Chez Jean-François Bastien (Tome cinquième. Tome sixièmep. 195-196).


LE BOURBONNAIS.


Ces émotions si douces, ces rians tableaux que je m’étois promis en traversant cette belle partie de la France, pendant le temps des vendanges, s’étoient entièrement évanouis. Il ne m’en restoit plus rien… Mon cœur s’étoit fermé au sentiment du bonheur, depuis que j’avois posé le pied sur une terre d’affliction. Au milieu de toutes ces scènes d’une joie bruyante que je rencontrois à chaque instant, je voyois toujours Marie, dans le fond du tableau, assise et rêveuse sous son peuplier ; j’étois déjà aux portes de Lyon, je la voyois encore.

Charmante sensibilité ! source inépuisable de tout ce qu’il y a de précieux dans nos plaisirs et de doux dans nos afflictions ! tu enchaînes ton martyr sur son lit de paille, ou tu l’élèves jusqu’au ciel. Source éternelle de nos sensations ! c’est ta divinité qui me donne ces émotions… Non que, dans certains momens funestes et maladifs, mon ame s’abatte et s’effraie de la destruction… Ce ne sont que des paroles pompeuses… Mais parce que je sens en moi que cette destruction doit être suivie des plaisirs et des soins les plus doux. Tout vient de toi, grand Émanateur de ce monde ! C’est toi qui amollis nos cœurs et nous rends compatissans aux maux d’autrui. C’est par toi que mon ami Eugène tire les rideaux de mon lit quand je suis languissant, qu’il écoute mes plaintes, et cherche à me consoler. Tu fais passer quelquefois cette douce compassion dans l’ame du pâtre grossier qui habite les montagnes les plus âpres : il s’attendrit quand il trouve égorgé un agneau du troupeau de son voisin… Je le vois dans ce moment, sa tête appuyée contre sa houlette, le contempler avec pitié… Ah ! si j’étois arrivé un moment plus tôt, s’écrie-t-il… Le pauvre agneau perd tout son sang, il meurt, et le tendre cœur du berger en saigne.

Que la paix soit avec toi, généreux berger ! Tu t’en vas tout affligé… mais le plaisir balancera ta douleur, car le bonheur entoure ton hameau… heureuse est celle qui le partage avec toi ! heureux sont les agneaux qui bondissent autour de toi !