Louis Moland, Correspondance de Voltaire : Avertissement , 1880
À la fin du mois de décembre 1704, le jeune Armand Arouet, âgé de dix-neuf ans, écrivait un compliment de nouvelle année à Mme du Pont-Bailly, sa cousine, femme d’un marchand poitevin. Ce morceau de littérature achevé, le jeune homme le faisait signer par son petit frère François-Marie, dit Zozo, âgé de dix ans. Or Zozo n’était autre que le grand épistolier du XVIIIe siècle, François de Voltaire. M. Benjamin Fillon a retrouvé dans un grenier du Poitou cette première lettre signée d’un sobriquet enfantin par la main qui devait en signer des milliers d’autres. On nous excusera d’en reproduire ici le texte, puisque c’est le point de départ de la célèbre correspondance, au delà duquel il sera très-certainement difficile de reculer.
pays de Poitou.
Mon papa m’a fait cette grâce de me comander d’estre son secrettaire ce premier d’année, et vous tesmoigner les humbles respects de nostre maison, avec les veux et les prières que nous faisons pour vostre prospérité, santé, bonheur et satisfacion, qui ne sont en doutte de vostre costé eu égard à nous. Il vous suplie, madame ma cousine, le croire toujours bon parent et ne vous despartir de l’affection que vous devez à sa famille, et moy, le secrettaire, je finiray en me disant, et Zozo,
Vos très-humbles et respectueux cousins,
Depuis plusieurs années déjà, François-Marie avait perdu sa mère, morte le 13 juillet 1701, lorsqu’il avait six ans et demi, et que, par conséquent, il avait à peine connue. C’est pourquoi cette épître est écrite seulement au nom du père, M. le receveur des épices de la chambre des comptes, ou payeur de la chambre des comptes, Arouet.
Ce spécimen étant donné ici pour la satisfaction des curieux, notre recueil commence à la date de 1711, lorsque François-Marie est parvenu à sa dix-septième année et qu’il est encore élève du collége Louis-le-Grand. L’épisode romanesque des amours du futur Voltaire avec Mlle Olympe Dunoyer occupe la fin de l’année 1713 et le commencement de 1714. Puis la correspondance se développe d’année en année, et s’étend bientôt comme un vaste fleuve, jusqu’aux derniers jours de l’auteur.
Cette correspondance, qui embrasse un espace de soixante-sept ans, est une œuvre de premier ordre, un de nos grands monuments littéraires. Voltaire l’a élevé au jour le jour, à son insu.