Treize Sonnets de l’Honneste Amour

Texte établi par Léon SéchéRevue de la Renaissance2 (p. 214-219).


TREIZE SONNETS DE L’HONNESTE AMOUR

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I

Comme en l’object d’une vaine peincture
Je repaissoy plus l’esprit que le cœur,
A contempler du céleste vainqueur
La non encor’ bien comprise nature :
Je projettoy sous feinte couverture
Les premiers traicts de sa douce rigueur,
Mieux figurant la mort de sa vigueur,
Qu’imaginant le vif de sa poiucture.
Quand les saincts voeux de mon humble vouloir
Ne furent mis du tout en nonchaloir
Au paradis du Dieu de ma victoire.
Ou de sa main ce divin guerdonneur
M’a consacré prestre de son Honneur,
Pour y chanter les hymnes de sa gloire.


II

Ce ne sont pas ces beaux cheveux dorez
Xi ce beau front, qui l’honneur mesme honore
Ce ne sont pas les deux archets encore
De ces beaux yeux de cent veux adorez :
Ce ne sont pas les deux brins colorez
De ce coral : ces lèvres que j’adore.
Ce n’est ce teinct emprunté de l’Aurore,
Ni autre object des cœurs énamourez,
Ce ne sont pas ni ces lis, ni ces roses,
Xi CCS deux rangs de perles si bien closes,

C’est cest esprit, rare présent des cieux,
Dont la beauté de cent grâces pourveûe
Perce non ame, et mon cœur, et mes yeux.
Par les rayons de sa poignante veùe.


III

Je ne me plains de mes yeux trop expers,
Ni de mon cœur trop léger à les croire,
Puisqu’en fermant à si haute victoire
Ma liberté si franchement je pers.
Amour qui voit tous mes secrets ouverts,
Me fait penser au grand heur de ma gloire,
Lorsque je peins au tableau de Mémoire
Vostre beauté le seul beau de mes vers.
Mais si ce beau un fol désir m’apporte
Vostre vertu plus que la beauté forte
Le coupe au pié, et veut qu’un plus grand bien
Prenne en mon cœur une accroissance pleine,
Ou autrement, que je n’attende rien
De mon amour, fors l’amour de la peine.


IV

Une froideur secrettement bruslante
Brusle mon corps, mon esprit, ma raison,
Comme la poix anime le tison
Par une ardeur lentement violente.
Mon cœur tiré d’une force alléchante
Dessous le joug d’une franche prison,
Boit à longs traicts l’aigre-douce poison,
Qui tous mes sens heureusement enchante.
Le premier feu de mon moindre plaisir
Fait halleter mon altéré désir :
Puis de nos cœurs la céleste Androgine
Plus sainctement vous oblige ma foy :
Car j’aime tant cela que j’imagine.
Que je ne puis aimer ce que je voy.


V

Ce Paradis, qui souspire le basnie
D’une angelique et sainte gravité.
M’ouvre le ris, mais bien la Deité
Où mon esprit divinement se pasme.
Ces deux Soleils, deux flambeaux de mon ame,
Pour me rejoindre à la Divinité,
Percent l’obscur de mon humanité
Par les rayons de leur jumelle flamme
O cent fois donq, et cent fois bien-heureux
L’heureux aspect de mon Astre amoureux !
Puis que le ciel voulut à ma naissance
Du plus divin de mes afi"ections
Par Tallambic de vos perfections
Tirer d’Amour une cinquiesme essence.


VI

Quand je suis près de la flamme divine.
Où le flambeau d’Amour est allume.
Mon saint désir sainctement emplumc
Jusqu’au tiers ciel d’un prim-vol m’achemine.
Mes sens rassis d’une douce rapine
Laissent leur corps de grand aise pasmé,
Comme le Sainct des douze mieux aimé,
Qui reposa sur la saincte poitrine.
Ainsi l’esprit desdaignant nostre jour
Court, fuit, et vole en son propre séjour
Jusques à tant, que sa divine dextre
Hausse la bride au folastre désir
Du seriteur, qui près de son plaisir
Sent quelquefois l’absence de son maistre.


VII

Le Dieu bande a desbandé mes yeux,
Pour contempler cette beauté cachée
Qui ne se peut, tant soit bien recerchee,
Représenter en un cœur vicieux.

De son autre arc doucement furieux
La poincte d’or justement descochec
Au seul endroit de mon cœur s’est fichée
Qui rend l’esprit du corps victorieux.
Le seul désir des beautez immortelles
Guindé mon vol sur ses divines ailes
Au plus parfait de la perfection.
Car le flambeau, qui sainctement enflamme
Le sainct brazier de mon afi*ection,
Ne darde en bas les saints traicts de sa flamme.


VIII

Non autrement, que la Prestressc folle,
En grommelant d’une effroyable horreur,
Secoue en vain l’indontable fureur
Du Cynthien, qui brusquement l’affole :
Mon estomac gros de ce Dieu qui vole,
Espouvanté d’une aveugle terreur
Se fait rebelle à la divine erreur,
Qiii brouille ainsi mon sens, et ma parole.
Mais c’est en vain : car le Dieu, qui m’estraint,
De plus en plus m’aiguillonne, et contraint
De le chanter, quoy que mon cœur en gronde.
Chantez le donq, chantez mieux que devant,
O vous, mes vers, qui volez par le monde,
Comme fueillars esparpillez du vent.


IX

L’aveugle Enfant, le premier né des Dieux,
D’une fureur sainctement eslancee,
Au vieil Chaos de ma jeune pensée
Darda les traicts de ses tout-voyants yeux
Alors mes sens d’un discord gracieux
Furent liez en rondeur ballancee,
Et leur beauté d’ordre égal dispensée
Conceut l’esprit de la flamme des cieux.
De vos vertus les lampes immortelles
Firent briller leurs vives estincelles

Par le voulté de ce front tout serain :
Et ces deux yeux d’une fuite su•^•ic
Entre les mains du Moteur souverain
Firent mouvoir la sphère de ma vie.

X

Jay entasse moy-niesme tout le bois,
Pour idiumer ccste flamme immortelle,
Par qui mon amc avecques plus haute aile
Se guindé au ciel d"uu égal contre-pois.
Jà mon esprit, jà mon cœur, jà ma voix,
Jà mon amour conçoit forme nouvelle
D’une beauté plus parfiiitement belle,
Que le fin or espuré par sept fois.
Rien de mortel ma langue plus ne sonne :
Jà peu à peu moy mesme j’abandonne,
Par ccste ardeur, qui me fait sembler tel.
Que se monstroit l’indonté fils d’Alcmene,
Qui dédaignant vostre figure humaine,
Brusla son corps pour se rendre immortel.

XI

Pour affecter des Dieux le plus grand heur,
Et pour avoir, ô sacrilège audace !
Sous le mortel d’une immortelle grâce
Idolâtré une saiucte grandeur :
Pour avoir pris de la céleste ardeur
Ce qui de moy toute autre flamme chasse,
Je sens mon corps tout hérissé de glace
Contre le roc d’une chaste froideur.
L’aveugle oyseau, dont la perçante flamme
S’affile aux rais du soleil de mon ame
Aguise l’ongle, et le bec ravissant.
Sur les désirs, dont ma poictrine est pleine,
Rongeant mou cœur qui meurt en renaissant,
Pour vivre au bien, et mourir à la peine.


XII

La docte main dont Minen’e eust appris.
Main, dont l’yvoire en cinq perles s’allonge,
C’est, ô mon cœur, la lime qui te ronge,
Et le rabot, qui polit mes escrits.
Les chastes yeux, qui chastement m’ont pris,
Soit que je veille, ou bien soit que je songe,
Ardent la nuict de mon œil, qui se plonge
Au centre, où tend le rond de mes esprits.
L’esprit divin, et la divine grâce
De ce parler, qui du harpeur de Thrace
Eust les ennuis doucement enchantez.
Vous ont donné la voix inusitée,
Dont, ô mes vers, sainctemeut vous chantez
Le tout divin de vostre Pasithee.


XIII

Puisque la main de la sage nature
Bastit ce corps, des Grâces le séjour,
Pour embellir le beau de nostre jour
Du plus parfait de son architecture :
Puisque le ciel trassa la portraiture
De cet esprit, qui au ciel fait retour,
Abandonnant du monde le grand tour
Pour se rejoindre à sa vive peinture :
Puis que le Dieu de mes affections
Y engrava tant de perfections
Pour figurer en ceste carte peinte
Uastre bénin de ma fatalité,
l’apprend ce vœu à l’immortalité,
Devant les pieds des vostre image sainte.