Chez Jean-François Bastien (Tome cinquième. Tome sixièmep. 227-228).
Marie.  ►


LE HASARD DE L’EXISTENCE.


« Le cri de mécontentement pour le voyage qu’on nous force à faire » cette idée me plaît ; je la crois neuve et très-bien adaptée à ma situation présente ; je remontai dans ma chaise, en adressant un sourire gracieux aux mules qui sembloient avoir fait passer toutes leurs mauvaises qualités à leur conducteur, et je roulai dans mon esprit quelques conclusions étranges et sans liaison que je tirois de cette pensée que je trouvois si heureuse.

Si donc, me disois-je, nous sommes forcés à ce voyage de la vie ; si nous sommes engagés dans cette route sans le savoir, et sans y avoir consenti ; si, sans un certain concours fortuit d’atomes, nous eussions pu être une pipe à fumer, ou une oie, ou singe ; pourquoi sommes-nous responsables de nos passions, de nos folies, et de nos caprices ? Si vous, ou moi, Eugène, nous étions forcés par quelque tyran à devenir des courtisans, avant d’avoir appris à danser, serions nous punissables pour avoir fait gauchement la révérence ? ou, si ayant appris à danser, mais ignorant tout-à-fait l’étiquette de la cour, on me faisoit malgré moi maître des cérémonies, faudroit-il m’empaler à cause de mon ignorance ? Que d’Alexandres, ou de Césars ont été perdus pour le monde par une mal-adresse dans l’acte important de la conception ! Fais attention à cela, Eugène, et ris de la prétendue importance des plus grands monarques de la terre.