Étienne Eggis, Bohême dans Voyages aux pays du cœur 1853


À mon ami Jacques Guérig.

 

I

Depuis trois ans passés ma jeunesse coureuse
Errait, le sac au dos, sur le sol allemand,
Le long des grands chemins ma vie aventureuse
Aux chênes des forêts écrivait son roman,
De Munich à Berlin, de Bâle à Varsovie,
Sous la brume et l’orage avaient bondi mes pas ;
Rien n’avait pu lasser mon âme inassouvie,
Mes robustes seize ans défiaient le trépas.

II

En cousant une rime aux deux coins d’une idée
Je m’en allais rêveur, le bâton à la main,
La tête de soleil ou de vent inondée,
En laissant au hasard le soin du lendemain.
Je dérobais mon lit aux mousses des clairières,
Ma harpe me donnait la bière et le pain noir,
Et je dormais paisible aux marges des carrières
Sous le ciel qu’empourpraient les nuages du soir.

III

Je n’avais pour tous biens qu’une pipe allemande,
Les deux Faust du grand Goethe, un pantalon d’été,
Deux pistolets rayés non sujets à l’amende,
Une harpe légère, et puis, la liberté !
Je lisais, en passant, des vieilles cathédrales
Les lieds marmoréens par les siècles écrits,
Puis, au bord des forêts, dans les lueurs