Voyage au pays des Yakoutes/02
VOYAGE AU PAYS DES YAKOUTES
(RUSSIE ASIATIQUE),
Il est d’autres dangers qui tiennent à la nature du chemin ; en avril la glace nage sur tous les fleuves ; les eaux qui descendent des montagnes gonflent non-seulement les grandes rivières, mais encore les ruisseaux qui débordent en bouillonnant dans les fourrés épais. Lorsque l’on passe à travers un de ces courants l’eau jaillit jusque par-dessus la selle même quand elle ne baigne d’abord que les pieds de l’animal. Un jour mon renne glissa en posant le pied sur une grosse pierre ronde qui était sous l’eau, et s’abattit : l’eau rapide me couvrit les épaules, et si je ne m’étais appuyé sur un bâton et accroché à la selle du renne, j’aurais perdu l’équilibre et été entraîné en un clin d’œil ; ni la présence d’esprit, ni la force, ni l’agilité n’auraient pu me sauver.
En d’autres endroits, les rennes sautent tous à la fois dans la rivière, et il faut que le voyageur se laisse glisser adroitement, de manière à tomber à califourchon sur l’un des quadrupèdes. On répète jusqu’à dix fois par jour ces pénibles manœuvres ; et quand vient le soir, on ne trouve pas même un lieu sec pour s’y reposer ; le sol, détrempé par l’eau qui descend de la montagne, n’est qu’une boue épaisse où l’on enfonce jusqu’aux genoux. Il ne faut pas songer à y dresser une tente ou à y faire du feu. Aussi ne se donne-t-on pas même la peine de chercher un lieu de campement ; on coupe deux gros arbres que l’on étend par terre ; puis on place en travers de jeunes mélèzes, sur lesquels on se fait un lit et où l’on dépose les ballots. Préparer son repas est alors un tour d’adresse dont le mérite revient tout entier à la nécessité.
En repassant au lieu de réunion, près de l’Outchour, je m’y arrêtai quatorze à quinze jours, et j’arrivai à Yakoutsk au milieu de l’été, après avoir lutté dix-sept mois contre des difficultés inouïes.
Un mois après l’on m’envoya à Olekminsk (en yakoute Aïannach), qui est à une distance de soixante kœs. À peine de retour, je partis au milieu de l’hiver pour Viliouisk (en yakoute Bulu), d’où je revins par Sountar et Olekminsk, après avoir fait un trajet de deux cent trente kœs. Je dois dire en passant quelques mots de la ville de Viliouisk.
Elle est située à soixante kœs à l’ouest d’Yakoutsk, sur un fleuve appelé Vilioui. Entre ces deux villes se trouve un désert de près de quarante kœs. Les environs de Viliouisk, peuplés de trente mille hommes, sont très-abondants en eaux, en bois, en pâturages, en gibier, en poisson, en quadrupèdes, en oiseaux des forêts. Aussi n’est-il pas de contrée où les habitants jouissent de plus d’aisance ; on n’y connait ni la disette, ni la faim, et on peut dire sans exagération que ce pays est plein des bénédictions de Dieu. Je le savais déjà ; car, cinq ans auparavant, j’avais visité ce district, en compagnie du gouverneur.
Viliouisk est en outre remarquable par trois phénomènes naturels.
Sur les bords de la rivière Kæmpændæi[2], on voit s’élever en hiver une énorme masse de sel de trois couleurs ; blanc, clair et transparent ; jaune rouge, et bleu d’azur. Il est deux fois plus salé que les autres sels. Il n’y a que les habitants de Viliouisk, qui en fassent usage ; on n’en transporte ni à Yakoutsk ni ailleurs, parce qu’il passe pour trop cher, je ne sais pourquoi. Cet excellent sel fond rapidement par les pluies de printemps et d’été, mais il en reparaît d’autre l’hiver suivant.
Les rives des fleuves et des rivières sont jonchées de précieuses pierres transparentes, qui n’ont pas de nom en yakoute ; si quelque connaisseur visitait ces lieux, il y pourrait faire une précieuse collection.
La troisième curiosité consiste en une quantité considérable de bois pétrifié. On rapporte que des arbres entiers, avec leurs racines et leurs branches, sont tombés dans le fleuve, sur les bords duquel ils étaient suspendus, et ont été changés en pierres ; j’en ai vu de mes propres yeux et j’ai même acheté un tronçon de bouleau, qui, avec les bulbes madrées de sa racine, est tellement pétrifié, que l’on en peut faire jaillir des étincelles.
Dans la contrée de Sountar, à cent kœs au sud-ouest de Djokouskaï, le blé croît extraordinairement bien. Les ecclésiastiques du pays n’achètent jamais de farine pour leur consommation. C’est par routine que les Yakoutes négligent de cultiver le blé, qui serait une richesse pour leur pays.
Ces voyages perpétuels détérioraient insensiblement ma santé ; le froid excessif de l’hiver et les chaleurs de l’été me causaient des maladies dont je n’avais jamais souffert. Comme j’étais sur le point de demander ma retraite, il vint de Russie une commission chargée d’imposer un nouveau tribut aux Yakoutes ; elle devait faire des excursions dans tous les lieux habités par ce peuple et par les Tongouses ; ses instructions portaient aussi qu’elle visiterait le pays d’Oudskoï. Mais comme il lui aurait fallu beaucoup de temps pour faire ce long et pénible voyage, et que les frais de transport de plus de dix personnes, y compris l’interprète, le secrétaire et les cosaques, se seraient élevés à plus de mille roubles (4000 fr.), il fut décidé que je partirais seul pour Oudskoï.
J’étais parfaitement au fait des fatigues sans fin qui m’attendaient dans ce voyage. Comme il n’y avait que quelques mois que j’étais de retour, je n’avais pas oublié et je n’oublierai jamais ce que j’y avais souffert. De plus, j’étais si faible qu’il était bien douteux que je fusse en état de supporter ces nouvelles épreuves. J’avais le cœur rempli de sombres pressentiments en songeant que je n’étais pas encore libre de quitter Yakoutsk, et que j’avais sans doute encore longtemps à y rester. Cependant je ne pus, vu l’importance de la mission qui m’était confiée, refuser de la remplir. Comme je m’étais fait une loi de ne jamais me soustraire à un ordre impérial ni à ma destinée, je domptai mon esprit et mon corps, et je partis une seconde fois pour Oudskoï, accompagné d’un cosaque.
Ce voyage dura sept mois, pendant lesquels j’eus beaucoup à souffrir ; le jour, je supportais les mêmes fatigues que j’ai déjà décrites ; la nuit, je rédigeais sans interruption les renseignements que l’on m’avait ordonné de recueillir. D’après mes instructions, j’avais à décrire la manière de vivre de tous ceux qui portent le nom de Tongouses, et à supputer la quantité de gibier tué par eux dans les dix années précédentes. Il fallait donc dresser la liste de tout ce qu’ils abattent dans leurs chasses, depuis l’hermine jusqu’à l’ours, depuis le coq de bruyères jusqu’à la cigogne blanche. La nature du gibier formait la base du nouveau tribut. Après avoir rempli cette mission et réglé beaucoup d’autres affaires, je revins, et je donnai ma démission aussitôt après mon retour.
Voilà le tableau de ma vie : on n’y trouvera ni grande action, ni découverte ; ce n’était pas dans ma destinée ! Je ne parlerai donc plus de moi ; mais il me reste à dire quelques mots sur le pays et la nation des Yakoutes.
La contrée présente deux aspects différents : à l’est et au sud de Yakoutsk, elle est couverte de hautes montagnes rocheuses ; à l’ouest et au nord, c’est une plaine où il croît des arbres épais et touffus ; le sol, étant composé de terreau, possède une force de végétation sans égale. Au premier mai la pointe du gazon est à peine visible sous la neige, mais à la fin du même mois, tout ce qui porte le nom d’arbres a développé ses feuilles larges ou aciculaires, et la campagne est couverte de verdure. Dans les îles du fleuve, le foin s’élève, dans l’espace d’un mois, jusqu’à la hauteur d’un homme à cheval. La chaleur du soleil ne dégèle la surface de la terre qu’à trois ou quatre empans de profondeur. Au-dessous tout est gelé jusqu’à cinquante brasses larges. On n’a pu descendre plus bas.
On rencontre une innombrable quantité de cours d’eau, dont l’étendue et la profondeur sont considérables. Les rivières seraient parfaitement appropriées à la navigation, si leurs rives étaient habitées. Mais il n’y a pas de villes, et les eaux n’ont à porter que des barques faites de sept planches, ou des canots de bois ou d’écorce, qui peuvent tenir deux ou trois personnes. Les lacs très-nombreux nourrissent toutes sortes de poissons. Les gens laborieux peuvent toujours vivre de la pêche. À cette occasion, je dois mentionner, en passant, un phénomène curieux : entre Yakoutsk et Viliouisk, il y a un lac de sept kœs de large ; les Yakoutes qui habitent sur ses rives m’ont raconté qu’ils se souvenaient d’avoir vu en sa place un terrain sec ; un jour l’incendie d’un pré ou la foudre mirent le feu aux arbres du bois, qui brûlèrent avec leurs racines et le gazon jusqu’à la profondeur de trois ou quatre empans. En deux ou trois ans, les neiges et les pluies formèrent dans la place consumée un amas d’eaux qui, à force d’être remuées par les vents, se creusèrent un lit de deux ou trois brasses. Les habitants ne pouvaient concevoir comment il était venu des poissons dans ce lac, qui ne communiquait avec aucun autre. Voici l’explication que je crus pouvoir leur donner, et ils s’en montrèrent satisfaits. Les mouettes et les hirondelles de mer, qui fréquentent ce lac, ont avalé ailleurs des œufs de poissons ; ces oiseaux ayant le gésier chargé de plus d’aliments qu’il n’en peut porter, les évacuent avant de les avoir digérés ; le frai éclôt quand il se trouve de nouveau mis en contact avec l’eau, et voilà d’où viennent les poissons.
L’intensité du froid est très-grande dans ce pays, plus grande, je crois, que dans toute autre contrée de la Sibérie. L’instrument[3] avec lequel les Russes mesurent la température varie, pendant quatre mois de l’hiver, de quarante à quarante-neuf degrés. Malgré la rigueur du froid, l’homme n’éprouve d’autre incommodité que la toux et le rhume, et les indigènes ne cessent pas de sortir et même de voyager. Dans les endroits que frappent les rayons du soleil, la chaleur n’est pas moins excessive en été que le froid en hiver ; alors on ne peut plus se remuer ; il est impossible de marcher nu-pieds sur le terrain sablonneux. Aussi les Yakoutes se passent ils de chaussures plutôt en hiver qu’en été. Le chaud est beaucoup plus préjudiciable que le froid à la santé de l’homme ; il cause des diarrhées de sang qui emportaient beaucoup de Yakoutes dans le temps que ceux-ci vivaient de lait en été. Il est à regretter que les médecins russes ne connaissent aucun remède pour guérir cette maladie.
Le pays des Yakoutes est tellement étendu, que la température est loin d’être la même partout ; à Olekminsk, par exemple, le blé réussit très-bien, parce que la gelée blanche y arrive plus tard ; à Djigansk, au contraire, la terre ne dégèle qu’à deux empans de profondeur ; la neige y tombe dès le mois d’août.
La population yakoute s’élève à cent mille hommes, et au double si l’on compte les femmes. Ils sont tous baptisés selon le rite russe, à l’exception de deux ou trois cents peut-être ; ils pratiquent les commandements de l’Église ; ils se confessent annuellement, mais peu d’entre eux reçoivent la communion, parce qu’ils n’ont pas coutume de jeûner. Ils ne sortent pas le matin avant d’avoir prié Dieu, et ne se couchent pas le soir sans avoir fait leurs dévotions. Lorsque la fortune leur est favorable, ils louent le Seigneur ; quand il leur arrive du malheur, ils pensent que c’est une punition que Dieu leur inflige en punition de leurs péchés, et sans se laisser abattre, ils attendent patiemment un meilleur sort. Malgré ces louables sentiments, ils conservent encore quelques croyances superstitieuses et notamment la coutume de se prosterner devant le diable ; lorsque surviennent les longues maladies et les épizooties, ils font faire des conjurations par leurs chamans et offrent en sacrifice une pièce de bétail d’un pelage particulier.
Les Yakoutes sont de moyenne stature, mais on peut les regarder comme des hommes robustes ; leur visage est un peu plat, leur nez de grosseur proportionnée, leurs yeux sont bruns ou noirs, leurs cheveux noirs, lisses et épais ; ils n’ont jamais de barbe ; leur teint n’est ni blanc ni noir ; la couleur de leur peau change trois ou quatre fois par an : au printemps par l’effet de l’air, en été par celui du soleil, en hiver par celui du froid et de la flamme du feu. En automne ou à la fin de l’été, le travail de la fauchaison ou la disette les fait maigrir ; en été, avant la fenaison, ou à la fin de l’automne, l’abondance du lait, de la crème, des kymys et des viandes leur donne de l’embonpoint.
Ne faisant jamais la guerre, par suite de leur caractère pacifique, ils ne peuvent passer pour des héros ; mais on doit les tenir pour issus de bonne race, vu l’agilité et la vivacité de leurs mouvements, l’affabilité de leurs paroles et leur sociabilité.
Ajoutons qu’ils sont très-intelligents. Il leur suffit de s’entretenir une heure ou deux avec quelqu’un pour connaître ses sentiments, son caractère, son esprit. Ils comprennent sans difficulté le sens d’un discours élevé, et devinent, dès le commencement, ce qui va suivre. Il y a peu de Russes, même des plus artificieux, qui soient capables de tromper un Yakoute des bois.
Le peuple yakoute est le seul qui donne à boire et à manger pour rien aux voyageurs ; et c’est en quoi la bonté des Yakoutes se manifeste clairement. Entrez dans la tente de l’un d’eux, il vous offrira tout ce qu’il a de provisions ; restez-y une semaine, restez-y même un mois, il vous rassasiera toujours, ainsi que votre cheval. Il tient non-seulement pour une honte, mais aussi pour un péché, de recevoir aucun payement en retour de l’hospitalité qu’il vous donne. « C’est Dieu, dit-il, qui donne le boire et le manger, afin que tous les hommes en puissent profiter ; je suis pourvu de vivres, mon voisin ne l’est pas, je dois partager avec lui ce qui vient du Créateur. » Si vous tombez malade dans sa tente, tous les membres de la famille se relayeront pour vous veiller et pourvoir à vos besoins dans la mesure de leurs moyens.
Ils honorent leurs vieillards, suivent leurs conseils et professent que c’est une injustice on un péché de les offenser et de les irriter. Quand un père a plusieurs enfants, il les marie successivement, leur bâtit une maison à côté de la sienne et partage avec eux ce qu’il possède en bétail et en biens. Même séparés de leurs parents, les enfants ne leur désobéissent en rien. Quand un père n’a qu’un fils, il le garde avec lui et ne s’en sépare que dans le cas où il perd sa femme et se remarie avec une autres qui lui donne des enfants.
Le Yakoute estime sa richesse en proportion du bétail qu’il possède ; l’amélioration de ses troupeaux est sa première pensée, son premier désir ; ce n’est qu’après y avoir réussi, qu’il songe à amasser de l’argent et d’autres biens.
Il est grand amateur de brandevin et de tabac : qu’on lui donne de l’un et de l’autre, il ne demandera pas à manger. Quand vous voyagez, entrez avec autant de vin que vous voudrez dans la tente d’un Yakoute, vos vases seront vides quand vous en sortirez. Il n’y a qu’un artifice qui puisse sauver votre provision. Aussitôt que vous arrivez chez un riche Yakoute, donnez-lui un œsmunæ (deux bouteilles de brandevin) ; avec cette liqueur, il s’enivrera parfaitement, lui, sa famille et dix camarades, et se tiendra satisfait ; si vous ne lui en donnez qu’un verre, adieu votre brandevin. Le lendemain, en voyant vos bouteilles vides, vous vous rappellerez trop tard ce dicton : il a tout avalé.
Le Yakoute n’a pas d’égal pour la patience à supporter le besoin ; ce n’est rien pour lui que de travailler trois ou quatre jours sans rien manger. Pendant trois mois, il ne vit que d’eau et d’écorce de pin, et pense qu’il en doit être ainsi. Les pauvres gens passent pour des gloutons aux yeux des Russes, parce qu’ils mangent beaucoup quand ils ont une bonne nourriture. Mais, à mon avis, quand on s’expose à supporter la faim comme eux, pendant plusieurs jours ou même plusieurs mois, on peut bien montrer quelque avidité pour peu que l’on se trouve à une bonne table.
Tous les peuples sont sujets à la colère ; elle n’est pas étrangère aux Yakoutes, mais ils oublient facilement les griefs qu’ils ont contre quelqu’un, pourvu que celui-ci reconnaisse ses torts et s’avoue coupable.
Les Yakoutes ont d’autres défauts, qu’il ne faut pas attribuer à des dispositions innées ; quelques-uns d’entre eux vivent de bétail volé ; il est vrai que ce ne sont que des malheureux ; quand ils ont pris, sur la chair d’une bête volée, de quoi manger deux ou trois fois, ils abandonnent le reste ; cela montre que leur seul mobile est la faim, dont ils ont souffert pendant des mois et des années. De plus, quand on découvre le voleur, les princes (kinæs, du russe kniaz) le font frapper de verges, selon l’ancienne coutume, au milieu de l’assemblée. Celui qui a subi une telle punition en conserve la flétrissure jusqu’à sa mort ; il ne peut plus être témoin, et ses paroles ne sont d’aucune valeur dans les réunions où délibère le peuple ; on ne le choisit ni pour prince, ni pour starsyna (du russe starchina, ancien). Ces usages prouvent que le vol n’est pas devenu une profession chez les Yakoutes ; le voleur est non-seulement puni, mais il ne recouvre jamais le nom d’honnête homme.
Le Yakoute est processif ; un parent ou un étranger achète à crédit par exemple une vache qu’il ne paye pas, sous prétexte qu’il use du bénéfice de la compensation. Le vendeur le poursuit devant le chef et le prince ; l’affaire passe ensuite par tous les degrés de juridiction, jusqu’à ce que les frais aient absorbé la valeur de vingt vaches et quelquefois tous les biens des plaideurs. Mais ce n’est pas toujours de leur propre mouvement qu’ils se jettent dans la voie ruineuse des procès ; ils y sont souvent poussés par des gens malintentionnés, qui trouvent profit à faire des écritures.
Il suffit qu’un Yakoute veuille devenir maître dans quelque art pour qu’il y parvienne ; il est tout à la fois orfévre, chaudronnier, maréchal, charpentier ; il sait démonter un fusil, sculpter des os, et avec un peu d’exercice, il est capable d’imiter tout objet d’art qu’il a examiné. Il est à regretter qu’ils n’aient pas de maîtres pour les initier à des arts plus élevés ; car ils seraient en état d’exécuter des travaux extraordinaires.
Ils excellent à manier le fusil ; ni le froid, ni la pluie, ni la faim, ni la fatigue ne les arrêtent dans la poursuite d’un oiseau ou d’un quadrupède. Ils chasseront un renard ou un lièvre deux jours entiers, sans avoir égard à la fatigue ou à l’épuisement de leur cheval.
Ils ont beaucoup de goût et d’aptitude pour le commerce, et savent si bien faire valoir la forme et la couleur de la moindre peau de renard ou de zibeline, qu’ils en tirent un prix élevé.
Les crosses de fusil qu’ils fabriquent, les peignes qu’ils taillent et ornent, sont des ouvrages achevés. On doit aussi remarquer que leurs outres de peau de bœuf ne se corrompraient jamais, quand elles resteraient dix ans pleines d’aliments liquides.
Parmi les femmes yakoutes, il y en a beaucoup qui ont de jolis visages ; elles sont plus propres que les hommes ; comme tout leur sexe, elles aiment les parures et les beaux atours. La nature ne les a pas dépourvues de charmes. Elles dissimulent leur inclination pour tout autre que leur mari, et elles ont à cœur de conserver leur réputation intacte. On ne doit donc pas les compter au nombre des femmes mauvaises, immorales et légères. Elles honorent à l’égal de Dieu, le père, la mère et les parents âgés de leur mari. Elles ne se laissent jamais voir tête et pieds nus. Elles ne passent pas devant le côté droit de la cheminée et n’appellent jamais par leurs noms yakoutes les parents de leur mari. La femme qui ne répond pas à ce portrait est regardée comme une bête sauvage, et son mari passe pour fort mal loti.
- ↑ Suite et fin. — Voy. p. 161.
- ↑ Kaptindeï. Voyez De Gmelin, t. I, p. 341, des Voyages traduits par Keralio. Ce voyageur dit que le sel s’élève en un endroit à quatre pieds au-dessus de la surface de l’eau ; et qu’à sept lieues à l’est, sur la rive droite, du Kaptindeï il y a une colline de sel haute de trente toises, longue de cent vingt pieds.
- ↑ Le thermomètre de Réaumur.
- ↑ Les limites de la Chine et de la Russie d’Asie sont marquées par de hauts poteaux de bois, érigés sur un piédestal en pierre, et portant d’un côté une inscription chinoise, de l’autre une inscription russe.