Victor Devaux & Cie (p. 263-277).
DIXIÈME LETTRE.
À
un Père de la Compagnie de Jésus, .
Séparateur


Sainte-Marie des montagnes Rocheuses,
le 30 décembre 1841.


Mon révérend Père,

Dans ma lettre d’avant-hier, je vous ai raconté les détails de mon voyage au fort Colville ; aujourd’hui je vous transmettrai les remarques que j’ai faites, et les observations que j’ai pu recueillir dans ce voyage sur les coutumes et les pratiques des Indiens.

Un jour, causant avec sept des Têtes-plates de mon escorte, je leur demandai combien de buffles ils avaient tués entre eux dans leur dernière chasse. La réponse fut cent quatre-vingt-neuf ; un seul en avait tué cinquante-neuf pour sa part. Les jeunes gens cherchent à se faire une réputation d’habiles chasseurs par des traits d’agilité, de dextérité et de force. L’un des sept s’était distingué parmi tous ses camarades par trois coups bien remarquables : armé seulement d’une pierre, il avait tué une vache à la course en la frappant entre les deux cornes ; il continua sa promenade à pied et en tua une seconde à coups de couteau ; enfin il s’empara d’un gros bœuf, l’étreignit et l’étrangla : aussi avait-il tout l’extérieur d’un véritable Hercule. Ils eurent ensuite la complaisance de me montrer, à ma demande (car ils ne sont pas vanteurs), les cicatrices des blessures que leur avaient faites les balles et les flèches des Pieds-noirs. L’un avait eu la cuisse percée de part en part de quatre balles ; il ne lui en restait qu’un peu de roideur dans la jambe, mais si peu qu’à peine pouvait-on s’en apercevoir. Un autre me montra le bras et la poitrine percés d’une balle. Un troisième, outre quelques coups de couteaux et de lances, avait reçu dans le ventre, à cinq pouces de profondeur, une flèche armée d’une pointe de fer. Un quatrième avait encore deux balles dans le corps. Un cinquième était boiteux : la balle d’un Pied-noir caché dans un trou lui avait cassé la jambe : croiriez-vous que le blessé, sautant sur l’autre jambe, fondit sur son ennemi, et que le trou devînt la tombe de l’agresseur ? J’exprimai le désir de connaître les remèdes dont ils se servent en pareilles circonstances ; surpris de ma demande, ils me répondirent en riant : « Nous n’y mettons rien ; les plaies guérissent d’elles-mêmes. » Ceci me rappelle la réponse que me fit l’année dernière le capitaine Bridge. Il avait eu, pendant quatre ans, deux armures de flèches dans le corps. Interrogé si les blessures avaient longtemps suppuré, il me répondit comiquement : « Dans les montagnes, la viande ne se gâte pas. »

Les habitants des bords de la Rivière-à-Clark sont d’une stature moyenne. Les femmes y sont d’une malpropreté extraordinaire, même parmi les sauvages : leurs jupes de peau, dégoûtantes à voir, leur restent sur le corps jusqu’à ce qu’elles tombent entièrement en lambeaux ; à chaque instant elles s’essuient les mains à leur longue chevelure, qui, toujours en désordre, ressemble parfaitement à une brosse remplie de toiles d’araignées. Tous les matins, elles se frottent le visage d’une poudre mêlée de rouge et de brun, qu’elles y font tenir au moyen d’une couche d’huile de poisson. Quoiqu’elles paraissent moins esclaves ici qu’à l’Est des montagnes, elles sont pourtant chargées des ouvrages les plus pénibles. Ce sont elles qui cherchent l’eau et le bois, portent les effets dans le déménagement, pagayent le canot, nettoient le poisson lorsqu’on veut s’en donner la peine, car j’ai été dans des loges où j’ai vu le poisson sur les braises tel qu’il était sorti de la rivière. Elles préparent à manger à leurs maris, cueillent les racines et les fruits dans la saison, font des nattes de joncs, des paniers et des chapeaux sans bords, espèces d’omnibus comme je l’ai dit plus haut dans le récit de mon premier voyage. Une remarque assez singulière, c’est que les hommes, plus souvent que les femmes, y manient habilement l’aiguille ; au temps de la pêche et de la chasse, ils sont très-actifs à se livrer à cette occupation.

L’ophtalmie paraît être généralement répandue parmi les habitants de la rivière : on n’entre guère dans une loge sans y voir des borgnes, des aveugles, ou du moins des gens affectés de maux d’yeux. Quelle en est la cause ? Peut-être leur présence presque continuelle sur l’eau, où ils sont exposés du matin au soir à la réflexion des rayons du soleil ; peut-être aussi l’incommodité de leurs basses loges de joncs, où tous se tapissent autour du feu, jour et nuit enveloppés d’une épaisse fumée.

On trouve ici des charlatans aussi bien qu’en Europe. Un ancien commis de la compagnie de la baie d’Hudson a bien voulu me communiquer son journal : voici ce que j’y trouve au sujet de ces messieurs, qui exercent surtout leur métier au bas du fleuve Columbia et dans les environs. Quelle que soit la maladie, on étend le patient sur le dos ; ses amis se forment en cercle autour de lui, tenant d’une main un assez long bâton, de l’autre un bâton plus court. Le jongleur entonne un air lugubre, que tout le monde répète après lui en battant la mesure avec les bâtons. Après ce bizarre prélude, il s’approche du malade, se met à genoux devant lui, serre les deux poings et les lui applique sur l’estomac en appuyant de toutes ses forces. Comme on s’y attend, cette opération fait jeter les hauts cris au patient, mais ces cris sont bientôt étouffés par ceux du docteur et des assistants, qui se mettent alors à chanter à plein gosier. À la fin de chaque couplet, le médecin joint les deux mains, les approche de ses lèvres et souffle sur le malade. Cette opération se répète jusqu’à ce que, par un tour de sa façon, il lui fasse sortir de la bouche une petite pierre blanche, ou la griffe d’un oiseau ou de quelque autre animal. Aussitôt il se lève, va d’un air de triomphe montrer sa trouvaille à ceux qui s’intéressent à la santé du malheureux sauvage, et les assure de son prochain rétablissement. Au reste, que le malade meure ou que, par hasard, il se rétablisse, peu importe ; l’essentiel pour le charlatan est toujours, ici comme partout ailleurs, de se faire bien payer, et il n’y manque pas.

Leurs idées religieuses ne sont pas moins extravagantes et curieuses. Voici ce que croient les Tchinouks, ou du moins ce qu’ils croyaient avant d’être mieux instruits. Selon eux, les hommes furent créés par une divinité qu’ils nomment Étalapasse, mais dans un état très-imparfait ; leur bouche et leurs yeux étaient fermés, leurs mains et leurs pieds immobiles ; en un mot, c’étaient plutôt des masses vivantes de chair que de véritables hommes. Une seconde divinité qu’ils appellent Écanuum, moins puissante, mais plus bénigne que la première, vit les hommes dans cet état d’imperfection et en eut pitié : elle leur ouvrit la bouche et les yeux avec une pierre aiguë, et donna l’agilité à leurs pieds et à leurs mains. Cette divinité compatissante ne se contenta pas de ces premiers bienfaits : elle enseigna aux hommes à faire des pirogues, des pagaies (rames), des filets, en un mot, tous les ustensiles dont ils se servent pour la pêche, et précipita dans les rivières des rochers pour arrêter les poissons afin qu’ils pussent en prendre autant qu’il leur en faudrait.

Les cérémonies d’enterrement parmi les Talkotins, qui habitent la Nouvelle-Calédonie à l’ouest des montagnes, sont bizarres et révoltantes. Le corps du défunt est exposé devant sa loge durant neuf jours ; le dixième, tous les parents et voisins se réunissent dans un endroit élevé : on place le cadavre sur un bûcher, et l’on y met le feu, au milieu des manifestations de joie des spectateurs. Tout ce que le défunt possédait est réuni autour du corps ; si c’est un personnage de distinction, ses amis y ajoutent un habillement neuf et complet. Cependant le médecin a recours une dernière fois à tous les sortilèges en usage pour rappeler le défunt à la vie : voyant qu’il ne peut y réussir, il étend sur le cadavre une couverture de peau, cérémonie dont le but et l’effet est d’apaiser les parents irrités du mauvais succès de la cure. Pendant les neuf jours que le cadavre reste exposé, la veuve du défunt est obligée de se tenir auprès, depuis le lever jusqu’au coucher du soleil, quelque temps qu’il fasse, fût-on au plus fort de l’été ou de l’hiver. Sur le bûcher, on l’étend à côté du cadavre ; elle y demeure jusqu’à ce qu’il plaise au charlatan de la faire retirer, c’est-à-dire jusqu’à ce que de la tête aux pieds elle soit couverte de brûlures. Alors on la force à recueillir avec ses mains du milieu des flammes la graisse qui découle du cadavre, et à s’en frotter le visage et tout le corps. Lorsque les nerfs des jambes et des bras commencent à se contracter, la malheureuse doit retourner sur le bûcher, et redresser ces membres. Si la femme a été infidèle à son mari ou négligente à pourvoir à ses besoins, les parents du défunt la jettent sur le bûcher en flammes, les siens l’en retirent, les autres l’y jettent de nouveau : elle est ainsi ballottée jusqu’à ce qu’elle tombe dans un état d’insensibilité complète.

Lorsque le corps est brûlé, la veuve doit ramasser les plus grands os, les envelopper dans une écorce de bouleau, et les porter au cou pendant plusieurs années. Dans cet état, on la considère comme esclave : les travaux les plus pénibles deviennent son partage ; elle est la servante de toutes les femmes, même des enfants, et la moindre désobéissance de sa part lui attire un châtiment sévère. Les cendres de son mari étant mises en terre, elle est chargée de surveiller l’endroit et d’en ôter les herbes. Souvent les malheureuses veuves se suicident pour éviter tant de cruautés. Au bout de trois ou quatre ans, les parents se concertent pour la relever de son deuil. Ils préparent un grand festin, et y invitent tout le voisinage. On introduit la veuve, portant encore les ossements de son mari : on les lui ôte pour les renfermer dans un cercueil qu’on attache à l’extrémité d’un poteau d’environ douze pieds. Les convives célèbrent son veuvage par les plus grands éloges ; l’un d’eux lui verse sur la tête un vase plein d’huile, un autre la couvre de duvet. Cette dernière cérémonie lui donne le droit de se remarier ; mais, comme on peut facilement se l’imaginer, le nombre de celles qui se hasardent une seconde fois est très-petit.

Lorsque je parle en général du caractère et des coutumes des sauvages, j’excepte toujours l’Indien qui habite la frontière de l’homme civilisé, et qui, par le commerce avec ce dernier, est généralement un être abruti. C’est une triste vérité, reconnue en Amérique, que là où des blancs sans principes pénètrent avec les boissons enivrantes, on ne tarde pas à voir régner les vices les plus dégradants.

Le sauvage est circonspect et discret dans ses paroles et dans ses actions, rarement il s’emporte. S’il s’agit des ennemis héréditaires de sa nation, alors il ne respire que haine et vengeance ; mais on peut lui appliquer ce qu’un auteur espagnol a dit des Maures : « L’Indien ne se venge pas, parce que sa colère dure encore, mais parce que la vengeance seule peut distraire sa pensée du poids d’infamie dont il est accablé ; il se venge, parce que, à ses yeux, il n’y a qu’une âme basse qui puisse pardonner les affronts ; il nourrit sa rancune, parce que, s’il la sentait s’éteindre, il croirait avoir dégénéré. » Dans toute autre occasion, il est froid et délibère, étouffant avec soin la moindre agitation. Découvre-t-il, par exemple, que son ami est en danger d’être tué par quelque ennemi aux aguets, on ne le verra pas accourir précipitamment pour le lui annoncer, comme s’il était dominé par le sentiment de la crainte : il lui dira paisiblement : « Mon frère, où vas-tu aujourd’hui ? » Sur sa réponse, il ajoutera avec le même air d’indifférence : « Une bête féroce se trouve cachée sur ta route. » Cette allusion suffit, et son ami évite le danger avec autant de soin que s’il avait connu tous les détails relatifs au piège qu’on lui tendait. Si la chasse d’un sauvage a été infructueuse pendant plusieurs jours, et que la faim le dévore, il ne le fera pas connaître aux autres par son impatience ou son mécontentement ; mais il fumera son calumet comme si tout lui eût réussi à son gré : agir autrement, serait manquer de courage et s’exposer à être flétri par le sobriquet le plus injurieux que puisse recevoir le sauvage, celui de vieille femme.

Dites à un sauvage que ses enfants se sont signalés dans les combats, qu’ils ont enlevé des chevelures, qu’ils amènent des prisonniers et des chevaux : le père ne montre aucune émotion de joie, et se borne à répondre ; « Ils ont bien fait. » Si, au contraire, on lui apprend que ses enfants sont morts ou prisonniers, il se contente de dire : « C’est malheureux. » Quant aux circonstances de l’événement, il ne s’en informera que quelques jours après.

L’Indien montre une sagacité étonnante, et apprend avec la plus grande facilité tout ce qui exige l’application de l’esprit. L’expérience et l’observation lui donnent des connaissances que n’a pas l’homme civilisé. C’est ainsi qu’il traversera une forêt ou une plaine de deux cents milles, avec autant de précision qu’un nautonier, guidé par sa boussole, sillonne l’Océan, sans jamais dévier en rien de la ligne droite. Avec la même justesse, et à quelque heure que ce soit, il vous indiquera le soleil, n’importe l’épaisseur des brouillards ou des nuages qui l’offusquent. À la piste, il découvrira un homme ou un animal, ceux-ci eussent-ils marché sur les feuilles ou sur l’herbe. Cette merveilleuse perspicacité ne lui vient pas de la nature seule ; elle est plutôt le fruit de son habitude constante à réfléchir sur les connaissances déjà acquises par l’expérience des aïeux ; elle tient aussi à une mémoire excellente qui doit suppléer, dans les Indiens, à l’avantage, qui leur manque, de fixer comme nous leurs souvenirs sur le papier. Ainsi ils se rappellent avec une minutieuse exactitude tous les points des traités conclus entre leurs chefs, et l’époque exacte où les conseils ont été tenus.

Quelques écrivains supposent que les Indiens sont guidés par l’instinct, et que chez eux les enfants trouveraient aussi aisément leur chemin à travers une forêt que les personnes d’un âge plus avancé. C’est une erreur. J’ai interrogé sur ce point des sauvages intelligents, et ils m’ont laissé la conviction que c’est à leur constante attention à la croissance des arbres et à la position du soleil qu’ils doivent cette grande facilité de se guider dans leurs courses. Ils retiennent non-seulement la position de tel et tel arbre, mais encore sa taille, sa forme, son espèce et sa dimension. Ils savent que, dans tout arbre, le côté tourné au nord a plus de mousse que ceux qui regardent les autres points cardinaux, et que le côté exposé au sud est celui qui a les branches les plus fortes et les plus nombreuses. C’est d’après ces observations et d’autres semblables qu’ils se dirigent dans leurs marches ; ils ont grand soin de les communiquer de bonne heure à leurs enfants. Moi-même je me suis souvent servi avec succès de leurs remarques, dans mes petites courses à travers les forêts.

Ils mesurent la distance des lieux par journées de marche. D’après toutes les observations que j’ai faites, leur journée équivaut à peu près à cinquante ou soixante milles anglais, lorsqu’ils voyagent seuls, et à quinze ou vingt milles seulement, lorsqu’ils lèvent le camp. Bien qu’ils n’aient aucune connaissance de la géographie et des sciences qui en sont la base, ils font néanmoins avec précision, sur des écorces d’arbres ou sur des peaux, le plan des pays qu’ils ont parcourus, marquant les distances par journées, demi-journées et quarts de journée. Ces plans leur servent à régler en conseil leurs excursions lointaines pour la guerre ou pour la chasse. Leur seule astronomie consiste à pouvoir montrer l’étoile polaire, qui est leur guide dans les voyages de nuit.

Les songes, chez les Indiens, sont l’objet d’une grande vénération : selon eux, le songe est la voie ordinaire dont se servent le Grand-Esprit et les manitous, pour faire connaître à l’homme leur volonté, pour le guider par des conseils salutaires, et pour lui donner l’intuition de l’avenir. Partant de cette idée, et regardant le songe, ou comme un désir de lame inspiré par le Génie, ou comme un ordre émanant directement de lui, ils établissent en principe que c’est un devoir religieux d’y obéir ponctuellement. Un sauvage, dit Charlevoix dans son journal (et j’ai connu des cas semblables), ayant rêvé qu’il se faisait couper un doigt, le fit couper en effet le lendemain, après s’y être préparé par le jeûne. Un autre, s’étant vu prisonnier dans un rêve, ne savait à quoi s’en tenir : il consulta les jongleurs, et, sur leur avis, se fit lier à un poteau pour être brûlé en différentes parties du corps. Parmi les Corbeaux, j’ai vu un guerrier qui, à cause d’un songe, a pris des vêtements de femme, et s’est assujetti à tous les devoirs et travaux qu’exige un état si humiliant pour un Indien. Au contraire, chez les Serpents, une femme rêva un jour qu’elle était homme et qu’elle tuait des animaux à la chasse. À son réveil, elle se revêtit des habits de son mari, prit son fusil, et alla essayer l’efficacité de son songe : elle tua un chevreuil. Depuis ce temps elle n’a plus quitté l’habillement d’homme ; elle va à la chasse et à la guerre ; par quelques coups intrépides, elle a obtenu le titre de brave et le privilège d’être admise à tous les conseils des chefs. Il ne faudrait rien de moins qu’un autre rêve pour lui faire reprendre sa jupe.

Les Potowatomies et les sauvages du nord ont la coutume, lorsqu’ils font ou renouvellent des traités de paix, de se présenter un collier fait de coquilles de buccins et qu’ils appellent le wampum. Lorsqu’ils sollicitent l’alliance défensive ou offensive d’une autre nation, ils joignent à l’envoi du wampum un casse-tête teint de sang, invitant leurs voisins à venir boire avec eux le sang de leurs ennemis ; expression figurée mais qui souvent devient une triste réalité.

Chez les nations de l’Ouest, c’est le calumet qui sert de wampum, lorsqu’il s’agit de la paix ou de la guerre. Fumer le calumet ensemble, c’est prendre l’engagement solennel de se traiter en amis ; celui qui y manque perd toute estime et toute confiance, est considéré comme infâme, et s’expose à la vengeance divine. Lorsqu’on déclare la guerre, le calumet et tous ses ornements sont rouges. Quelquefois il n’est rouge que d’un côté. Cette marque, et les différentes manières d’orner le calumet, font connaître au premier coup d’œil à quiconque est versé dans les usages de ces Indiens, les désirs de la nation qui le présente, ou ce qu’elle a résolu de faire.

Le calumet entre dans toutes leurs cérémonies religieuses : c’est l’instrument par lequel ils préludent à toutes leurs invocations. Fumer est leur préparation prochaine, lorsqu’ils s’adressent au Grand-Esprit, au soleil, à la lune, à la terre et à l’eau, et qu’ils les prennent pour témoins de leur sincérité et pour garants de leurs engagements. Cette coutume des sauvages, quoique ridicule en apparence, a cependant son bon côté. L’expérience leur a appris que l’action de fumer tend à dissiper les vapeurs du cerveau, à relever leur courage, à les habituer à penser et à juger avec justesse ; c’est pourquoi le calumet est encore introduit dans leurs conseils comme prologue, et devient comme le sceau de leurs décrets lorsque les résolutions sont prises. Ils l’envoient, comme gage de fidélité et de respect, à ceux qu’ils veulent consulter, ou avec qui ils ont fait alliance ou conclu un traité.

L’opinion des sauvages sur les bons effets du tabac ne sera peut-être pas admise par tout le monde, car l’expérience semble démontrer que la fumée du tabac agit puissamment sur le système nerveux. Je répondrai pour les sauvages : si la fumée est aspirée et puis rejetée par la bouche, elle produit sans doute les effets d’un narcotique plus ou moins stupéfiant ; mais lorsqu’elle est humée et absorbée dans les poumons (et c’est la pratique universelle des sauvages), alors, c’est autre chose. Qu’on essaye.

J’ai l’honneur d’être,

Mon révérend Père,
Votre très-humble et très-obéissant
serviteur en J. C.
P. J. De Smet, S. J.