De l’imprimerie de l’auteur (p. 1-9).

ZOLOÉ
ET
SES DEUX ACOLYTHES.

Portraits.


Zoloé sur les limites de la quarantaine n’en a pas moins la prétention de plaire comme à vingt cinq ans. Son crédit attire sur ses pas la foule des courtisans, et supplée, en quelque sorte, aux graces de la jeunesse. À un esprit très-fin, un caractère souple ou fier selon les circonstances, un ton très-insinuant, une dissimulation hypocrite, consommée ; à tout ce qui peut séduire et captiver, elle joint une ardeur pour les plaisirs cent fois plus vive que Lauréda, une avidité d’usurier pour l’argent qu’elle dissipe avec la promptitude d’un joueur, un luxe effréné qui engloutirait le revenu de dix provinces.

Zoloé n’a jamais été belle ; mais à quinze ans, sa coqueterie déjà rafinée, cette fleur de jeunesse qui souvent sert de passeport à l’amour, de grandes richesses avaient attaché à son char un essaim d’adorateurs.


Loin de se disperser par son mariage avec le comte de Barmont, avantageusement connu à la cour, ils jurèrent tous de n’être pas malheureux ; et Zoloé, la sensible Zoloé ne put consentir à leur faire violer leur serment. De cette union sont nés un fils et une fille, aujourd’hui attachés à la fortune de leur illustre beau-père.

Zoloé a l’Amérique pour origine. Ses possessions dans les colonies sont immenses. Mais les troubles qui ont désolé ces mines fécondes pour les Européens, l’ont sévrée du produit de ses riches domaines, qui eût été si nécessaire ici pour alimenter sa prodigue magnificence.


Lauréda justifie l’opinion que l’on a conçu de la nation espagnole : elle est tout feu et tout amour. Fille d’un comte de nouvelle date, mais extrêmement riche, sa fortune lui permet de satisfaire tous ses goûts et son penchant décidé pour la singuliarité. Trois demeures dans différens quartiers les plus agréables de la capitale sont tour à tour les sanctuaires où elle va sacrifier sur l’autel du plaisir. Également éprise et des lubricités d’Ovide, et des fureurs de Sapho, elle a épuisé toutes les combinaisons de la volupté.

Lauréda n’a conservé de sa première beauté qu’une taille avantageuse, de belles dents, un bras charmant : mais les ans, et plus encore la fatigue des jouissances outrées, ont fait, sur son teint et ses traits, des ravages cruels que l’art de la toilette, le savant mélange du blanc et du rouge ne peut réparer. Ce n’est guères que dans la liqueur des petits soupers que ses yeux lancent encore de ces éclairs qui embrâsent le cœur d’un amant.

À son lever, Lauréda annonce trente ans ; dans l’éclat de sa parure, elle paraît en avoir dix de moins. Mais ce que le tems ne saurait lui ravir, c’est un excellent cœur, un zèle officieux qui se prête volontiers à obliger par son crédit et sa bourse même ; c’est infiniment d’amabilité envers tout le monde.

On se persuaderait, en la voyant sans cesse entourée du cortège des plaisirs, qu’elle est heureuse ; hélas ! elle porte dans son sein un ver rongeur, le regret mortel d’avoir admis, pour époux, un homme confondu autrefois dans l’obscurité de la valetaille. Elle a beau ombrager, chaque jour, le front de cet insolent parvenu de ce panache qui ne blesse que l’amour-propre : une rupture amiable, un divorce même consenti pour la paix commune n’a pu faire oublier à la méchanceté qu’elle a porté l’ignoble nom de Fessinot.


Volsange avait épousé non le marquis d’Obzembak, capitaine des Suisses, noble et vaillant comme Tancrède, mais sa fortune. Les liaisons du sang avec Zoloé ont renforcé les nœuds de la sympathie entre ces deux femmes.

Vive, quoique déjà près d’atteindre son sixième lustre, enjouée et folâtre ; comme sa cousine ? elle n’a d’autre dieu que sa personne, d’autre bonheur que celui de jouir, d’autre tourment que la soif de l’or pour assouvir ses fantaisies et ses sens dévorés de convoitise.

Des hommes assez lâches pour abandonner la patrie malade à des empyriques, à des insensés qui l’ont tuée sous pretexte de la sauver, lui ont reproché d’avoir déserté leur parti. Elle se venge noblement de cette injuste prévention en servant avec courage, avec chaleur, les victimes de l’anarchie, les peureux, et ceux même qui ont à rougir de leur exaspération.

La beauté n’est rien ; ce n’est que le soufle de la nature ; quelques années l’ont bientôt flétrie ; cependant combien elle a de charmes pour nous séduire !

On ne peut l’entendre, sans être enchanté : tel est l’effet magique que produit la présence de Volsange. Elle porte sur un corps superbe, élevé, une tête noble et pleine de graces. Sur son aimable visage et sur toute sa personne, sont réunis les attraits les plus piquans : bouche divine, front couronné d’une riche chevelure ; des yeux d’où jaillissent mille traits de flamme, un sein que ne peut contenir un voile jaloux, un pied dessiné par l’amour… que d’autres achèvent le tableau, je brise mes crayons, ils sont impuissans pour le rendre. Le jeu de sa physionomie annonce infiniment de finesse, de pénétration et de résolution. Son regard, comme celui de l’aigle, fixe avec rapidité. Avec autant de moyens, quand on se jète dans la carrière de l’intrigue, on marque dans la société, on se fraie un chemin aux emplois, au crédit qui les obtient ; on se fait nombre de partisans et d’envieux.

Les exploits de Volsange dans les galantes escarmouches mettent son nom au dessus de ce qu’il y a eu de plus fameux dans le genre : elle mérite, et par le nombre, et par la variété, et par la quantité des heureux qu’elle a faits, de figurer avec honneur dans la fédération de Zoloé et Lauréda.

Mais quel est le trait d’union assez fort pour entretenir une si parfaite harmonie entre ces trois têtes si différemment organisées, entre ces prêtresses de l’amour souvent rivales ? le plaisir. Eh ! n’est-ce pas lui, n’est-ce pas l’intérêt personnel que l’on honore, dans les trois quarts des hommes, du beau nom d’amitié ? D’ailleurs, de quoi n’est pas capable l’incomparable d’Orbazan ? c’est lui le feu régénérateur du trio féminin. Il en est comme le moteur suprême ; il appaise, irrite, contriste, égaie, refroidit, échauffe, à son gré, ces ames versatiles à toutes les passions qu’on leur suggère. Ainsi se trouve résolu par la dextérité de cet adroit Mentor, le problême de trois femmes parfaitement et longtems unies de la plus étroite amitié.

Que l’on nous pardonne ces détails : ils vont nous conduire à démêler ce que présenteraient d’obscur les faits qui vont suivre. Nous imitons les peintres ; nous esquissons les traits principaux des personnages, avant de les représenter en action.