PLANCHE XXII.

Roches basaltiques et Cascade de Regla.



En changeant de latitude et de climat, on voit changer l’aspect de la nature organisée, la forme des animaux et des plantes, qui impriment à chaque zone un caractère particulier : à l’exception de quelques végétaux aquatiques et cryptogames, dans chaque région le sol est couvert de plantes diverses. Il n’en est point ainsi de la nature brute, de cette agrégation de substances terreuses qui couvre la surface de notre planète : le même granite décomposé, sur lequel, dans les frimas de la Laponie, végètent des vaccinium, des andromèdes et le lichen qui nourrit le renne, se retrouve encore dans ces bosquets de fougères arborescentes, de palmiers et d’héliconia, dont le feuillage lustré se développe sous l’influence des chaleurs équatoriales. Lorsqu’à la fin d’une longue navigation, après avoir passé d’un hémisphère à l’autre, l’habitant du nord aborde à une côte lointaine, il est surpris de trouver, au milieu d’une foule de productions inconnues, ces strates d’ardoise, de schiste micacé et de porphyre trapéen, qui forme les côtes arides de l’ancien continent baignées par l’Océan glacial. Sous tous les climats, la croûte pierreuse du globe présente le même aspect au voyageur ; partout il reconnaît, et non sans une certaine émotion, au milieu d’un nouveau monde, les roches de son pays natal.

Cette analogie que présente la nature non organique s’étend jusqu’à ces petits phénomènes que l’on seroit tenté d’attribuer à des causes purement locales. Dans les Cordillères comme dans les montagnes de l’Europe, le granite offre quelquefois des agrégations en forme de sphéroïdes aplatis et divisés en couches concentriques : sous les tropiques comme dans la zone tempérée, on trouve dans le granite de ces masses abondantes en mica et en amphibole, qui ressemblent à des boules noirâtres enchâssées dans un mélange de feldspath et de quartz laiteux : le diallage métalloïde se trouve dans les serpentines de l’île de Cuba comme dans celles de l’Allemagne : les amygelaloïdes et les pierres perlées du plateau du Mexique paroissent identiques avec celles que l’on, observe au pied des monts Carpathes. La superposition des roches secondaires suit les mêmes lois dans les régions les plus éloignées les unes des autres. Partout les mêmes monumens attestent la même suite dans les révolutions qui ont changé progressivement la surface du globe.

En remontant aux causes physiques, on doit être moins surpris de voir que les voyageurs n’aient pas découvert de nouvelles roches dans les régions lointaines. Le climat influe sur la forme des animaux et des plantes, parce que le jeu des affinités qui préside au développement des organes est modifié à la fois par la température de l’atmosphère et par celle qui résulte des diverses combinaisons formées par l’action chimique : mais la distribution inégale de la chaleur, qui est l’effet de l’obliquité de l’écliptique, ne peut avoir eu aucune influence sensible sur la formation des roches ; cette formation, au contraire, doit elle-même avoir influé puissamment sur la température du globe et de l’air environnant. Lorsque de grandes masses de matière passent de l’état liquide à l’état solide, ce phénomène ne peut avoir lieu sans être accompagné d’un énorme dégagement de calorique. Ces considérations semblent jeter quelque jour sur les premières migrations des animaux et des plantes. Je pourrois être tenté d’expliquer, par cette élévation progressive de température, plusieurs problèmes importans, particulièrement celui qu’offre l’existence des productions des Indes enfouies dans les pays du Nord, si je ne craignis d’augmenter le nombre des rêves géologiques.

Les basaltes de Régla, figurés sur cette Planche, présentent une preuve incontestable de cette identité de forme que l’on observe parmi les roches des divers climats. En jetant les yeux sur ce dessin, le minéralogiste voyageur reconnaît la forme des basaltes du Vivarais, ceux des monts Euganéens ou du promontoire d’Antrim, en Irlande. Les plus petits accidens observés dans les roches colonnaires de l’Europe, se retrouvent dans ce groupe de basaltes du Mexique. Une si grande analogie de structure fait supposer que les mêmes causes ont agi sous tous les climats, et à des époques très-différentes ; car les basaltes recouverts de schistes argileux et de calcaire compacte, doivent être d’un âge bien différent de ceux qui reposent sur des couches de houille et sur des galets.

La petite cascade de Régla se trouve au nord-est de Mexico, à une distance de vingt-cinq lieues, entre les mines célèbres de Real del Monte et les eaux thermales de Totonilco. Une petite rivière, qui sert à mouvoir les bocards de l’usine d’amalgamation de Régla, dont la construction a coûté plus de dix millions de livres tournois, se fraie un chemin à travers des groupes de colonnes basaltiques : la nappe d’eau qui se précipite est assez considérable, mais la chute n’a que sept ou huit mètres de hauteur. Les rochers environnans, qui, par leur réunion, rappellent la grotte de Staffa, dans les îles Hébrides, les contrastes de la végétation, l’aspect sauvage et la solitude du lieu, rendent cette petite cascade extrêmement pittoresque. Des deux côtés du ravin s’élèvent des basaltes colonnaires qui ont plus de trente mètres de hauteur, et sur lesquels se présentent des touffes de cactus et de yucca filamentosa. Les prismes ont généralement cinq à six pans, et quelquefois jusqu’à douze décimètres de largeur : plusieurs présentent des articulations très-régulières. Chaque colonne a un noyau cylindrique d’une masse plus dense que les parties environnantes : ces noyaux sont comme enchâssés dans les prismes, qui, dans leur cassure horizontale, offrent des convexités très-remarquables. J’ai indiqué cette structure, que l’on retrouve dans les basaltes du cap Fairhead, sur le premier plan du dessin, vers la gauche.

La plupart des colonnes de Régla sont perpendiculaires ; on en observe cependant aussi, très-près de la cascade, dont l’inclinaison est de 45° vers l’est ; plus loin, il y en a d’horizontales. Chaque groupe, lors de sa formation, paroît avoir suivi des attractions particulières. La masse de ces basaltes est très-homogène : M. Bonpland y a observé des noyaux d’olivine ou de péridot graniliforme, entourés de mésotype cristallisée ; les prismes, et ce fait mérite l’attention des géologues, reposent sur une couche d’argile, sous laquelle on trouve encore du basalte : en général, celui de Regla est superposé au porphyre de Real del Monte, tandis qu’une roche calcaire compacte sert de base au basalte de Totonilco. Toute cette région basaltique est élevée, de deux mille mètres au-dessus du niveau de l’Océan.