sans un membre de cette famille avec laquelle a été stipulée en France la forme nouvelle de la monarchie. » (Rapport de M. Troplong, nos10-14). Les formes de l’adoption sont réglées par un sénatus-consulte.

Si, postérieurement à l’adoption, il survient à l’Empereur Louis-Napoléon des enfants mâles, l’effet de l’adoption est suspendu, et les héritiers adoptifs ne sont appelés qu’à défaut des héritiers légitimes. Si l’empereur Louis-Napoléon ne laisse pas d’héritier direct, légitime ou adoptif, alors s’ouvre le droit de la branche collatérale de la famille Bonaparte. Mais la vocation à la couronne impériale ne suit point ici la loi naturelle, et l’empereur Louis-Napoléon règle par un décret organique, adressé au sénat et déposé dans ses archives, l’ordre de succession au trône dans sa famille[3]. L’effet de ce décret est naturellement suspendu, si postérieurement il survient à l’Empereur un héritier légitime.

Enfin, à défaut d’un héritier direct et légitime et d’un héritier collatéral, le trôné devient vacant, et la souveraineté attribuée par la nation à la famille, qui s’éteint en quelque sorte, retourne à la nation qui la décerne de nouveau. Un conseil de gouvernement, composé des ministres, avec l’adjonction des présidents du Sénat, du Corps législatif et du Conseil d’État, propose au Sénat un sénatus-consulte qui nomme l’Empereur et règle dans sa famille l’ordre héréditaire. Ce sénatus-consulte, adopté par le Sénat, est ensuite soumis au peuple. Jusqu’au moment où la volonté nationale a désigné le souverain, les affaires de l’Etat sont dirigées par un conseil de gouvernement composé des ministres, et les décisions prises à la majorité des voix [4].

68. La famille impériale se compose, outre ses membres naturels, des membres de la famille Bonaparte éventuellement appelés à l’hérédité, et de leur descendance des deux sexes. Le fils aîné de l’Empereur prend le titre de Prince Impérial ; les héritiers éventuels de la couronne, celui de Princes Français. Les Princes Français sont de droit membres du Sénat et du Conseil d’État, dès qu’ils ont atteint l’âge de dix-huit ans ; toutefois ils ne peuvent siéger qu’avec l’agrément de l’Empereur. À côté de ces distinctions légitimes se placent des obligations qui ne le sont pas moins. Les Princes Français ne peuvent se marier sans l’autorisation de l’Empereur. Contracté au mépris de cette règle, leur mariage les prive de tout droit à l’hérédité, eux et leurs descendants ; ils ne peuvent recouvrer leur droit qu’autant que le mariage est dissous par le décès de leur conjoint, et qu’il n’en reste pas d’enfants.

L’autorité de l’Empereur s’étend non-seulement sur la famille impériale, mais encore sur les autres membres de la famille Bonaparte ; il fixe leurs titres et leur condition, règle leurs devoirs et leurs obligations par des statuts qui ont force de loi. (Voir, sur la condition et les obligations des membres de la famille impériale, le statut du 21 juin 1853.)

Les actes de l’état civil de la famille impériale sont reçus par le ministre d’État, et transmis, sur un ordre de l’Empereur, au Sénat, qui en ordonne la transcription sur ses registres et le dépôt dans ses archives.

L’Empereur reçoit sur les biens de l’Etat une dotation et une liste civile destinées à soutenir l’éclat de la dignité impériale, et réglées, pour la durée de chaque règne, par un sénatus-consulte spécial. L’Impératrice a droit à un douaire fixé de la même manière. Une dotation annuelle est affectée aux membres de la famille impériale[5].

69. Considéré comme participant à la confection de la loi, l’Empereur, dans tout ce qui précède la sanction définitive et la promulgation, exerce un pouvoir dirigeant, parfaitement placé dans les mains auxquelles est confié le pouvoir exécutif ; il convoque et proroge le Sénat et le Corps législatif ; il peut dissoudre celui-ci, il fixe par un décret la durée des sessions de celui-là. (Const., art. 24 et 46.)

Dans l’ancienne monarchie, il n’existait aucune obligation de convoquer les états généraux ; aussi les rois ne se résignaient à le faire que lorsqu’ils ne pouvaient s’en dispenser : il y avait en 1789 cent soixante-quinze ans que la dernière de ces assemblées avait eu lieu. L’Assemblée nationale eut soin d’insérer dans la constitution de 1791 qu’il y aurait une réunion annuelle du Corps législatif ; mais elle adopta un mauvais système en décidant que cette réunion aurait lieu de plein droit le premier lundi du mois de mai de chaque année. Il pourrait arriver, en effet, que la réunion, toujours fixée à la même époque, fût quelquefois intempestive ; que, par exemple, des circonstances imprévues n’eussent pas permis de réunir les documents nécessaires aux travaux législatifs ; et réciproquement il pourrait devenir nécessaire de convoquer la Chambre extraordinairement. Il vaut donc mieux que l’époque de la convocation soit déterminée chaque année par le pouvoir exécutif, qui a tous les moyens de préparer les travaux législatifs, et qui est le meilleur juge de l’opportunité des circonstances. La convocation ne peut être indéfiniment prorogée, car, aux termes de l’article 39 de la Constitution, le Corps législatif vote l’impôt, et, depuis 1789, c’est une règle de notre droit public que l’impôt direct est voté annuellement.

La convocation du Sénat et du Corps législatif est faite par un décret impérial qui fixe le jour de l’ouverture de la session. L’Empereur, pendant la session, communique avec le Sénat et le Corps législatif, soit par des commissaires choisis parmi les conseillers d’État pour soutenir devant eux les projets de loi, soit par le ministre d’État. Les communications du Sénat et du Corps législatif avec l’Empereur ont lieu le plus souvent directement, par l’entremise de leurs présidents. Les ministres ne sont plus, comme autrefois, les intermédiaires obligés du pouvoir et de la Chambre ; le préambule de la constitution exprime nettement le but de cette innovation, lorsqu’il dit : « Le temps ne se perd plus en vaines interpellations, en accusations frivoles, en luttes passionnées, dont l’unique but était de renverser les ministres, pour les remplacer. » (Const., 46. — Décr. du 22 mars 1852.)

L’Empereur proroge le Sénat et le Corps législatif, c’est-à-dire détermine l’époque de la cessation de leurs travaux par une proclamation spéciale. Cette proclamation leur est portée par un ministre ou par un conseiller d’État commis à cet effet ; lecture en est faite aussitôt, toute affaire cessante, et ils doivent se séparer immédiatement.

La dissolution du Corps législatif a lieu suivant les mêmes formes ; seulement, dans ce cas spécial, l’Empereur doit convoquer une nouvelle assemblée dans un délai de six mois. Pendant l’intervalle, le Sénat pourvoit, par des mesures d’urgence, et sur la proposition de l’Empereur, à tout ce qui est nécessaire pour la marche du gouvernement. (Const., 33-46. — Décr. du 28 déc. 1852, 31-62.)

70. À côté de l’Empereur, et comme son auxiliaire dans l’exercice de la puissance législative, se place le Conseil d’État. Ce n’est point ici le lieu de développer l’organisation et les attributions générales de ce corps (v. no 119) ; il suffira d’en dire quelques mots de nature à faire comprendre quelle part il prend à la confection de la loi.

Considéré comme auxiliaire du pouvoir dans l’exercice de la puissance législative, le Conseil d’État est une « réunion d’hommes pratiques élaborant les projets de loi dans des commissions spéciales, les discutant à huis clos, sans ostentation oratoire, en assemblée générale, et les présentant ensuite à l’acceptation du Corps législatif. » (Préambule de la Constitution.) Les membres sont nommés par l’Empereur, et révocables par lui. Les ministres y ont rang, séance et voix délibérative[6].

Le Conseil d’État se divise en six sections, dont chacune, à l’exception de celle du contentieux, comprend dans ses attributions les affaires qui ressortissent à un ou plusieurs ministères, savoir : la section de législation, justice et affaires étrangères ; la section du contentieux ; la section de l’intérieur, de l’instruction publique et des cultes ; la section des travaux publics, de l’agriculture et du commerce ; la section de la guerre et de la marine ; la section des finances.

Le Conseil d’État est présidé par un conseiller désigné par l’Empereur, et qui prend le titre de Président du Conseil d’État. L’Empereur lui-même préside le Conseil d’Etat, quand il le juge convenable ; chaque section est présidée par un conseiller également désigné par l’Empereur, et qui prend le titre de Président de section. Le Conseil d’Etat délibère et prononce par sections. ou en assemblée générale, selon l’importance des affaires. Les projets de loi doivent toujours être soumis aux délibérations de l’assemblée générale[7].

  1. De terrâ verò salicâ nulla portio hereditatis mulieri veniet ; sed ad virilem sexum totæ terræ hereditas perveniat. Loi salique, t. LXII, § 6. Baluze, t. 1, p. 321.
  2. Const., préamb. et art. 32. — Décr. du 7 novembre 1852 convoquant le peuple français dans ses comices. — Décr. du 2 déc. 1852 qui promulgue et déclare loi de l’État le S.-C. du 7 nov. 1852, ratifié par le plébiscite des 21 et 22 nov. — S.-C. du 7 nov. 1852, 2.
  3. Décret organique du 18 décembre 1852, art. 1. Dans le cas où nous ne laisserions aucun héritier direct, légitime ou adoptif, notre oncle bien-aimé Jérôme-Napoléon Bonaparte, et sa descendance directe, naturelle et légitime, provenant de son mariage avec la princesse Catherine de Wurtemberg, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, et à l’exclusion perpétuelle des femmes, sont appelés à nous succéder.
  4. S.-C. du 7 nov. 1852, 3, 4 et 5. Rapport de M. Troplong, no 15.
  5. S.-C. du 7 nov. 1852, 6 ; — du 12 déc. 1852 ; — du 25 déc. 1852, 6, 7, 8 et 9. Statut du 21 juin 1853.
  6. Const., 47 à 54. — Décr. org. du 2 janv. 1852.
  7. Décr. du 25 janv. 1852, 10 et 11. — Décr. du 30 janv. 1852, 30.