XII Élégies/Texte entier

Le Cercle lyonnais du livre (p. Couv.).


XII
ÉLÉGIES
DE MARCELINE
DESBORDES-VALMORE
LITHOGRAPHIES
PAR
CHARLES GUÉRIN
LYON
LE CERCLE LYONNAIS DU LIVRE
1925



Le feuillet justificatif du
tirage, isolé à la fin de ce
volume, est destiné aux
XII Élégies de Marceline
Desbordes-Valmore


XII ÉLÉGIES



EXEMPLAIRE IMPRIMÉ
POUR
M. VICTOR BLANCHET


XII
ÉLÉGIES
DE MARCELINE
DESBORDES-VALMORE
LITHOGRAPHIES
PAR
CHARLES GUÉRIN
LYON
LE CERCLE LYONNAIS DU LIVRE
1925



LA FIDÈLE




SI j’étais la plus belle
Comme la plus fidèle,
Je le serais pour toi !
Si j’étais souveraine,
Le roi de cette reine,
Tu le serais par moi !

S’il te prenait l’envie
De demander ma vie
Pour te faire un beau jour,
Cette vie ignorée,
À l’amour consacrée,
Tu l’aurais, mon amour !


Et si tu disais : « Donne
Beauté, vie et couronne,
Pour aimer celle-là,
Cette seule que j’aime… »
À cette autre toi-même,
Je dirais : « Les voilà ».

Car s’il est doux de vivre
Pour s’attendre ou se suivre
Dans le même désir,
Pour une âme enflammée,
Vainement consumée,
Il est mieux de mourir.


LA SINCÈRE




VEux-tu l’acheter ?
Mon cœur est à vendre.
Veux-tu l’acheter,
Sans nous disputer ?

Dieu l’a fait d’aimant ;
Tu le feras tendre ;
Dieu l’a fait d’aimant
Pour un seul amant !


Moi, j’en fais le prix ;
Veux-tu le connaître ?
Moi, j’en fais le prix ;
N’en sois pas surpris.

As-tu tout le tien ?
Donne ! et sois mon maître.
As-tu tout le tien,
Pour payer le mien ?

S’il n’est plus à toi,
Je n’ai qu’une envie ;
S’il n’est plus à toi,
Tout est dit pour moi.

Le mien glissera,
Fermé dans la vie ;
Le mien glissera,
Et Dieu seul l’aura !


Car, pour nos amours,
La vie est rapide ;
Car, pour nos amours,
Elle a peu de jours.

L’âme doit courir
Comme une eau limpide ;
L’âme doit courir,
Aimer ! et mourir.



AMOUR




CE que j’ai dans le cœur, brûlant comme notre âge,
Si j’ose t’en parler, comment le définir ?
Est-ce un miroir ardent frappé de ton image ?
Un portrait palpitant né de ton souvenir ?

Vois ! je crois que c’est toi, même dans ton absence,
Dans le sommeil ; eh quoi ! peut-on veiller toujours ?
Ce bonheur accablant que donne ta présence,
Trop vite épuiserait la flamme de mes jours.


Le même ange peut-être a regardé nos mères ;
Peut-être une seule âme a formé deux enfans.
Oui ! la moitié qui manque à tes jours éphémères,
Elle bat dans mon sein où tes traits sont vivans !

Sous ce voile de feu j’emprisonne ta vie :
Là, je t’aime, innocente, et tu n’aimes que moi :
Ah ! si d’un tel repos l’existence est suivie,
Je voudrais mourir jeune, et mourir avec toi !



LES ROSES DE SAADI




J’Ai voulu ce matin te rapporter des roses ;
Mais j’en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les nœuds trop serrés n’ont pu les contenir.

Les nœuds ont éclaté. Les roses envolées
Dans le vent, à la mer, s’en sont toutes allées.
Elles ont suivi l’eau pour ne plus revenir ;

La vague en a paru rouge et comme enflammée,
Ce soir, ma robe encore en est tout embaumée…
Respires-en sur moi l’odorant souvenir.



LA JEUNE FILLE ET LE RAMIER




LEs rumeurs du jardin disent qu’il va pleuvoir ;
Tout tressaille, averti de la prochaine ondée ;
Et toi qui ne lis plus, sur ton livre accoudée,
Plains-tu l’absent aimé qui ne pourra te voir ?

Là-bas, pliant son aile et mouillé sous l’ombrage,
Banni de l’horizon qu’il n’atteint que des yeux,
Appelant sa compagne et regardant les cieux,
Un ramier, comme toi, soupire de l’orage.


Laissez pleuvoir, ô cœurs solitaires et doux !
Sous l’orage qui passe il renaît tant de choses.
Le soleil sans la pluie ouvrirait-il les roses ?
Amants, vous attendez ! de quoi vous plaignez-vous ?



SANS L’OUBLIER




SAns l’oublier on peut fuir ce qu’on aime,
On peut bannir son nom de ses discours,
Et de l’absence implorant le secours,
Se dérober à ce maître suprême,
Sans l’oublier !

Sans l’oublier j’ai vu l’eau dans sa course,
Porter au loin la vie à d’autres fleurs :
Fuyant alors le gazon sans couleurs,
J’imitai l’eau fuyant loin de la source,
Sans l’oublier.

Sans oublier une voix triste et tendre,
Oh ! que de jours j’ai vu naître et finir !
Je la redoute encor dans l’avenir :
C’est une voix que l’on cesse d’entendre,
Sans l’oublier !



JE NE SAIS PLUS. JE NE VEUX PLUS




JE ne sais plus d’où naissait ma colère ;
Il a parlé… Ses torts sont disparus,
Ses yeux priaient, sa bouche voulait plaire ;
Où fuyais-tu, ma timide colère ?
Je ne sais plus.

Je ne veux plus regarder ce que j’aime ;
Dès qu’il sourit, tous mes pleurs sont perdus :
En vain par force ou par douceur suprême,
L’Amour et lui veulent encor que j’aime :
Je ne veux plus.


Je ne sais plus le fuir en son absence,
Tous mes sermens alors sont superflus.
Sans me trahir j’ai bravé sa présence ;
Mais sans mourir supporter son absence,
Je ne sais plus !



LE SOUVENIR




ÔDélire d’une heure auprès de lui passée,
Reste dans ma pensée !
Par toi tout le bonheur que m’offre l’avenir
Est dans mon souvenir.

Je ne m’expose plus à le voir, à l’entendre,
Je n’ose plus l’attendre !
Et si je puis encor supporter l’avenir,
C’est par le souvenir.


Le temps ne viendra pas pour guérir ma souffrance !
Je n’ai plus d’espérance !
Mais je ne voudrais pas, pour tout mon avenir,
Perdre le souvenir !



QU’EN AVEZ-VOUS FAIT ?




VOus aviez un cœur,
Moi, j’avais le vôtre :
Un cœur pour un cœur,
Bonheur pour bonheur !

Le vôtre est rendu,
Je n’en ai plus d’autre ;
Le vôtre est rendu,
Le mien est perdu !


La feuille et la fleur
Et le fruit lui-même,
La feuille et la fleur,
L’encens, la couleur,

Qu’en avez-vous fait,
Mon maître suprême ?
Qu’en avez-vous fait,
De ce doux bienfait ?

Comme un pauvre enfant
Quitté par sa mère,
Comme un pauvre enfant
Que rien ne défend,

Vous me laissez là
Dans ma vie amère,
Vous me laissez là,
Et Dieu voit cela !


Savez-vous qu’un jour
L’homme est seul au monde ?
Savez-vous qu’un jour
Il revoit l’Amour ?

Vous appellerez,
Sans qu’on vous réponde,
Vous appellerez,
Et vous songerez !…

Vous viendrez rêvant
Sonner à ma porte,
Ami comme avant,
Vous viendrez rêvant.

Et l’on vous dira :
« Personne !… elle est morte ».
On vous le dira,
Mais, qui vous plaindra ?


DORS !




L’Orage de tes jours a passé sur ma vie ;
J’ai plié sous ton sort ; j’ai pleuré de tes pleurs ;
Où ton âme a monté, mon âme l’a suivie ;
Pour aider tes chagrins, j’en ai fait mes douleurs.

Mais, que peut l’amitié ? l’amour prend toute une âme !
Je n’ai rien obtenu ; rien changé ; rien guéri :
L’onde ne verdit plus ce qu’a séché la flamme,
Et le cœur poignardé reste froid et meurtri.


Moi, je ne suis pas morte : allons ! moi, j’aime encore;
J’écarte devant toi les ombres du chemin :
Comme un pâle reflet descendu de l’aurore,
Moi, j’éclaire tes yeux ; moi, j’échauffe ta main.

Le malade assoupi ne sent pas de la brise
L’haleine ravivante étancher ses sueurs :
Mais, un songe a fléchi la fièvre qui le brise ;
Dors ! ma vie est le songe où Dieu met ses lueurs.

Comme un ange accablé qui n’étend plus ses ailes,
Enferme ses rayons dans sa blanche beauté,
Cache ton auréole aux vives étincelles :
Moi je suis l’humble lampe émue à ton côté.



LES SÉPARÉS




N’Écris pas ! Je suis triste, et je voudrais m’éteindre ;
Les beaux étés, sans toi, c’est l’amour sans flambeau.
J’ai refermé mes bras qui ne peuvent t’atteindre ;
Et, frapper à mon cœur, c’est frapper au tombeau.
N’écris pas !

N’écris pas ! n’apprenons qu’à mourir à nous-mêmes.
Ne demande qu’à Dieu… qu’à toi, si je t’aimais.
Au fond de ton silence écouter que tu m’aimes,
C’est entendre le ciel sans y monter jamais.
N’écris pas !


N’écris pas ! Je te crains ; j’ai peur de ma mémoire ;
Elle a gardé ta voix qui m’appelle souvent.
Ne montre pas l’eau vive à qui ne peut la boire.
Une chère écriture est un portrait vivant.
N’écris pas !

N’écris pas ces deux mots que je n’ose plus lire :
Il semble quand ta voix les répand sur mon cœur,
Que je les vois briller à travers ton sourire ;
Il semble qu’un baiser les empreint sur mon cœur.
N’écris pas !


LA COURONNE EFFEUILLÉE




J’Irai, j’irai porter ma couronne effeuillée
Au jardin de mon père où revit toute fleur ;
J’y répandrai longtemps mon âme agenouillée :
Mon père a des secrets pour vaincre la douleur.

J’irai, j’irai lui dire, au moins avec mes larmes :
« Regardez, j’ai souffert… » Il me regardera,
Et sous mes jours changés, sous mes pâleurs sans charmes,
Parce qu’il est mon père, il me reconnaîtra.


Il dira : « C’est donc vous, chère âme désolée !
La terre manque-t-elle à vos pas égarés ?
Chère âme, je suis Dieu : ne soyez plus troublée ;
Voici votre maison, voici mon cœur, entrez ! »

Ô clémence ! ô douceur ! ô saint refuge ! ô Père !
Votre enfant qui pleurait, vous l’avez entendu !
Je vous obtiens déjà, puisque je vous espère
Et que vous possédez tout ce que j’ai perdu.

Vous ne rejetez pas la fleur qui n’est plus belle ;
Ce crime de la terre au ciel est pardonné.
Vous ne maudirez pas votre enfant infidèle,
Non d’avoir rien vendu, mais d’avoir tout donné.



TABLE DES MATIÈRES


TABLE


III

CERCLE LYONNAIS DU LIVRE

LISTE DES MEMBRES


MESDAMES

MARIE-ANTOINETTE BLOT.
ANNE-MARIE MONIN.


MESSIEURS

JACQUES ABEL.
HENRI ALIBAUX.
JACQUES ANDRÉ.
JEAN AUDRY.
ADOLPHE BACK DE SURANY.
HECTOR DE BACKER.
R. BAGUENAULT DE PUCHESSE.
BARON CLAUDE DE BARANTE.
RENÉ BASCOUL.
MESSIEURS
EUGÈNE BAYET.
ANDRÉ BERTAUT.
HENRI BERTRAND.
VICTOR BLANCHET.
EUGENE BODOY.
HENRI BOUGET.
COMMANDANT DU BOURG.
GEORGES BOYÉ.
HENRI BRUNET-LECOMTE.
HIPPOLYTE BURNOT.
MAURICE BUSSILLET.
RICHARD CANTINELLI.
ANTONIN CARRIER.
RENÉ DE CÉRENVILLE.

HUGUES CLÉMENT.
BARON JEAN DE COLLONGUE.
LÉON COMAR.
JOANNY CONDAMIN.
GÉO COSTE.
RÉGIS COUTURIER.
LOUIS CUMIN.
LÉON DELAROCHE.
LÉONCE DÉLINIÈRE.
GEORGES DELMAY.
LÉON DESBENOIT.
ÉTIENNE DESCOLLONGES.
LOUIS DESCOLLONGES.
JOANNES DESVIGNE.
PAUL DUBONNET.
ACHILLE ESCUDIÉ.
GEORGES FAIST.
MARIUS FAVRE.
AMÉDÉE FRACHON.
THÉODORE GABOURD.
HENRI GALLET.
CHARLES GILLET.
ÉMILE GIRARD.
PAUL GOUTE.
ADOLPHE GRANDSIRE.
BARTHÉLEMY GROS.
LÉON GRUEL.
PAUL GUILLERMIN.
ÉDOUARD HERRIOT.
LUCIEN HESSE.
ÉDOUARD HOCHSTADTER.
VICTOR JACOB.
JULES JADOT.
FERNAND JOUSSELIN.
MAURICE JURY.
RENÉ KIEFFER.
ADRIEN LACHENAL.
MAURICE LANNOIS.
HENRI LARDANCHET.
MAURICE LASSAIGNE.
ROBERT LAURENT-VIBERT.
FRÉDÉRIC LUNG.
JEAN LUNG.
LUCIEN MALPERTUIS.
HENRI MARIUS-MICHEL.
VICTOR MARTIN.
PIERRE MASSON.
LOUIS MELEY.
JEAN MELEY.
MAURICE MÉRIC.
GÉNÉRAL MESSIMY.
CHARLES MEUNIER.
HENRI MICHAL-LADICHÈRE.
CHARLES MONTCHARMONT.
ÉMILE MOREAU.
COMTE JEAN DE NADAILLAC.
ALBERT NATURAL.
JEAN NEYRET.
LOUIS NEYRET.
LÉON OROSDI.

ÉTIENNE PELLETIER.
EDMOND PERROT.
ALBÉRIC PONT.
GEORGES DE POUILLY.
MAURICE QUARRÉ.
LÉON RAQUEZ.
NICOLAS RAUCH.
JACQUES RAYNAL.
FRANCISQUE RENARD.
EUGÈNE RENEVEY.
ADOLPHE REY.
GUSTAVE DE RIDDER.
DOCTEUR ARTHUR RIVIÈRE.
HENRI ROGER.
ROBERT S. ROLO.
FERNAND ROPSY.
ALBERT ROSSET.
BARON ROBERT DE ROTSCHILD.
JACQUES SAGNIER.
HENRI SAINT-OLIVE D'INFREVILLE.
BERNARD SANCHOLLE-HENRAUX.
ROBERT SAND.
MARIUS-VICTOR SIRAUD.
JEAN SPELTINCKX.
CHARLES TOUILLON.
DOCTEUR TOURNIER.
FERNAND TRÉMOLIÈRES.
CHARLES TUR.
CHARLES VANDEPUTTE.
ÉMILE VANDERBORGHT.
MATHIEU VARILLE.
ÉTIENNE VAUTHERET.
HECTOR DE VILLAINE.
HENRI VILLIERS.
HENRI VOISIN.
JACQUES WILLEMS.


LIBRAIRES DE LA SOCIÉTÉ

MM. BLAIZOT, à Paris.
LARDANCHET, à Lyon.
MASSON, à Lyon.


Ce livre
tiré à 147 exemplaires
pour le
CERCLE LYONNAIS DU LIVRE
a été imprimé par
Marius Audin de Lyon

Les lithographies ont été tirées
par Landel
de la Maison Duchatel.

Il a été tiré de ce livre :
120 exemplaires pour les Sociétaires,
au nom de chacun d’eux,
20 exemplaires numérotés de I à XX
pour être mis dans le commerce,
7 exemplaires pour les Collaborateurs
ou destinés à des dons.

Il a, de plus, été tiré trente suites sur Chine
des lithographies.
L’artiste a exécuté quatorze croquis
pour les douze lithographies.
Les croquis et les suites ont été vendus aux enchères
entre les Sociétaires.