Zevaco - Triboulet/Chapitre 8

Triboulet (1901)
A. Fayard (p. 41-50).


VIII

LES DEUX PÈRES


Le lendemain, la porte du vaste et somptueux cabinet où François Ier avait coutume de recevoir ses courtisans ne s’ouvrait point.

Le roi voulait être seul…

Le roi méditait…

D’étranges bruits circulaient dans le Louvre…

On se racontait qu’une jeune fille d’une éclatante beauté avait été amenée dans la nuit au Louvre, que les dames d’honneur avaient été réveillées, qu’un appartement avait été mis à la disposition de cette inconnue…

Les uns souriaient et demandaient ce qu’en pensait Mme la duchesse d’Etampes, favorite en titre du roi François. D’autres hochaient gravement la tête… On disait le roi fort troublé…

Chose extraordinaire : il ne s’était point couché.

M. de Bassignac, son valet de chambre, avait passé la nuit dans l’antichambre, attendant vainement les ordres de Sa Majesté…

À l’aube[1], le roi s’était rendu dans son cabinet, défendant qu’on le dérangeât.

C’est dans ce cabinet que nous conduisons les bienveillants lecteurs qui ont la courtoisie de s’intéresser aux fait et gestes de nos personnages ; faits et gestes, disons-le en passant, dont nous ne voulons être qu’un narrateur fidèle. Hélas les drames que nous allons raconter ne suffisent que trop à leur propre intérêt et n’ont nul besoin de nos commentaires !

Le roi s’était approché du grand feu clair qui brillait et pétillait dans la vaste cheminée. Il tendait sa main vers la flamme, comme s’il eût eu grand froid. Par moment, il grelottait.

Il était sombre, pensif, mâchonnait de sourdes paroles.

Puis il se levait, se promenait avec agitation. Puis, s’arrêtait, murmurant :

— C’est ma fille !…

Et une sorte de stupeur mêlée de colère et d’angoisse se peignait sur son visage pâli.

Tout à coup, il appela… Bassignac se précipita.

— Qu’on délivre mon bouffon, dit tranquillement François Ier, et qu’il soit ici dans une heure : que, s’il veut sortir du Louvre, on l’en empêche… Faites venir mon garde des sceaux…

Cinq minutes plus tard, le garde des sceaux était devant le roi.

— Monsieur, dit celui-ci, vous allez me préparer et me présenter à signer des lettres de noblesse pour…

Il s’arrêta, hésita, reprit sa promenade saccadée… Le garde des sceaux attendait silencieux.

Et ce ne fut qu’au bout de dix longues minutes que le roi reprît, d’une voix précipitée :

— Pour demoiselle Gillette, dite Gillette Chantelys… je la crée duchesse… en attendant !… Mettez sur les lettres que je lui donne mes domaines de Fontainebleau… Allez, monsieur !

Le garde des sceaux sortit sans mot dire, et aussitôt l’étrange nouvelle de cet événement se répandit dans le Louvre comme une traînée de poudre.

Le roi avait poussé un soupir de soulagement.

Puis il reprit sa place devant le feu, et plongé dans une méditation obstinée, il perdit la notion du temps… Une voix, soudain, le fit tressaillir, une voix qu’il ne connaissait pas…

— Sire, vous m’avez commandé de venir vous trouver… Me voici.

— Qui est entré ?… Oui parle sans mon ordre ?…

Il se retourna et demeura stupéfait :

Trihoulet était devant lui…

— C’est toi, bouffon !..

— Non, sire. L’homme qui est devait vous n’est pas le bouffon du roi : c’est Fleurial[2], honnête sujet venu pour demander justice…

Le roi examina Triboulet avec un profond étonnement.

Triboulet était méconnaisable.

Il avait, dans la chambre qu’il habitait au Louvre dépouillé son costume de bouffon. Il était vêtu comme un bourgeois aisé qui eût été en deuil ; son habit de drap noir, son pourpoint de velours, la toque noire qu’il tenait à la main faisaient ressortir l’effrayante pâleur de son visage. Une sérénité douloureuse remplaçait le masque d’ironie acerbe que lui connaissait le roi. Ses yeux secs et fiévreux étaient cernés. Sa voix aigre était devenue grave, on eût dit que les sanglots l’avaient brisée, tant il y avait de douceur dans cette gravité… Il se tenait droit et ferme… C’est à peine si on s’apercevait alors qu’il avait une épaule déviée…

Le bouffon avait disparu : c’était un homme qui se tenait devant le roi. François Ier, son premier étonnement passé, eut un geste de mépris

Bouffon, dit-il avec ce sourire de dédain qui lui était habituel, bouffon, je te pardonne ton incartade d’hier, à condition pourtant que tu ne continues pas cette farce… Va, bouffon, va reprendre tes insignes, et reviens aussitôt. Tu me distrairas… Je m’ennuie, ce matin…

Triboulet avait écouté, les yeux baissés, les mains tremblantes…

Voici ce qu’il répondit :

Sire, qu’avez-vous fait de ma fille Gillette ?

En un instant le roi fut debout.

Il saisit violemment le bras de Triboulet.

Son visage bouleversé de colère, d’étonnement, de mille sentiments contraires, s’approcha du visage calme et douloureux de Triboulet.

— Misérable fou ! bégaya-t-il d’une voix presque inintelligible, tu dis… répète… tu oses dire !

— Sire, le désespoir d’un père ne connaît pas les limites de l’audace. Je dis : sire, qu’avez-vous fait de Gillette, ma fille ?

Le roi grinça des dents. Il secoua frénétiquement le bras de Triboulet. Il dit :

— Ta tête au bourreau, vil bouffon, si jamais qui que ce soit au monde a entendu ce que tu viens de dire !

— Sire ! Mon enfant ! Je veux mon enfant !

Triboulet s’exaltait… une sorte de folie troublait maintenant son regard.

D’une voix plus basse encore, plus âpre, plus formidable de fureur concentrée, le roi ajouta :

— Tu mens ! Tu mens ! Gillette n’est pas, Gillette ne peut pas être la fille d’un bouffon !

— Pourquoi, sire ? Pourquoi ? interrompit Triboulet éperdu.

— Parce qu’elle est fille de roi, entends-tu, misérable… parce qu’elle est ma fille… à moi !

Triboulet chancela, saisi de vertige.

Une joie immense et délirante, une douleur mortelle ces deux sentiments se ruèrent ensemble, à la même seconde sur son cœur affolé.

La joie !… Gillette était respectée, Gillette était pure… puisque le roi, son ravisseur, était son père !

La douleur !… Gillette n’était plus sa fille, à lui… puisqu’elle était la fille de François Ier.

Et tout d’abord, la joie l’emporta, déborda en tumulte, en véritables rafales.

Il se laissa tomber à genoux, écrasé sur le parquet.

— Sire ! Oh ! Sire ! Soyez béni ! Comme vous êtes noble et généreux de me faire savoir que mon enfant… mon pauvre ange… si pur… n’a pas subi la déchéance ! Elle est pure… Et moi, je m’étais figuré hier… oh ! je suis fou… je ris… je pleure… ne faites pas attention sire… Supposez le condamné qui, dans sa prison, attend le bourreau… La prison s’ouvre… ce n’est pas le bourreau… c’est la grâce ! c’est la vie ! Concevez-vous la joie… Je suis ce condamné, sire !… Ah ! je n’en puis plus de joie ! Cela me suffoque ! Je vous bénis, sire ! Étais-je bête ! Étais-je stupide ! Moi qui croyais qu’un caprice… un amour poussait mon roi vers ma fillette ! Triple niais ! Sacrilège ! C’était un père qui voulait sa fille ! N’est-ce pas naturel ? Elle est pure ! Ce n’étaient pas des regards de désir qui étaient tombés sur elle ! Sauvée ! Ah ! sire ! Peut-on, sans mourir, éprouver des joies pareilles…

Triboulet sanglotait doucement.

Il ne criait pas… ses paroles coulaient, tremblantes, parmi des soupirs…

Et, tandis que le roi, sombre, convulsé à l’évocation de son amour… de son caprice ! regardait Triboulet écroulé à ses pieds, le malheureux continuait :

— Fille de roi ! Parbleu ! Je m’en doutais ! Je me disais bien, aussi !… Elle est si belle… C’est une couronne qu’il faut à ce front-là ! Et ces beaux cheveux d’or, mademoiselle, croyez-vous qu’ils vont resplendir sous les perles et les diamants ! Vous êtes la fille d’un roi ! Ah ! ah ! Que dites-vous de cela ? Vous vous imaginiez être une pauvre fille perdue… recueillie par un bourgeois médiocre… Eh bien, pas du tout, mademoiselle ! Vous êtes la fille du roi !…

Tout à coup, le roi prononça :

— Relève-toi, bouffon !

Une affreuse angoisse étreignit le cœur de Triboulet.

Envolée, sa joie ! Effondrée, la surhumaine joie !

Et ceci, avec une effrayante lucidité, se dressa devant son esprit :

Gillette était la fille du roi. Et lui, le bouffon du roi !

Il était debout, maintenant, suivant d’un œil qui eût attendri des tigres la marche saccadée de François Ier qui, les mains au dos, la tête penchée, allait et venait.

— Raconte-moi tout, dit alors le roi. Tout ! N’omets pas un détail… Où, quand, comment l’as-tu connue ?…

Le visage de Triboulet s’éclaira…

Qui savait ! Peut-être le roi allait-il lui laisser Gillette !

Et alors ! Oh ! alors ! Quelles délices de bonheur et d’orgueil dans son cœur paternel !

— Voilà, sire, dit-il avec volubilité. Vous vous rappelez Mantes, n’est-ce pas ?… Il y a dix ans… un jour… vous passiez dans cette ville.. Je commis je ne sais quelle impertinence… Cela se passait dans la rue… près d’une vieille porte en ruine, d’où pendaient deux énormes chaînes. Alors, sire, en manière de punition plaisante, vous me fîtes attacher à ces chaînes, et vous ordonnâtes de m’y laisser deux jours… Vous vous rappelez bien, sire ?… Moi, je m’en souviendrai pendant des siècles… Heure bénie où je fus enchaîné à la vieille porte de Nantes, et exposé à la ville entière en objet de dérision… Vous rappelez-vous, sire ?

— Passe ! dit François Ier.

— Je fus donc enchaîné, sire… Oh ! Je ne me plains pas… vous eûtes mille fois raison… La ville entière défila devant moi… J’étais plein de honte et de rage… j’étais mortellement triste… Les hommes riaient… les enfants poussaient des huées et me jetaient des pierres… Voyez-vous, sire, j’ai encore la cicatrice, là… au-dessus du sourcil droit… une des pierres…

Le doigt tremblant de Triboulet se posa sur la cicatrice.

Le roi demeura glacial.

— Blessure bénie, heureuse blessure ! C’est pour vous dire, sire… Je me rappelle encore ceci : une très jolie femme excita son chien contre moi… le chien vint en grondant s’arrêter près de moi… Je le regardai… et alors, il me lécha les mains, sire… La jolie femme le battit… pauvre bête !

— Passe ! dit le roi d’une voix sourde.

— C’est pour vous expliquer, sire… je n’ai pas oublié un détail… Pas de danger que j’oublie… jamais ! jamais ! Le soir venait… Je me sentais triste à la mort… La cruauté des hommes m’épouvantait… Mon cœur se remplissait de fiel et je maudissais ma mère d’avoir mis au monde un être aussi malheureux. Il y avait devant moi plus de cinq cents personnes, femmes, seigneurs, bourgeois, enfants… et les huées redoublaient, lorsque, tout à coup, je vis venir à moi… Ah ! sire… pardonnez… Mon cœur défaille à ce souvenir…

Triboulet s’arrêta, haletant.

Cette fois, le roi garda le silence.

— Une fillette, sire… figurez-vous un petit ange… des cheveux sur ses épaules, des cheveux qui étaient comme une auréole… des yeux si doux… si doux… que ma gorge se serre, rien qu’à me rappeler cette ineffable douceur… La foule disait : « C’est Gillette… C’est la petite marchande de lys… c’est Gillette Chantelys. » En effet, elle tenait une grosse gerbée de lys dans ses deux bras… Elle vint vers moi… Ah ! sire… un flot de méchanceté monta à ma tête enfiévrée… Je grondai : « Que veux-tu, toi aussi ! Tu viens me frapper, dis ? » Elle me sourit, laissa tomber sa gerbe de lys… et puis, elle essuya mon visage… J’étais tremblant, bouleversé… Alors elle s’appuya contre moi, regardant la foule de ses yeux clairs, comme pour me défendre, me protéger… Et la foule cria : Noël ! Et les hommes applaudirent… des femmes pleurèrent…

Triboulet s’arrêta encore ; l’émotion l’étouffait.

— Continue ! dit froidement François Ier.

— Que vous dire, Majesté !. Le lendemain, lorsque je fus détaché, Gillette vint à moi et, avec un geste d’une grâce adorable, m’offrit un de ses lys… Pauvre lys flétri ! Je l’ai gardé dans un vieux livre d’images… Et, parfois encore, lorsque mon cœur saigne, je vais le regarder et déposer un baiser sur sa blancheur jaunie… J’interrogeai la petite marchande… Elle m’apprit qu’elle venait de Blois… que depuis plus d’un an elle habitait Mantes… seule, toute seule… vivant de la charité publique…

— De la charité publique ! murmura le roi dans un râle…

— Elle ne se souvenait presque plus de sa mère… disparue ! Elle n’avait jamais connu son père… Je lui demandai si elle voulait venir avec moi… Elle leva vers moi un regard profond et me dit : « Oui… parce vous êtes malheureux comme moi… » Dès lors, elle devint mon enfant chérie, le trésor de ma vie… Peu à peu, elle oublia l’incident qui avait lié nos destinées… elle ne vit plus en moi que son père adoptif… Elle me croit un bon bourgeois de Paris… Je l’ai élevée… dans cette petite maison de l’enclos du Trahoir… où je vais la voir dès que je puis m’échapper du Louvre… Voilà tout, sire. Elle est ma consolation suprême, ma joie ; un seul de ses regards me transporte lorsque j’ai bien souffert ; il suffit que ses deux bras se nouent autour de mon cou et qu’elle m’appelle « Père ! » pour que j’oublie souffrance, terre et ciel ! Voilà tout, sire.

François Ier jeta sur Triboulet un regard où il y avait une inexprimable expression d’un sentiment confus qui était peut être de la jalousie, ou peut-être de l’orgueil froissé…

Il garda quelques minutes le silence, tandis que Triboulet l’examinait avec une angoisse d’inquiétude grandissante…

Le roi, enfin, s’arrêta devant lui, et glacial, méprisant :

— C’est bien… tu peux aller revêtir ta livrée…

Voilà tout ce que François Ier trouvait à répondre à ce père !…

Triboulet ne broncha pas.

— M’as-tu entendu, bouffon ?

— Sire ! Vous n’avez donc pas entendu, vous, le cri de mon cœur ! Je ne vous ai donc pas fait comprendre que Gillette… c’est ma vie !…

— Bouffon ! Je te pardonne d’avoir osé toucher, ne fût-ce que du bout des doigts, la fille du roi de France… Tu ne savais pas… Mais que ce soit fini !… Gillette n’est plus… Que jamais tes yeux ne se lèvent désormais sur la nouvelle duchesse… la duchesse de Fontainebleau. Je te défends de lui dire un mot ! Il y va de ta tête…

— Sire ! balbutia Triboulet… Ce n’est pas possible… un tel martyre… mais je l’aime, moi !…

— Assez !… Que ta pensée même efface jusqu’au souvenir du passé !

— Oh ! défendez-moi donc de penser et de sentir ! Arrachez-moi le cœur !

— Un mot de plus, bouffon, — et c’est la Bastille pour le restant de tes jours.

Le bouffon frissonna…

La Bastille… L’éternelle séparation !

Le roi eut un rire qui résonna affreusement dans la tête de Triboulet.

— Oh ! sanglota-t-il éperdu, ne plus la revoir… Être à jamais séparé d’elle… Sire ! sire ! je ferai ce que vous voudrez ! Laissez-moi ici… Par pitié ! Laissez-moi la voir… Tenez, sire, je ne lui parlerai plus ! La voir seulement ! Ne fût ce que de loin !

— Tu la verras. Dans quelques jours, je donne une fête pour la présenter à la cour… Tu seras de la fête, Triboulet. Il n’y a pas de fête complète sans bouffon ! Et surtout sans bouffon tel que Triboulet !

— Je serai de la fête ! balbutia le malheureux dont la tête s’égarait.

— Sans doute ! ricana le roi.

— Et il faudra que je remplisse mon office !

— Pourquoi non ?

— Devant elle !

— Ça, bouffon, que signifient ces jérémiades ?…

François Ier éprouvait une cruelle jouissance du supplice qu’il infligeait à son fou. C’était sa vengeance Triboulet, un bouffon, un être méprisé, l’objet de l’universelle dérision, Triboulet avait pu serrer Gillette dans ses bras ! Triboulet était aimé comme un père !

Il fallait faire à jamais rentrer le misérable fou dans son ombre… Il fallait creuser entre lui et la fille du roi un abîme infranchissable…

La duchesse de Fontainebleau frémirait de honte… quand elle saurait que celui qu’elle appelait « son père » s’appelait Triboulet !

— Rappelle-toi ce que je t’ai dit, reprit le roi avec le même calme dédaigneux : qu’un seul mot, qu’un seul de tes regards révèle à qui que ce soit le passé que tu m’as raconté, et c’est pour toi la Bastille, sinon la corde ! La Duchesse de Fontainebleau, la fille du roi, n’a rien de commun avec la petite Gillette Chantelys…

— Faire le bouffon devant elle ! murmura Triboulet qui, peut-être, n’avait pas entendu… Impossible ! Être insulté devant-elle ! Bafoué devant elle ! Non… Voyons, c’est de la folie ! Cela ne se peut pas…

Et il supplia :

— Sire, plaise à Votre Majesté de me relever de ma charge… J’aime mieux disparaître… ne plus la voir !

Le roi, qui avait repris sa promenade, s’arrêta, tourna le dos à Triboulet, et, sans même le regarder, ordonna :

— Bouffon… sois ici dans dix minutes, avec ta livrée…

— Sire !… Vous n’avez donc pas d’entrailles ! Pas de cœur !

Le roi se retourna vers le bouffon.

Il allongea le bras et dit :

— Va !…

Triboulet, hagard, pâle comme un mort, recula lentement… disparut…

Vaincu ?

Nous le saurons bientôt !




Au moment où Triboulet, chancelant de désespoir, se retirait et allait remettre sa livrée de bouffon, le comte de Monclar entrait dans l’antichambre…

— Annoncez-moi au roi, dit-il à Bassignac.

— Le roi ne veut voir personne, répondit le valet de chambre.

— Oui, mais moi, il me recevra… Allez…

Et le grand prévôt ajouta entre ses dents :

— Je ne suis pas un homme, moi ! Je suis la Vindicte royale… toujours bienvenue !

En effet, quelques instants plus tard, Monclar entrait chez le roi.

— Eh bien ! ce truand ? demanda le roi avec une réelle angoisse d’impatience.

— Il est pris, sire.

— Pris ! s’écria François Ier rayonnant… Bravo, Monclar ! J’espère que vous avez pendu le drôle séance tenante !… Pas d’inutile procès… Il y a flagrant délit de rébellion et d’insulte au roi…

— J’ai fait mieux, sire ! dit le grand prévôt avec un sourire sinistre. Votre Majesté m’avait demandé quelque bon supplice pour ce misérable…

— Voyons le supplice… Je sais que vous êtes expert, Monclar…

— J’ai enfermé l’homme dans le charnier de Montfaucon, dit le grand prévôt avec une tranquillité terrible : j’ai placé dix gardes devant la porte de fer, et j’ai commandé qu’on n’ouvrît pas avant huit jours… Votre Majesté trouve t-elle que le supplice est suffisant ?

— Horrible ! murmura le roi, qui devint un peu pâle.

— Si Votre Majesté le désire, je vais faire ouvrir, et le drôle sera pendu au-dessus… du logis qu’il occupe en ce moment.

Le roi regarda Monclar d’un œil singulier.

— Croyez-vous qu’il souffrira longtemps ?…

— Pas plus de quatre à cinq jours… la faim et la soif tuent assez vite… j’ai fait sur ce sujet de curieuses expériences…

Le roi frissonna.

— Faut-il ouvrir, sire ?

— Puisque c’est commencé, balbutia le roi… autant cette mort… qu’une autre !

— C’est mon avis, dit froidement Monclar.

— N’en parlons plus, comte !

— Il suffit, sire… Votre Majesté a promis de recevoir le vénérable père Ignace de Loyola…

— C’est vrai… Il est là ? dit François avec une sorte de malaise.

— Il est entré au Louvre en même temps que moi.

— Faites-le introduire…

  1. D’après le récit qu’en fit Bassignac au jeune seigneur de Brantôme, toujours à l’affût des potins de cour.
  2. Véritable nom de Triboulet.