PLANCHE XXIII.[1]

Relief en basalte, représentant le Calendrier mexicain.



Parmi les monumens qui semblent prouver que, lors de l’arrivée des Espagnols, les peuples du Mexique étoient parvenus à un certain degré de civilisation, on peut assigner le premier rang aux calendriers, ou aux différentes divisions du temps adoptées par les Toltèques et les Aztèques, soit pour l’usage de la société en général, soit pour régler l’ordre des sacrifices, soit pour faciliter les calculs de l’astrologie. Ce genre de monumens est d’autant plus digne de fixer notre attention, qu’il atteste des connaissances que nous avons de la peine à regarder comme le résultat d’observations faites par des peuples montagnards dans les régions incultes du nouveau continent. On pourroit être tenté de croire qu’il en est du calendrier aztèque
Relief de basalte
représentant le calendrier Mexicain.
comme de ces langues riches en mots et en formes grammaticales, que l’on trouve chez des nations dont la masse actuelle des idées ne répond pas à la multiplicité des signes propres à les revêtir. Ces langues si riches et si flexibles, ces modes d’intercalation qui supposent une connaissance assez exacte de la durée de l’année astronomique, ne sont peut-être que les restes d’un héritage qui leur a été transmis par des peuples jadis civilisés, mais depuis replongés dans la barbarie.

Les moines et d’autres écrivains espagnols qui ont visité le Mexique, peu de temps après la conquête, n’ont donné que des notions vagues et souvent contradictoires des différens calendriers usités parmi les peuples de race toltèque et aztèque. On trouve ces notions dans les ouvrages de Gomara, Valadès, Acosta et Torquemada. Ce dernier, malgré sa superstitieuse crédulité, nous a transmis, dans sa Monarquia indiana, un recueil de faits précieux qui prouve une connoissance exacte des localités : il vécut pendant cinquante ans parmi les Mexicains ; il arriva à la ville de Ténochtitlan à une époque où les indigènes conservoient encore un grand nombre de peintures historiques, et où, devant la maison du marquis del Valle[2], sur la Plaza Major, on vojoit encore des restes du grand téocalli[3] dédié au dieu Huitzilopochtli. Torquemada se servit des manuscrits de trois religieux franciscains, Bernardino de Sahagun, Andrès de Olmos et Toribio de Benavente, qui tous étoient profondément instruits dans les langues américaines, et qui étoient allés à la Nouvelle-Espagne du temps de Cortez, avant l’année 1528. Malgré ces avantages, l’historien du Mexique ne nous a pas fourni, sur la chronologie et le calendrier mexicains, tous les éclaircissemens que l’on auroit pu attendre de son zèle et de son instruction. Il s’exprime même avec si peu d’exactitude, qu’on lit dans son ouvrage que l’année de Aztèques finis soit au mois de décembre, et qu’elle commençoit au mois de février[4].

Il existoit depuis long-temps à Mexico, dans les couvens et dans les bibliothèques publiques, des matériaux plus instructifs que les relations des premiers historiens espagnols. Des auteurs indiens, Christoval del Castillo, natif de Tezcuco, et mort en 1606 à l’àge de quatre-vingts ans, Fernando de Alvarado Tezozomoc, et Domingo Chimalpain, ont laissé des manuscrits composés en langue aztèque sur l’histoire et la chronologie de leurs ancêtres. Ces manuscrits qui renferment un grand nombre de dates indiquées à la fois selon l’ère chrétienne et selon le calendrier civil et rituel des indigènes, ont été étudiés avec fruit par le savant Carlos de Siguenza, professeur de mathématiques à l’Université de Mexico, par le voyageur milanois Boturini Benaducci, par l’abbé Clavigero, et, dans ces derniers temps, par M. Gama, dont j’ai eu souvent occasion, dans un autre ouvrage[5], de citer avec éloge les travaux astronomiques. Enfin, en 1790, une pierre d’un volume énorme et chargée de caractères évidemment relatifs au calendrier mexicain, aux fêtes religieuses et aux jours dans lesquels le soleil passe par le zénith de la ville de Mexico, a été décuverte dans les fondemens de l’ancien téocalli : elle a servi à la fois à éclaircir des points douteux, et à rappeler l’attention de quelques indigènes instruits sur le calendrier mexicain.

J’ai taché, tant pendant mon séjour en Amérique que depuis mon retour en Europe, de faire une étude exacte de tout ce qui a été publié sur la division du temps, et sur le mode d’intercalation des Aztèques : j’ai examiné, sur les lieux, la fameuse pierre trouvée à la Plaza Major, et représentée sur la vingt-troisième Planche : j ai puisé quelques notions intéressantes dans les peintures hiéroglyphiques conservées au couvent de San Felipe Neri, à Mexico : j’ai parcouru à Rome le Commentaire manuscrit que le père Fabrega a composé sur le Codex Mexicanus de Veletri ; je regrette cependant de ne pas connaître assez le mexicain pour lire les ouvrages que les indigènes ont écrits dans leur propre langue, immédiatement après la prise de Ténochtitlan, et en se servant de l’alphabet romain. Je n’ai par conséquent pu vérifier par moi-même toutes les assertions de Siguenza, de Boturini, de Clavigero et de Gama, sur l’intercalation mexicaine, en les comparant aux manuscrits de Chimalpain et de Tezozomoc, dans lesquels ces auteurs assurent avoir puisé les notions qu’ils nous ont données. Quels que soient les doutes qui puissent rester sur plusieurs points dans l’esprit des savans, accoutumés à soumettre les faits à une critique sévère, et à n’adopter que ce qui est rigoureusement prouvé, je me félicite d’avoir rappelé l’attention sur un monument curieux de la sculpture mexicaine, et d’avoir donné de nouveaux détails sur un calendrier que Robertson et l’illustre auteur de l’Histoire de l’Astronomie ne paroissent pas avoir traité avec tout l’intérêt qu’il mérite. Cet intérêt sera augmenté encore par les notions que nous donnerons plus bas sur la tradition mexicaine des quatre âges, ou quatre soleils, qui offre des rapports frappans avec les vougs et les calpas des Hindoux, et sur la méthode ingénieuse qu’emploient les Indiens Muyscas, peuple montagnard de la Nouvelle-Grenade, pour corriger leurs années lunaires par l’intercalation d’une trente septième lune, appelée sourde ou cuhupqua. C’est en rapprochant et en comparant les différens systèmes de chronologie américaine, que l’on pourra juger des communications qui paroissent avoir existé, dans des temps très-reculés, entre les peuples de l’Inde et de la Tartarie et ceux du nouveau continent.

L’année civile des Aztèques étoit une année solaire de trois cent soixante-cinq jours ; elle étoit divisée en dix-huit mois, dont chacun avoit vingt jours : après ces dix-huit mois, ou trois cent soixante jours, on ajoutoit cinq jours complémentaires, et l’on commençoit une nouvelle année. Les noms de Tonalpohualli ou Cempohualilhuitl, qui distinguent ce calendrier civil du calendrier rituel, indiquent très-bien ses caractères principaux. Le premier de ces noms signifie compte du soleil, par opposition au calendrier rituel appelé compte de la lune, ou Metzlapohualli ; la seconde dénomination dérive de cempohualli, vingt, et de ilhuitl, fête ; elle fait allusion, soit aux vingt jours contenus dans chaque mois, soit aux vingt fêtes solennelles célébrées, pendant le cours d’une année civile, dans les téocallis ou maisons des Dieux.

Le commencement du jour civil des Aztèques étoit compté comme celui des Persans, des Égyptiens[6], des Babyloniens et de la plupart des peuples de l’Asie, à l’exception des Chinois, depuis le lever du soleil. Il étoit divisé en huit intervalles, division que l’on retrouve[7] chez les Hindoux et les Romains. De ces huit intervalles, quatre étoient déterminés par le lever, le coucher, et les deux passages du soleil par le méridien. Le lever s’appeloit Yquiza Tonatiuh ; le midi, Nepantla Tonatiuh ; le coucher, Onaqui Tonatiuh ; et minuit, Yohualnepantla. L’hiéroglyphe du jour étoit un cercle divisé en quatre parties. Quoique, sous le parallèle de la ville de Mexico, la longueur du jour ne varie pas de plus de deux heures vingt-une minutes, il est cependant certain que les heures mexicaines dévoient être originairement inégales, comme le sont les heures planétaires des Juifs, et toutes celles que les astronomes grecs désignoient sous le nom de χαιριχναί par opposition aux ίσημεριναί, heures équinoxiales.

Les époques du jour et de la nuit, qui correspondent à peu près à nos heures 3, 9, 15 et 21, temps astronomiques, n’avoient pas de noms particuliers. Pour les désigner, le Mexicain montroit, comme le font nos laboureurs, le point du ciel auquel seroit placé le soleil, en suivant sa course de l’orient à l’occident ; ce geste étoit accompagné de ces mots remarquables : iz Teotl, là sera Dieu ; locution qui rappelle l’époque heureuse où les peuples sortis d’Aztlan ne connoissoient encore d’autre divinité que le soleil, et n’avoient point un culte sanguinaire[8].

Chaque mois mexicain de vingt jours étoit subdivisé en quatre petites périodes de cinq jours. C’est au commencement de ces petites périodes que chaque commune célébroit sa foire, ou Tianguiztli. Les Mujscas, nation de l’Amérique méridionale, avoient des semaines de trois jours. Il paroît qu’aucun peuple du nouveau continent n’a connu la semaine, ou le cycle de sept jours, qui se trouve chez les Hindoux, les Chinois, les Assyriens et les Egyptiens, et qui, comme l’a très-bien observé Le Gentil[9], est usité chez la plupart des peuples de l’ancien monde.

Un passage de l’histoire des Incas, par Garcilasso, a fait penser à MM. Bailly et Lalande[10] que les Péruviens comptoient par cycles de sept jours. « Les Péruviens, dit Garcilasso, comptent les mois par la lune ; ils comptent les demi-mois d’après la lune croissante et décroissante ; ils comptent les semaines par les quartiers, sans avoir de noms particuliers pour les jours de la semaine. » Mais le père Acosta, plus instruit que Garcilasso, et qui, vers la fin du seizième siècle, composa, au Pérou même, les premiers livres de sa géographie physique du nouveau continent, dit clairement que ni les Mexicains ni les Péruviens ne connoissoient la petite période de sept jours : « car cette période, ajoute-t-il, ne tient pas plus au cours de la lune qu’à celui du soleil. Elle doit son origine au nombre des planètes[11].

En réfléchissant un moment sur le système du calendrier péruvien, on conçoit que, quoique les phases de la lune changent à peu près tous les sept jours, cette correspondance n’est cependant pas assez exacte pour que, dans plusieurs mois lunaires consécutifs, les cycles de sept jours puissent correspondre aux phases de la lune. Les Péruviens, d’après Polo et tous les écrivains du temps, avoient des années (huata) de trois cent soixante-cinq jours, réglées, comme nous le verrons plus bas, sur des observations solaires faites mois par mois à la ville de Cuzco. L’année péruvienne étoit divisée, comme presque toutes les années dont se servent les peuples de l’Asie orientale, en douze lunes, quilla, dont les révolutions synodiques s’achèvent en trois cent cinquante-quatre jours huit heures quarante-huit minutes. Pour corriger l’année lunaire, et la faire coïncider avec l’année solaire, on ajouta, selon une coutume antique, onze jours qui, d’après l’édit de l’Inca, furent répartis parmi les douze lunes. D’après cet arrangement, il n’est guère possible que quatre périodes égales, dans lesquelles on auroit divisé les mois lunaires, pussent être de sept jours et correspondre aux phases de la lune. Le même historien, dont le témoignage est cité par M. Bailly en faveur de l’opinion que la semaine des Hindoux étoit connue aux Américains, affirme que, d’après une ancienne loi de l’inca Pachacutec, il devoit y avoir, dans chaque mois lunaire, trois jours de fêtes et de marché (catu), et que le peuple devoit travailler, non sept, mais huit jours consécutifs pour se reposer le neuvième[12]. Voilà indubitablement une division d’un mois lunaire, ou d’une révolution sidérale de la lune, eu trois petites périodes de neuf jours.

Nous observerons, à cette occasion, que les Japonnois[13], peuple de race tartare, ne connoissoient pas non plus la petite période de sept jours, tandis qu’elle est usitée chez les Chinois, qui paroissent aussi originaires du plateau de la Tartarie, mais qui ont eu longtemps des communications intimes avec l’Indostan[14] et le Tibet.

Nous avons vu plus haut que l’année mexicaine offroit, comme celle des Égyptiens et comme le nouveau calendrier françois, l’avantage d’une division en mois d’égale durée. Les cinq jours complémentaires, les épagomènes (έπαγόμεναι) des Égyptiens, étoient désignés chez les Mexicains par le nom de nemontemi ou vides. Nous verrons bientôt l’origine de cette dénomination : il suffit d’observer ici que les enfans nés pendant les cinq jours complémentaires, étoient regardés comme malheureux, et qu’on les appeloit nemoquichtli ou nencihuatl, homme ou femme infortunés, afin que, comme disent les écrivains mexicains, ces noms mêmes leur rappelassent, dans tous les événemens de la vie, combien peu ils dévoient se fier à leur étoile.

Treize années mexicaines formolent un cycle, appelé tlalpilli, analogue à l’indiction des Romains. Quatre tlapilli formoient une période de cinquante-deux ans, ou xiuhmolpilli, ligature des années : enfin, deux de ces périodes de cinquante-deux ans formoient une vieillesse, cehuehuetiliztli. Pour m’énoncer avec plus de clarté, je nommerai, avec plusieurs auteurs espagnols, la ligature un demi-siècle, et la vieillesse un siècle. L’hiéroglyphe du demi-siècle est conforme à la signification figurée du mot ; c’est un paquet de roseaux liés par un ruban. Un demi-siècle (xiuhmolpilli) étoit regardé par les Mexicains comme une grande année, et cette dénomination a sans doute engagé Gomara[15] à appeler les indictions, ou les quatre cycles de treize ans, de grandes semaines, las semanas del aňo.

L’idée de désigner une période par un mot qui rappelle un faisceau d’années ou de lunes, se retrouve chez les Péruviens. Dans la langue qquichua, lingua del Inga, une année de trois cent soixante-cinq jours s’appelle huata, mot qui dérive évidemment de huatani, lier, ou huatanan, grosse corde de jonc. D’ailleurs, les Aztèques n’avoient pas d’hiéroglyphes pour la vieillesse, ou siècle de cent quatre ans, dont le nom indique, pour ainsi dire, le terme de la vie des vieillards.

En résumant ce que nous venons de dire sur la division du temps, nous trouvons que les Mexicains avoient de petites périodes de cinq jours (demi-décades), des mois de vingt jours, des années civiles de dix-huit mois, des indictions de treize ans, des demi-siècles de cinquante-deux ans, et des siècles, ou vieillesses, de cent quatre ans.

D’après les recherches curieuses de M. Gama, il paroit certain qu’à la clôture d’un cycle de cinquante-deux ans, l’année civile des Toltèques et des Aztèques, comme celle des Chinois et des Hindoux, finis soit au solstice d’hiver, « lorsque », comme disent naïvement les premiers moines missionnaires envoyés à Mexico, « le soleil, dans sa course annuelle, recommence son ouvrage, quando desanda lo andado. » Ce même commencement de l’année se trouve chez les Péruviens, dont le calendrier seul indique d’ailleurs qu’ils ne descendent pas des Toltèques, comme plusieurs écrivains l’ont supposé gratuitement[16]. Les habitans de Cuzco conservoient une tradition[17], d’après laquelle le premier jour de l’année correspondoit jadis à notre 1er janvier, jusqu’à ce que l’inca Titu-Manco-Capac, qui prit le surnom de Pachacutec (réformateur du temps) y ordonna que l’année commençât, « lorsque le soleil revient sur ses pas », c’est-à-dire, au solstice d’hiver.

Il existe, parmi les auteurs espagnols, une grande confusion dans la dénomination et la suite des dix-huit mois mexicains. Plusieurs de ces mois portoient trois à quatre noms à la fois ; et quelques auteurs oubliant que les Mexicains, chaque fois qu’il s’agit d’une série périodique de signes ou d’hiéroglyphes, écrivent de droite à gauche, et, en commençant par l’extrémité inférieure de la page, ont pris le dernier mois pour le premier. Les Aztèques réunissoient, dans ce qu’ils appeloient des roues du demi-siècle, xiuhmolpilli, la série des hiéroglyphes qui indiquent le cycle de cinquante-deux ans. Un serpent roulé, qui se mord la queue, entoure la roue, et désigne, par quatre nœuds, les quatre indictions, ou tlalpilli. Gel emblème rappelle le serpent ou le dragon qui, chez les Égyptiens et les Perses[18], représente le siècle, une révolution, œvum. Dans cette roue de cinquante-deux ans, la tête du serpent désigne le commencement du cycle. Il n’en est point ainsi dans la roue de l’année : le serpent n’y entoure pas les dix-huit hiéroglyphes des mois, et rien n’y caractérise le premier mois de l’année.

Le mémoire que M. Gama a publié à Mexico sur l’almanach aztèque étant très-rare en Europe, je consignerai ici la série des mois, d’après les recherches laborieuses de ce savant. J’ajouterai l’étymologie des dénominations qui ont toutes rapport aux fêtes, aux travaux publics et au climat du Mexique. On ne sauroit douter que Tititl ne soit le premier mois, l’indien Christoval del Castillo disant expressément, dans son histoire manuscrite, que les nemontemi, ou jours complémentaires, furent ajoutés à la fin du mois Atemoztli. Voici les noms des dix-huit mois :

1. Tititl, peut-être de titixia, glaner après la récolte ; Itzcalli, mois destiné à renouveler et à blanchir l’inférieur des maisons et des temples. Du 9 au 28 janvier, dans la première année de la première indiction du cycle Xiuhmolpilli
2. Xochilhuitl. Du 29 janvier au 17 février.
3. Xilomanaliztli ; Atlcahualco, qui manque d’eau ou de pluie ; Quahuitlehua, mois dans lequel les arbres commencent à pousser ; Cihuailhuitl, fête des femmes. Du 18 février an 9 mars.
4. Tlacaxipehualiztli ; le nom de ce mois rappelle l’épouvantable cérémonie dans laquelle on écorchait les victimes humaines pour en tanner les peaux qui servoient aux vêtemens des prêtres, comme on le voit dans la peinture hiéroglyphique représentée sur la Planche xxvii ; Cohuailhuitl, fête de la couleuvre. Du 9 au 29 mars.
5. Tozoztontli, mois des veilles, parce que les ministres des temples étoient obligés de veiller pendant les grandes fêtes célébrées dans ce mois. Du 30 mars au 18 avril.
6. Huey Tozoztli, la grande veille, la grande pénitence. Du 19 avril au 8 mai.
7. Toxcatl, mois dans lequel on attachoit des cordes et des guirlandes de mais au col des idoles ; Tepopochuiliztli, encensoir. Du 9 au 28 mai. C’est dans ce mois Toxcatl que le compagnon d’armes de Cortez, Pedro de Alvarado, ce guerrier sauvage que les Mexicains appeloient le Soleil, Tonatiuh, à cause de ses cheveux blonds, fît un horrible carnage de la noblesse mexicaine rassemblée dans l’enceinte du téocalli. Cette attaque fut le signal des dissensions civiles qui causèrent la mort du malheureux roi Montezuma.
8. Etzalqualiztli, nom qui paroît dériver d’etzalli, qui est un mets particulier préparé avec la farine de mais. Du 29 mai au 17 juin.
9. Tecuilhuitzintli, mois ou fête des jeunes guerriers. Du 18 juin au 7 juillet.
10. Hueytecuilhuitl, fête de la noblesse et des guerriers déjà avancés en âge. Du 8 au 27 juillet.
11. Miccailhuitzintli, la petite fête des morts ; Tlaxochimaco, répartition des fleurs. Du 28 juillet au 16 août.
12. Hueymiccailhuitl, la grande fête célébrée en mémoire des morts ; Xocotlhuetzi, chute des fruits, mois dans lequel les fruits mûrissent, correspondant à la fin de l’été. Du 17 août au 5 septembre.
13. Ochpaniztli, balai, mois destiné à nettoyer les canaux, et à renouveler les digues et les chemins ; Tenahuititiztli. Du 6 au 25 septembre.
14. Pachtli, du nom d’une plante parasite qui commence à pousser à cette époque sur le tronc des vieux chênes ; Ezoztli, Teotleco y arrivée des dieux. Du 26 septembre au 15 octobre.
15. Hueypachtli, mois dans lequel la plante pachtli est déjà grande ; Tepeilhuitl, fête des montagnes, ou plutôt des divinités agrestes qui président aux montagnes. Du 16 octobre an 4 novembre.
16. Quecholli, mois dans lequel arrive, sur les bords du lac de Tezcuco, le flamant (phœnicopterus), oiseau, qu’à cause delà belle couleur de ses plumes, les Mexicains appeloient Teoquechol, le héron divin. Du 5 au 24 novembre.
17. Panquetzaliztli, du nom de l’étendard du dieu Huitzilopochtli, porté dans les processions, lors de la fameuse fête de Teocualo, ou du dieu mangé par les fidèles, sous la forme de farine de maïs pétrie avec du sang. Du 25 novembre au 14 décembre.
18. Atemoztli, descente des eaux et des neiges ; ces dernières commencent, vers la fin de décembre, à couvrir les montagnes qui entourent la vallée de Mexico. Du 15 décembre au 3 janvier.


Dans la première année du cycle, les cinq jours complémentaires correspondent aux 4, 5, 6, 7 et 8 janvier. Un peuple qui ne fait d’intercalation que tous les cinquante-deux ans, voit rétrograder le commencement de son année à peu près tous les quatre ans d’un jour, et, par conséquent, de douze à treize jours à la fin du cycle, Xiuhmolpilli. Il en résulte, comme nous le verrons plus bas, que le dernier jour complémentaire, ou nemontemi, de la dernière année du cycle mexicain, correspond au 26 décembre. Or, les cinq nemontemi étant regardés comme jours vagues et malheureux, on avoit considéré le jour du solstice d’hiver, ou le 21 décembre, comme la fin du Xiuhmolpilli. Les nemontemi ou épagomènes, de même que les douze ou treize jours intercalaires, n’appartiennent à aucune des deux années entre lesquelles elles tombent, et c’est pour cette raison que, plus haut, nous avons nommé le solstice d’hiver la fin, et non le commencement d’un cycle de cinquante-deux ans.

Dans les troisième, quatrième et cinquième mois, qui correspondent à nos mois de février, de mars et d’avril, il y avoit des fêtes solennelles instituées en l’honneur de Tlalocteutli, le dieu de l’eau, ce temps étant celui des grandes sécheresses, qui durent, dans la partie montagneuse, jusqu’aux mois de juin et de juillet. Si les prêtres avoient négligé l’intercalation, les fêtes dans lesquelles on prioit les dieux d’accorder une année abondante en pluies, se seroient rapprochées peu à peu du temps des moissons : le peuple se seroit aperçu que l’ordre des sacrifices étoit interverti ; et, n’ayant pas de mois lunaires, il n’auroit pas même pu, comme les dieux d’Aristophane[19], accuser la lune d’avoir porté le désordre dans le calendrier et dans le culte. Quant aux dénominations-et aux hiéroglyphes des mois mexicains, rien n’annonce qu’ils aient pris naissance dans un climat plus septentrional. Le mot de quahuitlehua rappelle, il est vrai, que les arbres se couvrent de jeunes feuilles vers la fin de février ; mais ce phénomène, que l’on n’observe pas dans les basses régions de la zone torride, est propre à la région montagneuse située sous les 19 et 26 degrés de latitude, où les chênes, sans se dépouiller entièrement des anciennes feuilles, commencent à en développer de nouvelles.

Nous avons parlé jusqu’ici du calendrier civil appelé le compte du soleil, Tonalpohualli : il nous reste à examiner le calendrier rituel, désigné par les noms de compte de la lune, Metztlapohualli, et de compte des fêtes, Cemilhuitlapohualiztli, de tlapohualiztli, compte, et ilhuitl, fête. Ce dernier calendrier, le seul qui fût employé par les prêtres, et dont nous trouvons des traces dans presque toutes les peintures hiéroglyphiques conservées jusqu’à nos jours, présente une série uniforme de petites périodes de treize jours. Ces petites périodes peuvent être considérées comme des demi-lunaisons ; elles dévoient probablement leur origine aux deux états de veille, ixtozoliztli, et de sommeil, cochiliztli, que les Mexicains attribuoient à la lune, selon que cet astre éclaire la majeure partie de la nuit, ou que paraissant seulement le jour sur l’horizon, il semble, d’après les idées du peuple, se reposer la nuit. Ce rapport que l’on observe entre les périodes de treize jours et la moitié du temps que la lune est visible, avant et après l’opposition, a sans doute fait donner au calendrier rituel le nom de compte de la lune ; mais cette dénomination ne doit pas nous induire à chercher une année lunaire dans la série des petits cycles qui se suivent uniformément, et qui n’ont rien de commun, ni avec les phases, ni avec les révolutions de la lune.

Le nombre 13 offre, dans ses multiples, des propriétés dont les Mexicains se sont servis pour conserver la concordance entre les almanachs rituel et civil. Une année civile de trois cent soixante-cinq jours renferme un jour de plus que vingt-huit petites périodes de treize jours : or, le cycle de cinquante-deux ans étant divisé en quatre tlapilli de treize ans, ce jour surnuméraire forme, à la fin de chaque indiction, une petite période entière, et un tlapilli renferme trois cent soixante-cinq de ces périodes ; c’est-à-dire, qu’il a autant de semaines de treize jours que l’année a de jours civils. Une année de l’almanach rituel a vingt demi-lunaisons, ou deux cent soixante jours, et ce même nombre de jours renferme cinquante-deux demi-décades, ou petites périodes de cinq jours : les Mexicains retrouvoient donc, dans la concordance de ces deux comptes de la lune et du soleil, leurs nombres favoris de 5, 13, 20 et 52. Un cycle de cinquante-deux ans renfermoit quatorze cent soixante petites périodes de treize jours ; et si l’on y ajoute treize jours intercalaires, on a quatorze cent soixante-une petites périodes, nombre qui coïncide accidentellement avec celui des années qui constituent la période sothiaque.

Le cycle de dix-neuf années solaires, qui correspond à deux cent trente-cinq lunaisons, et que les Chinois connoissoient plus de seize siècles avant Meton[20], ne trouve son multiple ni dans le cycle de soixante ans, qui est en usage chez la plupart des peuples de l’Asie orientale et chez les Muyscas du plateau de Bogota, ni dans le cycle de cinquante-deux ans adopté par toutes les nations de races toltèque, acolhue, aztèque et tlascaltèque. Il est vrai que cinq vieillesses de cent quatre ans chacune forment, à une année près, la période julienne, et que le double de la période de Meton est presque égal à trois indictions (tlapilli) de l’année mexicaine ; mais aucun multiple de treize n’égale exactement le nombre des jours renfermés dans une période de deux cent trente-cinq lunaisons. La période de Meton contient cinq cent trente-trois et demi petits cycles de treize jours, tandis que celle de Calippe en renferme deux mille cent trente-quatre et un treizième. La connoissance de ces périodes étoit utile aux peuples de l’Asie, qui, de même que les Péruviens, les Muyscas et d’autres tribus de l’Amérique méridionale, avoient des années lunaires : mais elle devoit être absolument indifférente aux Mexicains, le prétendu compte de la lune (Metzlapohualli) n’étant qu’une division arbitraire d’une grande période de treize années astronomiques en trois cent soixante-cinq petites périodes de treize jours, dont chacune a sensiblement la même durée que le sommeil ou la veille de la lune.

Les Mexicains conservoient des annales qui remontoient à huit siècles et demi au-delà de l’époque de l’arrivée de Cortez au pays d’Anahuac. Nous avons expliqué plus haut comment ces annales présentoient, dans leurs subdivisions, tantôt un cycle de cinquante-deux ans, tantôt un tlalpilli de treize ans, tantôt une seule année de deux cent soixante jours renfermés dans vingt petites périodes de treize jours, selon que l’histoire étoit plus ou moins démaillée. Auprès de la série périodique des hiéroglyphes des années ou des jours, étoient représentées, dans des peintures brillantes de couleurs, hideuses par les formes et par l’extrême imperfection du dessin, mais souvent naïves et ingénieuses par la composition, les migrations des peuples, leurs combats, et les événemens qui avoient illustré le règne de chaque roi. On ne sauroit nier que Valadès, Acosta, Torquemada, et, dans ces derniers temps, Siguenza, Boturini et Gama, n’aient tiré des lumières de peintures qui remontoient jusqu’au septième siècle. J’ai eu moi-même entre les mains des peintures dans lesquelles on reconnoissoit les migrations des Toltèques : mais je doute que les premiers conquérans espagnols aient trouvé, comme l’affirme Gomara[21], des annales qui, année par année y traçoient les événemens pendant huit siècles. Les Toltèques avoient disparu[22] quatre cent soixante-huit ans avant l’arrivée de Cortez ; le peuple que les Espagnols trouvèrent établi dans la vallée de Mexico, étoit de race aztèque : ce qu’il savoit des Toltèques, il ne pouvoit l’avoir appris que des peintures que ceux-ci avoient laissées dans le pays d’Anahuac, ou de quelques familles éparses, qui, retenues par l’amour du sol natal, n’avoient pas voulu partager les chances de l’émigration.

Les annales des Aztèques commencent, d’après Gama, à une époque qui correspond à l’année 1091 de notre ère, époque à laquelle, par ordre de leur chef Chalchiuhtlatonac, ils célébrèrent la fête du renouvellement du feu à Tlalixco, appelé aussi Acahualtzinco, situé probablement sous le parallèle de 33° ou 35° de latitude septentrionale. C’est seulement depuis l’année 1091, dans laquelle, comme dit expressément l’historien indien Chimalpain, ils lièrent pour la première fois les années depuis leur sortie d’Aztlan, que l’histoire mexicaine offre le plus grand ordre et un détail surprenant dans le récit des événemens.

D’après ce que nous avons exposé jusqu’ici du compte du soleil et de la division uniforme de l’année en dix-huit mois d’égale durée, il auroit été facile aux Mexicains de désigner l’époque des événemens historiques, en rapportant le jour du mois et en comptant le nombre des années écoulées depuis le fameux sacrifice de Tlalixco. Cette méthode simple et naturelle auroit sans doute été suivie, si les annales de l’empire n’avoient pas été tenues par les prêtres Teopixqui. On trouve quelquefois, il est vrai, l’hiéroglyphe d’un mois auquel sont ajoutés des points ronds, qui, placés dans deux rangées inégales, prouvent, par leur disposition, que les prêtres aztèques, comme nous l’avons observé plus haut, faisoient suivre les différens termes d’une série de droite à gauche, et non de gauche à droite, comme les Hindoux et presque tous les peuples qui habitent aujourd’hui l’Europe. On voit encore, à Mexico, la copie d’une peinture conservée jadis au musée du chevalier Boturini, dans laquelle le signe du mois quecholli, suivi de treize points, est placé près d’un lancier espagnol, dont le cheval a sous ses pieds l’hiéroglyphe de la ville de Ténochlitlan. Cette peinture représente indubitablement la première entrée des Espagnols à Mexico, le 13 du mois quecholli, qui, d’après Gama, correspond au 17 novembre 1519 ; mais il faut convenir que de simples dates de mois, exprimées par le nombre des jours écoulés, ne se trouvent que très-rarement dans les annales mexicaines.

Quant aux années, on ne distinguoit jamais par des nombres celles d’un même cycle de cinquante-deux ans ; on se servoit, au contraire, pour ne pas les confondre, d’un artifice particulier que nous décrirons plus bas, et qui est d’autant plus curieux, qu’il offre des traits de ressemblance entre le système chronologique des Mexicains et celui des peuples de l’Asie. Les ronds ou signes de nombres ne se trouvent ajoutés qu’aux ligatures qui indiquent des cycles de cinquante-deux ans. C’est ainsi que l’hiéroglyphe du Xiuhmolpilli, suivi de quatre ronds placés près des îlots sur lesquels fut construit le temple de Mexitli, rappeloit au Mexicain que ses ancêtres avoient lié quatre fois les années, ou que, depuis le sacrifice de Tlalixco, quatre fois cinquante-deux ans s’étoient écoulés, lorsque la ville de Ténochtitlan fut fondée dans le lac de Tezcuco. Ces ronds indiquoient, par conséquent, que cet événement remarquable avoit eu lieu après l’année 1299, et avant l’année 1351. Examinons maintenant les moyens ingénieux, mais assez compliqués, dont se servoient ces peuples pour désigner le jour et l’année d’un cycle de 52 ans.

Ce moyen, comme nous l’exposerons dans la suite, est identique avec celui dont se servent les Hindoux, les Tibétains, les Chinois, les Japonnois et d’autres peuples asiatiques de race tartare, qui distinguent aussi les mois et les années par la correspondance de plusieurs séries périodiques dont le nombre des termes n’est pas le même. Les Mexicains emploient, pour le cycle des années, les quatre signes suivans, qui portent les noms de

Tochtli, lapin ou fièvre,
Acatl, cannes.
Tecpatl, silex, ou pierre à fusil.
Calli, maison.

On trouve ces quatre hiéroglyphes dans plusieurs des planches précédentes. Pour la figure du lapin (tochlli), voyez, Planche xiii, l’animal à grandes oreilles figuré dans la huitième case, en comptant d’en bas à droite ; Planche xxiii, la troisième case au bas à gauche, et surtout Planche xxvii, no 1, la huitième case. Pour cannes (acatl), silex (tecpatl), et maison (calli), voyez, sur la pierre circulaire représentée Planche xxiii, la cinquième, la dixième et la quinzième case qui suivent celle du lapin, de gauche à droite. On reconnoîtra facilement ces mêmes formes, Planche xxvii, no 1, dans les cases treize, dix-huit et trois, en comptant dans la même rangée de droite à gauche, et en commençant par la rangée inférieure. Le signe silex se voit aussi, Planche xiii, derrière la figure qui est en adoration. Sur cette même planche, le calli est représenté par la figure entière d’une maison, dans laquelle on reconnoît la porte et un toit très-élevé.

Qn’on imagine à présent le cycle, ou la demi-vieillesse, divisé en quatre tlapilli, chacun de treize ans, et les quatre signes lapin, cannes, silex et maison, ajoutés dans une série périodique aux cinquante-deux ans renfermés dans un cycle, on trouvera que deux indictions ne peuvent pas commencer par le même signe ; que le signe placé à la tête d’une indiction doit nécessairement la terminer, et que le même signe ne peut pas appartenir au même nombre. Voici le tableau du cycle mexicain, appelé ligature ou xiuhmolpilli :

premier tlalpilli. second tlalpilli. troisième tlalpilli. quatrième tlalpilli.
Ce Tochtli. 1. Lapin. Ce Acatl. 1. Cannes. Ce Tecpatl. 1. Silex. Ce Calli. 1. Maison.
Ome Acatl. 2. Cannes. Ome Tecpatl. 2. Silex. Ome Calli. 2. Maison. Ome Tochtli. 2. Lapin.
Jei Tecpatl. 3. Silex. Jei Calli. 3. Maison. Jei Tochtli. 3. Lapin. Jei Acatl. 3. Cannes.
Nahui Calli. 4. Maison. Nahui Tochtli. 4. Lapin. Nahui Acatl. 4. Cannes. Nahui Tecpatl. 4. Silex.
Macuilli Tochtli. 5. Lapin. Macuilli Acatl. 5. Cannes. Macuilli Tecpatl. 5. Silex. Macuilli Calli. 5. Maison.
Chicuace Acatl. 6. Cannes. Chicuace Tecpatl. 6. Silex. Chicuace Calli. 6. Maison. Chicuace Tochtli. 6. Lapin.
Chicome Tecpatl. 7. Silex. Chicome Calli. 7. Maison. Chicome Tochtli. 7. Lapin. Chicome Acatl. 7. Cannes.
Chicuei Calli. 8. Maison. Chicuei Tochtli. 8. Lapin. Chicuei Acatl. 8. Cannes. Chicuei Tecpatl. 8. Silex.
Chicuhnahui Tocht. 9. Lapin. Chicuhnahui Acatl. 9. Cannes. Chicuhnahui Tecp. 9. Silex. Chicuhnahui Calli. 9. Maison.
Matlactli Acatl. 10. Cannes. Matlactli Tecpatl. 10. Silex. Matlactli Calli. 10. Maison. Matlactli Tochtli. 10. Lapin.
Matl. ozee Tecpatl. 11. Silex. Matl. ozee Calli. 11. Maison. Matl. ozee Tochtli. 11. Lapin. Matl. ozee Acatl. 11. Cannes.
Matl. omome Cal. 12. Maison. Matl. omome Tochl. 12. Lapin. Matl. omome Acatl. 12. Cannes. Matl. omome Tecp. 12. Silex.
Matl. omey Tochtli. 13. Lapin. Matl. omey Acatl. 13. Cannes. Matl. omey Tecpatl. 13. Silex. Matl. omey Calli. 13. Maison.

Les mots ce, ome, jei, placés avant les noms de quatre hiéroglyphes des années, indiquent les nombres dont la série ne va pas au-delà de treize, et qui se trouvent par conséquent répétés quatre fois dans une ligature. La table suivante offre les nombres de un à treize, en mexicain ou aztèque, dans la langue de Noutka, en muysca, ou mosca, en péruvien ou qquichua, en mantchou, ou oïgour et en mongol.

LANGUES AMÉRICAINES. LANGUES TARTARES.
langues aztèques.
(Mexique.)
lang. qquichua.
(Pérou.)
lang. muysca.
(Nouv-Grenade.)
lang. de noutka.
(Côte du N.-Ouest.)
lang. mantchou.
(Tartarie orientale.)
lang. mongole.
(Tartarie occident.)
lang. oïgour.
(Plateau du Turfau.)
1. Ce. Huc. Ata. Sahuac. Emou. Neguè Pir.
2. Ome. Iscay. Bosa. Atla. Tchoué. Khour. Iki.
3. Jei. Quimza. Mica. Catza. Han. Gourbâ. Cutche.
4. Nahui. Tawa. Muyhica. Nu. Touyin. Durba. Touvou.
5. Macuilli. Pichca. Hisca. Sutcha. Sountcha. Taboû. Pich.
6. Chicuace. Zoeta. Ta. Nupu. Ningoun. Djourga. Alti.
7. Chicome. Canchis. Cuhupqua. Atlipu. Nadan. Dolo. Iti.
8. Chicuei. Pussac. Suhuza. Atecual. Tchakoun. Naïma. Sakis.
9. Chicuhnahui. Yscon. Aca. Tzahuacuatl. Ouyoun. Youzou. Toukpus.
10. Matlactli. Chunca. Ubchica. Ayo. Tchouan. Arban. Oun.
11. Matl. ozce. Chunca hucnioe. Quicha ata. Ayo sahuac. Tchouan emou. Arban neguè. Pir oun.
12. Matl. omone. Chunca iscayoe. Quicha bosa. Ayo atla. Tchouan tchoué. Arban khour. Iki oun.
13. Matl. omey. Chun. quimzayoe. Quicha mica. Ayo catza. Tchouan ilan. Arban gourbâ. Outche oun.

On peut être frappé de l’extrême dissemblance qui se trouve entre les sept langues dans lesquelles nous venons d’indiquer les nombres cardinaux. Les langues américaines sont aussi éloignées les unes des autres qu’elles le sont des langues tartares. Ce manque d’analogie ne doit cependant pas être allégué comme une preuve contre l’opinion que les peuples américains ont eu d’anciennes communications avec l’Asie orientale. Les différens groupes de peuples tartares, les Mantchoux et les Oïgours, dont les derniers, deux siècles avant notre ère, ont émigré des bords du Selinga vers le plateau de Turfan, situé sous les 43° 30′ de latitude, parlent des langues qui différent plus entre elles que l’allemand et le latin. Lorsque des tribus d’une même origine sont séparées, pendant une longue suite des siècles, par des mers et de vastes déserts, leurs idiomes ne conservent qu’un très-petit nombre de racines et de formes communes.

De même que les Mexicains, en parlant de l’année d’un cycle, plaçoient les nombres cardinaux ce, ome, jei, devant le nom de quatre hiéroglyphes lapin, canne, silex et maison, ils joignoient, dans leurs peintures, les signes de ces nombres aux signes des années. La méthode étoit identique avec celle employée pour distinguer les cycles ou ligatures. Comme la série périodique des nombres n’avoit que treize termes, il suffisoit d’ajouter aux hiéroglyphes les ronds qui figurent les unités.

L’écriture symbolique des peuples mexicains offroit des signes simples tant pour vingt que pour la seconde et la troisième puissance du même nombre qui rappelle celui des doigts de la main et du pied. Un petit étendard, ou pavillon, représentoit vingt unités : le carré de vingt, ou quatre cents, étoit figuré par une plume, parce que des grains d’or renfermés dans le tuyau d’une plume servoient, dans quelques endroits, de monnoie ou de signe d’échange. La figure d’un sac indiquoit le cube de vingt, ou huit mille, et portoit le nom de xiquipilli, donné de même à une sorte de bourse qui renfermoit huit mille grains de cacao. Un étendard, divisé par deux lignes croisées et colorié à moitié, indiquoit un demi-vingt, ou dix. Si l’étendard étoit colorié à trois quarts, il désignoit quinze unités, ou trois quarts de vingt. En comptant, le Mexicain ne nommoit pas les multiples de dix que les Arabes appellent nœuds, mais les multiples de vingt. Il disoit : un-vingt, cem-pohualli ; deux-vingts, om-pohualli ; trois-vingts, yei-pohualli ; et quatre-vingts, nahui-pohualli. Cette dernière expression est identique avec celle employée en françois. Il est presque superflu d’observer ici que les Mexicains ne connoissoient pas la méthode de donner aux signes des nombres des valeurs de position[23], méthode admirable, inventée soit par les Hindoux, soit par les Tibétains[24], mais également ignorée des Grecs[25] des Romains, et des peuples civilisés de l’Asie occidentale. Les Mexicains accoloient leurs hiéroglyphes des nombres à peu près comme les Romains répétoient les lettres de leur alphabet, qui leur servoient de chiffres. On ne sauroit être surpris de voir que l’arithmétique mexicaine ne présente pas d’hiéroglyphe simple pour des centaines au-dessus de quatre cents, lorsqu’on se rappelle[26] que les Arabes, jusqu’au cinquième siècle de l’hégire, connoissoient tout aussi peu des signes pour les nombres centenaires au-dessus de quatre cents, et que, pour écrire neuf cents ce peuple, justement célèbre dans les annales des sciences, étoit obligé de placer deux fois le signe de quatre cents à côté du signe de cent.

Il résulte de ce que nous avons exposé sur la manière de distinguer entre elles les ligatures, et les années renfermées dans une ligature, qu’une époque étoit déterminée en nommant à la fois le nombre des ligatures ou cycles et deux termes qui se correspondent dans les deux séries périodiques de treize nombres et de quatre signes. La table suivante offre plusieurs époques remarquables de l’histoire mexicaine, indiquées d’après l’ère des Aztèques. Il faut se rappeler que ces peuples ne comptoient le nombre de leurs cycles, xuihmolpillis, que de l’année 1091, parce que, dans leurs annales, ils avoient établi un nouvel ordre chronologique depuis leur sortie d’Aztlan, ou depuis le commencement de leurs migrations vers le sud.

Nahui Xiuhmolpilli, ome Calli (4.e Cycle, 2. Maison
1325. Fondation de Ténochtitlan.
Macuilli Xiuhmolpilli, ce Calli (5.e, 1. Maison.)
1389. Avènement au trône du roi Huitzilihuitl.
Chicuace Xiuhmolp., chicuace Tochtli (6.e Cycle, 6. Lapin.)
1446. Grande inondation de la ville de Mexico.
Chicome Xiuhmolpilli, matlactli omey Tochtli (7.e Cycle, 13. Lapin.)
1492. Arrivée de Colon aux Isles Antilles.
Chicuei Xiuhmolpilli, ce Acatl (8.e Cycle, 1. Canne.)
1519. Entrée de Cortez à Ténochtitlan.
Chicuei Xiuhmolpilli, ome Tecpatl (8.e Cycle, 2. Silex.)
1520. Mort de Montezuma.
Chicuei Xiuhmolpilli, jei Calli (8.e Cycle, 3. Maison.)
1521. Prise et destruction de Ténochtitlan.

Le même artifice de la concordance de deux séries périodiques étoit employé pour distinguer les jours d’une même année. Il paroît qu’originairement, chez les peuples mexicains comme chez les Persans, chaque jour du mois avoit un nom et un signe particulier : ces vingt signes rappellent les yogas que, dans l’almanach astrologique des Hindoux, l’on trouve ajoutés aux vingt-huit jours des mois lunaires. Dans le Metztlapohualli, ou compte de la lune des Aztèques, on les distribua parmi les petits cycles des demi-lunaisons ; de sorte qu’une série périodique de treize termes, qui tous étoient des chiffres, correspondoit à une série périodique de vingt termes, qui ne renfermoit que des signes hiéroglyphiques. C’est dans cette série des jours que l’on retrouve les quatre grands signes, lapin, canne, silex et maison, par lesquels, comme nous venons de le voir plus haut, on désignoit les années d’un même cycle ; seize autres signes d’un ordre inférieur étoient répartis de manière qu’en nombre égal de quatre ils séparoient les grands signes les uns des autres.

En se rappelant que chaque mois mexicain étoit divisé en quatre petites périodes de cinq jours, on conçoit qu’originairement les hiéroglyphes lapin, canne, silex et maison, indiquoient le commencement de ces petites périodes dans les années dont le premier jour portoit un des quatre signes nommés. En effet, lorsque le premier du mois Titill a le signe calli, le six de tous les mois suivans sera tochtli, le onze sera acatl, et le seize tecpatl : chaque mois commencera pour ainsi dire par un dimanche, et ces dimanches tomberont pendant toute l’année sur les mêmes jours des mois. Les Mexicains mettoient un intérêt particulier aux événemens arrivés un des quatre jours qui avoient les hiéroglyphes du cycle des années. Nous retrouvons les traces de cette superstition chez les Persans, qui, pour donner un signe (karkunan) à chaque jour du mois, ajoutoient aux douze esprits célestes préposés aux mois dix-huit ministres d’un ordre inférieur. Les Mexicains regardoient comme heureux le jour qui portoit le signe de l’année : les Persans[27] distinguoient les jours présidés par le même ange qui gouverne le mois entier.

Comme la plupart des peintures hiéroglyphiques représentées sur les Planches qui accompagnent cet ouvrage, ont rapport aux sacrifices qui doivent être faits dans chaque période de treize jours, on y trouve répétées plusieurs fois les figures des vingt signes des jours. Je ne citerai ici que les Planches xiii, xxiii et xxvii. Voici les noms de ces signes :

Calli, maison.
Cuetzpalin, lézard.
Cohuatl, couleuvre. Ce mot se retrouve dans Cihuacohuatl[28] femme au serpent, l’Ève des Mexicains.
Miquiztli, mort, tête de mort.
Mazatl, chevreuil ou cerf.
Tochtli, lapin.
Atl, eau.
Itzcuintli, chien.
Ozomatli, singe.
Malinalli, herbe.
Acatl, canne.
Ocelotl, tigre, jaguar.
Quauhtli, aigle.
Cozcaquauhtli, roi des vautours.
Ollin, mouvement annuel du soleil.
Tecpatl, silex.
Quiahuitl, pluie.
Xochitl, fleur.
Cipactli, animal marin : Teocipactli, dieu-poisson, est un des noms que les Mexicains donnoient à Coxcox, qui est le Noé des peuples de race sémitique.
Ehecatl, vent.

Les nombres treize et vingt n’ayant pas de facteurs communs dans l’almanach des demi-lunaisons, les deux séries périodiques ne peuvent correspondre deux fois aux mêmes termes qu’après 13 × 20, ou deux cent soixante jours. Dans une année dont le premier jour a le signe cipactli, aucune demi-lunaison ne commence avec le signe cipactli, dans les treize premiers mois ; mais, depuis le mois pachtli, les mêmes signes reviennent avec les mêmes chiffres. Pour éviter cette cause d’erreur, les Mexicains, fidèles à leur principe de ne pas nommer le nombre des petites périodes de treize jours, ont eu de nouveau recours à l’artifice des séries périodiques. Ils ont formé une troisième série de neuf signes, appelés les seigneurs ou maîtres de la nuits ; savoir :

Xiuhteucli Tletl, feu, ou maître de l’année.
Tecpatl, silex.
Xochitl, fleur.
Cinteotl, déesse du maïs.
Miquiztli, mort.
Atl, eau.
Tlazolteotl, déesse de l’amour.
Tepeyollotli, esprit qui habite l’intérieur des montagnes.
Quiahuitl, pluie.

On peut être étonné de trouver une série de neuf termes dans un calendrier qui ne fait usage que des nombres cinq, treize, dix-huit, vingt et cinquante-deux ; on pourroit même être tenté de chercher quelque analogie entre les neuf seigneurs de la nuit des Mexicains, et les neufs signes astrologiques de plusieurs peuples de l’Asie, qui joignent aux sept planètes visibles deux dragons invisibles auxquels ils attribuent les éclipses : mais ce n’est sans doute que la facilité avec laquelle les neuf seigneurs de la nuit se répartissent quarante fois en trois cent soixante jours, qui a fait donner la préférence au nombre neuf.

Les cinq jours complémentaires, appelés par les Persans jours furtifs, ou pendjéhidouzdideh, portent, chez les Mexicains, le nom de nemontemi ou vides, parce qu’on ne leur ajoute pas de ces termes de la troisième série que les auteurs indiens regardent comme les compagnons des signes des jours. Il faut observer, et cette circonstance peut devenir embarrassante dans la chronologie aztèque, que cinq de ces compagnons portent le même nom que les hiéroglyphes du jour : mais, d’après les rêveries des astrologues américains, les esprits qui appartiennent à la série des neufs signes, gouvernent la nuit, tandis que les vingt autres signes gouvernent le jour. Les Hindoux connoissent aussi des génies (caranas), préposés à un demi-jour (ti’thi) lunaire.

Comme il y a vingt signes du jour, et neuf compagnons ou seigneurs de la nuit, le même compagnon doit correspondre, tous les 9×20 ou cent quatre-vingts jours, aux mêmes hiéroglyphes ; mais il est impossible que, dans la même année de trois cent soixante-cinq jours, le même terme des trois séries, savoir le nombre, le signe du jour, et le compagnon ou esprit nocturne, puissent coïncider plus d’une fois. Dans une année qui commence par Cipuctli,

Le 11 Janvier sera 3 Calli, xochitl.
Le 10 Juillet 1 Calli, xochitl.
Le 2 Février 12 Cohualt, tlazolteolt.
Le 1 Août 10 Cohualt, tlazolteolt.
Le 8 Mai 3 Xochitl, xochitl.
Le 4 Novembre 1 Xochitl, xochitl.

L’emploi de la troisième série périodique, au moyen de laquelle on distingue deux jours qui ont le même nombre et le même hiéroglyphe, par exemple 1 Cipactli, correspondant au 9 janvier et au 26 septembre, a été ignoré de la plupart des historiens espagnols : c’est M. Gama qui l’a fait connaître le premier, d’après les manuscrits mexicains de l’indien Christoval del Castillo. Pour désigner un jour, selon la méthode compliquée des Mexicains, nous dirions un quatre d’un mois, qui est à la fois un mercredi du calendrier grégorien et un quintidi du calendrier républicain. Cette expression indiqueroit la coïncidence de certains termes de trois séries périodiques ; savoir, des trente ou trente-un jours du mois, des sept jours de la semaine, et des dix jours de la décade. Pour lever entièrement les doutes qui pourroient rester sur le système chronologique des Mexicains, nous ajouterons ici un tableau qui réunit les divisions des calendriers rituel et civil, et leur correspondance avec le calendrier grégorien.


METZLAPOHUALLI,
calendrier rituel et astrologique.
TONALPOHUALLI,
calendrier civil.
MOIS MEXICAINS,
divisés en périodes de 5 jours.
CORRESPONDANCE
avec le Calendrier Grégorien,
pour l’année 1091.
PETITES PERIODES
de 13 jours.
séries périodiques.
SÉRIE
des 13 nombres.
SÉRIE
des 20 signes.
des jours.
SÉRIE
des 9 seigneurs
de la nuit.
Première demi-lunaison.
1
Cipactli
Tletl
1
TITITL. 9
JANVIER.
2
Ehecatl
Tecpatl
2 10
3
Calli
Xochitl
3 11
4
Cuetzpalin
Cinteolt
4 12
5
Cohualt
Miquiztli
5 13
6
Miquiztli
Atl
6 14
7
Mazatl
Tlazolteolt
7 15
8
Tochtli
Tepeyollotli
8 16
9
Atl
Quiahuitl
9 17
10
Itzcuintli
Tletl
10 18
11
Ozomatli
Tecpatl
11 19
12
Malinalli
Xochitl
12 20
13
Acatl
Cinteotl
13 21
Seconde demi-lunaison.
1
Ocelotl
Miquiztli
14 22
2
Quauhtli
Atl
15 23
3
Cozcaquauhtli
Tlazolteotl
16 24
4
Oltin
Tepeyollotli
17 25
5
Tecpalt
Quiahuitl
18 26
6
Quiahuitl
Tletl
19 27
7
Xochitl
Tecpalt
20 28
8
Cipactli
Xochitl
1
ITZCALLI XOCHILHUITL. 29
9
Ehecatl
Cinteotl
2 30
10
Calli
Miquiztli
3 31
11
Quetzpalin
Atl
4 1
FÉVRIER.
12
Cohuatl
Tlazolteolt
5 2
13
Miquiztli
Tepeyollotli
6 3
1
Mazatl
Quiahuitl
7 4
2
Tochtli
Tletl
8 5
3
Atl
Tecpatl
9 6
4
Itzcuintli
Xochitl
10 7
5
Ozomatli
Cinteotl
11 8

Il seroit inutile d’étendre ce tableau au-delà des premiers trente-un jours de l’année mexicaine ; mais nous rappellerons ici que les Indiens de Chiapa, qui employoient les mêmes divisions du temps et le même artifice des séries périodiques, donnoient, aux hiéroglyphes des jours renfermés dans un mois, les noms de vingt guerriers illustres qui, dans les temps les plus reculés, avoient conduit les premiers colons dans les montagnes de Teochiapan. Parmi ces signes des jours (kârkunân des Persans), les Chiapanois distinguoient, de même que les Aztèques, quatre grands et seize petits signes. Les premiers commençoient les périodes de cinq jours ; mais aux noms de maison, lapin, canne et silex (calli, tochtli, acatl et tecpatl), les Chiapanois avoient substitué ceux de Votan, Lambat, Been et Chinax, quatre chefs célèbres dans leurs annales historiques.

Nous avons déjà fixé plus haut l’attention de nos lecteurs sur ce Votan ou Wodan, Américain qui paroît de la même famille avec les Wods ou Odins des Goths et des peuples d’origine celtique. Comme d’après les savantes recherches de sir William Jones, Odin et Boudha sont probablement une même personne[29], il est curieux de voir les noms de Boud-var, Wodans-dag (Wednes-day) et Votan désigner, dans l’Inde, en Scandinavie et au Mexique, le jour d’une petite période. Selon les traditions antiques recueillies par l’évêque François Nuñez de la Vega, « le Wodan des Chiapanois étoit petit-fils de cet illustre vieillard qui, lors de la grande inondation dans laquelle périt la majeure partie du genre humain, fut sauvé dans un radeau, lui et sa famille. » Wodan coopéra à la construction du grand édifice que les hommes entreprirent pour atteindre les cieux : l’exécution de ce projet téméraire fut interrompue ; chaque famille reçut dès-lors une langue différente, et le grand esprit Teotl ordonna à Wodan d’aller peupler le pays d’Anahuac. Cette tradition américaine rappelle le Menou des Hindoux, le Noé des Hébreux, et la dispersion des Couschites de Singar. En la comparant soit aux traditions hébraïques et indiennes conservées dans la Genèse et dans deux pouranas sacrés[30], soit à la fable de Xelhua le Cholulain[31], et à d’autres faits cités dans le cours de cet ouvrage, il est impossible de ne pas être frappé de l’analogie qui existe entre les souvenirs antiques des peuples de l’Asie et de ceux du nouveau continent.

Nous prouverons ici, comme nous l’avons avancé plus haut, que cette analogie se manifeste surtout dans la division du temps, dans l’emploi des séries périodiques, et dans la méthode ingénieuse, quoique embarrassante et compliquée, de désigner un jour ou une année, non par des chiffres, mais par des signes astrologiques. Les Toltèques, les Aztèques, les Chiapanois et d’autres peuples de race mexicaine, comptoient d’après des cycles de cinquante-deux ans, divisés en quatre périodes de treize ans ; les Chinois, les Japonnois, les Calmouks, les Moghols, les Mantchoux et d’autres hordes tartares, ont des cycles de soixante ans divisés en cinq petites périodes de douze ans. Les peuples de l’Asie, comme ceux de l’Amérique, ont des noms particuliers pour les années renfermées dans un cycle : on dit encore à Lassa et à Nangasacki, comme jadis à Mexico, que tel ou tel événement a eu lieu l’année du lapin, du tigre ou du chien. Aucun de ces peuples n’a autant de noms qu’il y a d’années dans le cycle : tous doivent, par conséquent, recourir à l’artifice de la correspondance des séries périodiques. Chez les Mexicains, ces séries sont de treize nombres et de quatre signes hiéroglyphiques ; chez les peuples de l’Asie, que nous venons de nommer, les séries ne renferment pas de chiffres ; elles sont formées tant par des signes qui correspondent aux douze constellations du zodiaque, que par les noms des élémens qui présentent dix termes, parce que chaque élément est considéré comme mâle ou femelle. L’esprit de ces méthodes est le même dans la chronologie des peuples américains et dans celle des peuples asiatiques : en jetant les yeux sur le tableau des années que nous avons tracé plus haut[32], on voit que l’avantage de la simplicité est même du côté des Mexicains. Le Japonnois, pour désigner l’époque à laquelle un Daïri est monté sur le trône, ne dit pas que c’étoit dans l’année ouma (cheval), de la seconde période de douze ans ; il appelle la dix-neuvième année du cycle l’année eau mâle, cheval, placée entre les années eau femelle, brebis et métal femelle, serpent. Pour se faire une idée nette de ces séries périodiques du calendrier japonnois, il faut se rappeler que ce peuple, comme les Tibétains, compte cinq élémens ; savoir : le bois (keno), le feu (fino), la terre (tsutsno), le métal ou plomb (kanno), et l’eau (midsno). Chaque élément est mâle ou femelle, selon que l’on ajoute les syllabes je ou to, distinction qui étoit aussi en usage chez les Égyptiens[33]. Pour distinguer les soixante années du cycle, les Japonnois combinent les dix élémens ou principes terrestres avec les douze signes du zodiaque, appelés les principes célestes. Nous ne rapporterons ici que les deux premières indictions que renferme le cycle[34] japonnois.

1. Kino je ne (rat).

2. Kino to us (bœuf).

3. Fino je torra (tigre).

4. Fino to ov (lièvre).

5. Tsutsno je tats (crocodile ou dragon).

6. Tsutsno to mi (serpent).

7. Kanno je uma (cheval).

8. Kanno to tsitsuse (brebis).

9. Midsno je sar (singe).

10. Midsno to torri (poule).

11. Kino je in (chien).

12. Kino to j (porc).

13. Fino je ne.

14. Fino to us.

15. Tsutsno je torra.

16. Tsutsno to ov.

17. Kanno je tats.

18. Kanno to mi.

19. Midsno je uma.

20. Midsno to tsitsuse.

21. Kino to sar.

22. Kino to torri.

23. Fino je in.

24. Fino to j.

Dans le calendrier mexicain, chacune des quatre indictions de treize ans commence avec un signe différent ; dans le calendrier japonnois, chaque période de douze ans est présidée par un des cinq élémens mâles. De même que chez les Mexicains, le quatrième terme de la série des nombres, nahui, ne peut correspondre, en cinquante-deux ans, qu’une seule fois au second terme de la série des signes, acatl ; chez les Japonnois, dans un cycle de soixante ans, un des cinq étémens mâles ne peut se trouver placé qu’une seule fois auprès d’un des douze signes du zodiaque. Le tableau suivant, qui renferme quatorze années mexicaines et japonnoises, servira à mettre dans le plus grand jour l’analogie qu’offrent les calendriers des peuples du Mexique et de l’Asie orientale.

nombre
des
années
CYCLE DES JAPONNOIS. CYCLE DES MEXICAINS.
Soient α, α', β, β', γ, γ'… les élémens mâles et femelles, et a, b, c… les signes célestes et nous aurons :
Soient α, β, γ, δ… les quatre signes des années, et a, b, c… les treize noms des chiffres, et nous aurons :
1. α, a. a, α.
2. α', b. b, β.
3. β, c. c, γ.
4. β', d. d, δ.
5. γ, e. e, α.
6. γ', f. f, β.
7. δ, g. g, γ.
8. δ', h. h, δ.
9. ε, i. i, α.
10. ε', k. k, β.
11. α, l. l, γ.
12. α', m. m, δ.
13. β, a. n, α.
14. β', b. a, β.

L’usage des séries périodiques se retrouve aussi en Chine, où dix can combinés avec douze tchi servent à désigner les jours ou les années des périodes de soixante jours ou de soixante années[35]. Chez les Japonnois, les Chinois et les peuples du Mexique, les séries périodiques ne peuvent servir qu’à caractériser cinquante-deux ou soixante ans. Les Tibétains, au contraire, ont tellement compliqué l’artifice des séries, qu’ils ont des noms pour cent quatre-vingt-douze et même pour deux cent cinquante-deux ans. En désignant, par exemple, l’époque mémorable à laquelle le grand lhama Kan-ka-gnimbò réunit, avec le consentement de l’empereur de la Chine, les pouvoirs ecclésiastique et séculier[36], l’habitant de Lhassa cite l’année feu mâle, oiseau (we po cia), du quatorzième cycle écoulé depuis le déluge. Il compte quinze élémens ; savoir : cinq du genre masculin, cinq du genre féminin, et cinq neutres. En combinant ces quinze élémens avec les douze signes du zodiaque, et en ne nommant les premières douze années du cycle que d’après les signes célestes, sans ajouter aucun élément, il obtient des dénominations pour 12×15+12= cent quatre-vingt-douze années. En ajoutant enfin soixante années désignées par la combinaison de dix élémens mâles et femelles avec douze signes du zodiaque, il trouve son grand cycle de deux cent cinquante-deux ans. Soient a, b, c… les signes du zodiaque, α, β, γ… les élémens neutres, α', β', γ'… les élémens mâles, et α", β", γ"… les élémens femelles, on aura : 1.o pour les premiers douze ans, a, b, c, d… ; 2.o pour les années 13—72, αa, αb, αc… ; βa, βb, βc… ; γa, γb, γc… ; 3.o pour les années 73—132, α'a, α'b, α'c… ; β'a, β'b, β'c… 4.o pour les années 132—92, α"a, α"b, α"cβ"a, β"b, β"c… 5.o pour les années 193—252, α'a, α"b, β'c, β"d, γ'e, γ"f, δ'g, δ"h, ε'i, ε"k ; α’l, α"m, β’a, β"a, γ'b', γ"b… Les Tzihi-chen, ou calculateurs publics de Lhassa[37], allèguent, en faveur de la chronologie tibétaine, que, les années de même nom ne revenant à peu près que tous les deux siècles, la date d’un événement historique est fixée, lors même que le cycle n’est pas indiqué. L’incertitude est plus grande chez les Japonnois et chez les Mexicains, où les mêmes noms se retrouvent tous les soixante ou cinquante-deux ans. On peut être surpris que les Tibétains, qui, depuis la plus haute antiquité, se servent des mêmes chiffres et du même système de numération que les Hindoux, n’aient pas abandonné la méthode compliquée des séries périodiques. Cette méthode tire son origine des rêveries astrologiques : elle n’auroit dû être employée que par des peuples qui, comme les Aztèques et les Toltèques, trouvoient de la difficulté à exprimer des nombres très-considérables, et dont les annales étoient écrites en caractères hiéroglyphiques.


  1. Pl. viii de l’édition in-8o.
  2. Voyez plus haut, p. 7, Pl. iii.
  3. L’année 1577. Torquemada, Lib. VIII, Cap. ii (Tom. II, p. 157).
  4. Ibid, Lib.X, Cap. x, xxxiii, xxxiv et xxxvi.
  5. Essai polit, sur le Mexique, Vol. II, p. 24 de l’édition in-8o.
  6. Ideler, Hist. Unters. über die astr. Beob. der Alten., p. 26.
  7. Bailly, Hist. de l’Astr. anc, p. 296.
  8. Voyez plus haut, p. 94.
  9. Le Gentil, Hist. de l’Acad., 1772, Tom. II, p. 207, 209. La Place, Expos. du Système du Monde, p. 272.
  10. Bailly, Hist. de l’Astron., Liv. V, §. 17, p. 408. Lalande, Astron., §. 1534.
  11. Acosta, Historia natural y moral de las Indias, Lib. VI, C. iii, éd. de Barcelone, 1591, p. 260.
  12. Garcilasso Lib. VI, C. xxxv, Tom. I, p. 216.
  13. Voyage de Thunberg au Japon, p. 317.
  14. Sir William Jones, dans les Rech. asiat., Tom. I, p. 420.
  15. Gomara, Conquista de Mexico, 1553, fol. 118.
  16. Voyez plus haut, p. 72, et mon Essai sur la population primitive de l’Amérique. Berlin, Monatschrift, 1806. Merz., p. 177, 208.
  17. Acosta, p. 260.
  18. Bailly, p. 515.
  19. Aristoph. Nubes. v. 615.
  20. La Place, Expos., Tom. II, p. 267.
  21. Gomara, Conquista de Mexico, Fol. cxix.
  22. Voyez plus liant, p. 99.
  23. La Place, Expos., Tom. II, p. 276.
  24. Georgii Alph. Tibet. C. xxiii, p. 637.
  25. Delambre, sur les fonds et les analogues des Grecs. (Œuvres d’Archimède, par Peyrard, p. 575.)
  26. Sylvestre de Sacy, Gramm. arab., 1810, P. I, p. 74.
  27. Langlès, sur le Calendrier persan, dans Chardin, Voyage à Ispahan, Tom. II, p. 265.
  28. Voyez plus haut, p. 235.
  29. Rech. Asiat., Vol. I, p. 511 ; Vol. II, p. 343.
  30. L. c. Vol. III, p. 486.
  31. Voyez plus haut, p. 115.
  32. Voyez p. 372.
  33. Seneca, Quæst. nat., Lib. III, C. xiv.
  34. Kæmpfer, Hist. du Japon, 1729, Tom. I, p. 137, Tab. xv.
  35. Observ. astr. du P. Souciet, publiées par le P. Gaubil, Tom. I, p. 26 ; Tom. II, p. 175.
  36. Georgi, Alph. Tibet., p. 516.
  37. Georgi, Alph, Tibet., p. 469.