Voyage d’exploration en Indo-Chine/Séjour à Bassac


PIÈCE D’EAU DU MONUMENT DE WAT PHOU.


VII

SÉJOUR À BASSAC. — RUINES DE WAT PHOU. — EXCURSION DANS LA VALLÉE DU SE DON. — FÊTES DE BASSAC. — VOYAGE DE M. GARNIER À STUNG TRENG ET DE M. DE LAGRÉE À ATTOPEU. — TRIBUS SAUVAGES DE LA VALLÉE DU SE CONG.


Le lendemain de notre arrivée à Bassac, le commandant de Lagrée, accompagné de trois officiers et des hommes de l’escorte en armes, fit une visite officielle au gouverneur de la province. Celui-ci porte le titre de roi, dernier vestige de l’indépendance dont jouissait la principauté de Bassac avant la conquête des Siamois.

Le roi de Bassac est un jeune homme de vingt-cinq à trente ans, à l’air timide et à la physionomie distinguée. Le rôle qu’avait joué le commandant de Lagrée dans les négociations relatives au protectorat du Cambodge et la façon dont il était sorti victorieux de sa lutte diplomatique avec le général siamois, Chao-Koun Darat, lui donnaient un grand prestige aux yeux des gouverneurs siamois des provinces voisines du Cambodge, et sa réputation l’avait précédé auprès du roi de Bassac. Celui-ci se montra donc courtois et empressé, et nous nous sentîmes assurés tout d’abord de sa bienveillance et de son concours.

Nous avions été logés, à notre arrivée, dans un grand sala situé sur la rive même du fleuve, vis-à-vis de la demeure royale. M. de Lagrée demanda à ce qu’une case fut construite à peu de distance pour loger notre escorte : dès le lendemain, les indigènes apportaient les bambous nécessaires et en commençaient la construction.

Le 16 septembre, le roi vint rendre sa visite au commandant français, dont il avait reçu un fusil à deux coups richement décoré. Il s’était fait précéder de deux cochons et d’autres cadeaux en nature. Il fit preuve d’une intelligente curiosité, en examinant nos instruments et nos armes, et il mit à notre disposition tous les guides et toutes les barques qui pourraient nous être nécessaires pour visiter la contrée. Des pluies diluviennes nous empêchèrent de profiter immédiatement de sa bonne volonté. Pendant une huitaine de jours, nous fûmes claquemurés par le temps dans notre habitation. Notre seule distraction était de contempler les eaux jaunâtres du fleuve, chaque jour plus rapides et plus hautes, charrier des arbres énormes, parfois même des îlots, arrachés à ses rives, pendant que des Laotiens à la figure stupéfaite restaient des heures entières à nous regarder à travers le treillage en bambous qui formait les murs de notre sala, et nous offraient un genre de spectacle moins grandiose et aussi monotone que le premier.


CORNICHE SCULPTÉE À WAT PHOU.

Enfin, vers le 20 septembre, les pluies cessèrent. Les eaux du fleuve avaient atteint un niveau qu’elles ne dépassèrent plus et que nous indiquâmes par une ligne de repère profondément incrustée dans le tronc d’un tamarinier qui croissait près du sala. Au delà du thalweg sur lequel s’étend la longue ligne des maisons de Bassac, la campagne était complètement inondée : les eaux du fleuve s’y répandaient par le lit de deux petits arroyos et venaient former au pied des montagnes un véritable lac, semé de bouquets d’arbres, qu’il fallait traverser en canot. Le terrain ne redevenait sec et la circulation facile que sur les premières pentes, où de nombreux troupeaux de bœufs et de buffles paissaient librement en attendant la fin de l’inondation.

Ce fut naturellement vers les montagnes que se dirigèrent nos premières excursions. Botaniste, géologue, dessinateur, géographe, archéologue même, car des ruines khmers nous étaient signalées sur le versant est de l’une d’elles, nous devions tous y trouver un champ d’études d’autant plus attrayant, qu’il présentait le vif attrait de la nouveauté à des gens habitués aux plaines sans limites du delta du Cambodge.



Dès le 21 septembre, la plupart des membres de la Commission allèrent visiter Wat Phou : c’est le nom des ruines qui nous avaient été signalées. Elles se trouvent à 7 ou 8 kilomètres dans le sud-ouest de Bassac, dans une situation admirablement choisie. Au pied d’un des sommets les plus élevés de la chaîne de Bassac, s’étend une pièce d’eau à revêtements en grès, de 600 mètres de longueur environ sur 200 de largeur, et dans laquelle nous reconnûmes immédiatement un de ces Sra qui précèdent presque toujours les monuments khmers (consultez la carte p. 184-5). Sur ses bords, règne une épaisse forêt qui recouvre uniformément toutes les pentes voisines ; à l’ouest, s’élève une terrasse d’où part une chaussée dallée, de 2 à 300 mètres de longueur, limitée de chaque côté par une série de bornes ou de colonnes à chapiteau pyramidal. Cette chaussée suit les mouvements du terrain et gravit les flancs de la montagne, tantôt par des pentes douces, tantôt par des séries d’escaliers. Elle se termine par un escalier très-haut et très-raide qui se compose de plus de cent cinquante marches et des deux côtés duquel sont des statues. L’une de ces statues, qui gît renversée sur le sol, représente, d’après la tradition, le roi qui a bâti Wat Phou. Au haut de l’escalier, est un sanctuaire en forme de croix, analogue à ceux que nous avions déjà trouvés à Angcor. Les encadrements des portes offrent des sculptures d’une admirable conservation, et quelques-unes sont égales à ce que l’art khmer a laissé de plus parfait ; mais d’autres portent des traces irrécusables de fatigue et de décadence. La voûte centrale du sanctuaire a environ une vingtaine de mètres de longueur ; elle est plus large d’ouverture que les voûtes latérales qui forment les bras de la croix. Aux environs du sanctuaire, sont des restes de constructions en briques. L’une d’elles et quelques parties du sanctuaire lui-même portent des traces de restauration moderne.


UNE BORNE DE LA CHAUSSÉE DE WAT PHOU.

Devant le sanctuaire, se trouve l’une de ces pierres plates, appelées Sema par les Cambodgiens, sur lesquelles il était d’usage de graver les inscriptions. Les caractères dont elle est couverte, tant sur la face principale que sur les côtés, sont en très-grande partie effacés et illisibles. On peut cependant constater que c’est la même écriture que celle des autres inscriptions khmers. La forme des lettres me semblerait indiquer que Wat Phou est à peu près contemporain de Leley (Voy. ci-dessus, p. 74). En arrière et au-dessus du sanctuaire, est une longue terrasse : elle est établie dans la roche même qui a été nivelée, et adossée à la montagne, qui, en cet endroit, est complètement coupée à pic et n’offre plus qu’une haute muraille d’un grès rougeâtre, d’une quarantaine de mètres de hauteur, au pied de laquelle jaillissent quelques petites sources. De nombreux ex-voto sont déposés sur la terrasse, dans les fissures du rocher, et jusque dans les petits bassins où se réunit l’eau des sources.

Une balustrade termine la terrasse du côté du sanctuaire ; au-dessous, dans la paroi verticale du rocher, sont des sculptures dont l’une est reproduite ci-contre. Elle paraît représenter des divinités brahmaniques. Le personnage principal est sans doute Mahadeva ou Siva ; peut-être faut-il reconnaître dans les deux personnages latéraux, Vichnou et Brahma, quoique le premier ne soit en général figuré qu’avec une seule tête.


STATUE DU ROI QUI A BATI WAT PHOU.

À droite et à gauche de la chaussée inférieure, sont deux grands monuments carrés. Ils consistent en une galerie de 40 mètres de côté environ, au centre de laquelle est une cour dallée, encombrée de broussailles et de blocs de pierre détachés de la partie supérieure des voûtes. La partie de ces galeries qui fait face à la chaussée est en grès ; le reste est en pierre de Bien-hoa. Ces constructions étaient sans doute des habitations ; elles paraissent n’avoir jamais été terminées : commencées au moment où l’art khmer était encore dans tout son éclat, il semble qu’elles aient été continuées à plusieurs reprises par des architectes inhabiles et des ouvriers inexpérimentés. Dans le voisinage de celui de ces deux bâtiments qui est au sud de la chaussée, on rencontre des débris assez remarquables qui paraissent avoir appartenu à une galerie orientée nord et sud. Enfin, à deux kilomètres dans le sud, s’élève, au milieu de la forêt, un autre sanctuaire auquel on arrive par une chaussée dallée. Il est semblable à celui de Wat Phou, mais de plus petite dimension. D’autres ruines sont encore signalées à quelque distance ; mais elles ne furent visitées par aucun des membres de la commission.

Le commandant de Lagrée pensait que cet ensemble de constructions date du dixième siècle, moment où la puissance d’Angcor commençait à décliner. D’habiles ar-


figures sculptées sur un rocher à wat phou.


chitectes les avaient conçues. Les événements interrompirent leur œuvre, qui fut reprise ensuite par des générations moins habiles et qui reçut d’elles ce cachet de décadence que l’on y retrouve imprimé.

Naturellement, les habitants ne peuvent donner aucune indication utile sur des monuments qui sont l’œuvre d’une autre race. L’établissement relativement récent des Laotiens dans cette partie de la vallée du fleuve, leur fait attribuer aux Chams, et non aux Cambodgiens, la construction de Wat Phou. La domination des Chams à Bassac doit remonter à la fin du treizième siècle, époque à laquelle, comme nous l’avons vu (p. 136). le Cambodge semble avoir été pendant quelque temps tributaire du Tsiampa.

Le site de Wat Phou est admirablement choisi, et du haut de la terrasse supérieure, qui est élevée d’une centaine de mètres au-dessus de la pièce d’eau, le coup d’œil étendu qu’offrent la plaine et le fleuve est ravissant.

Les montagnes de Bassac nous fournirent d’autres sujets de promenade et d’étude non moins intéressants. Le docteur Joubert y trouva des gisements de cuivre exploités par les indigènes, et des formations géologiques se rapportant à la période houillère et faisant entrevoir, par suite, une chance de trouver du charbon dans leurs flancs. M. Thorel constata l’existence de l’insecte producteur du stick-lack, sur plusieurs espèces d’arbres qui croissent à l’état sauvage aux environs de Bassac, et que les indigènes exploitent à ce point


extérieur du sanctuaire de wat phou.


de vue[1]. La montagne appelée Phou Cangman, située au nord du village, fut souvent aussi l’un des buts de promenade des membres de la Commission. Sa face sud est taillée en gigantesques échelons, dont les faces verticales seraient presque infranchissables, sans la végétation qui les recouvre et les profonds sillons que creusent les torrents qui se forment pendant la saison des pluies (Voy. le dessin p. 193). Du haut de ces crêtes, qui se dégagent brusquement du sein des forêts, rien ne limite le regard : Bassac, le fleuve dans son lointain parcours, les îles qui l’émaillent, se déroulent au delà du sombre rideau de verdure étendu aux pieds de l’observateur. Les parties hautes de la montagne ne sont habitées que par les bêtes fauves qui y cachent leurs repas sanglants et leurs sauvages amours. On croit ne trouver au but de sa promenade qu’un magnifique point de vue ; on y rencontre parfois aussi une partie de chasse dangereuse. (Voy. le dessin p. 192.)

Quant au village même de Bassac, il ne présente aucune particularité intéressante. Les maisons sont disséminées le long de la rive du fleuve sur une étendue de plusieurs kilomètres. Une quinzaine de pagodes, dont les plus importantes sont la pagode royale, si-


intérieur du sanctuaire de wat phou.


tuée à très-peu de distance de la résidence du roi (Voy. le dessin p. 197), Wat Tat, ou se trouve le tombeau d’un roi célèbre du pays, et Luong Kiao, à l’extrémité sud du village, témoignent de la piété des habitants ; un nombre presque égal de sanctuaires en ruines, en général construits en briques, attestent la foi des générations passées et surtout les terreurs des mandarins ou des grands personnages qui les avaient fait élever pour racheter leurs concussions ou leurs crimes. La végétation tropicale qui s’empare immédiatement de ces temples, dès qu’avec leurs fondateurs ont disparu les fonds nécessaires à leur entretien, leur donne à tous un aspect fort trompeur de vétusté.

Le 23 septembre, une animation extraordinaire se fit remarquer aux environs du palais du roi ; de toutes les pagodes de Bassac, de l’île Deng et des villages voisins affluaient par centaines des bonzes en robe jaune qui apportaient des cadeaux de fruits et de comestibles. Le lendemain, le roi leur fit à tous, suivant la coutume annuelle, présent d’un vêtement nouveau. M. de Lagrée saisit cette occasion de faire une pieuse largesse : il


une crête de montagne, près de bassac.


envoya à Sa Majesté une paire de chandeliers en cuivre dont il la priait de disposer à son gré. Après une discussion assez longue, le roi ne put satisfaire à toutes les convoitises qu’excita la vue de ces porte-cierges, qu’en les partageant entre les deux pagodes les plus importantes.


torrent desséché dans les montagnes de bassac.

Cependant la baisse des eaux s’accélérait ; les terrains situés en contre-bas des berges s’asséchaient rapidement ; il convenait d’étendre nos explorations dans la vallée même du fleuve. Je reçus du commandant de Lagrée la mission de reconnaître le cours inférieur du Se Don, grand affluent de la rive gauche du fleuve, qu’il vient rejoindre un peu au-dessus de Bassac. Cette rivière contourne et limite au nord le massif volcanique dont j’ai parlé et qui lui donne naissance. M. Thorel se joignit à moi pour cette excursion, et j’emmenai, comme dans ma première reconnaissance des rapides, le matelot Renaud, dont les connaissances en cambodgien devaient faciliter nos relations avec un fonctionnaire de Bassac, à qui cette langue était familière et qui avait l’ordre du roi de nous accompagner.

Nous partîmes le 3 octobre, à 7 heures du matin, dans une barque légère. Au-dessus de la grande île de Deng, les eaux du fleuve se réunissent en un seul bras, mais


vue de phou molong.


son lit se sème de brousses et de rochers, et s’élargit jusqu’à atteindre 3 à 4 kilomètres. Nous approchions de Phou Molong, grand pic qui termine au nord la chaîne de montagnes de la rive droite, et sa base arrondie semblait barrer le passage devant nous. Le fleuve vient, en effet, la contourner sur la moitié de sa circonférence, et, maintenu de ce côté par cette puissante barrière, de l’autre par une chaîne de collines, dernière ramification du massif de la rive gauche, il se réduit subitement à une largeur de 5 à 600 mètres ! Sa profondeur là doit être énorme, et je ne trouvai pas le fond à 30 mètres. Le caractère du paysage change en même temps d’une façon brusque : au lieu de ces plaines riantes et uniformes que les eaux brillantes parcouraient lentement en y dessinant des centaines d’îles, au lieu de ces rives presque noyées que dissimulaient de longues lignes de palmiers et de maisons, l’onde noire et rapide coule entre des berges à pic où la roche fait irruption partout, et que dominent de hautes ondulations couvertes de forêts. Chaque perspective du fleuve, au lieu de se perdre dans un horizon sans limites, s’arrête à peu de distance et le coup d’œil se renouvelle sans cesse.

L’étranglement du fleuve produit par le Phou Molong est assez court et le Cambodge revient bientôt à une largeur d’un kilomètre. Après avoir passé au pied du Phou Salao, colline de 200 mètres de hauteur environ, qui infléchit le cours du fleuve à l’est, nous découvrîmes sur la rive gauche l’étroite embouchure du Se Don, en aval de laquelle s’élèvent le long de la berge des colonnes basaltiques d’un aspect original. À 5 heures du soir, nous entrions dans la rivière. Elle est d’une largeur uniforme de près de 200 mètres, et son cours est aussi sinueux que celui de la Seine aux environs de Paris. Notre marche devint plus rapide au milieu de ses eaux tranquilles.

Il était presque entièrement nuit quand nous nous arrêtâmes à un petit village situé sur la rive gauche. Notre mandarin d’escorte se hâta d’annoncer aux autorités locales la visite des étrangers, et s’employa à nous procurer ce qui devenait pour nous le problème à résoudre chaque jour, le bon souper et le bon gîte du Fabuliste. La pagode du hameau nous fournit le second ; nos provisions et quelques achats faits aussitôt, les éléments du premier. Pendant que Renaud se livrait à de savantes préparations culinaires, nous liions conversation avec les bonzes et le maire de l’endroit, pour nous former à cette gymnastique de langage qui devenait notre exercice quotidien. Gestes variés, dessins ingénieux étaient appelés au secours de notre ignorance des mots, et il était rare que l’on n’obtînt pas par ce procédé, au bout d’une demi-heure d’efforts, sept ou huit réponses entièrement contradictoires. Il fallait ensuite satisfaire la curiosité des indigènes, leur expliquer le maniement de nos armes, l’usage de nos montres et de nos ustensiles de toute sorte. La conversation se terminait par une distribution de petits cadeaux, tels que des aiguilles, des couteaux ou des images qui comblaient de joie ces naïves gens.

Le lendemain, nous continuâmes notre reconnaissance : la baisse des eaux se prononçait de plus en plus, et au pied des berges droites et hautes de 3 ou 4 mètres qui encaissaient régulièrement le cours de la petite rivière, quelques plages de sable ou de rocher se montraient çà et là à découvert. Le calme des rives, la marche silencieuse de notre pirogue qui s’avançait à la pagaie, encourageaient de nombreux caïmans à venir y bâiller au soleil du matin, et sans paraître rien redouter de leur présence, quelques paons picoraient à côté d’eux sur la grève.

Le soir, après avoir remonté dans la direction du nord pendant une trentaine de kilomètres, nous nous arrêtâmes à Solo Niai, village situé sur la rive gauche et qui paraît être le point d’embarquement des marchandises qui arrivent de l’intérieur à dos d’éléphant. Nous étions à peu de distance de chutes considérables qui interrompent la navigation de la rivière et que le commandant de Lagrée m’avait recommandé d’examiner avec le plus grand soin. Les rives du Se Don, qui jusque-là nous avaient paru assez plates, commençaient à s’accidenter ; de petites chaînes de collines ondulaient les environs de Solo Niai, et de tous côtés surgissaient à l’horizon les cimes bleuâtres des montagnes du massif de la rive gauche, dont nous nous étions sensiblement rapprochés. Les sauvages qui habi


PAGODE ROYALE À BASSAC.

tent les versants extérieurs de ce massif faisaient çà et là leur apparition. Nous vîmes

quelques-uns d’entre eux arriver en même temps que nous à la pagode-caravansérail de Solo Niai, avec un chargement d’orties de Chine et de peaux. Sur les contre-forts ouest du massif, Mouhot avait signalé l’existence de mines d’argent, et tous mes efforts, tous ceux de Renaud, mon interprète en cambodgien, tendirent à obtenir quelques renseignements précis sur le lieu de leur gisement. Après beaucoup de pourparlers, nous crûmes comprendre que notre mandarin laotien se faisait fort de nous conduire à un village kha (kha est l’appellation générique des sauvages en laotien), où l’on exploitait le précieux métal. Nous prîmes acte de sa promesse, et nous remîmes cette excursion à notre retour des cataractes du Se Don.

À peu de distance de Solo Niai, la rivière se bifurque en deux bras étroits. Nous nous engageâmes le 5 octobre au matin dans le bras de l’ouest, mais nous fûmes arrêtés presque aussitôt par une petite chute de 2 mètres de hauteur, formée par deux assises rocheuses aussi horizontales et aussi régulières que deux marches d’escalier. Nous mîmes pied à terre et nous nous dirigeâmes vers la partie nord de l’île qui forme les chutes. Nous y étions arrivés à midi. Le coup d’œil en est des plus pittoresques. Le Se Don vient directement du nord se heurter à la pointe aiguë que lui oppose la masse rocheuse de l’île, et ses eaux, divisées par cet obstacle, retombent des deux côtés en cascades. Dans le bras de l’est, elles se précipitent d’une hauteur verticale de 15 mètres, partagée en deux ou trois gradins par des saillies de rocher d’un effet pittoresque, dans un bassin circulaire à parois de lave ; dans le bras de l’ouest, elles coulent torrentueusement sur une pente, inclinée à 45 degrés environ, que coupent çà et là d’énormes blocs de rochers et des aiguilles basaltiques contre lesquelles l’onde s’élève en bouillonnant.

Le 6 octobre, nous redescendions le Se Don jusqu’à Ban Song, village situé à environ trois lieues de l’embouchure. Nous y reçûmes une confortable hospitalité dans la maison du Muong Khang ou troisième fonctionnaire dans l’ordre administratif de la province de Bassac. Ce mandarin était absent, mais on devait mettre ses éléphants à notre disposition pour aller visiter les exploitations d’argent qui se trouvaient, disait-on, au pied des premiers contre-forts montagneux de l’est.

Le lendemain, en effet, trois de ces nobles animaux, rappelés des pâturages, stationnaient devant la plate-forme de la maison, et, à 10 heures et demie, nous nous mettions en route. La monture de M. Thorel et la mienne étaient des femelles, et chacune d’elles était suivie d’un petit en bas âge. Le plus jeune avait un an à peine, le plus âgé en avait trois : le premier était de la taille d’un buffle, le second était sensiblement plus haut. Ils n’avaient point encore la gravité qui est particulière à leur race, et leurs gambades folâtres nous égayèrent beaucoup pendant toute la route. Ils se poursuivaient jusque dans les jambes de leurs mères, qui suivaient d’un œil complaisant et attentif les évolutions de leurs nouveau-nés. Quand ils s’éloignaient trop et que, par une excursion trop hardie dans les champs de riz voisins, ils risquaient de s’attirer la colère et les coups des cornacs, un cri de la mère les rappelait bien vite : les enfants indociles accouraient aussitôt, caressaient un instant les mamelles maternelles du bout de leur trompe, puis, apercevant une mare voisine, couraient y puiser de l’eau pour se la jeter malicieusement l’un à l’autre.

En sortant de Ban Song, on traverse une plaine dénudée où la roche apparaît à chaque pas en larges plaques noirâtres. Peu après, le terrain se boise et s’ondule légèrement. Un fort torrent gronde à peu de distance. Il n’avait guère à ce moment qu’un mètre et demi de profondeur, mais le courant en était fort rapide[2]. Le plus âgé des deux petits éléphants se jeta bravement à la nage, tandis que son compagnon, effrayé par le bruit, restait indécis sur la rive. La mère de ce dernier le fit placer contre elle du côté d’amont, de manière à le retenir et le protéger contre la violence des eaux. Le jeune animal appuya ses jambes contre celles de sa mère. Celle-ci s’inclina légèrement, de manière à lui donner un point d’appui, et le fit rouler en quelque sorte de ses jambes de derrière à celles de devant jusqu’à ce que le torrent fût traversé. Au delà, nous entrâmes en pleine forêt, et j’admirai de plus en plus l’intelligence et l’adresse de ces puissants quadrupèdes. Un mot du cornac, un simple geste étaient à l’instant compris d’eux. Tantôt c’était une branche trop basse et nous barrant le passage qu’ils détournaient ou qu’ils arrachaient avec leur trompe, tantôt un détour qu’ils calculaient habilement pour ne pas heurter leur cage à quelque tronc noueux. Puis, quand la route était moins obstruée et demandait une attention moins grande, leur trompe s’en allait cueillir à droite et à gauche quelques jeunes pousses de bambou qu’elle secouait longuement pour détacher la terre adhérente aux racines. L’animal n’était satisfait que quand il n’y restait plus un grain de poussière, et si une motte de terre rebelle s’obstinait à y demeurer, il la plaçait sous son pied et l’enlevait avec une étonnante précision. Il exécutait tous ces mouvements sans ralentir son allure d’une seconde et sans que le cornac pût lui reprocher de sacrifier à sa gourmandise les intérêts du voyageur.

Le terrain s’élevait graduellement et le sentier que nous suivions gravissait parfois de hauts escarpements de roches que j’aurais crus inaccessibles à nos lourdes montures. Là encore elles m’émerveillèrent. Sondant chaque pierre avec leur trompe pour s’assurer de sa solidité avant d’y poser le pied ou le genou, elles n’hésitaient pas à se suspendre au-dessus des profonds ravins qui bordaient la route. En certains moments, je ne pouvais me défendre d’une vive appréhension en voyant ma cage s’incliner au-dessus de ces pentes rapides et rocailleuses, au bas desquelles coulait quelque torrent invisible.

Nous rencontrions parfois quelques éléphants chargés d’ortie de Chine et conduits par des sauvages qui, un arc à la main, utilisaient en chassant leur voyage à travers la forêt. Celle-ci avait été incendiée par places, et transformée en rizières, qu’une forte palissade protégeait contre les excursions des grands quadrupèdes. Ces cultures nous annonçaient le voisinage d’un village kha. Au bout de trois heures de montée, nous étions arrivés sur un plateau où la forêt, moins épaisse et de plus en plus dévastée par le feu, s’entrecoupait de clairières herbeuses. Tout autour de nous surgissaient de nombreux sommets de montagnes que nous n’apercevions que par intervalles. À 5 heures et demie du soir, nous nous arrêtâmes au milieu d’un petit hameau, composé d’une dizaine de cases et nommé Petoung en laotien. Au dire du fonctionnaire de Bassac qui nous escortait, c’était non loin de là, sur les bords d’un petit ruisseau, que nous devions trouver les gisements argentifères que nous cherchions. Désirant m’y rendre dès le lendemain matin, je m’informai immédiatement de la distance à parcourir. Mais à ce moment on ne me comprit plus. Des mines d’argent ? Il n’en avait jamais été question. Nous en parlions pour la première fois. On avait cru que nous voulions tout simplement voir les sauvages et la montagne, et on nous avait conduits dans la montagne au milieu des sauvages. Quant à voir des mines d’argent, c’était impossible, par une raison très-simple : il n’en avait jamais existé dans la province. Notre stupéfaction était grande. M. Thorel, Renaud et moi nous nous regardions sans parvenir à croire à la réalité d’un quiproquo pareil. Nous avions montré ce métal lui-même, et si le mot avait pu être mal prononcé, l’objet n’avait pu être méconnu. J’insistai ; Renaud fit appel à tout son savoir en cambodgien pour convaincre le mandarin qui nous escortait qu’il nous avait bien réellement affirmé la présence de mines d’argent dans cette localité. Nous n’obtînmes que des dénégations faites avec la tranquillité la plus grande et l’étonnement le mieux joué. Sans aucun doute les gens du pays avaient réussi à faire regretter au fonctionnaire laotien sa franchise première, en lui exposant les dangers d’une visite de cette nature. N’allait-on pas, en permettant à des Européens l’appréciation des richesses métallurgiques de la contrée, attirer leur attention et celle de Bankok, exciter la cupidité des étrangers et des gouvernants, faire augmenter les impôts ? Cette difficulté qui allait se dresser perpétuellement devant nous pendant tout le reste de notre voyage était d’une nature insurmontable : les instances, les menaces, les promesses ne faisaient que confirmer la résolution prise. Nous nous résignâmes et nous reprîmes dès le lendemain matin la route de Ban Song. Le 9 octobre, à une heure de l’après-midi, nous étions de retour au campement de Bassac.

La contrée avait complètement changé d’aspect depuis notre départ. Les eaux du Cambodge avaient baissé de plus de 5 mètres ; toutes les dépressions de terrain inondées s’étaient asséchées, les sentiers avaient reparu ; les berges, fertilisées par le limon du fleuve, se couvraient de cultures de tabac, de coton, de mûriers, de plantes maraîchères, Partout on préparait les engins pour la pêche, on se disposait à arrêter le poisson dans les arroyos que la baisse des eaux mettait à sec. Dans les campagnes, les riz jaunissants appelaient la faux du moissonneur, et l’on construisait déjà les hangars où pendant la récolte on dispose les gerbes en carrés symétriques. Dans les villages, on réparait les chars qui gisaient démontés et sans emploi sous les maisons, et les bœufs coureurs, rappelés des terrains élevés où ils avaient passé la période de l’inondation, revenaient reprendre leur service accoutumé. La vie, un instant suspendue, recommençait partout.

Les relations du commandant de Lagrée avec le roi et les autorités du pays étaient devenues de plus en plus intimes et cordiales. Le roi ne perdait pas une occasion de témoigner sa déférence au chef de la mission française ; les questions qu’il lui adressait sur le sort du roi de Cambodge et sur les conditions du protectorat de la France, témoignaient d’une secrète impatience du joug de Siam. Cette impatience paraissait d’ailleurs partagée par les mandarins et le peuple, qui saisissaient toutes les occasions d’exagérer les charges que le gouvernement de Bankok fait peser sur eux. Tout le monde parlait volontiers et avec orgueil de l’ancienne indépendance du Laos et des révoltes qui, après la conquête, ont souvent troublé la possession siamoise.


UNE VISITE DU ROI DE BASSAC.

Une grande fête se préparait dans toute la vallée du fleuve : c’est celle par laquelle les populations ont l’habitude de célébrer la fin de l’inondation et de préluder à la récolte. Son nom populaire est Heua Song ou « Fête des bateaux, » et sa signification réelle est un hommage de reconnaissance au fleuve, pour la fécondité et la richesse qu’il apporte au pays. Le gouvernement de Bankok a su habilement faire tourner au profit de sa politique ces réjouissances populaires, et c’est au milieu de cette fête, en présence du concours de peuple qu’elle attire, que le roi de Bassac et tous les gouverneurs de provinces doivent renouveler solennellement dans une pagode leur serment d’obéissance au roi de Siam. Tout est calculé pour rehausser l’éclat de cette cérémonie et pour qu’elle soit un aliment de plus à l’allégresse publique.

Nous avions dû quitter le sala que nous occupions sur les bords du fleuve, et où le roi et sa cour viennent assister aux courses nautiques et aux réjouissances publiques. On nous avait construit non loin de là un domicile composé de plusieurs cases et emménagé en vue de nos convenances particulières. Le roi était venu y rendre une visite officielle au commandant de Lagrée ; son ambition secrète était d’obtenir la présence de la Commission française et de son escorte armée pour la solennité qui devait avoir lieu à la pagode royale. Il paraissait beaucoup tenir à ce que ses sujets pussent constater en quels excellents termes il était avec les Français. Le commandant de Lagrée lui promit d’accéder à ce désir.

Les fêtes commencèrent le 24 octobre. Les Laotiens et les sauvages des parties les plus éloignées de la province affluèrent dès le matin au chef-lieu ; toutes les pagodes regorgèrent d’offrandes ; les mandarins, les parents, les amis échangèrent entre eux les présents d’usage. Le soir, des festins et des concerts s’organisèrent dans toutes les cases ; un feu d’artifice composé de quelques fusées fut tiré sur le fleuve.


costumes observés pendant les courses de bassac.

Ce fut le lendemain qu’eut lieu la prestation de serment. Un bonze remplit le personnage du souverain de Siam, et le roi de Bassac lui jura obéissance et fidélité. En même temps, les eaux du fleuve furent solennellement consacrées et bénites ; c’était là sans doute, à l’époque de l’indépendance, la partie essentielle de la fête. La présence de M. de Lagrée et des quelques baïonnettes françaises qui l’escortaient ne contribua pas peu à sa splendeur. Le cliquetis des armes manœuvrées à l’européenne remplit le roi de fierté et les nombreux spectateurs d’admiration. Pour comble de bonheur, un fils naquit ce jour-là au roi de Bassac.

Des régates sur le fleuve remplirent le troisième jour des fêtes et en furent la partie la plus intéressante au point de vue des costumes, de l’animation, de la couleur locale. Ces longues pirogues, dont quelques-unes atteignaient jusqu’à 28 mètres de long, manœuvrées à la pagaie par plus de soixante hommes, portaient chacune les couleurs d’un village ou d’une pagode. Des bouffons, la tête abritée derrière un masque grimaçant, se démenaient avec rage au milieu des rameurs dont ils excitaient l’ardeur par leurs chants et leurs propos souvent lascifs. L’équipage leur répondait par des cris poussés en cadence ; les nombreuses pagaies frappaient l’eau avec une précision merveilleuse, et la barque semblait disparaître sous l’écume soulevée autour d’elle. Les rameurs khas se faisaient surtout remarquer par la simplicité de leur costume : un morceau de toile, attaché par un fil autour de la ceinture, était le seul et presque invisible ornement de ces corps bronzés qui paraissaient émerger du fleuve, tant la pirogue qui les portait était rase sur l’eau.

Le lendemain, notre campement ne désemplit pas de visiteurs. Soit curiosité, soit politique du roi, tous les mandarins, tous les chefs de tribus sauvages accourus pour la solennité, vinrent saluer M. de Lagrée et furent pour lui une occasion nouvelle de renseignements et d’études. Le 28, cette brillante série de fêtes se termina par une illumination du fleuve et un nouveau feu d’artifice. De grandes carcasses en bambou, dessinant des objets divers et chargées de feux de couleur, furent lancées au courant sur des radeaux. Sur tous les points du fleuve, on voyait de fantastiques lueurs répercutées dans l’onde. Parfois le feu gagnait la carcasse elle-même et tout s’abîmait dans un embrasement général. La science de nos artificiers et de nos machinistes saurait produire de plus grands effets avec ce genre d’illumination, mais elle ne dispose jamais d’un fleuve et d’une nuit pareils[3].

Plus de six semaines s’étaient écoulées depuis notre arrivée à Bassac. La saison sèche était complètement établie et nous invitait à reprendre notre voyage. Chaque jour perdu pouvait prolonger notre voyage d’une année entière en nous forçant à passer au Laos une nouvelle saison des pluies. D’un autre côté, nous n’avions aucune nouvelle du courrier de Saïgon que nous devions recevoir, on se le rappelle, avant de continuer notre route. J’avais à compléter bien des études hydrographiques dans le bas du fleuve. L’interprète cambodgien, Alexis Om, qui ne s’était engagé à nous suivre que jusqu’à Bassac, désirait vivement retourner au Cambodge. M. de Lagrée se décida donc à m’envoyer avec cet interprète à la rencontre du courrier attendu. Il ne mettait pas en doute que je ne trouvasse ce courrier déjà arrivé ou sur le point d’arriver à Stung Treng, et il me donna pour instruction de ne dépasser ce dernier point qu’autant que je jugerais qu’il y aurait un grand intérêt géographique à le faire. Après avoir reçu le courrier, je devais en accuser réception par lettre au gouverneur de la colonie, confier cette lettre et le courrier de l’expédition à l’interprète Alexis, lui faire continuer sa route sur Pnom Penh, et revenir moi-même le plus promptement possible à Bassac.

Pour utiliser le temps passé à attendre mon retour, M. de Lagrée avait résolu de continuer l’exploration du cours du Se Don que j’avais commencée, de contourner ainsi par le nord le massif volcanique de la rive gauche du fleuve et de revenir à Bassac par le sud de ce massif, après avoir visité à l’est le Muong d’Attopeu. Il emmenait dans cette excursion


CÉRÉMONIE DE LA PRESTATION DE SERMENT DU ROI DE BASSAC.

MM. Joubert et de Carné. MM. Delaporte et Thorel devaient rester au campement de

Bassac.

Je partis le 2 novembre au matin, emmenant avec moi, en outre du matelot Renaud, un Annamite de l’escorte qu’un ongle incarné rendait impropre à la marche et qui devait regagner Pnom Penh avec l’interprète Alexis. J’arrivai le surlendemain à Khong, où je fus reçu avec toutes sortes d’attentions et d’égards par le jovial vieillard qui en était le gouverneur. Le 5, après avoir suivi une route différente de celle qu’avait prise l’expédition la première fois, j’étais rendu au sala de l’île de Khon. J’employai toute la journée du 6 à explorer à pied les cataractes voisines. La baisse des eaux, en laissant à sec la plupart des bras torrentueux qui, à l’époque de l’inondation, sillonnent le groupe d’îles dans tous les sens, rendait ces excursions plus faciles. Les heua song se prolongeaient encore à Khon et dans les villages environnants. Tout était en fête ; les pagodes regorgeaient de fleurs et d’offrandes ; les travaux de la récolte commençaient partout. Je n’eus cependant pas trop de peine à obtenir du chef de Khon une nouvelle barque pour continuer ma route au-dessous des rapides.

Le 7, à midi, je quittai Khon, et le 8 novembre, à 11 heures du matin, j’arrivais à Stung Treng.

Du courrier attendu, point de nouvelles. L’insurrection de Pou Kombo, dont nous avions presque perdu le souvenir, était devenue menaçante et coupait toutes les communications avec le bas de la rivière. Les rebelles s’étaient établis sur les deux rives et avaient fait mine de remonter jusqu’à Stung Treng pour poursuivre la petite expédition française. Ils n’avaient renoncé à leur projet qu’en apprenant son départ. Le gouverneur de Stung Treng parut fort inquiet en me voyant. Il m’engagea à revenir le plus vite possible sur mes pas, de peur que le bruit de ma présence ne se répandît. Beaucoup de sauvages des tribus voisines de Stung Treng faisaient cause commune avec les insurgés et avaient enlevé, sur son territoire même, des Laotiens étrangers à la querelle. Il ne se sentait pas en force pour me défendre et restait effrayé de la responsabilité qui lui incomberait, s’il m’arrivait malheur. Le pauvre homme avait la fièvre depuis un mois, et il était devenu d’une maigreur excessive. Fallait-il attribuer sa maladie à ses frayeurs, ou ses frayeurs à sa maladie ? Je pensai que l’une exagérait au moins les autres, et je commençai par lui administrer de la quinine. Le lendemain un mieux sensible s’était prononcé dans son état ; je lui déclarai que pour achever sa guérison, il me fallait plusieurs jours encore. Je voulais gagner du temps et l’intéresser à la prolongation de mon séjour à Stung Treng. Cependant Alexis prenait des renseignements qui ne confirmaient que trop le dire du gouverneur. Si j’étais convaincu qu’une barque pouvait, sans le moindre danger, grâce à la rapidité de sa marche et à la largeur du fleuve, descendre jusqu’à Pnom Penh, je voyais d’assez grandes difficultés au retour, pendant lequel il faut suivre l’une ou l’autre rive et se haler lentement contre le courant ; d’un autre côté, l’importance du courrier attendu me faisait un devoir de tenter l’aventure. Je demandai donc avec insistance au gouverneur de Stung Treng les moyens de continuer ma route sur Pnom Penh. Il refusa avec une énergie dont je ne le croyais pas capable, me représentant le danger certain auquel je courais, les reproches qui lui seraient faits plus tard pour m’avoir laissé accomplir une telle imprudence. Il m’affirma de nouveau que les communications étaient impossibles même pour les simples bateaux de trafiquants, et que, consentirait-il à me laisser partir, je ne pourrais trouver aucun batelier de bonne volonté pour me conduire. Il avait envoyé, quelques jours auparavant, des émissaires à la frontière pour lui rapporter des nouvelles, et ces émissaires venaient de lui apprendre l’assassinat par les rebelles du gouverneur de Sombor, celui-là même à qui M. de Lagrée avait donné un revolver. Enfin il me promit, si je voulais renoncer à mon projet, de faciliter par tous les moyens le départ de l’interprète Alexis qui, comme indigène, pouvait circuler sans éveiller l’attention, tandis qu’il était toujours impossible de dissimuler la présence d’un Européen. Je dus accepter cette dernière combinaison, qui, si elle ne garantissait nullement l’arrivée du courrier que nous attendions, permettait au moins de faire parvenir à Saïgon les indications nécessaires pour qu’on pût tenter en connaissance de cause de communiquer avec nous.

Je voulus cependant utiliser mon voyage à Stung Treng, et je me proposai d’aller reconnaître le confluent du Se San, la branche la plus sud de la rivière d’Attopeu. Je commençais mes préparatifs de départ, quand arriva la nouvelle que les sauvages insurgés venaient de faire irruption sur ce point et de brûler le village laotien qui s’y trouvait. Le gouverneur me fit en même temps de nouvelles et plus vives instances pour m’engager à reprendre le chemin de Bassac ; mon séjour se prolongeait beaucoup trop au gré de ses inquiétudes. Il fallut céder ; je remis à Alexis une lettre adressée à l’amiral La Grandière, exposant les raisons qui m’avaient empêché d’aller plus loin à la rencontre du courrier de la colonie, et je lui recommandai de saisir la première occasion favorable pour effectuer son retour à Pnom Penh. Le 12 novembre au matin, je repris le chemin de Bassac. Je profitai de mon voyage pour compléter la carte de la partie du fleuve comprise entre Stung Treng et les cataractes.

Cette carte reste encore bien imparfaite, et les nombreuses îles qui encombrent le lit du fleuve sont loin d’y être entièrement et exactement placées. C’est là un travail réservé à des hydrographes disposant de plus de temps et de ressources.

À mi-chemin, entre Stung Treng et Khong, le fleuve coule le long de la rive droite entre d’énormes blocs de marbre que les eaux ont creusés et polis. Je fus vivement frappé de cette particularité qui avait échappé aux investigations de l’expédition lors de son premier passage, la crue des eaux recouvrant à ce moment les berges du fleuve. Quoique sans outils, je parvins à détacher quelques fragments de couleurs variées. La proximité de ces marbres de notre colonie de Cochinchine, les facilités d’exploitation et de transport qu’ils présentent, puisqu’ils sont sur les bords mêmes du fleuve et au-dessous des cataractes, me paraissent devoir appeler l’attention du gouvernement de Saïgon.

Dans le voisinage de ces marbres, des bancs de sable et des îles en formation élargissent démesurément le lit du fleuve, et cette partie de son cours n’offre au moment de la baisse des eaux qu’un triste et monotone aspect. Les feuilles flétries par les flots boueux de l’inondation en gardent la couleur jaunâtre ; les arbres frappés par le courant restent



tristement courbés dans sa direction ;

il fait calme, et l’on dirait qu’une tempête perpétuelle passe dans ces branches et les incline sous son effort. D’énormes troncs abattus gisent sur la rive ; d’autres, entraînés par le fleuve, sont restés suspendus sur la cime des arbres submergés, comme les arches d’un pont détruit. Partout une apparence de ravages et de ruines dissimule une force et une fécondité réelles.


VUE DU FLEUVE AU-DESSUS DE LA CHUTE DE SALAPHE.

Le fleuve offre au delà de plus riants paysages. Ses eaux se déroulent le long de plages au sable d’or, au milieu d’îles charmantes, qu’il semble se complaire à dessiner dans son cours. De nombreuses troupes de singes s’ébattent en criant sur les arbres de la rive et s’amusent à suivre la barque légère qu’emporte le courant. À son approche, les cerfs qui buvaient se retirent lentement ; le buffle sauvage, qui se frayait un large chemin au milieu des hautes herbes, s’arrête pour la contempler d’un œil farouche. De nombreuses troupes de paons se promènent gravement à l’ombre, tandis que sur le sable brûlant, ou sur les rochers noirâtres qui apparaissent çà et là près des bords, d’innombrables caïmans bâillent au soleil ; des échassiers au bec gigantesque, de brillants martins-pêcheurs fixent le flot d’un œil avide, plongent et s’envolent avec leur proie, tandis que le poisson, insouciant du danger, joue à la surface de l’eau et, dans ses ébats, vient retomber dans la barque même, bonne fortune inattendue des bateliers.

Rien de plus animé et de plus vivant que ce paysage ; véritable Eldorado de chasseur, auquel l’homme manque cependant !

Des forêts magnifiques s’étendent presque sans interruption sur les deux rives du fleuve entre Stung Treng et les cataractes. Il est bien difficile de traduire l’impression que laissent dans l’esprit ces gigantesques paysages de l’Asie tropicale : elle semble tenir des lieux eux-mêmes je ne sais quoi de caractéristique et d’intime qui ne saurait se traduire dans une langue étrangère à ces régions lointaines. Les points de comparaison manquent presque complètement pour essayer de la rendre. Ce n’est, du reste, qu’une question d’échelle pour le regard. L’œil s’accoutume vite à ces proportions grandioses qui se marient si bien à la richesse de la végétation, à ces profusions de verdure qui couvrent tout, s’accumulent et s’entassent à l’infini et que l’on finit par ne plus voir, par cela même qu’elles sont partout. Ces forêts sont désespérément belles et pleines d’harmonies étranges : au moindre souffle de brise, le bambou grince et se plaint comme un mât courbé par la tempête, la haute cime des dzaô rend un murmure vague et sourd qui se propage et se répète comme un long gémissement au travers de cet océan de feuillage. La brise cesse, le silence se rétablit ; soudain un bruit lointain se fait entendre sous les arceaux de la forêt, il se renouvelle toujours plus fort, grandit, approche : il est sur vous. On lève la tête : ce n’est qu’une feuille, qui, détachée d’une haute branche, de chute en chute arrive enfin jusqu’à terre, après vous avoir fait tressaillir à chacun de ses légers chocs. Quelquefois, le cri sonore de l’éléphant retentit dans les profondeurs de la forêt dont tous les échos répondent à ce puissant appel ; un mélange indéfinissable de chants d’oiseaux et de cris d’insectes lui succède, et la sauterelle cambodgienne domine ce vague accord de son éclatant refrain dont la note sèche et criarde s’affaiblit lointaine, emportée dans son vol rapide. On prête l’oreille : c’est le sourd murmure du fleuve qui croît et décroît soudain ; non : c’est le bruit lourd et confus des berges de sable qui s’écroulent et que les eaux emportent dans leur cours. Le soleil est couché, la nuit est venue : on ne suit plus qu’à grand’peine le sentier tortueux qui serpente sous les grands arbres : les troncs des ban-langs se dressent à chaque détour comme de blancs fantômes ; l’on songe en frémissant à l’ennemi toujours invisible, toujours présent de ces contrées, le tigre, dont l’heure est venue, et l’on revient, en pressant involontairement le pas, auprès du feu du campement.

Arrivé aux cataractes, j’essayai de me faire conduire à la chute de Papheng, mais mes bateliers refusèrent de dépasser la petite île située entre la rive gauche et Sdam. À la pointe nord de cette île, je pus apercevoir l’écume formée par la chute, et en entendre le bruit. J’étais de retour à Khong le lendemain. J’abandonnai la route directe de Bassac, pour reconnaître entièrement la rive droite du fleuve, qui décrit un immense arc de cercle à l’ouest de Khong. Je passai par le canal nommé Huei Ang Kong qui sépare la pointe sud de l’île de Khong de Don Nam Kouap et qui n’a pas plus de 10 à 15 mètres de large. Le courant se dirige dans ce canal de l’est à l’ouest pendant la saison des pluies et en sens contraire pendant la saison sèche. Je me rendis à Compong Cassang, village de la province cambodgienne de Tonly Repou, situé sur la rive droite du fleuve, au-dessous de l’embouchure de cette rivière. Tonly Repou n’a plus aujourd’hui aucun grand centre de population. Il y a à peine 400 inscrits cambodgiens dans toute la province ; les Kouys forment le reste de la population. De nombreuses routes relient les bords du fleuve avec Compong Soai, Caker et Angcor ; mais le Stung Sen ou rivière de Compong Thom est difficile à traverser dans les parties hautes de son cours[4]. De Compong Cassang, je remontai la rivière de Tonly Repou jusqu’à l’extrémité ouest de Don Khmao et je rejoignis l’île de Khong par Don Hen et Don Coi. Toute cette région est excessivement habitée et cultivée. Le
groupe d’îles de don sai.
Les sondes sont rapportées au 22 novembre, époque à laquelle le fleuve avait baissé à Bassac de 8,50 m.
courant est très-fort et difficile à remonter dans le groupe d’îles qui s’étend entre Khong, la rive droite du fleuve, et Nam Kouap ; la profondeur, aux basses eaux, est très-faible dans toute cette zone qui se hérisse alors de bancs de roches ; au nord de l’embouchure du Tonly Repou, la profondeur moyenne du fleuve augmente et le courant diminue.

J’examinai également avec le plus grand soin le groupe d’îles de Don Sai, situé à mi-chemin entre Khong et Bassac. Dans la partie est, des coulées de lave et des roches volcaniques forment le sous-sol des îles et des bancs. La montagne de Phong Pho, qui s’élève vis-à-vis de ce groupe d’îles sur la rive gauche du fleuve, a été jadis sans doute un volcan en activité. Ses dernières assises se prolongent sous le lit du fleuve qu’elles rétrécissent brusquement et dont elles rejettent les eaux sur la rive droite. Aussi le courant s’accélère-t-il brusquement, et la profondeur du fleuve, qui est en moyenne de 7 à 8 mètres au-dessus et au-dessous de cet étranglement, devient-elle un instant très-considérable ; je ne trouvai pas de fond à 25 mètres.

Le 23 novembre, j’étais de retour à Bassac. Le commandant de Lagrée, qui était parti le même jour que moi pour l’excursion dont j’ai parlé plus haut, était encore absent. Je ne retrouvai au campement que MM. Delaporte et Thorel, qui savaient déjà par les reporters de la localité l’inutilité de ma tentative.

L’un des Français de notre escorte s’était livré à des actes d’inconduite et d’indiscipline qui avaient causé quelque émoi dans le village. M. Delaporte avait dû réclamer l’intervention du roi de Bassac. Le coupable était aux fers, gardé par des gens du pays. La partie européenne de notre escorte, choisie trop à la hâte, ne paraissait pas comprendre le genre de sacrifices qu’on attendait d’elle et l’extrême réserve qu’elle devait montrer dans ses rapports avec les indigènes. Dans ces conditions, elle devenait plus embarrassante qu’utile, et nous devions songer à la renvoyer.

Le 4 décembre, M. de Lagrée et la partie de la Commission qui l’avait accompagné dans son excursion d’Attopeu, nous rejoignirent au campement de Bassac. Je vais faire un récit sommaire de leur voyage[5].

MM. de Lagrée, Joubert, et de Carné, accompagnés de trois hommes de notre escorte et de l’interprète laotien Alévy, étaient partis de Bassac le 2 novembre. Ils avaient remonté le fleuve en barque jusqu’à l’embouchure du Se Don ; puis, ils avaient suivi le cours de cette dernière rivière jusqu’au village de Solo Niaï, refaisant ainsi le trajet que j’avais accompli moi-même dans les premiers jours d’octobre. Les eaux du Se Don avaient sensiblement baissé depuis cette époque, et quelques-uns des rapides, tels que Keng Keo et Keng Solo qui, au moment de mon passage, ne m’avaient offert aucune difficulté, arrêtèrent quelque temps les voyageurs ; à Keng Solo, rapide situé un peu en aval de Solo Niaï, les bateliers durent se mettre à l’eau et traîner les pirogues au milieu des broussailles et des pierres qui encombrent là le lit de la rivière.

À Solo Niaï, M. de Lagrée et ses compagnons quittèrent leurs barques et remontèrent à pied, le long de la rive gauche, jusqu’au-dessus des chutes du Se Don. M. de Lagrée constata que ces chutes n’interrompent pas absolument la navigation du fleuve : les indigènes font passer les barques, en les traînant sur des rouleaux pendant un espace de 300 à 400 mètres, sur une petite île qui se trouve le long de la rive gauche et qui avait échappé à mon examen : on se rappelle que j’avais vu les chutes de la pointe de la grande île qui sépare le Se Don en deux bras.

Le 7 novembre, la petite expédition repartit en barque de Ban Keng Pho, grand village situé sur la rive droite du Se Don, en amont des chutes. On continua l’ascension de la rivière ; sa largeur est de 200 mètres environ, son courant presque insensible et sa profondeur de 8 à 10 mètres jusqu’à Kham tong niaï, chef-lieu de province relevant directement de Bankok et où M. de Lagrée passa la journée du 8. De Keng Pho à Kham tong niaï, les rives du Se Don sont assez peuplées et cultivées en coton et en tabac. Ban Keng Kouang est le village qui sert de limite à Bassac. Sur la rive droite de la rivière et à peu de distance, s’échelonnent les premiers sommets d’un massif montagneux, appelé par les indigènes Phou Cangnuhong.

À Kham tong niaï, les voyageurs trouvèrent un logement tout préparé pour les recevoir. Le gouverneur, vieillard vénérable, prit connaissance des passe-ports de Siam et s’empressa, après leur lecture, de fournir à M. de Lagrée les moyens de continuer sa route ; celui-ci reçut la visite d’un membre de la famille royale de Vien Chan, à qui le gouvernement siamois interdisait le retour dans son pays, et qui s’était fixé à Kham tong niaï.

Au delà de Kham tong niaï, le Se Don se rétrécit, sa profondeur augmente, son courant reste insensible. M. de Lagrée s’arrêta quelques instants à Muong Cong, chef-lieu d’une petite province qui dépend de Kham tong niaï. Le 10 novembre, la rivière se trouva barrée par Keng Catay, rapide qui nécessita le déchargement des barques et qui est causé par un dénivellement d’un mètre environ dans le lit de la rivière. Ses eaux coulent là sur un fond de grès. À quelques milles au-dessus de ce rapide, se trouve le village de Chou Hong, qui, par une anomalie très-fréquente au Laos, relève de Bassac, quoique se trouvant sur le territoire de Kham tong niaï.

Les voyageurs couchèrent le 10 novembre à Muong Sapat, qui, comme Muong Cong, dépend de Kham tong niaï. La largeur de la rivière se réduit en ce point à 80 mètres environ.

Le lendemain, l’expédition arriva de bonne heure à Smia, petite province qui dépend de Kémarat, important chef-lieu situé sur la rive droite du Cambodge, à une assez grande distance dans le nord-ouest. C’est à Smia que prend fin la navigation du Se Don. Nos voyageurs suivirent à pied la rive gauche de la rivière jusqu’au village de Keng noï auprès duquel se trouve une chute de 8 à 10 mètres de hauteur. À partir de ce point, le Se Don devient excessivement sinueux, les rapides s’y succèdent sans interruption, et la route qui se dirige vers le Muong voisin de Saravan, en abandonne les rives pour traverser en ligne droite une immense plaine herbeuse, coupée de forêts et de rizières. M. de Lagrée et ses compagnons la franchirent à pied pendant que leurs bagages les suivaient à dos d’éléphant. Le pays devenait plus désert, les quelques cultures disséminées çà et là appartenaient aux tribus sauvages qui habitent les pentes des montagnes ; de temps à autre on apercevait un indigène accroupi au sommet d’un de ces hauts miradors, où, à l’abri des bêtes féroces, les agriculteurs indo-chinois surveillent leurs plantations. La route elle-même n’était qu’un étroit sentier, impraticable pour les chars. Un seul village laotien se rencontre entre Smia et Saravan : c’est Ban Tikout, qui sert de frontière à ces deux provinces.

Saravan, où M. de Lagrée arriva le 13 novembre, est situé sur la rive gauche du Se Don ; c’est un grand village agréablement situé et qui sert d’entrepôt aux produits de l’industrie des tribus sauvages qui l’entourent de toutes parts. Les habitations ont un air d’aisance remarquable ; les pagodes sont nombreuses et richement décorées. Deux maisons étaient prêtes pour recevoir les voyageurs français, d’autres étaient en construction. Les autorités locales s’attendaient sans doute à voir apparaître la suite nombreuse de porteurs et de gens de service qui accompagnent toujours dans le Siam les mandarins en voyage.

M. de Lagrée passa à Saravan la journée du 14. Le gouverneur vint lui rendre visite et fit écrire soigneusement par un secrétaire les noms et les qualités de ses hôtes. Il se montra fort empressé envers d’eux, et, dès le lendemain, il mit à leur disposition six éléphants et vingt hommes d’escorte. Il s’excusa de ne pouvoir faire davantage ; mais il était obligé de partir lui-même pour faire une tournée religieuse dans les diverses pagodes de sa province, et quatorze éléphants lui étaient indispensables,

Au delà de Saravan, la route franchit plusieurs fois, à travers forêt, le Se Don, qui se réduit ici aux proportions d’une petite rivière et dont les sinuosités dessinent les derniers contre-forts du massif montagneux où il prend sa source. La hauteur relativement considérable de sa vallée et le voisinage des montagnes produisaient un sensible abaissement de température, et le matin le thermomètre accusa à plusieurs reprises une température de 12° à 13°, qui parut très-froide à des gens habitués aux chaleurs tropicales de la Basse-Cochinchine.

Le 17 novembre, l’expédition quitta définitivement le Se Don qui s’enfonçait dans le sud à l’intérieur des montagnes et qui n’avait plus que 10 mètres de large. Les voyageurs franchirent peu après la ligne de partage des eaux de la vallée du Se Don et du Se Cong. La forêt devenait moins frayée et la marche des éléphants plus lente. La route montait et descendait sans interruption des collines rocheuses au milieu desquelles coulaient de nombreux ruisseaux se dirigeant tous vers le Se Cong. On campa le soir au confluent de l’un d’eux avec cette rivière qui a déjà en ce point plus de 100 mètres de large.

La vallée du Se Cong est à un niveau très-sensiblement inférieur à celui de la partie correspondante de la vallée du Se Don ; cette différence fut surtout sensible à M. de Lagrée par la comparaison de la température. Le thermomètre, qui, après Saravan, était descendu à 12,5°, se releva de 2 degrés sur les bords du Se Cong.

Au dire des porteurs laotiens, ce premier campement sur les rives désertes de la rivière d’Attopeu n’était pas sans danger ; les animaux féroces étaient fort nombreux dans le voisinage. Aussi, l’escorte indigène de M. de Lagrée alluma de grands feux et dressa à la hâte un petit autel à Bouddha.

Ce ne fut qu’après deux jours de marche le long de la rive droite du Se Cong, que la population apparut sur ses bords et que les voyageurs purent continuer leur route en barque. Au point d’embarquement, Ban Coumkang, le Se Cong a 150 mètres de large et un courant de 3 ou 4 milles à l’heure. Le 20 novembre, les voyageurs passèrent devant l’embouchure du Se Noï, affluent de la rive droite, qui sert de limite aux provinces de Saravan et d’Attopeu.

À Ban Coumkang, M. de Lagrée avait rencontré un mandarin siamiois en tournée dans le pays. Il y avait en ce moment dans tout le Laos inférieur un grand nombre d’envoyés de Bankok, chargés de réveiller le zèle des gouvernants et de faire au nom du roi une sorte de commerce forcé qui, pour les populations, s’ajoute aux charges de l’impôt ; c’est ainsi que Sa Majesté Siamoise fixe elle-même les quantités de cire, d’ivoire et d’autres produits indigènes qu’on devra lui remettre en échange des cotonnades et des autres objets d’exportation européenne qui n’ont pu être écoulés à Bankok. Ce mandarin avoua naïvement au chef de la mission française, qu’il avait reçu l’ordre de s’informer de tous nos actes et de prendre note de tous les cadeaux et de toutes les dépenses que nous ferions. M. de Lagrée put constater par son propre dire que la Commission française laissait derrière elle une excellente réputation, et que son voyage avait dissipé une partie des appréhensions qu’a excitées jusqu’à présent au Laos l’annonce de la venue des Européens.

Le 21 novembre au soir, M. de Lagrée arriva à Attopeu. Jusqu’à ce point, le Se Cong coule au pied des dernières pentes du massif de Phou Luong. Ses berges sont peu élevées et semblent n’indiquer que des crues de 4 ou 5 mètres. Sa largeur dépasse 200 mètres, sa profondeur est de 3 à 4 mètres, son courant de deux milles à l’heure.

Attopeu est bâti au confluent du Se Cong et du Se Khman. Un grand nombre de villages sauvages se groupent dans ses environs ; ils appartiennent aux tribus des Lové, des Huey et des Souc. Les Lové me paraissent appartenir à la grande tribu désignée sous les noms différents, mais synonimes, de Proons, de Brau ou de Thpouons[6]. L’expédition de M. de Lagrée visita un de leurs villages situé au sud d’Attopeu, sur les hauteurs qui bordent la rive gauche du Se Cong. Il était entouré d’une palissade, et au-dessus de la porte, qui y donnait accès, pendait un morceau de bambou couvert d’inscriptions[7]. Les maisons, au nombre de 70 ou 80, sont construites en demi-cercle. Elles sont toutes d’un modèle uniforme : leur forme est rectangulaire, et elles ont une largeur de deux mètres et demi environ, sur trois mètres de long et deux mètres de haut ; elles sont, comme les habitations laotiennes, supportées par des poteaux qui ménagent entre le sol et le plancher un espace qui sert de basse-cour ; les deux pignons sont percés de deux portes qui se correspondent. Les hommes sont généralement grands et bien faits ; le nez est plus droit, le front plus développé que celui des Laotiens. Ils portent les cheveux longs ; des bracelets de fil de laiton, des colliers de verroteries, des cylindres de bois passés dans le lobe des oreilles, forment les traits les plus saillants de leur parure. Je crois que la grande tribu des Proons doit être rattachée plutôt au groupe Malayo-autochthone des Rade et des Chams qu’au groupe des Huey, des Souc, des Banar, etc. (Voy. ci-dessus, p. 112.) Il y a des Proons indépendants qui habitent le massif montagneux appelé Phou Bang chioï, dans le N.-N.-E. de Sieng Pang. Ce ne sont pas les seules tribus qui habitent cette zone ; il faut citer encore les Boloven, les Iahoun, les Hin, qui se trouvent disséminés dans la région comprise entre Khamtong niaï, Saravan et Attopeu. Ces populations, auxquelles les Laotiens donnent le nom générique de Khas, les Annamites celui de Moïs, les Cambodgiens celui de Pennongs, sont plus nombreuses qu’on ne l’estime généralement, et l’on s’étonne à bon droit qu’elles aient pu être soumises par les Laotiens. Elles sont actives, agiles, industrieuses ; leurs cultures attestent des soins intelligents, et un grand nombre des produits de leur travail portent un cachet particulier de délicatesse et d’élégance. L’absence de tout lien religieux ou politique entre les diverses tribus peut seule expliquer leur asservissement. Il est probable qu’il faut toutes, ou à peu près toutes, les rattacher à un tronc commun. Le plus grand nombre d’entre elles ne sont sans doute que les débris des anciens regnicoles du Tsiampa. Dans la province d’Attopeu, le nombre des Laotiens inscrits n’est que de 1,000 environ, alors que l’on peut évaluer à 8,000 par le chiffre de l’impôt, le nombre des sauvages inscrits. Ces chiffres feraient ressortir une population de 6,000 Laotiens environ, contre un total de 36,000 sauvages[8]. On a conservé dans le pays le souvenir d’une révolte terrible dont la répression a exigé les plus vigoureux efforts. Vers 1820, un bonze laotien se disant inspiré, souleva les sauvages, s’empara de toute la contrée et saccagea Attopeu, Saravan et Bassac.

Des tribus complètement indépendantes habitent, à l’est d’Attopeu, la région montagneuse qui sépare la vallée du Cambodge de la Cochinchine. Les Laotiens les désignent sous l’appellation générale de Khas Cat ou de Khas Haï. (Haï signifie en laotien, mauvais, méchant. Cat dérive d’une expression cambodgienne qui a la même valeur.) Ces tribus ne souffrent l’approche d’aucun étranger et n’ont de relations qu’avec les tribus soumises. Il ne paraît plus y avoir aucun Cambodgien dans la vallée de Se Cong, où Wusthof signalait encore au milieu du dix-septième siècle l’existence de cet élément de population. L’ancienne domination des Khmers n’est plus attestée que par la profonde empreinte qu’elle a laissée dans le langage des tribus sauvages, et par quelques ruines, peu importantes, disséminées aux environs de Sieng Pang et d’Attopeu.

La province d’Attopeu paye entièrement son impôt à Siam en poudre d’or. Ce sont les sauvages qui se livrent à l’exploitation des sables aurifères que charrie le Se Cong. Les Laotiens se procurent par voie d’échange la quotité de leur impôt. Cet impôt est de trois anching[9] d’or pour les Laotiens et de six pour les sauvages, et il équivaut environ à 28,771 francs de notre monnaie. Du temps de Wusthof, Attopeu s’appelait Namnoy et payait au roi du Laos un impôt de six kilogrammes d’or, c’est-à-dire d’une vingtaine de mille francs[10]. On voit que depuis cette époque la production a augmenté ou que les exigences des gouvernants sont devenues plus grandes. C’est aux eaux basses, après la moisson, que les villages viennent s’établir pendant un mois ou deux sur les îles ou les atterrissements du fleuve pour le lavage des sables aurifères. Ce travail ne rapporte guère que 50 ou 60 centimes par jour et par travailleur ; il serait plus rémunérateur si l’on pouvait remonter plus près des sources des rivières ; mais les tribus insoumises interdisent à tous l’accès de leurs montagnes.

Attopeu, comme on l’a déjà vu, est le centre du commerce des esclaves. M. de Lagrée et ses compagnons restèrent frappés de la frayeur qu’éprouvent les sauvages soumis, à la vue seule d’un étranger : aucun d’eux n’ose voyager isolément ou s’écarter de son village. Il n’est point étonnant qu’un pareil trafic ait développé les plus mauvais instincts chez les populations laotiennes qui s’en rendent coupables. M. de Lagrée eut vivement à se plaindre des habitudes de mensonge et de fourberie qu’il rencontra chez les autorités laotiennes de la vallée du Se Cong. À Attopeu il dut lutter plusieurs jours contre le mauvais vouloir de l’entourage du gouverneur. On voulait le forcer à passer par la province de Khong pour s’en retourner à Bassac, ce qui naturellement allongeait beaucoup la route à faire. Ce ne fut qu’au bout de cinq jours, et après avoir été obligé d’employer la menace, qu’il obtint les moyens de transport et l’itinéraire qu’il jugeait convenables.

Pendant son séjour à Attopeu, M. de Lagrée fut pris d’un violent accès de fièvre qui donna un instant de vives inquiétudes à ses compagnons.

Malgré l’importance de la situation commerciale d’Attopeu, aucun Chinois n’y a fixé sa résidence, en raison, dit-on, de l’insalubrité du pays. On y trouve quelques colporteurs birmans qui vendent des pierres brillantes et de la verroterie venues d’Europe. On y fabrique des étoffes de coton à dessins variés.

M. de Lagrée repartit d’Attopeu le 28 novembre ; il descendit le Se Cong en barque jusqu’à Tapac. En ce point, la rivière a 150 mètres de large, ses berges sont très-hautes, et, d’après les indigènes, le niveau de l’eau s’élèverait au mois de septembre, époque des grandes crues, à 12 mètres au-dessus du niveau actuel.

Les voyageurs quittèrent à Tapac les rives du Se Cong, pour faire route directement à l’ouest sur Bassac. S’ils avaient continué à descendre la rivière, deux autres routes se seraient présentées à eux : l’une, partant du rapide appelé Keng Phao, l’autre, de Sieng Pang, et toutes deux aboutissant, après deux jours de marche, aux environs de Khong. La dernière de ces deux routes est praticable pour les chars, et les indigènes lui attribuent une longueur de 1,900 sens[11].

La caravane française se composait de sept éléphants, de quinze Laotiens et de quarante-trois sauvages ; cette nombreuse escorte était rendue nécessaire par les voleurs qui infestaient, disait-on, les forêts que l’on allait traverser.

Le 30 novembre, l’expédition traversa une rivière presque aussi considérable que le Se Cong, le Se Pean, dont la largeur est d’une centaine de mètres, la profondeur d’un mètre, et dont le courant rapide est difficile à franchir au moment des pluies. Le Se Pean se jette dans le Se Cong, un peu au-dessus de Keng Phao.

Le lendemain, les voyageurs traversèrent le Se Compho, affluent du Se Pean, à son confluent avec le Huei Keua, ou « ruisseau de sel, » dans le lit desséché duquel des sauvages recueillaient des efflorescences salines. Le Se Compho a de 60 à 80 mètres de large et ses eaux n’offrent pendant la saison sèche qu’une profondeur moyenne de 50 centimètres. Le Huei Keua a une largeur de 30 à 40 mètres et ne roule qu’une mince nappe d’eau. Le Se Compho forme la limite des provinces d’Attopeu et de Bassac. Au delà, le sous-sol de la contrée est formé de roches d’une nature poreuse et de nombreuses flaques d’eau apparaissent çà et là dans les dépressions du terrain. Un arbre de la famille des myrtacées, le Careya arborea[12], domine dans toute cette région et alterne avec les bambous qui croissent sur les bords des rivières.

Le 4 décembre, M. de Lagrée arrivait sur les bords du grand fleuve, vis-à-vis de l’île Deng, et s’embarquait avec ses compagnons de route pour traverser le Cambodge et regagner Bassac.

Il avait mis un mois à faire le tour complet de ce grand massif montagneux, qui se projette perpendiculairement à la grande chaîne de Cochinchine, et dont les dernières ramifications se prolongent jusque sur la rive droite du Cambodge. Il résultait de cette reconnaissance que ce massif occupe, sur la rive gauche, un espace presque circulaire de plus de soixante milles de diamètre, limité au nord et à l’ouest par le cours du Se Don et du Cambodge, à l’est par celui du Se Cong. Ses arêtes sont très-élevées et paraissent enserrer au centre de grandes vallées ou de grandes plaines, qui sont, dit-on, inhabitées. Sur les versants extérieurs et dans toutes les directions, apparaissent des traces irrécusables de puissantes actions volcaniques. Ce sont, tantôt de puissantes coulées de lave que les torrents suivent aujourd’hui et mettent à nu, tantôt d’immenses amas de scories ou de terres torréfiées. Ce massif et ceux plus petits qui l’avoisinent, tels que celui de Phong Pho, devaient offrir jadis de nombreux centres d’éruption.

Dès l’arrivée du chef de l’expédition, je lui rendis compte de l’interruption de nos communications avec la colonie, causée par la rébellion du Cambodge. M. de Lagrée fut vivement affecté de ce contre-temps. La scrupuleuse attention qu’avaient apportée tous les gouverneurs de province à vérifier nos passe-ports, lui avait démontré de quelle nécessité nous seraient plus tard les lettres de Pékin. D’un autre côté, les difficultés et les lenteurs qu’entraînait la réunion des moyens de transport qui nous étaient indispensables, l’obligation d’en changer à chaque chef-lieu de province, lui faisaient gravement sentir les inconvénients de notre grand nombre, inconvénients que l’inconduite de quelques-uns des Européens de l’escorte aggravaient encore. Enfin la saison sèche était déjà fort avancée et tout nouveau retard allait être excessivement préjudiciable à la réussite du voyage. Il fallait donc communiquer à tout prix et le plus vite possible avec la colonie, pour en recevoir les papiers qui nous manquaient encore et pour nous débarrasser d’une partie de notre personnel.

Sur ces entrefaites, le 16 décembre, l’interprète Alexis Om, que j’avais, on se le rappelle sans doute, laissé à Stung Treng pour y attendre une occasion de revenir au Cambodge, nous rejoignit à Bassac. Il avait dû renoncer à son voyage : pour longtemps encore la route du fleuve paraissait fermée, et il ne lui avait pas paru prudent de séjourner aussi près de la frontière cambodgienne. M. de Lagrée songea alors à renvoyer cet interprète à Pnom Penh par l’ouest du grand fleuve, en lui faisant traverser la région qui sépare Bassac d’Angcor. Par cette route, on n’a à traverser que des territoires soumis à Siam. Quant à la navigation du grand lac, entre Angcor et Pnom Penh, M. de Lagrée pensait qu’elle devait être restée libre et à l’abri des incursions des rebelles. Dès son arrivée à ce dernier point, Alexis prierait le chef de la station du Cambodge de faire parvenir à l’expédition, par la même voie, les paquets qu’il devait avoir reçus pour elle.

Pendant ce temps, nous devions nous rendre à Oubôn.

Comme Bassac, Oubôn est le chef-lieu d’un petit royaume laotien, tributaire de Siam. Il est situé sur les bords d’un important affluent de la rive droite du Cambodge, le Se Moun qui vient de Korat, l’une des villes les plus considérables de l’empire siamois. Il fallait, pour aller à Oubôn, remonter le Cambodge pendant trois jours environ et le Se Moun pendant un temps à peu près égal.

Dès le 7 décembre, M. de Lagrée avait demandé au roi de Bassac les pirogues nécessaires pour ce voyage. Mais le Se Moun n’est pas en cette saison navigable pour des barques aussi grandes que celles qui nous avaient servi jusque-là ; il en fallait de plus petites et par conséquent un plus grand nombre ; nous étions au moment de l’année où la circulation commerciale est le plus active et où les moyens de transport sont le plus recherchés. Le roi de Bassac se préparait à aller à Korat et de là à Bankok. De son côté, un mandarin siamois, de passage à Bassac, réclamait des barques. Un frère du roi d’Oubôn arriva le 18 décembre se rendant à Khong et eut également besoin de bateaux et de rameurs. Nous nous trouvions dans les circonstances les moins favorables pour effectuer rapidement notre départ.


LA CHASSE AUX PAONS.

Le roi de Bassac faisait tous ses efforts pour nous faire prendre patience et justifier les délais que demandaient les chefs des villages ; il comprenait notre impatience, mais il devait compter avec la force d’inertie et l’indolence habituelles de ses sujets. Il se préoccupait beaucoup des questions que le roi de Siam ne manquerait pas de lui adresser sur les travaux de la Commission française et il voulut que je lui fisse connaître l’usage de mes instruments et le résultat de mes calculs sur la largeur du fleuve, et la hauteur des montagnes environnantes. Je lui remis une copie agrandie de la carte des environs de Bassac, qu’il s’estima très-heureux de porter à son suzerain.

Cependant nous voyions se passer dans l’attente l’un des meilleurs mois de la saison sèche. Heureusement, les environs de Bassac présentaient de trop agréables parties de chasse ou de promenade et nos relations avec les habitants, devenues plus familières et plus intimes, nous offraient des sujets d’observations trop intéressants et trop nouveaux pour que nous ne trouvions pas à employer nos journées d’une façon utile ou amusante. La poursuite des cerfs ou des paons, excessivement nombreux dans le voisinage de Bassac, les différentes cérémonies par lesquelles les Laotiens célèbrent le mariage ou la mort, l’exercice de la justice indigène, nous ont fourni tour à tour de fréquentes occasions de distraction et d’étude. Les faits que je citerai dans le chapitre spécial consacré à l’organisation et aux mœurs du Laos, ont presque tous été observés pendant notre long séjour à Bassac.



  1. Consultez, dans le second volume de cet ouvrage, la Géologie et la Minéralogie, par M. Joubert et l’Agriculture et l’horticulture de l’Indo-Chine par M. Thorel, pour le développement de toutes les questions spéciales qui ne sont qu’indiquées dans ce récit.
  2. Le volume d’eau considérable de ce torrent, qui coule entre la montagne isolée de Bathieng et le massif principal, me fait supposer que c’est un des principaux cours d’eau qui forment le Se Compho, affluent important de la rivière d’Attopeu. (Voy. la carte itinéraire no 2, Atlas, 1re partie, pl. V.)
  3. Voy. Atlas, 2e partie, pl. XV et XVI.
  4. Voy. la Carte générale de l’Indo-Chine, Atlas, 1re partie, pl. II.
  5. Les éléments de ce récit sont : 1o le journal de l’expédition, tenu jour par jour sous forme d’un journal de bord ; 2o les renseignements fournis par les membres de la Commission qui accompagnaient M. de Lagrée. Les appréciations générales sont extraites du rapport adressé par M. de Lagrée au gouverneur de la Cochinchine. Consultez la carte itinéraire no 2, Atlas, 1re partie, pl : V.
  6. Ce sont les Khas Tampuens de Bastian, Die Vœlker des œstlichen Asien, t. IV, p. 294.
  7. Il est bien regrettable que les voyageurs n’aient point rapporté un spécimen de ces inscriptions. Peut-être les caractères en sont-ils empruntés à l’écriture cambodgienne ou aux hiéroglyphes chinois ; peut-être aussi sont-ils particuliers à ces sauvages, et dans ce cas, ils seraient du plus grand secours pour résoudre l’intéressante question d’ethnographie et d’histoire que soulève la présence de ces populations au milieu des habitants d’origine mongole qui les ont asservies. Voy. Atlas, 2e partie, pl. I, les figures 3, 4 et 5. Elles donnent une idée assez juste du type qui est le plus ordinaire chez les tribus de la vallée du Se Cong.
  8. Je prends quatre et demi pour le chiffre moyen d’individus composant une famille, ou fournissant un inscrit. Le surplus de 1,500, ajouté à la population laotienne, pour arriver, à l’aide de cette multiplication, au chiffre de 6,000, représente les mandarins, leurs esclaves, leurs familles, et les bonzes, qui sont exempts d’impôt.
  9. L’anching vaut quatre-vingts ticaux.
  10. Voy. ci-dessus, p. 143, et le Bulletin de la Société de Géographie, sept-oct. 1871, p. 256.
  11. Le sen vaut environ 38 mètres, ce qui donne à la route dont il est question un développement de 72,200 mètres.
  12. Le nom cambodgien de cette essence est Rang ; les Annamites rappellent Vu’ng.