Voyage en Amérique (Chateaubriand)/Chasse

Garnier frères (Œuvres complètes, tome 6p. 146-154).

CHASSE.

Quand les vieillards ont décidé la chasse du castor ou de l’ours, un guerrier va de porte en porte dans les villages, disant : « Les chefs vont partir ; que ceux qui veulent les suivre se peignent de noir et jeûnent, pour apprendre à l’Esprit des songes où les ours et les castors se tiennent cette année. »

À cet avertissement tous les guerriers se barbouillent de noir de fumée détrempé avec de l’huile d’ours ; le jeûne de huit nuits commence : il est si rigoureux qu’on ne doit pas même avaler une goutte d’eau, et il faut chanter incessamment, afin d’avoir d’heureux songes.

Le jeûne accompli, les guerriers se baignent : on sert un grand festin. Chaque Indien fait le récit de ses songes : si le plus grand nombre de ces songes désigne un même lieu pour la chasse, c’est là qu’on se résout d’aller.

On offre un sacrifice expiatoire aux âmes des ours tués dans les chasses précédentes, et on les conjure d’être favorables aux nouveaux chasseurs, c’est-à-dire qu’on prie les ours défunts de laisser assommer les ours vivants. Chaque guerrier chante ses anciens exploits contre les bêtes fauves.

Les chansons finies, on part complètement armé. Arrivés au bord d’un fleuve, les guerriers, tenant une pagaye à la main, s’asseyent deux à deux dans le fond des canots. Au signal donné par le chef, les canots se rangent à la file : celui qui tient la tête sert à rompre l’effort de l’eau lorsqu’on navigue contre le cours du fleuve. À ces expéditions, on mène des meutes, et l’on porte des lacets, des pièges, des raquettes à neige.

Lorsqu’on est parvenu au rendez-vous, les canots sont tirés à terre et environnés d’une palissade revêtue de gazon. Le chef divise les Indiens en compagnies composées d’un même nombre d’individus. Après le partage des chasseurs, on procède au partage du pays de chasse. Chaque compagnie bâtit une hutte au centre du lot qui lui est échu.

Le neige est déblayée, des piquets sont enfoncés en terre, et des écorces de bouleau appuyées contre ces piquets : sur ces écorces, qui forment les murs de la hutte, s’élèvent d’autres écorces inclinées l’une vers l’autre ; c’est le toit de l’édifice : un trou ménagé dans ce toit laisse échapper la fumée du foyer. La neige bouche en dehors les vides de la bâtisse, et lui sert de ravalement ou de crépi. Un brasier est allumé au milieu de la cabane ; des fourrures couvrent le sol ; les chiens dorment sur les pieds de leurs maîtres ; loin de souffrir du froid, on étouffe. La fumée remplit tout : les chasseurs, assis ou couchés, tâchent de se placer au-dessous de cette fumée.

On attend que les neiges soient tombées, que le vent du nord-est, en rassérénant le ciel, ait amené un froid sec, pour commencer la chasse du castor. Mais, pendant les jours qui précèdent cette nuaison on s’occupe de quelques chasses intermédiaires, telles que celles des outres, des renards et des rats musqués.

Les trappes employées contre ces animaux sont des planches plus ou moins épaisses, plus ou moins larges. On fait un trou dans la neige : une des extrémités des planches est posée à terre, l’autre extrémité est élevée sur trois morceaux de bois agencés dans la forme du chiffre 4. L’amorce s’attache à l’un des jambages de ce chiffre ; l’animal qui la veut saisir s’introduit sous la planche, tire à soi l’appât, abat la trappe, est écrasé.

Les amorces diffèrent selon les animaux auxquels elles sont destinées : au castor on présente un morceau de bois de tremble, au renard et au loup un lambeau de chair, au rat musqué des noix et divers fruits secs.

On tend les trappes pour les loups à l’entrée des passes, au débouché d’un fourré ; pour les renards, au penchant des collines, à quelque distance des garennes ; pour le rat musqué, dans les taillis de frênes ; pour les loutres, dans les fossés des prairies et dans les joncs des étangs.

On visite les trappes le matin : on part de la hutte deux heures avant le jour.

Les chasseurs marchent sur la neige avec des raquettes : ces raquettes ont dix-huit pouces de long sur huit de large ; de forme ovale par devant, elles se terminent en pointe par derrière ; la courbe de l’ellipse est de bois de bouleau, plié et durci au feu. Les cordes transversales et longitudinales sont faites de lanières de cuir : elles ont six lignes en tous sens ; on les renforce avec des scions d’osier. La raquette est assujettie aux pieds au moyen de trois bandelettes. Sans ces machines ingénieuses il seroit impossible de faire un pas l’hiver dans ces climats ; mais elles blessent et fatiguent d’abord, parce qu’elles obligent à tourner les genoux en dedans et à écarter les jambes.

Lorsqu’on procède à la visite et à la levée des pièges, dans les mois de novembre et de décembre, c’est ordinairement au milieu des tourbillons de neige, de grêle et de vent : on voit à peine à un demi-pied devant soi. Les chasseurs marchent en silence ; mais les chiens, qui sentent la proie, poussent des hurlements. Il faut toute la sagacité du sauvage pour retrouver les trappes ensevelies, avec les sentiers, sous les frimas.

À un jet de pierre des pièges, le chasseur s’arrête, afin d’attendre le lever du jour ; il demeure debout, immobile au milieu de la tempête, le dos tourné au vent, les doigts enfoncés dans la bouche : à chaque poil des peaux dont il est enveloppé se forme une aiguille de givre, et la touffe de cheveux qui couronne sa tête devient un panache de glace.

À la première lueur du jour, lorsqu’on aperçoit les trappes tombées, on court aux fins de la bête. Un loup ou un renard, les reins à moitié cassés, montre aux chasseurs ses dents blanches et sa gueule noire : les chiens font raison du blessé.

On balaye la nouvelle neige, on relève la machine ; on y met une pâture fraîche, observant de dresser l’embûche sous le vent. Quelquefois les pièges sont détendus sans que le gibier y soit resté : cet accident est l’effet de la matoiserie des renards ; ils attaquent l’amorce en avançant la patte par le côté de la planche, au lieu de s’engager sous la trappe ; ils emportent sains et saufs la picorée.

Si la prcmière levée des pièges a été bonne, les chasseurs retournent triomphants à la hutte ; le bruit qu’ils font alors est incroyable : ils racontent les captures de la matinée ; ils invoquent les manitous ; ils crient sans s’entendre ; ils déraisonnent de joie, et les chiens ne sont pas muets. De ce premier succès on tire les présages les plus heureux pour l’avenir.

Lorsque les neiges ont cessé de tomber, que le soleil brille sur leur surface durcie, la chasse du castor est proclamée. On fait d’abord au Grand-Castor une prière solennelle, et on lui présente une offrande de petun. Chaque Indien s’arme d’une massue pour briser la glace, d’un filet pour envelopper la proie. Mais quelle que soit la rigueur de l’hiver, certains petits étangs ne gèlent jamais dans le Haut-Canada : ce phénomène tient ou à l’abondance de quelques sources chaudes, ou à l’exposition particulière du sol.

Ces réservoirs d’eau non congélables sont souvent formés par les castors eux-mêmes, comme je l’ai dit à l’article de l’histoire naturelle. Voici comment on détruit les paisibles créatures de Dieu :

On pratique à la chaussée de l’étang où vivent les castors un trou assez large pour que l’eau se perde et pour que la ville merveilleuse demeure à sec. Debout sur la chaussée, un assommoir à la main, leurs chiens derrière eux, les chasseurs sont attentifs : ils voient les habitations se découvrir à mesure que l’eau baisse. Alarmé de cet écoulement rapide, le peuple amphibie, jugeant, sans en connoître la cause, qu’une brèche s’est faite à la chaussée, s’occupe aussitôt à la fermer. Tous nagent à l’envi : les uns s’avancent pour examiner la nature du dommage ; les autres abordent au rivage pour chercher des matériaux ; d’autres se rendent aux maisons de campagne pour avertir les citoyens. Les infortunés sont environnés de toutes parts : à la chaussée la massue étend roide mort l’ouvrier qui s’efforçoit de réparer l’avarie ; l’habitant réfugié dans sa maison champêtre n’est pas plus en sûreté : le chasseur lui jette une poudre qui l’aveugle, et les dogues l’étranglent. Les cris des vainqueurs font retentir les bois, l’eau s’épuise, et l’on marche à l’assaut de la cité.

La manière de prendre les castors dans les viviers gelés est différente : des percées sont ménagées dans la glace ; emprisonnés sous leur voûte de cristal, les castors s’empressent de venir respirer à ces ouvertures. Les chasseurs ont soin de recouvrir l’endroit brisé avec de la bourre de roseau ; sans cette précaution, les castors découvriroient l’embuscade que leur cache la moelle du jonc répandue sur l’eau. Ils approchent donc du soupirail ; le remole qu’ils font en nageant les trahit : le chasseur plonge son bras dans l’issue, saisit l’animal par une patte, le jette sur la glace, où il est entouré d’un cercle d’assassins, dogues et hommes. Bientôt attaché à un arbre, un sauvage l’écorche à moitié vivant, afin que son poil aille envelopper au delà des mers la tête d’un habitant de Londres ou de Paris.

L’expédition contre les castors terminée, on revient à la hutte des chasses, en chantant des hymnes au Grand-Castor, au bruit du tambour et du chichikoué.

L’écorchement se fait en commun. On plante des poteaux : deux chasseurs se placent à chaque poteau, qui porte deux castors suspendus par les jambes de derrière. Au commandement du chef, on ouvre le ventre des animaux tués et on les dépouille. S’il se trouve une femelle parmi les victimes, la consternation est grande ; non-seulement c’est un crime religieux de tuer les femelles du castor, mais c’est encore un délit politique, une cause de guerre entre les tribus. Cependant l’amour du gain, la passion des liqueurs fortes, le besoin d’armes à feu, l’ont emporté sur la force de la superstition et sur le droit établi ; des femelles en grande quantité ont été traquées, ce qui produira tôt ou tard l’extinction de leur race.

La chasse finit par un repas composé de la chair des castors. Un orateur prononce l’éloge des défunts comme s’il n’avoit pas contribué à leur mort : il raconte tout ce que j’ai rapporté de leurs mœurs ; il loue leur esprit et leur sagesse : « Vous n’entendrez plus, dit-il, la voix des chefs qui vous commandoient et que vous aviez choisis entre tous les guerriers castors pour vous donner des lois. Votre langage, que les jongleurs savent parfaitement, ne sera plus parlé au fond du lac ; vous ne livrerez plus de batailles aux loutres, vos cruels ennemis. Non, castors ! mais vos peaux serviront à acheter des armes, nous porterons vos jambons fumés à nos enfants, nous empêcherons nos chiens de briser vos os, qui sont si durs. »

Tous les discours, toutes les chansons des Indiens, prouvent qu’ils s’associent aux animaux, qu’ils leur prêtent un caractère et un langage, qu’ils les regardent comme des instituteurs, comme des êtres doués d’une âme intelligente. L’Écriture offre souvent l’instinct des animaux en exemple à l’homme.

La chasse de l’ours est la chasse la plus renommée chez les sauvages. Elle commence par de longs jeûnes, des purgations sacrées et des festins, elle a lieu en hiver. Les chasseurs suivent des chemins affreux, le long des lacs, entre des montagnes dont les précipices sont cachés dans la neige. Dans les défilés dangereux, ils offrent le sacrifice réputé le plus puissant auprès du génie du désert : ils suspendent un chien vivant aux branches d’un arbre, et l’y laissent mourir enragé. Des huttes élevées chaque soir à la hâte ne donnent qu’un mauvais abri : on y est glacé d’un côté et brûlé de l’autre ; pour se défendre contre la fumée, on n’a d’autre ressource que de se coucher sur le ventre, le visage enseveli dans des peaux. Les chiens affamés hurlent, passent et repassent sur le corps de leurs maîtres : lorsque ceux-ci croient aller prendre un chétif repas, le dogue, plus alerte, l’engloutit.

Après des fatigues inouïes, on arrive à des plaines couvertes de forêts de pins, retraite des ours. Les fatigues et les périls sont oubliés ; l’action commence.

Les chasseurs se divisent et embrassent, en se plaçant à quelque distance les uns des autres, un grand espace circulaire. Rendus aux différents points du cercle, ils marchent, à l’heure fixée, sur un rayon qui tend au centre, examinant avec soin sur ce rayon les vieux arbres qui recèlent les ours : l’animal se trahit par la marque que son haleine laisse dans la neige.

Aussitôt que l’Indien a découvert les traces qu’il cherche, il appelle ses compagnons, grimpe sur le pin, et, à dix ou douze pieds de terre, trouve l’ouverture par laquelle le solitaire s’est retiré dans sa cellule : si l’ours est endormi, on lui fend la tête ; deux autres chasseurs, montant à leur tour sur l’arbre, aident le premier à retirer le mort de sa niche et à le précipiter.

Le guerrier explorateur et vainqueur se hâte alors de descendre : il allume sa pipe, la met dans la gueule de l’ours, et soufflant dans le fourneau du calumet, remplit de fumée le gosier du quadrupède. Il adresse ensuite des paroles à l’âme du trépassé ; il le prie de lui pardonner sa mort, de ne point lui être contraire dans les chasses qu’il pourroit entreprendre. Après cette harangue, il coupe le filet de la langue de l’ours, pour le brûler au village, afin de découvrir, par la manière dont il pétillera dans la flamme, si l’esprit de l’ours est ou n’est pas apaisé.

L’ours n’est pas toujours renfermé dans le tronc d’un pin ; il habite souvent un tanière dont il a bouché l’entrée. Cet ermite est quelquefois si replet, qu’il peut à peine marcher, quoiqu’il ait vécu une partie de l’hiver sans nourriture.

Les guerriers partis des différents points du cercle, et dirigés vers le centre, s’y rencontrent enfin, apportant, traînant ou chassant leur proie : on voit quelquefois arriver ainsi de jeunes sauvages qui poussent devant eux, avec une baguette, un gros ours trottant pesamment sur la neige. Quand ils sont las de ce jeu, ils enfoncent un couteau dans le cœur du pauvre animal.

La chasse de l’ours, comme toutes les autres chasses, finit par un repas sacré. L’usage est de faire rôtir un ours tout entier et de le servir aux convives, assis en rond sur la neige, à l’abri des pins, dont les branches étagées sont aussi couvertes de neige. La tête de la victime, peinte de rouge et de bleu, est exposée au haut d’un poteau. Des orateurs lui adressent la parole ; il prodiguent les louanges au mort, tandis qu’ils dévorent ses membres. « Comme tu montois au haut des arbres ! quelle force dans tes étreintes ! quelle constance dans tes entreprises ! quelle sobriété dans tes jeûnes ! Guerrier à l’épaisse fourrure, au printemps les jeunes ourses brûloient d’amour pour toi. Maintenant tu n’es plus ; mais ta dépouille fait encore les délices de ceux qui la possèdent. »

On voit souvent assis pêle-mêle avec les sauvages à ces festins des dogues, des ours et des loutres apprivoisés.

Les Indiens prennent pendant cette chasse des engagements qu’ils ont de la peine à remplir. Ils jurent, par exemple, de ne point manger avant d’avoir porté la patte du premier ours qu’ils tueront à leur mère ou à leur femme, et quelquefois leur mère et leur femme sont à trois ou quatre cents milles de la forêt où ils ont assommé la bête. Dans ces cas on consulte le jongleur, lequel, au moyen d’un présent, accommode l’affaire. Les imprudents faiseurs de vœux en sont quittes pour brûler en l’honneur du Grand-Lièvre la partie de l’animal qu’ils avoient dévouée à leurs parents.

La chasse de l’ours finit vers la fin de février, et c’est à cette époque que commence celle de l’orignal. On trouve de grandes troupes de ces animaux dans les jeunes semis de sapins.

Pour les prendre, on enferme un terrain considérable dans deux triangles de grandeur inégale, et formés de pieux hauts et serrés. Ces deux triangles se communiquent par un de leurs angles, à l’issue duquel on tend des lacets. La base du plus grand triangle reste ouverte, et les guerriers s’y rangent sur une seule ligne. Bientôt ils s’avancent poussant de grands cris, frappant sur une espèce de tambour. Les orignaux prennent la fuite dans l’enclos cerné par les pieux. Ils cherchent en vain un passage, arrivent au détroit fatal, et demeurent embarrassés dans les filets. Ceux qui les franchissent se précipitent dans le petit triangle, où ils sont aisément percés de flèches.

La chasse du bison a lieu pendant l’été, dans les savanes qui bordent le Missouri ou ses affluents. Les Indiens, battant la plaine, poussent les troupeaux vers le courant d’eau. Quand ils refusent de fuir, on embrase les herbes, et les bisons se trouvent resserrés entre l’incendie et le fleuve. Quelques milliers de ces pesants animaux mugissant à la fois, traversant la flamme ou l’onde, tombant atteints par la balle ou percés par l’épieu, offrent un spectacle étonnant.

Les sauvages emploient encore d’autres moyens d’attaque contre les bisons : tantôt ils se déguisent en loups, afin de les approcher ; tantôt ils attirent les vaches, en imitant le mugissement du taureau. Aux derniers jours de l’automne, lorsque les rivières sont à peine gelées, deux ou trois tribus réunies dirigent les troupeaux vers ces rivières. Un Sioux, revêtu de la peau d’un bison, franchit le fleuve sur la glace mince ; les bisons trompés le suivent, le pont fragile se rompt sous le lourd bétail, que l’on massacre au milieu des débris flottants. Dans ces occasions les chasseurs emploient la flèche : le coup muet de cette arme n’épouvante point le gibier, et le trait est repris par l’archer quand l’animal est abattu. Le mousquet n’a pas cet avantage : il y a perte et bruit dans l’usage du plomb et de la poudre.

On a soin de prendre les bisons sous le vent, parce qu’ils flairent l’homme à une grande distance. Le taureau blessé revient sur le coup ; il défend la génisse, et meurt souvent pour elle.

Les Sioux errant dans les savanes, sur la rive droite du Mississipi, depuis les sources de ce fleuve jusqu’au saut Saint-Antoine, élèvent des chevaux de race espagnole, avec lesquels ils lancent les bisons.

Ils ont quelquefois de singuliers compagnons dans cette chasse : ce sont les loups. Ceux-ci se mettent à la suite des Indiens afin de profiter de leurs restes, et dans la mêlée ils emportent les veaux égarés.

Souvent aussi ces loups chassent pour leur propre compte. Trois d’entre eux amusent une vache par leurs folâtreries : tandis que, naïvement attentive, elle regarde les jeux de ces traîtres, un loup tapi dans l’herbe la saisit aux mamelles ; elle tourne la tête pour s’en débarrasser, et les trois complices du brigand lui sautent à la gorge.

Sur le théâtre de cette chasse s’exécute, quelques mois après, une chasse non moins cruelle, mais plus paisible, celle des colombes : on les prend la nuit au flambeau, sur les arbres isolés où elles se reposent pendant leur migration du nord au midi.

Le retour des guerriers au printemps, quand la chasse a été bonne, est une grande fête. On revient chercher les canots ; on les radoube avec de la graisse d’ours et de la résine de térébinthe ; les pelleteries, les viandes fumées, les bagages sont embarqués, et l’on s’abandonne au cours des rivières, dont les rapides et les cataractes ont disparu sous la crue des eaux.

En approchant des villages, un Indien, mis à terre, court avertir la nation. Les femmes, les enfants, les vieillards, les guerriers restés aux cabanes, se rendent au fleuve. Ils saluent la flotte par un cri, auquel la flotte répond par un autre cri. Les pirogues rompent leur file, se rangent bord à bord et présentent la proue. Les chasseurs sautent sur la rive, et rentrent aux villages dans l’ordre observé au départ. Chaque Indien chante sa propre louange : « Il faut être homme pour attaquer les ours comme je l’ai fait ; il faut être homme pour apporter de telles fourrures et des vivres en si grande abondance. » Les tribus applaudissent. Les femmes suivent portant le produit de la chasse.

On partage les peaux et les viandes sur la place publique ; on allume le feu du retour ; on y jette les filets de langues d’ours : s’ils sont charnus et pétillent bien, c’est l’augure le plus favorable ; s’ils sont secs et brûlent sans bruit, la nation est menacée de quelque malheur.

Après la danse du calumet, on sert le dernier repas de la chasse : il consiste en un ours amené vivant de la forêt : on le met cuire tout entier avec la peau et les entrailles dans une énorme chaudière. Il ne faut rien laisser de l’animal, ne point briser ses os, coutume judaïque ; il faut boire jusqu’à la dernière goutte de l’eau dans laquelle il a bouilli : le sauvage dont l’estomac repousse l’aliment appelle à son secours ses compagnons. Ce repas dure huit ou dix heures : les festoyants en sortent dans un état affreux ; quelques-uns payent de leur vie l’horrible plaisir que la superstition impose. Un sachem clôt la cérémonie :

« Guerriers, le Grand-Lièvre a regardé nos flèches ; vous avez montré la sagesse du castor, la prudence de l’ours, la force du bison, la vitesse de l’orignal. Retirez-vous, et passez la lune de feu à la pêche et aux jeux. » Ce discours se termine par un oah ! cri religieux, trois fois répété.

Les bêtes qui fournissent la pelleterie aux sauvages sont : le blaireau, le renard gris, jaune et rouge, le pécan, le gopher, le racoon, le lièvre gris et blanc, le castor, l’hermine, la martre, le rat musqué, le chat-tigre ou carcajou, la loutre, le loup-cervier, la bête puante, l’écureuil noir, gris et rayé, l’ours, et le loup de plusieurs espèces.

Les peaux à tanner se tirent de l’orignal, de l’élan, de la brebis de montagne, du chevreuil, du daim, du cerf et du bison.