Maurice Maeterlinck, L’Oiseau bleu
1908
ACTE PREMIER
Tableau I
LA MAISON DU BÛCHERON
Le théâtre représente l’intérieur d’une cabane de bûcheron, simple, rustique, mais non point misérable. — Cheminée à manteau où s’assoupit un feu de bûches. — Ustensiles de cuisine, armoire, huche, horloge à poids, rouet, fontaine, etc. — Sur une table, une lampe allumée. — Au pied de l’armoire, de chaque côté de celle-ci, endormis, pelotonnés, le nez sous la queue, un Chien et un Chat. — Entre eux deux, un grand pain de sucre blanc et bleu. Accrochée au mur, une cage ronde renfermant une tourterelle. — Au fond, deux fenêtres dont les volets intérieurs sont fermés. — Sous l’une des fenêtres, un escabeau. — À gauche, la porte d’entrée de la maison, munie d’un gros loquet. — À droite, une autre porte. — Échelle menant à un grenier. — Également à droite deux petits lits d’enfant, au chevet desquels, sur deux chaises, des vêtements se trouvent soigneusement pliés.
Mytyl ?
Tyltyl ?
Tu dors ?
Et toi ?…
Mais non, je dors pas puisque je te parle…
C’est Noël, dis ?…
Pas encore ; c’est demain. Mais le petit Noël n’apportera rien cette année…
Pourquoi ?…
J’ai entendu maman qui disait qu’elle n’avait pu aller à la ville pour le prévenir… Mais il viendra l’année prochaine…
C’est long, l’année prochaine ?…
Ce n’est pas trop court… Mais il vient cette nuit chez les enfants riches…
Ah ?…
Tiens !… Maman a oublié la lampe !… J’ai une idée ?…
?…
Nous allons nous lever…
C’est défendu…
Puisqu’il n’y a personne… Tu vois les volets ?…
Oh ! qu’ils sont clairs !…
C’est les lumières de la fête.
Quelle fête ?
En face, chez les petits riches. C’est l’arbre de Noël. Nous allons les ouvrir…
Est-ce qu’on peut ?
Bien sûr, puisqu’on est seuls… Tu entends la musique ?… Levons-nous… (Les deux enfants se lèvent, courent à l’une des fenêtres, montent sur l’escabeau et poussent les volets. Une vive clarté pénètre dans la pièce. Les enfants regardent avidement au dehors.)
On voit tout !…
sur l’escabeau.
Je vois pas…
Il neige !… Voilà deux voitures à six chevaux !…
Il en sort douze petits garçons !…
T’es bête !… C’est des petites filles…
Ils ont des pantalons…
Tu t’y connais… Ne me pousse pas ainsi !…
Je t’ai pas touché.
Tu prends toute la place…
Mais j’ai pas du tout de place !…
Tais-toi donc, on voit l’arbre !…
Quel arbre ?…
Mais l’arbre de Noël !… Tu regardes le mur !…
Je regarde le mur parce qu’y a pas de place…
Là !… En as-tu assez ?… C’est-y pas la meilleure ?… Il y en a des lumières ! Il y en a !…