Foucart - Éléments de droit public et administratif/Partie I/Livre I/Chapitre 2

A. Marescq et E. Dujardin (1p. 84-109).

CHAPITRE II.

suite du pouvoir législatif. — plébiscites. — sénatus-consultes. — lois. — confection et abrogation des lois


Sommaire.
78. Des différents actes législatifs. — Des plébiscites. — Des changements à la Constitution.
79. Des sénatus-consultes.
80. Des lois. — Initiative. — Préparation.
81. Discussion au Corps législatif.
82. Vote au Corps législatif.
83. Discussion et vote au Sénat.
84. De la sanction. — Elle appartient à l’Empereur seul.
85. Comment elle se refuse et comment elle s’accorde.
86. Promulgation et publication. — Ce qu’on entend par ces mots.
87. Abrogation formelle. — Abrogation implicite.
88. De l’abrogation par désuétude.
89. De l’abrogation des lois antérieures à 1789.
90. De l’interprétation des lois.

78. La Constitution de 1852 admet trois sortes d’actes qui ont le caractère et l’effet de la loi ; ce sont : les plébiscites, les sénatus-consultes, les lois proprement dites.

Les plébiscites sont des décisions du peuple légalement convoqué dans ses comices sur des questions qui lui sont posées par l’Empereur. Les plébiscites interviennent dans deux cas : premièrement lorsque l’Empereur fait appel au peuple devant lequel il est responsable, conformément à l’art. 5 de la Constitution. C’est en vertu de ce droit antérieur et supérieur à toute constitution que, Président de la république, le prince Louis-Napoléon convoqua le peuple dans ses comices par un décret du 2 décembre 1851, et lui soumit la proposition de prolonger ses pouvoirs et de lui déléguer le droit de faire une constitution sur les bases exposées dans la proclamation du même jour. (V. no 56.)

Le second cas est celui où il s’agit de faire des modifications aux règles fondamentales de la Constitution. « Une constitution, disait l’empereur Napoléon Ier, est l’œuvre du temps, on ne saurait laisser une trop large voie aux améliorations. » Ajoutons qu’une constitution est adaptée à l’état d’une société, et qu’elle doit se modifier avec elle ; le bien de la société, sa sécurité même en dépendent. Il faut donc qu’une constitution « laisse aux changements une large voie, pour qu’il y ait dans les grandes crises d’autres moyens de salut que l’expédient désastreux des révolutions. » (Préambule de la Constitution.) Mais, d’un autre côté, il ne faut pas que la nation puisse être agitée par des propositions inconsidérées de changements, ni qu’on invoque son concours pour la solution de questions secondaires qui doivent être laissées aux pouvoirs constitués. Les propositions de modifications à la Constitution émanent du Sénat ; si elles touchent aux bases fondamentales de la Constitution posées dans la proclamation du 2 décembre (V. no 57), elles doivent être soumises à l’approbation du peuple. Dans les autres cas, lorsqu’elles sont approuvées par le pouvoir exécutif, il est statué par un sénatus-consulte (Const., art. 31, 32). C’est en vertu de ces principes que le sénatus-consulte du 7 novembre 1852 proposa le rétablissement de l’empire, que cette proposition fut soumise à l’acceptation du peuple les 21 et 22 novembre suivant, et qu’ayant été adoptée, elle fut déclarée loi de l’Etat par le décret du 2 décembre 1852. (V. no 58.)

Voici la forme dans laquelle sont rendus les plébiscites. La proposition soumise au peuple est publiée par un décret qui indique le jour et le temps de la réunion du peuple dans ses comices ; les deux journées indiquées par les plébiscites des 31 décembre 1851 et 2 décembre 1852 ont suffi pour recueillir tous les votes. L’on appelle à voter, sans condition de cens, tous les Français âgés de 21 ans accomplis, jouissant de leurs droits civils et politiques, portés sur les listes électorales. On fait à cette occasion, et d’après les principes du décret du 2 février 1852 sur les élections, une révision de ces listes. Les électeurs momentanément absents de leur domicile à raison de leurs fonctions et de leurs affaires sont admis à voter dans le lieu de leur résidence, en justifiant qu’ils sont inscrits sur la liste électorale de leur commune. Les électeurs des armées de terre et de mer votent sous la présidence du chef le plus élevé en grade dans le lieu de leur résidence au moment du vote. Les états-majors et les équipages des bâtiments en partance peuvent voter avant leur départ. Le dépouillement des votes a lieu dans chaque comice selon les formes prescrites par la loi électorale. Le recensement des votes de chaque département est fait par une commission de trois membres du conseil général désignés par le préfet. Le recensement général des votes a lieu au Corps législatif. Le résultat est proclamé et rendu loi de l’Etat par un décret impérial. Telles sont les formes qui ont été prescrites par le décret du 7 novembre 1852, et d’après lesquelles a été rendu le plébiscite du 2 décembre 1852, qui rétablit l’empire.

79. Les sénatus-consultes sont les actes législatifs émanés du Sénat dans les cas déterminés par la Constitution. Le Sénat règle par des sénatus-consultes : 1o la constitution des colonies et de l’Algérie ; 2o tout ce qui n’a pas été prévu par la Constitution et qui est nécessaire à sa marche ; 3o le sens des articles de la Constitution qui donnent lieu à différentes interprétations (Const., art. 27) ; 4o il statue sur les modifications à faire à la Constitution, lorsqu’elles ne touchent pas aux bases fondamentales posées par la proclamation du 2 décembre, lesquelles ayant été adoptées par le peuple ne peuvent être changées que par lui (V. no 78 ; Const., art. 31) ; 5o enfin, aux termes de l’article 33, en cas de dissolution du Corps législatif et jusqu’à une nouvelle convocation, le Sénat pourvoit par des mesures d’urgence à tout ce qui est nécessaire à la marche du gouvernement.

Dans les cas prévus par les numéros 1, 2 et 3, l’initiative appartient à l’Empereur et au Sénat. (Const., art. 31. Décr. du 31 déc. 1852, art. 46.) Si la proposition vient de l’Empereur, le projet est porté et lu au Sénat par des conseillers d’Etat commis à cet effet, puis renvoyé aux bureaux. Les bureaux nomment une commission qui fait un rapport sur le projet en séance générale. Si la proposition émane d’un sénateur, le projet n’est lu en séance générale qu’autant qu’il a été pris en considération par trois bureaux au moins. Après la prise en considération et la lecture, on procède pour ce cas comme pour le précédent ; seulement le président du Sénat transmet le texte du projet au ministre d’Etat, et l’Empereur nomme les conseillers d’Etat chargés de représenter le gouvernement dans la délibération du Sénat. Les amendements sur les projets de sénatus-consultes peuvent se produire même dans la discussion générale jusqu’à la décision du Sénat ; mais s’ils se produisent après l’ouverture de la délibération en séance générale, ils ne peuvent être lus et développés qu’autant qu’ils sont appuyés par cinq membres. Le vote a lieu, pour les projets de sénatus-consultes, de la même manière que pour les projets de loi ; la décision se formule en ces termes : Le Sénat a adopté, ou, Le Sénat n’a pas adopté. Le sénatus-consulte a besoin enfin de la sanction de l’Empereur pour acquérir force de loi ; il devient exécutoire, comme les lois proprement dites, par la promulgation. (Décr. du 31 déc. 1852, 16 à 21.)

L’initiative des propositions de modification à la Constitution dont il est question dans le quatrième cas appartient aux sénateurs ; toutefois aucune proposition ne peut être déposée dans ce but, si elle n’est signée par dix membres au moins. Après le dépôt, on procède comme dans le cas des propositions de sénatus-consultes dont il a été parlé au précédent numéro. Le vote a lieu de la même manière, la décision est formulée dans les mêmes termes, elle est sanctionnée et promulguée par l’Empereur. (Const., 31, 32. Décr. 31 déc. 1852, 29.)

Lorsque le Sénat, en vertu de l’article 33 de la Constitution, remplace exceptionnellement, en cas d’urgence, le Corps législatif dissous, il n’a que les attributions de ce corps, attributions que nous ferons connaître plus bas, et qui sont limitées par l’art. 33 aux mesures urgentes nécessaires à la marche du gouvernement.

80. Les lois proprement dites sont les actes émanés du Corps législatif selon les formes voulues par la Constitution.

Nous avons à étudier :

1o L’initiative et la préparation de la loi ;

2o La délibération et le vote ;

3o La sanction, la promulgation et la publication ;

4o L’abrogation et l’interprétation.

Initiative et préparation. — L’initiative de la loi appartient à l’Empereur seul. Elle ne pourrait s’accorder avec les attributions particulières du Sénat et le contrôle supérieur qu’il exerce sur la loi. Quant au Corps législatif, il ne saurait lui être permis, dit le préambule de la Constitution, de se substituer à tout propos au gouvernement en présentant les projets les moins étudiés et les moins approfondis. Le Sénat a seulement le droit, dans un rapport adressé à l’Empereur, de poser les bases d’un projet de loi d’un grand intérêt national. (Const., 30.)

La préparation de la loi est confiée au Conseil d’Etat. Dressés par les différents départements ministériels dont ils ressortent, les projets de loi sont soumis à l’Empereur, qui les renvoie au président du Conseil d’Etat. Celui-ci les adresse au président de la section afférente au ministère dont ils émanent, en adjoignant à cette section, s’il le juge nécessaire, la section de législation. Le président de section désigne un rapporteur ; après avoir entendu le rapport, la section arrête la rédaction du projet de loi, et désigne un de ses membres pour faire le rapport à l’assemblée générale du Conseil d’Etat. L’assemblée générale entend le rapporteur de la section, discute le projet et vote. Le vote a lieu par assis et levé ou par appel nominal. Ainsi élaboré, le projet de loi est porté à l’Empereur par le président du Conseil d’État. L’Empereur ordonne par un décret la présentation du projet au Corps législatif, et désigne les conseillers d’Etat qui seront chargés d’en soutenir la discussion devant l’Assemblée. Le ministre d’Etat transmet au président du Corps législatif une ampliation de ce décret[1].

81. Discussion. — Lorsqu’il a reçu par l’entremise du ministre d’Etal le projet de loi, le président du Corps législatif en donne lecture en séance publique. Le projet peut encore être apporté à l’Assemblée et lu par les conseillers d’Etat qui doivent en soutenir la discussion. L’Assemblée, après la lecture, renvoie le projet aux bureaux, et les bureaux nomment dans leur sein une commission de sept membres, chargée d’en faire le rapport. Il est loisible alors à tout député de proposer des modifications au projet de loi : ces modifications s’appellent amendements. Autrefois » sous les chartes de 1814 et 1830 et sous la Constitution de 1848, les amendements pouvaient se produire non-seulement au cours des délibérations de la commission, mais encore pendant la discussion publique et jusqu’à la décision de l’Assemblée. Ce système dérangeait souvent à l’improviste l’économie d’un projet de loi tout entier ; aussi a-t-on cru devoir le restreindre dans des limites étroites. (V. préamb. de la Const.)

Aucun amendement n’est reçu après le dépôt du rapport de la commission en séance publique. Avant ce dépôt, tout amendement doit être remis par son auteur au président du Corps législatif, qui le transmet à la commission. Si la commission l’adopte, elle le renvoie, par l’entremise du président, au Conseil d’Etat, et peut même, si elle le croit bon, désigner trois de ses membres pour faire connaître au Conseil les motifs qui ont déterminé son vote.

Le Conseil d’Etat rejette-t-il alors l’amendement, il est non avenu ; l’accepte-t-il au contraire, le projet de loi reçoit la nouvelle rédaction qu’il a adoptée. Enfin le Conseil, sans rejeter ni accepter l’amendement, peut modifier le projet de loi sur le point qui lui a été signalé par la commission ; dans ce cas, la modification n’est introduite dans le texte du projet qu’autant qu’elle est en même temps adoptée par la commission. Dans l’exercice de ce droit, le Conseil d’Etat est souverain, sa décision n’a pas besoin d’être approuvée par l’Empereur, qui a toujours le droit de refuser sa sanction à la loi.

Le rapport de la commission est lu en séance publique, et la discussion s’ouvre au jour fixé par l’Assemblée. Elle se divise en deux parties, et porte successivement sur l’ensemble du projet et sur les divers articles ; mais, après la discussion de l’ensemble, il n’y a jamais lieu de délibérer si l’on passera ou non à la discussion des articles, qui doit toujours suivre nécessairement. Les orateurs sont entendus alternativement pour et contre le projet ; ils parlent de leur place, et ne prennent la parole qu’après l’avoir obtenue du président, et, dans certains cas, suivant un ordre d’inscription. Les commissaires du gouvernement chargés de soutenir la discussion obtiennent la parole quand ils la réclament, sans être astreints au tour d’inscription. (Const., 40. — Décr. 31 déc. 1852, 51 à 57.)

82. Vote. — Après la discussion vient le vote ; comme elle, il porte et sur l’ensemble du projet et sur les articles, mais dans un ordre inverse, c’est-à-dire sur les articles d’abord, ensuite sur l’ensemble. Le vote sur les articles a lieu par assis et levé ; si le bureau déclare l’épreuve douteuse, on procède au scrutin. Le vote sur l’ensemble a lieu au scrutin public ; il n’est valable qu’autant que le nombre des votants forme la majorité de l’Assemblée. Par exception, et en raison de leur nature particulière, les projets de lois relatifs à des intérêts communaux ou départementaux sont votés par assis et levé, à moins qu’ils n’aient soulevé quelque réclamation, ou que le scrutin ne soit demandé par dix députés au moins. Les décisions du Corps législatif sont prises à la majorité absolue. L’Assemblée ne motive ni son acceptation ni son refus. Accepte-t-elle, la décision est ainsi formulée : Le Corps législatif a adopté ; rejette-t-elle, sa décision est prise en ces termes : Le Corps législatif n’a pas adopté. Lorsqu’un projet de loi est voté par le Corps législatif, la minute, signée du président et des secrétaires, est déposée aux archives. Une expédition revêtue des mêmes signatures est portée à l’Empereur par le président et les secrétaires. (D. 31 déc. 1852, 57 à 61.)

83. Après cette première épreuve, le projet de loi subit le contrôle du Sénat. L’Empereur désigne par un décret les conseillers d’Etat qui doivent soutenir la discussion ; le projet et le décret sont transmis par le ministre d’Etat au président du Sénat, qui en donne lecture en séance générale. Le Sénat décide immédiatement, par assis et levé, s’il y a lieu ou non de renvoyer l’examen du projet de loi aux bureaux. S’il se prononce contre le renvoi, il passe de suite à la délibération en séance générale ; s’il vote le renvoi, la discussion a lieu d’abord dans les bureaux, qui nomment une commission. Au jour indiqué pour la délibération générale, cette commission présente son rapport, puis la discussion s’ouvre ; enfin le Sénat vote sur la question de savoir s’il y a lieu de s’opposer à la promulgation de la loi. Son vote est pur et simple, affirmatif ou négatif ; la nature de ses attributions ne lui permet pas d’introduire d’amendements dans les projets de loi qui lui sont présentés. Le vote est public, et pris à la majorité des votants : le nombre des votants doit être supérieur à la moitié des membres du Sénat ; à défaut de l’une de ces deux conditions, le vote est nul et doit être recommencé. Les décisions du Sénat ne sont point motivées, non plus que celles du Corps législatif ; elles se formulent ainsi : Le Sénat s’oppose, ou, le Sénat ne s’oppose pas à la promulgation. Le résultat de la délibération est transmis par le président du Sénat au ministre d’Etat. (Id., 8 à 16.)

84. Quand un projet de loi a été adopté par le Corps législatif, quand le Sénat a déclaré ne pas s’opposer à la promulgation, il faut encore qu’il reçoive l’approbation de l’Empereur pour acquérir la force législative. Cette approbation est appelée sanction. La sanction appartient à l’Empereur seul ; elle est toujours de sa part un acte de pure et libre volonté. Au premier abord, elle pourrait paraître inutile en regard de ce principe que l’initiative de la loi ne peut procéder que de l’Empereur ; mais il faut remarquer que l’Empereur n’est point lié par la présentation d’un projet ; qu’il peut, lors même que sa proposition aurait été adoptée par le Corps législatif et par le Sénat, refuser de la convertir en loi. En effet les circonstances qui lui ont donné naissance peuvent ne plus être les mêmes, et la proposition, utile d’abord, peut avoir cessé de l’être ensuite. Elle peut aussi avoir reçu un amendement qui la dénature. (V. no 81.) Du droit pour l’Empereur de donner ou de refuser la sanction résulte évidemment pour lui le droit de retirer un projet qu’il aurait soumis au Corps législatif et au Sénat, même avant leur décision. (Const., 10.)

85. Autrefois, et d’après la loi du 13 août 1814, le Roi refusait au projet de loi sa sanction par une formule sacramentelle, le Roi s’avisera, et cette déclaration de la volonté royale était notifiée aux Chambres. Aujourd’hui le refus de la sanction impériale n’est astreint à aucune formule précise ; il suffit que l’Empereur, pour manifester sa volonté à cet égard, n’ordonne pas la promulgation de la loi. D’après la loi de 1816, la sanction royale s’accordait par une formule particulière, qui plus tard varia dans la pratique. Aujourd’hui la sanction impériale est constatée par ces mots qui se trouvent en tête de la loi :… Avons sanctionné et sanctionnonsce qui suit. Viennent ensuite le texte de la loi extrait du procès-verbal du Corps législatif, et l’extrait du procès-verbal du Sénat qui déclare ne pas s’opposer à la promulgation, puis enfin le mandement[2].

86. Promulgation et publication. — Après avoir sanctionné la loi, l’Empereur en ordonne la promulgation par ces mots : Avons promulgué et promulguons ce qui suit. Il ne suffit pas, en effet, que la loi ait reçu de la sanction impériale la force législative, il faut encore qu’elle devienne exécutoire pour les citoyens qu’elle doit régir, et c’est précisément la promulgation qui lui donne la force exécutoire. De même que l’Empereur sanctionne la loi en vertu de son pouvoir législatif, il la promulgue en vertu de son pouvoir exécutif. La promulgation résulte, d’après l’ordonnance du 27 novembre 1816, de l’insertion de la loi au Bulletin officiel. Cette ordonnance a tranché les difficultés soulevées sur ce point à l’occasion de l’article 1er du Code Napoléon, qui, en parlant de la promulgation, n’avait point dit de quel acte elle devait résulter.

Enfin, sanctionnée et promulguée, la loi doit encore être publiée, c’est-à-dire officiellement portée à la connaissance de ceux qui doivent l’observer ; à partir de la publication seulement, la loi devient obligatoire. Le mode de publication de la loi a souvent varié en France ; on a même souvent confondu la promulgation avec la publication : aujourd’hui la publication est basée sur une fiction ; la loi est réputée connue un jour après sa promulgation pour le département où siége le gouvernement, et, pour les autres, à l’expiration d’un délai qui varie selon les distances. La date de la promulgation, suivant l’ordonnance de 1816, est fixée au jour où le ministre de la justice reçoit de l’imprimerie le Bulletin des Lois[3], et ce jour doit être au ministère constaté sur un registre spécial[4]. Dans le cas d’urgence, les lois sont censées publiées et deviennent obligatoires à compter du jour où les préfets, auxquels elles sont envoyées extraordinairement, les ont fait imprimer et afficher, c’est-à-dire le lendemain de l’affiche. (Ord. du 17 nov. 1816, 4 et 18 janv. 1817.)

87. Le droit de créer des lois nouvelles emporte nécessairement celui d’abroger les lois anciennes. L’abrogation a lieu quelquefois en termes exprès ; d’autres fois elle résulte seulement de l’adoption de principes de droit public ou de dispositions législatives incompatibles avec les lois existantes dans le premier cas, l’abrogation est formelle ; dans le second, elle n’est qu’implicite. Tantôt elle porte sur une loi tout entière ; tantôt elle ne modifie que quelques-unes de ses dispositions en laissant subsister les autres ; tantôt elle abroge purement et simplement sans rien mettre à la place, tantôt elle substitue une disposition nouvelle à la disposition ancienne. Quelques lois meurent d’elles-mêmes, parce qu’elles n’étaient faites que pour un temps : telles sont les lois qui autorisent la perception des contributions directes, et qui, à moins de disposition contraire, n’ont d’effet que pendant un an ; ou encore celles dont une disposition spéciale limite la durée, ou parce qu’elles étaient fondées sur des circonstances exceptionnelles auxquelles elles n’ont pas survécu : on peut citer comme exemple certains décrets de la Convention.

Les questions d’abrogation présentent souvent des difficultés sérieuses. On peut poser comme principes généraux dans cette matière : 1o que l’abrogation, à moins qu’elle ne soit formelle et spéciale, n’a d’effet que dans l’ordre auquel appartient la loi qui la produit. Ainsi une loi de droit civil n’abroge pas une loi de droit administratif ; une loi de droit pénal n’abroge pas une loi de droit civil, et réciproquement. Chacun de ces ordres de lois, en effet, est régi par des principes généraux qui peuvent être différents les uns des autres, et produire des dispositions en harmonie entre elles, mais en désaccord avec les lois d’un autre ordre ; c’est ainsi qu’il a été décidé que l’abrogation prononcée par l’art. 1041 du Code de procédure civile ne s’applique pas à la procédure en matière domaniale et d’enregistrement. (Avis du Conseil d’Etat, approuvé le 1er juin 1802.)

2o Que les lois générales n’abrogent pas les lois spéciales par cela seul qu’elles n’en reproduisent pas les dispositions. C’est un principe reconnu par l’article 484 du Code pénal, qui déclare que dans toutes les matières qui n’ont pas été réglées par lui, et qui sont régies par des lois et des règlements particuliers, les cours et les tribunaux continueront de les observer.

88. Presque tous les jurisconsultes admettent en outre une abrogation par désuétude, résultant de l’inobservation prolongée de la loi. Ils se fondent sur le fragment 32e, § 1er de legibus, au Digeste : « Inveterata consuetudo pro lege non immeritò custoditurnam cùm ipsæ leges nullâ aliâ ex causâ nos teneant, quàm cum judicio populi receptæ sunt : meritò et ea quæ sine ullo scripto populus probavit tenebunt omnes. Nam quid interest suffragio populus voluntatem suam declaret an rebus ipsis et factis ? Quare rectissimè etiam illud receptum est, ut leges non solùm suffragio legislatoris, sed etiam tacito consensu omnium per desuetudinem abrogentur. »

Nous n’irons pas chercher, pour combattre l’autorité de ce fragment, la déclaration faite par Constantin, que l’usage ne doit pas prévaloir sur la loi (L. 2 du Cod. Quæ sit longa consuetudo) ; mais nous ferons remarquer que les motifs mêmes sur lesquels s’appuie le jurisconsulte Julien, qui en est l’auteur, conduisent aujourd’hui à une conséquence opposée à la sienne : « C’est, dit-il, parce que lois puisent leur force dans le consentement du peuple, et qu’il importe peu que ce consentement soit exprimé ou tacite, qu’un long usage peut faire ou abroger les lois. » Un pareil raisonnement suppose une de ces constitutions incertaines et vagues, dans lesquelles le pouvoir législatif n’est organisé par aucune loi positive ; les besoins de la société se manifestent alors le plus fréquemment par des usages populaires, par une jurisprudence résultant soit des opinions des jurisconsultes, soit des décisions des magistrats, et ce sont là en effet les sources les plus fécondes du droit romain. Mais il ne peut pas en être ainsi dans un pays dont la constitution écrite établit un Corps législatif qui se réunit chaque année pour faire des lois ; les besoins de la société ont alors un organe régulier, à lui seul appartient le droit de créer des règles obligatoires ou de les abroger. La loi perd peut-être quelque chose, sous le rapport philosophique, à ne plus être uniquement le résultat d’une expérience éclairée par l’étude et la pratique, mais elle y gagne en clarté et en certitude.

Dans l’ancienne monarchie, où le pouvoir législatif n’avait jamais été régulièrement organisé, il n’est point étonnant qu’on ait suivi la loi romaine, en ajoutant toutefois, pour contre-balancer le principe de la souveraineté du peuple sur lequel elle s’appuie, qu’il fallait que l’usage obtint aussi le consentement exprès ou tacite du Roi. Par une conséquence toute naturelle, on avait considéré les parlements comme les meilleurs appréciateurs des usages de leurs justiciables : et ceux-ci, étendant autant que possible leur autorité, s’étaient attribué le droit de faire des arrêts de règlement obligatoires dans tout leur ressort. Rien de semblable ne peut exister aujourd’hui ; la loi ayant une source certaine, les juges n’ont d’autre droit que d’en faire l’application aux causes particulières qui leur sont soumises, sans pouvoir prononcer par voie de disposition générale et réglementaire (C. Nap., art. 5). Un grand nombre d’arrêts rendus dans le même sens ne peuvent jamais avoir qu’une autorité de jurisprudence, et n’empêchent pas un tribunal de juger dans un sens différent, lorsqu’il croit que la loi a été mal appliquée. Si, par une conséquence rigoureuse des principes constitutionnels, on refuse l’autorité législative à une longue série d’actes uniformes émanés d’un des corps les plus éclairés de la nation, comment l’accorderait-on à des usages qui ne sont quelquefois que le résultat de l’abus ou de l’ignorance ?

L’un des caractères essentiels d’une bonne législation, c’est que la volonté du législateur soit exprimée d’une manière claire et positive. Si tous les efforts de l’esprit humain ne peuvent arriver à ce résultat, s’il s’élève sur le sens de la loi la mieux faite des difficultés sans nombre, que serait-ce donc s’il s’agissait, non pas seulement de savoir en quoi consiste un usage nécessairement moins précis qu’un texte, mais encore de décider s’il existe, de chercher s’il dure depuis assez longtemps, s’il a été assez général, assez notoire pour mériter d’être érigé en loi, ou pour prévaloir contre les dispositions formelles d’une loi écrite ? Le principe que l’usage fait et abroge les lois n’est applicable que chez les peuples qui sont encore dans une période peu avancée de la civilisation, et en l’absence d’une organisation positive du pouvoir législatif ; mais, lorsque cette organisation existe, il doit faire place aux règles plus précises qu’elle établit. Chez nous, le législateur doit sans doute prendre en considération les besoins et les habitudes de la nation, mais lui seul peut satisfaire les uns et consacrer les autres par une déclaration régulière. Les citoyens, les magistrats, n*ont d*autre droit que de faire connaître leurs vœux par la voie de la presse ou des pétitions ; mais tant que la loi n’a point été formellement abrogée, ils ne peuvent se dispenser de lui obéir. Hors de là, il n’y aurait que désordre, incertitude, et violation des principes constitutionnels. Telle est l’opinion exprimée par la commission chargée de la révision des lois, dans son rapport au Roi du 25 décembre 1825 (V. le Moniteur du 25 décembre 1 825) : « La désuétude, y est-il dit, est une abrogation vivante de la loi, suivant les jurisconsultes romains. Il est difficile d’adopter cette opinion comme une maxime générale, et il est plus sûr d’établir la maxime tutélaire que les lois subsistent tant qu’elles ne sont pas révoquées, et qu’elles ne peuvent l’être que par un acte des pouvoirs institués pour le faire. » Le Conseil d’État s’est prononcé d’une manière plus positive, en disant, dans les considérants d’un avis en date du 17 décembre 1823, « qu’on ne reconnaît que deux sortes d’abrogation, l’abrogation tacite et l’abrogation explicite. »

La jurisprudence de la Cour de cassation, favorable d’abord à l’abrogation de la loi par l’usage[5], s’est prononcée depuis dans le sens contraire, d’accord en cela avec la doctrine des meilleurs auteurs[6]. Dans les décisions relatives à la présence du second notaire et des deux témoins, exigée par la loi du 25 ventôse pour les actes notariés, qui ont précédé et amené la loi du 21 juin 1843, elle s’est toujours prononcée dans ce sens. Un arrêt du 25 janvier 1841 établit notamment « qu’en supposant l’existence d’un usage presque général de passer les actes notariés hors de la présence des témoins, et de se contenter de la signature desdits témoins…, un pareil usage, en opposition formelle avec une loi portée dans un intérêt d’ordre public, serait un abus qui ne doit pas être consacré ; … que si, sous un régime où la coutume était loi, l’usage pouvait abroger une loi, il n’en saurait être ainsi dans un temps où la loi toujours écrite est rendue également notoire à tous. » (C. C. civ., 25 janv. 1841. — Papin.)

Quand la question se présenta devant les Chambres, à propos de la loi du 21 juin 1843 sur la présence du second notaire, M. Portalis défendit devant la Chambre des Pairs la doctrine de la Cour suprême. « Dans tout pays qui jouit de l’avantage d’être régi par les lois écrites, disait-il, il est nécessaire que les juges soient esclaves de la lettre de la loi, pour que les citoyens soient libres et pour que leurs propriétés soient assurées. Tout usage contraire à la loi est un abus qui doit être réprimé, car la religieuse exécution des lois est la meilleure garantie des droits de chacun. Le pouvoir législatif est un pouvoir jaloux qui n’admet pas de partage ; il s’est réservé l’interprétation, la dérogation, l’abrogation qui défend d’invoquer la désuétude. Or, comment invoquer la puissance de l’usage, quand il n’est pas permis de se prévaloir du non-usage. » (V. Dal., pér. 43, 3, 172.)

La loi de 1843 consacra cette théorie qui est la nôtre. Depuis, la Cour de cassation l’a fait constamment prévaloir, en maintenant notamment la loi du 18 mars 1814 sur la célébration des dimanches et des fêtes, par cette raison qu’aucune loi postérieure ne l’avait abrogée[7].

Le législateur n’a pas méconnu cependant les avantages qu’il peut y avoir quelquefois à suivre des usages généralement adoptés ; mais alors il a eu le soin de légaliser ces usages, en déclarant d’une manière formelle que l’on devait s’y référer. C’est ainsi que, dans les art. 674 et 674 du Code Nap., il renvoie, pour l’exercice de certains droits de voisinage, aux usages locaux ; qu’il veut que ces usages soient consultés également, lorsqu’il s’agit des délais des congés (art. 1736). Il pose aussi une excellente règle d’interprétation des conventions, lorsqu’il dit que tout ce qui est ambigu s’interprète par l’usage du pays où le contrat s’est passé (art. 1159) ; qu’on doit suppléer dans le contrat les clauses qui sont d’usage, quoiqu’elles n’y soient pas exprimées, etc., etc.[8]. Enfin le juge, qui est toujours forcé de prononcer, peut, en cas de silence ou d’obscurité de la loi, aller puiser dans l’usage un moyen de la compléter ou de l’interpréter. Mais il y a loin de tous ces cas exceptionnels au principe général qu’on emprunte au droit romain, pour en faire à notre droit actuel une application qui nous paraît mauvaise.

Un peuple qui nous a précédés dans la carrière constitutionnelle, et qui a sur nous l’avantage que donne l’expérience de plusieurs siècles, le peuple Anglais admet comme principe constant qu’une loi ne peut être abrogée que par une autre loi ; il pousse si loin le respect pour ce principe, qu’il y a peu d’années encore, un plaideur offrit le gage de bataille à son adversaire, en vertu d’une vieille loi du moyen âge sur le combat judiciaire. Cette loi, quoique inobservée depuis longtemps, et d’ailleurs complétement en désaccord avec les mœurs nouvelles, ne fut pas cependant considérée comme étant tombée en désuétude, et il fallut un acte de parlement pour l’abroger.

Une des conséquences du principe que nous venons de développer, c’est que, dans un gouvernement tel que le nôtre, le pouvoir exécutif ne devrait jamais souffrir qu’une loi fût placée, par suite de la négligence de ses agents, dans cette position douteuse qui n’est ni la vie ni la mort. Quand une loi n’est pas observée depuis longtemps, elle s’efface du souvenir des justiciables, qui d’ailleurs, en la voyant violer chaque jour à la face de l’autorité qui ne réclame pas, peuvent croire qu’elle a réellement cessé d’exister. Et cependant nous avons vu souvent le pouvoir réveiller des dispositions qui dormaient depuis longues années dans le vaste dépôt du Bulletin des Lois, et en demander l’application contre les particuliers. Selon nous, il en a le droit ; mais alors le devoir qui lui est imposé de faire abroger formellement celles qu’il considère comme n’étant plus en harmonie avec l’état de la société, n’en devient que plus rigoureux, car il doit éviter tout ce qui peut entraîner les citoyens dans l’erreur ou devenir pour eux une source de procès.

89. La révolution de 1789 n’a pas seulement porté sur le droit public, mais elle a réformé l’ensemble de notre législation par des lois qui ont statué sur presque toutes les matières de droit public et de droit privé. Cependant quelques-unes des anciennes lois ont survécu, et sont encore en vigueur aujourd’hui. Les lois romaines, les ordonnances, les coutumes générales ou locales, les statuts, les règlements qui portaient sur les matières réglées par le Code Nap., ont cessé d’avoir force de loi à partir de la promulgation de ce Code. (L. 30 vent. an XII, 7.) Il en est de même des dispositions relatives aux matières qui sont l’objet des Codes de commerce, de procédure, d’instruction criminelle, des Codes pénal, forestier, etc., etc. Cependant il faut observer que ce principe ne s’applique qu’aux matières réglées par un système complet dans les lois nouvelles, et non à celles qui ne sont l’objet que de quelques dispositions isolées (C. C. 19 fév. 1813) ; ainsi il y a des lois antérieures aux Codes que ceux-ci supposent, auxquelles ils se réfèrent, et qui par conséquent sont encore en vigueur. Le Code pénal dit même positivement dans son art. 484 que dans toutes les matières qui n’ont pas été réglées par lui, et qui sont régies par des lois et règlements particuliers, les cours et les tribunaux continueront de les observer. C’est surtout en matière de police qu’il existe un grand nombre d’anciens règlements dont quelques-uns ont une date fort ancienne, et sont encore appliqués aujourd’hui : tels sont l’édit de décembre 1607, concernant la voirie ; l’arrêt du Conseil du 27 février 1765, sur l’alignement ; celui du 7 septembre 1755, relatif aux matériaux à prendre dans les endroits non clos pour l’usage des ponts et chaussées, etc., etc. Parmi ces règlements, il en est même qui sont formellement confirmés par les lois postérieures : tels sont les règlements sur la voirie, confirmés par l’art. 29 du tit. 1  de la loi du 19 juillet 1791 ; ceux sur la police municipale, confirmés par les art. 1 et 3 du tit. 11 de la loi des 16 et 24 août 1790[9].

La loi des 19 et 21 juillet 1791 autorise l’administration à publier de nouveau les lois et règlements de police et à rappeler les citoyens à leur observation ; c’est ce qu’il convient de faire toutes les fois qu’il s’agit d’une disposition qui peut être ignorée de la masse des citoyens : ainsi le Directoire exécutif a pris, le 25 messidor an V, un arrêté pour ordonner l’exécution des mesures prescrites en cas d’épizootie par un arrêt du parlement du 24 mars 1745, et par deux arrêts du Conseil des 19 juillet 1746 et 16 juillet 1784, arrêts que le ministre de l’intérieur présente comme n’étant point abrogés, mais dont il déclare avoir concilié les dispositions avec l’ordre constitutionnel. En effet, il arrive souvent que l’application des anciennes lois pénales ne peut avoir lieu que partiellement, parce que plusieurs de leurs dispositions sont abrogées formellement ou implicitement : telles sont celles qui prononcent des peines qui n’ont point été conservées dans le Code pénal, comme la peine du fouet, de l’amende honorable, etc. Il faut donc alors distinguer avec soin ce qui est abrogé de ce qui peut coexister avec les lois nouvelles.

90. On distingue deux interprétations de la loi : l’interprétation par voie de doctrine, qui est donnée par les jurisconsultes sans aucune force obligatoire, ou par les tribunaux avec une force obligatoire entre les parties seulement, et l’interprétation par voie d’autorité, qui a la même force que la loi. L’ordonnance de 1617, t. 1, art. 17, défendait aux parlements de faire cette interprétation qu’elle réservait au Roi comme législateur. La loi du 16-14 août 1790, t. 2, art. 12, partait du même principe en enjoignant aux juges de s’adresser au Corps législatif. Mais cette facilité laissée à la nouvelle magistrature eut pour résultat d’encombrer le Corps législatif de demandes d’interprétation formées par les tribunaux toutes les fois qu’ils rencontraient une difficulté. Il devint alors nécessaire de déterminer les cas où l’interprétation législative pourrait être demandée. La loi du 1er décembre 1790, art. 21, statue que, lorsqu’un jugement a été cassé deux fois et qu’un troisième tribunal a jugé en dernier ressort de la même manière que les deux premiers, la question sera renvoyée au Corps législatif, qui rendra un décret déclaratoire auquel la Cour de cassation se conformera. Sous la Constitution du 22{ frim. an VIII, un règlement du 5 nivôse an VIII décida que le Conseil d’Etat développerait le sens des lois sur le renvoi qui lui en serait fait par les consuls des questions qui leur auraient été présentées. C’était là une interprétation provoquée par le pouvoir dans un intérêt général. L’interprétation sur procès fut réglée par la loi du 16 septembre 1807 ; elle avait lieu lorsque la Cour de cassation avait annulé deux arrêts ou jugements en dernier ressort, rendus dans la même affaire, entre les mêmes parties, et qui avaient été attaqués par les mêmes moyens ; elle pouvait être demandée par la Cour de cassation avant le second arrêt ; sinon la Cour de cassation prononçait, toutes sections réunies sous la présidence du grand juge ; si le troisième arrêt était attaqué, l’interprétation était de droit. L’interprétation donnée en vertu du rẻglement du 5 nivôse an VIII avait les mêmes caractères que la loi (V. no 105) ; l’interprétation donnée sur procès, en vertu de la loi du 16 sept. 1807, n’avait que la force d’une décision judiciaire. (V. avis du C. d’Et. du 17 déc. 1823.)

En 1828, la pensée que la loi doit être interprétée par le législateur lui-même prévalut et donna lieu à la loi du 30 juillet, d’après laquelle, lorsque après la cassation d’un premier arrêt ou jugement en dernier ressort, le deuxième arrêt ou jugement rendu dans la même affaire, entre les mêmes parties, avait été cassé par les mêmes moyens, le jugement de l’affaire était renvoyé à une Cour impériale qui prononçait sans recours ; mais, dans la session législative suivante, une loi interprétative était soumise aux Chambres. Ce système avait été critiqué sous plusieurs rapports. 1o Il donnait à la dernière Cour impériale plus d’autorité qu’à la Cour de cassation, qui se trouvait ainsi placée dans un état d’infériorité tout à fait incompatible avec sa qualité de Cour suprême. 2o En renvoyant l’interprétation au Corps législatif par la raison que c’est à l’auteur d’une loi à l’interpréter, on supposait que chaque législature était également bien pénétrée des intentions des législatures antérieures ; que les Chambres de la restauration, par exemple, auraient pu se mettre à la place du Corps législatif impérial, ou de la Convention de 1792, pour expliquer leurs intentions ; on pouvait même arriver à une impossibilité, car si les trois branches du pouvoir législatif n’étaient pas d’accord sur l’interprétation à donner, aucune conciliation ne pouvait avoir lieu, puisqu’il ne s’agissait pas d’innover, mais seulement d’expliquer le sens d’une loi. 3o Enfin la loi ainsi rendue devait s’appliquer aux difficultés non encore jugées qui lui étaient antérieures, si, comme on le disait, elle était interprétative du droit existant ; mais l’application de ce principe aurait conduit à une véritable rétroactivité, parce qu’en réalité, avec notre système législatif, il aurait été très-difficile de faire des lois purement interprétatives.

On a senti l’impossibilité d’une interprétation législative, et la loi du 30 juillet 1828 a été abrogée par une loi du 1er avril 1837. Aujourd’hui, lorsque après la cassation d’un premier arrêt ou jugement rendu en dernier ressort, le deuxième arrêt ou jugement rendu dans la même affaire, entre les mêmes parties, procédant en la même qualité, est attaqué par les mêmes moyens que le premier, la Cour de cassation prononce toutes les chambres réunies. Si le deuxième arrêt ou jugement est cassé par les mêmes motifs que le premier, la Cour impériale, ou le tribunal auquel l’affaire est renvoyée, doit se conformer à la décision de la Cour de cassation, dont l’arrêt termine ainsi le procès, mais n’a, dans les autres procès de même nature, que l’autorité d’un arrêt solennel. Le gouvernement serait libre de faire une proposition au Corps législatif, afin de statuer sur la difficulté ; mais la loi qui interviendrait alors serait introductive d’un droit nouveau, et n’aurait d’effet que pour l’avenir. Le gouvernement a usé de ce droit, même avant la loi du 30 juillet 1828, en proposant et faisant voter la loi du 19 mars 1817, laquelle, en modifiant les articles 115 et 160 du Code de commerce, a fait disparaître des difficultés qui divisaient les Cours. Ce que nous venons de dire ne s’applique qu’aux lois et non à la Constitution, dont les articles peuvent être interprétés par le Sénat, aux termes de l’art. 27, § 3 de la Constitution.

Nous devons faire observer, en terminant le chapitre consacré au Pouvoir législatif, que nous n’avons entendu parler que de son organisation actuelle. Quelle qu’ait été la forme pins ou moins régulière des différents pouvoirs qui ont gouverné la France depuis la révolution de 1789, leurs actes ont eu force obligatoire et l’ont encore, à moins qu’ils n’aient été abrogés formellement ou implicitement (v. no 87), ou qu’ils n’aient eu qu’un intérêt de circonstance. Cette observation s’applique même aux actes des gouvernements dits provisoires qui n’existent que pendant quelques jours, et dont la mission est de faciliter la transition d’un gouvernement à l’autre.


  1. Const., art. 8 et 30. — Decr. du 31 déc. 1852, art. 24 et suiv. — Ib., art. 1 à 6. — Décr. du 25 janv. 1852, art. 1 et 12. — Décr. du 30 janv. 1852, art. 1 à 8, 11, 12, 13.
  2. Voici la formule telle qu’elle est prescrite par le décret du 2 décembre 1852 :
    « N. (prénom de l’Empereur), par la grâce de Dieu et la volonté nationale, Empereur des Français, à tous présents et à venir, salut. — Avons sanctionné et sanctionnons, promulgué et promulguons ce qui suit. » Viennent ensuite l’extrait du procès-verbal du Sénat, si c’est un sénatus-consulte, du procès-verbal du Corps législatif et du Sénat, si c’est une loi, puis le mandement suivant : « Mandons et ordonnons que les présentes, revêtues du sceau de l’État est insérées au Bulletin des Lois, soient adressées aux cours et tribunaux et aux autorités administratives, pour qu’ils les inscrivent sur leurs registres, les observent et les fassent observer ; et notre ministre secrétaire d’État au département de la justice est chargé d’en surveiller la publication. Fait, etc. ».
  3. Le Bulletin des Lois a été créé en l’an II par la Convention. Il était envoyé dans toutes les communes. Mais un décret du 2 février 1852 le remplace, pour les communes non chefs-lieux de canton, par une feuille contenant les lois, décrets et instructions du gouvernement, ou une analyse sommaire de ces différents actes.
  4. Le jour qui suit la promulgation doit être un jour franc. (Avis du Conseil d’État du 24 février 1817.) Ainsi, quand la date de la réception du Bulletin, qui est indiquée au bas de chaque loi, est le 1er d’un mois, la loi n’est obligatoire que le 3 au plus tôt. Les lois sont indiquées dans le Bulletin officiel tantôt par une, tantôt par plusieurs dates, suivant le régime auquel elles appartiennent ; quand il y en a plusieurs, la dernière est celle de la promulgation. Malgré l’importance de cette dernière date, nous indiquons les lois par la première, afin de faciliter les recherches.
  5. Arrêts du 22 messidor an III, du 18 janv. 1818 sur l’abrogation de certaines dispositions de l’ord. de 1673. — Req. 14 juillet 1825 (Cosdon), sur la loi du 25. vent. an XI.
  6. Duverg. sur Toullier, no 162. — Zachariae, t. 1, p. 29. — Demolombe, t. 1, no 35.
  7. C. C. crim., 21 déc. 1850, Laviec. — Id., 6 déc. 1851, Vuillemin. — Une circulaire du ministre de l’intérieur, du 4 mars 1848, s’étant prononcée pour l’abrogation implicite de la loi de 1814, une circulaire du ministre des travaux publics du 20 mars 1849 et une autre du ministre de l’intérieur du 15 déc. 1851, sans aborder directement la question, l’ont cependant tranchée en ordonnant la suspension des travaux publics les dimanches et les jours fériés. (D. pér. 48. 3. 81, et 49. 3. 46.)
  8. V. en outre, comme renvoyant aux usages locaux, les art. 590, 593, 663, 1738, 1753, 1754, 1755, 1758, 1759, 1777 du Cod. Nap.
  9. La Cour de cassation a décidé, toutes chambres réunies, le 5 fév. 1844 (Corneille), que l’édit de 1607 était devenu obligatoire pour toute la France, en vertu de la loi du 19 juill. 1791, t. 1, art. 29, sans distinction du pays où il avait ou non reçu la formalité de l’enregistrement.