Voyage dans les prairies à l’Ouest des États-Unis/chap 08

Traduction par Adèle Sobry.
Librairie De Fournier Jeune (p. 55-58).


CHAPITRE VIII.


Le camp des Rangers (Rôdeurs).


Le temps, qui avait été pluvieux pendant la nuit, s’éclaircit enfin, et nous nous mîmes en route à sept heures du matin dans la ferme confiance d’arriver très prochainement au camp des Rangers. À peine avions-nous fait trois à quatre milles que nous vîmes sur notre chemin un grand arbre récemment tombé sous la hache, car le miel contenu dans les crevasses du tronc n’était pas encore complètement enlevé. Alors nous fûmes certains que nos gens n’étaient pas loin. En effet, à une distance d’un ou deux milles, quelques-uns de nos cavaliers jetèrent un cri de joie, et nous indiquèrent des chevaux qui paissaient sous des arbres. Quelques pas nous conduisirent sur les bords d’une chaîne de collines d’où nos regards plongèrent sur le campement. C’était une véritable scène de bandits ou de braconniers, à la Robin-Hood. Dans une belle forêt ouverte, traversée par un ruisseau rapide, des cahutes d’écorces et de branches, et des tentes formées par des blankets, avaient offert des abris temporaires contre la pluie récente, les Rangers ayant coutume de bivouaquer quand il fait sec. On voyait là des groupes, vêtus de toutes sortes d’habits singuliers, et occupés de mille travaux divers.

Les uns faisaient la cuisine à de grands feux allumés au pied des arbres ; d’autres étendaient et apprêtaient des peaux de daim ; un grand nombre tiraient au but, et quelques autres étaient couchés sur l’herbe. Ici des pièces de venaison étaient suspendues sur des broches au-dessus des tisons ; là on voyait des bêtes mortes récemment apportées par les chasseurs. Des faisceaux de fusils étaient appuyés contre les arbres, et des selles, des brides, des poires à poudre pendaient au-dessus d’eux, tandis que les chevaux broutaient çà et là parmi les bosquets.

On nous salua par des acclamations à notre arrivée : les Rangers se pressèrent autour de leurs camarades pour demander les nouvelles du fort. Quant à nous, le capitaine Bean, qui commandait la compagnie, nous reçut avec la simple et franche cordialité des chasseurs. C’était un homme d’environ quarante ans, vigoureux et agile. Il avait passé la plus grande partie de sa vie sur la frontière, servant occasionnellement dans les guerres des Indiens, et par conséquent grand chasseur, et parfaitement au fait de tout ce qui concerne la sauvage existence des bois et des prairies incultes. Son costume était caractéristique : c’était une chemise de chasse et des guêtres de cuir avec un bonnet de fourrageur.

Tandis que nous causions avec le capitaine, un chasseur vétéran s’approcha, et son extérieur attira mon attention. Il était d’une stature moyenne, mais fort et endurci par l’exercice ; sa tête à demi chauve était parsemée de mèches flottantes de cheveux gris de fer, et ses beaux yeux noirs étincelaient encore du feu de la jeunesse ; son costume, semblable à celui du capitaine, semblait avoir seulement plus de service ; une poire à poudre était suspendue à son côté, un couteau de chasse passé dans sa ceinture, et il avait en main un ancien et bon fusil, probablement aussi cher à son cœur que le meilleur de ses amis. Il demanda la permission d’aller à la chasse, et son chef la lui accorda sans difficulté. « C’est le vieux Ryan, » dit le capitaine. Quand l’homme se fut éloigné, « Nous n’avons pas de meilleur chasseur dans la compagnie. Jamais il ne manque de rapporter du gibier. »

En un moment nos chevaux furent déchargés, débridés et laissés en liberté de se régaler au milieu des pois grimpans. On dressa la tente. On nous fit du feu ; le capitaine nous avait envoyé la moitié d’un daim de sa cahute ; Beatte apporta une couple de dindons sauvages ; les broches furent chargées, le chaudron de campagne rempli de viande, et pour comble de luxe un des cavaliers nous gratifia d’un grand bassin plein de miel délicieux enlevé à un arbre d’abeilles. Tony était en extase, et retroussant ses manches au-dessus du coude, il se mit en devoir de déployer ses talens culinaires, dont il était presque aussi fier que de ses exploits à la chasse et à la guerre, et de son habileté comme écuyer.