Ode Au Seigneur des Essars sur le discours de son Amadis

Texte établi par Léon SéchéRevue de la Renaissance2 (p. 49-56).

AU SEIGNEUR DES ESSARS SUR LE DISCOURS DE SON AMADIS

ODE XVIII

Celuy qui vid le premier
Avec sa torche etherée
L’embrassement coustumier
De Mars et de Cytherée,
Ce fut le tout voyant Dieu,
Celuy qui tient le milieu
Du cœur hyppocrenien.
Dieu par qui fut révélée
Ceste amour long temps celée
Au Feuvre Junonien.
De Feuvre couvert alors
De sueur et de poudrière
Doroit un harnois de corps
A la sçavante Guerrière :
Ouvrage laborieux,
Où l’ouvrier industrieux
Avoit feint subtilement
Les sciences, et les armes,

Que sa sœur docte aux alarmes
Favorise également.
Mais la honte et le desdain.
Qui luy dontent le courage,
Luy font oublier soudain
Cest ingénieux ouvrage,
Lors de ses plus tins outils,
Il forge les rets subtils
Attachez à doux d’aymant,
Dont la mesme Jalousie,
Si on croit la poésie,
Lia l’un et l’autre amant.
Ayant dresse ses appas,
Il sort de son domicile,
Tournant feintement ses pas
Aux fournaises de Secile,
Où les bras accoustumez
Des Cyclopes enfumez
Coup sur coup vont martelant,
D’une tenaille mordante
Retournant la masse ardente,
Du tonnerre estincellant.
Jà ce vieillard Lemmien
Feint d’aller à l’heure, à l’heure
Pour donner au Thracien
L’opportunité meilleure :
Puis avecques un long tour
Celant son traistre retour
Pour surprendre l’estranger,
Ce sot jaloux délibère
Par un plus grand vitupère
Sa grande honte venger.
A peine ce Dieu boiteux
Avait la porte passée,
Et jà l’amant convoiteux
Tenoit sa dame embrassée :
Et pressant l’yvoire blanc,
Or’ la cuisse, ores le flanc,
Or’ l’estomac luy serroit,
Cueillant à lèvres descloses
L’ame qui parmy les roses

Entre deux langues erroit.
Jà, jà le feu ravissant
Des douces flammes cruelles
D’un long souspir languissant
Humoit leurs tiedes moelles :
Et voicy de toutes parts
Mille petits nœuds espars,
Dont les deux amants lacez
Plus fort s’estraignent et lient,
Que les vignes ne se plient
Sur les ormes embrassez.
Près du lict, qui gemissoit,
Tesmoing d’un si doux martyre
Le jaloux se tappissoit,
Mordant ses deux lèvres, d’ire,
Puis courant deçà delà.
En sa chambre ilappella
Toute la trouppe des Dieux,
Et pallissant de colère
Leur monstra cest adultère,
Joyeuse fable des cieux.
Mars paisible à ceste fois.
Fronçant le haut de sa face,
Remaschoit à basse voix
Je ne sçay quelle menasse.
Venus d’un regard piteux
Tenoit en bas l’œil honteux,
Et de ses beaux doigts polis,
En vous mignardant sa force,
Gà et là cacher s’efforce
Et les roses, et les lis.
Celuy qui a veu le tour
De l’araigne mesnagère
Filant ses rais alentour
De la mouche passagère,
Il a veu Mars et Venus
Enchaînez à menbres nuds :
Et Vulcain guignant auprès
De son embusche araigneuse.
Qui la couple vergongneuse
Alloit serrant de si près.

Alors les plus renfrongnez
De la bande Olympienne,
Soudain s’en sont eslongnez
D’une ire Saturnienne,
Mais quelqu’un des moins fascheux,
Voyant ces folastres jeux.
Se sent chatouiller le cœur,
Et en souriant désire
D’apprester ainsi à rire
A rinjurieux moqueur.
Celuy qui chanta jadis
En sa langue castillane
Les prouesses d’Amadis,
Et les beautez d’Ariane,
Par les siècles envieux
D’un sommeil oblivieux
Jà s’en alloit obscurcy,
Quand une plume gentille
De ceste fable subtile
Nous a l’obscur esclarcy.
C’est le Phœbus des essars,
Lumière parisienne,
Qui nous monstre le dieu Mars
Joint avec la Cyprienne :
Chantant sous plaisant discours
Les armes et les amours,
D’un style aussi violent.
Lorsqu’il tonne les alarmes,
Comme aux amoureuses larmes
Il est doucement coulant.
Si de ce brave suject
On gouste bien l’artifice,
On y verra le project
De maint royal édifice :
Qui tesmoigne le grand heur
De la Françoise grandeur.
Là se peut encore voir
Maint siège, mainte entreprise,
Ou celuy qui en devise.
Jadis a fait son devoir.
Là se voit du grand François

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Par estrangers courtisans
Brouillèrent nostre langage
Adoncques la purité
De sa douce gravité
Se pourra trouver ici.
Du Grec la veine féconde
Et la Romaine faconde
Revivent encor ainsi.
Quel esprit tant sourcilleux
Contemplant la Thcbaïde
Ou le discours merveilleux
De l’immortelle Enéide,
Se plaint, que de ces authcurs
Les poèmes sont menteurs ?
Ainsi l’Aveugle divin
Nous fait voir sous feint ouvrage
D’un guerrier le fort courage,
Et l’esprit d’un homme fin.
Des poétiques esprits
L’utile et douce cscriture
Comprend ce qui est compris
Au ciel et en la nature,
Les Rois sont les argumens
De leurs divins monumens
Et si nous monstrent encor
Le beau, l’honneste, l’utile,
Avec un plus docte stile
Que Chrysippe ne Crantor
Mais je souhaite souvent
D’estre banny jusqu’au More,
Ou que la fureur du vent
Me pousse jusqu’à l’Aurore,
Quand j’oy bruire quelquefois
Du peuple l’indocte voix,
Ou quand j’escoute les cris
De ces pourceaux d’Epicure,
Qui en despit de Mercure
Grongnent aux doctes cscrits
L’un plaint la contagion
De la jeunesse abusée :
L’autre la religion

Par nous Payens desguisée.
Cestuy-cy fort élégant
Va un songer alléguant.
Cestuy-là trop rigoureux
Approuve l’edict d’Auguste,
Et le bannissement juste
De l’Artisan amoureux.
Vous les diriez, tant ils sont
D’une haineuse nature,
Qu’avecques Timon ils ont
Jadis pris leur nourriture.
Caton semble dissolu
A cestuy-là qui a leu
Dessus leur front Curien,
Du reste, je m’en rapporte
Au tesmoignage que porte
Leur ventre Epicurien.
Puis ces graves enseigneurs
D’une effrontée asseurance
Se prennent aux grands Seigneurs,
Les accusant d’ignorance :
Mesmes leurs clair-voyans yeux
Se monstrent tant curieux,
Que d’abaisser leurs edicts
Jusqu’aux simples damoiselles.
Et aux cabinets de celles
Qui lisent nostre Amadis,
Si le Harpeur ancien
Qui perdit deux fois sa femme,
Corrompit l’air Thracien
D’une furieuse flamme :
Pourtant nous n’avons appris
D’avoir l’amour à mespris.
Dont la saincte ardeur nous poinct,
Non celle desnaturée
Qui de Venus ceinturée
Les loix ne recognoist point.
Mais pourquoy se sent blessé
Par nostre façon d’escrire
Celuy qui a tout laissé
Fors son vice de mesdire !

Lequel pour se dessachcr
Voulant ce semble) attacher
Or’ cestuy. ores celuy,
Par ne sçay quelles sornettes
Fait un présent de sonnettes
A qui moins est fol de luy.
Si est-ce que le japper
De tels indoctes volumes
N’a le pouvoir de coupper
L’aile aux bien-volantes plumes :
Qui sous un argument feint
Nous ont si vivement peint
Toutes nos aflections,
L’honneur, la vertu, le vice
La paix, la c^ucrre et l’office
Des humaines actions.
Or entre les mieux appris
Le cœur des Muses ordonne
Qu’à Herberav soit le pris
De la plus riche couronne :
Pour avoir si proprement
De son propre accoustrement
Oriié l’Achille Gaulois,
Dont la douceur alléchante
Donne à celuy qui le chante
Le nom d’Homère François.
Si j’avoy l’archet divin
De la harpe Ronsardine,
Le bas fredon Angevin
Diroit la gloire Essardine :
Neantmoins tel que je suis,
Je la diray, si je puis,
Non icy tant seulement
Mais en cent papiers encore
A fin que son bruit décore
Le mien éternellement.