Foucart - Éléments de droit public et administratif/Partie I/Livre I/Chapitre 1/Corps législatif

A. Marescq et E. Dujardin (1p. 79-84).
§ III. — Du Corps législatif.

75. « Une Chambre qui prend le titre de Corps législatif vote les lois et l’impôt. Elle est élue par le suffrage universel sans scrutin de liste. Le peuple, choisissant isolément chaque candidat, peut plus facilement apprécier le mérite de chacun d’eux. La Chambre n’est plus composée que d’environ deux cent cinquante membres (un député par trente-cinq mille électeurs). C’est là une première garantie du calme des délibérations, car trop souvent on a vu dans les assemblées la mobilité et l’ardeur des passions croître en raison du nombre. » (Préambule.)

La mission des députés dure six ans. Le Corps législatif, destiné à représenter les besoins essentiellement variables de la population, ne remplirait pas son but, si les membres qui le composent étaient nommés à vie ; l’inamovibilité les isolerait de la nation, dont ils doivent toujours représenter l’esprit. On aurait un corps éclairé sans doute, mais un corps animé d’un esprit qui lui serait propre, et qui dès lors cesserait de jouer le rôle qui lui est destiné dans l’organisation du gouvernement représentatif. La marche des affaires publiques est modifiée par le mouvement des idées ; et tel homme qui aura été trouvé bon pour représenter son pays dans une époque donnée, ne le sera peut-être plus quand les circonstances au milieu desquelles on se trouvait ne seront plus les mêmes. Il faut donc consulter le pays à des époques qui ne soient pas trop éloignées, afin que son vœu s’exprime par le choix de ses représentants, afin que ces représentants eux-mêmes ne perdent jamais de vue leur mission, et aient toujours devant les yeux la sentence d’approbation ou d’improbation que les collèges électoraux seront infailliblement appelés à rendre.

La plupart des constitutions qui se sont succédé depuis 1789 ont imposé des conditions de cens ou de propriété à l’éligibilité et même à l’électorat[1]. Nous sommes entrés depuis 1848 dans une nouvelle phase de droit public ; aujourd’hui l’exercice de ces droits n’est subordonné qu’aux conditions de sexe et d’âge. Fixé à 40 ans par la Charte de 1814, à 30 par celle de 4830, à 25 par la Constitution de 1848, l’âge nécessaire pour l’acceptation du mandat de député a été maintenu à 25 ans par les lois nouvelles. Les sessions ordinaires du Corps législatif durent trois mois ; l’Empereur, par le décret de convocation, fixe lui-même la durée des sessions extraordinaires. Le mandat des députés n’est pas gratuit ; ils reçoivent, pendant la durée des sessions seulement, une indemnité mensuelle. On a considéré qu’ils supportaient toujours une charge, celle des frais de déplacement et de séjour ; que de plus leur mandat était incompatible avec des fonctions publiques salariées ; qu’enfin la loi ne soumettant plus l’éligibilité à aucune condition de cens, la gratuité pourrait éloigner de la législature des hommes utiles et distingués ; en un mot, que les raisons qui précédemment, sous les chartes de 1814 et de 1830, avaient motivé la gratuité, venant à cesser, elle devait cesser avec elle[2].

76. Les membres du Corps législatif jouissent, comme ceux du Sénat, d’une certaine inviolabilité. Ils ne peuvent jamais être recherchés pour les opinions qu’ils ont émises dans le sein de la Chambre. Pendant la session et pendant les six mois qui la précèdent et la suivent, ils sont à l’abri de la contrainte par corps. Enfin ils ne peuvent être, pendant la durée de la session, ni poursuivis ni arrêtés en matière criminelle sans l’autorisation du Corps législatif, sauf le cas de flagrant délit. L’art. 121 du Code pénal les protège aussi bien que les sénateurs. Une fois l’autorisation accordée, ils sont renvoyés devant les tribunaux ordinaires. (V. no 173.) Le Corps législatif ne peut, non plus que le Sénat, se transformer en cour de justice, ni traduire à sa barre soit les personnes qui l’outragent ou troublent ses séances, soit les journalistes qui rendent de ses travaux un compte infidèle et de mauvaise foi. L’autorité judiciaire est seule compétente dans ce double cas[3].

Le président et les vice-présidents du Corps législatif sont choisis par l’Empereur parmi les députés, et nommés pour un an. Les fonctions de secrétaire sont remplies, pour toute la durée de chaque session, par les quatre plus jeunes députés présents à la première séance. Le président a la haute administration du Corps législatif ; il dirige les séances, exerce la police du palais, règle par des arrêtés l’organisation des services, nomme et révoque les employés. Il est assisté dans ses fonctions administratives par deux questeurs nommés annuellement par l’Empereur ; les questeurs sont chargés de la comptabilité ; le président peut leur déléguer tout ou partie de ses pouvoirs administratifs.

77. Les sessions du Corps législatif s’ouvrent au jour fixé par le décret de convocation. Le président, assisté des secrétaires, procède par la voie du sort à la division de l’Assemblée en sept bureaux, qui se renouvellent tous les mois de la même manière. Chaque bureau élit son président et son secrétaire. Si le Corps législatif se réunit pour la première fois, il s’occupe avant tout de la vérification des pouvoirs de chacun de ses membres. Les procès-verbaux d’élection sont répartis par le président entre les bureaux qui les examinent, ainsi que les pièces justificatives d’âge. Après un rapport en séance publique sur chaque élection, le Corps législatif prononce. Lorsque l’élection est reconnue valable, le député prête, séance tenante, s’il est présent, sinon à la première séance où il assiste, ou encore par écrit, s’il est empêché, le serment prescrit par la Constitution. Après cette prestation, le président prononce son admission. Le refus de serment ou le défaut de prestation dans la quinzaine du jour où l’élection a été validée équivaut à une démission. Quand la vérification des pouvoirs est achevée, le président fait connaître à l’Empereur que le Corps législatif est constitué ; ses travaux commencent alors. Les séances du Corps législatif sont publiques ; toutefois une demande signée de cinq membres suffit pour qu’il se forme en comité secret. Il peut y avoir, en effet, des discussions de telle nature que leur publicité présente de graves dangers.

Autrefois il était permis à la presse de reproduire sans contrôle les séances des assemblées ; il n’en est plus ainsi aujourd’hui. « Le compte rendu… qui doit instruire la nation n’est plus livré… à l’esprit de parti de chaque journal ; une publication officielle, rédigée par les soins du président de la Chambre, est seule permise. » (Préambule.) En conséquence, des rédacteurs, spécialement désignés par le président du Corps législatif, dressent pour chaque séance un compte rendu qui contient le nom des membres qui ont pris la parole et le résumé de leurs opinions. Ce compte rendu, après avoir été soumis à une commission composée du président du Corps législatif et des présidents de chaque bureau, est communiqué aux journaux, qui sont obligés de le reproduire textuellement. Toutefois il est loisible à chaque député de publier à ses frais le texte des discours qu’il prononce dans le sein de l’Assemblée, après en avoir obtenu l’autorisation de la commission dont il vient d’être parlé[4].


  1. V. Const. du 3 sept. 1791, t. 3, ch. 1, sect. 2, art. 2 et 7. — Const. du 5 fruct, an III, 8, 35 — Ch. du 4 juin 1814, 38, 40. L’art. 34 de la Ch. du 14 août 1830 renvoyait sur ce point à la loi électorale. — V. loi du 19 avril 1831, tit. 1 et art. 59.
  2. Const. du 14 janv. 1852, 34, 35, 36, 38. — Décr. du 2 fév. 1852, 26. — Rapport de M. Troplong sur le S.-C. du 25 déc. 1852, no 26. — S.-C. du 25 déc. 1852, 14.
  3. Décr. du 2 fév. 1852, 9, 10 et 11. — Décr. du 31 déc. 1852, 88.
  4. Const., 41, 42, 43. — Décr. du 25 déc. 1852, 46-50, 74, 76, 78, 79, 81, 83, 84, 86. — S.-C. du 25 déc. 1852, 13.