Texte établi par Léon SéchéRevue de la Renaissance2 (p. 57-59).


ODE PASTORALE A BERTRAND BERGER DE MONTEMBŒUF

Natif de Poictiers, Poète Bedonnique-bouffonnique.

Bergers couchez à l’envers
A l’ombre des saules verds,
Bergers qui auprès des ondes
Du Clain lentement fuyant,
Arrestez le cours oyant
De ses Nymphes vagabondes,
Desmanchez vos chalumeaux
Et dictes à ces ormeaux
A ces antres et fontaines,
N’escoutez plus nos chansons,
Ni ses ruisseaux, ni leurs sons
Enfans des roches hautaines.
Mais oyez le son divin
Du chalumeau Poictevin,
Renouvellant la mémoire
Du pasteur sicilien
Et du grand Italien
La vie et durable gloire.
Naguères vostre Berger,
Traversant d’un pied léger
Le dos chenu des montagnes,
Ramena les doctes Sœurs,
Abbreuvant de leurs douceurs
Les Poictevines compagnes.
C’est luy premier des Bergers,
Qui dédaignant les dangers
De l’envieuse ignorance
A ses vers osta le frain,
Les faisant d’un libre train
Galopper parmi la France.
Ses vers de fureur guidez,
Comme fleuves desbridez,

D’une audacieuse fuite
Nos compagnes vont foulant,
Mais les ruisseaux vont coulant
Tousjours d’une mesme suite.
O qu’ils ont tardé souvent
Et les ondes et le vent,
Quand les Nymphes Poictevines
Et les dieux aux pieds de bouc
Trespignoient dessous le joug
De ces cadences divines !
Mais bien les trouppeaux barbus
Oyant des sommets herbus
Ses aubades nonpareilles,
Ont fait mille et mille sauts,
Et les plus lourds animaux
En ont chauni des oreilles.
Ainsi le grand Thracien
De son lut musicien
Tiroit les pierres oyantes,
Les fleuves esmerveillez
Et des chesnes oreillez
Les testes en bas ployantes.
Heureux berger désormais,
Tu seras pour tout jemais
L’honneur des champs et des prées,
L’honneur des petits ruisseaux,
Des bois et des arbrisseaux,
Et des fontaines sacrées :
Pour sonner si bien tes vers
Sur les chalumeaux divers
Dont la douceur esprouvée
Aux oreilles de bon goust.
Coule plus doux que le moust
De la première cuvée
L’amour se nourrit de pleurs
Et les abeilles de fleurs,
Les prez aiment la rosée,
Phœbus aime les neuf Sœurs,
Et nous aimons les douceurs
Dont ta Muse est arrousée.
Ores, ores il te faut

Avec un stile plus haut
Pousser la royale plainte,
Jusqu’aux oreilles des Rois,
Sacrant du pré Navarrois
La fleur nouvellement saincte.
Ainsi l’Arcadique Dieu
Te favorise en tout lieu
Et tes brebis camuscttes ,
Ainsi à toy seulement
Demeure éternellement
L’homme des vieilles musettes.