Voyage au mont Athos/01
VOYAGE AU MONT ATHOS,
À l’extrémité de la péninsule Chalcidique, entre Orfano et le cap Felice, s’élève au-dessus de la mer une montagne, connue chez les anciens sous le nom d’Athos, et appelée depuis Αγιονορος ou Monte-Santo, à cause de sa population exclusivement composée de religieux. Ces religieux, sous les empereurs byzantins, ont aidé au mouvement des lettres et des arts qui prépara la Renaissance, et possèdent encore aujourd’hui de riches bibliothèques et une école de peinture.
J’avais formé, pendant mon séjour en Grèce, le projet de visiter leurs couvents, et, le 9 mai 1858, après m’être muni à Constantinople de lettres patriarcales, sans lesquelles on court le risque d’être mal accueilli des moines, je quittai Pera avec mon ami Schranz et le drogman Voulgaris. Schranz devait m’aider à reproduire les peintures par la photographie ; Voulgaris se chargeait de la linguistique et de la cuisine. Notre projet était de toucher à Salonique, et de là de gagner l’Athos par terre.
Le 10 nous entrions dans le golfe Thermaïque, et le lendemain nous doublions la pointe de Kara-Bournou.
Derrière cette pointe, au fond d’une large baie paisible comme un lac, Salonique[1], ceinte d’un cordon de murs bastionnés, s’étage en amphithéâtre sur les flancs arides du Cortiah. Cette ville, déchue de sa splendeur, a un air de coquetterie surannée assez étrange ; ses maisons décrépites, ridées et replâtrées, semblent se pencher complaisamment pour refléter leur image dans la mer ; agaceries perdues, car, à part quelques vieux courtisans qui viennent là par habitude chercher les soies de Serrès et le tabac de Yenidjé, la rade est vide. Nulle part le proverbe grec : Là où l’osmanli met le pied, la terre devient stérile, ne trouverait une application plus juste. Le sol est sans culture, coupé de flaques d’eaux croupissantes, l’air chargé de miasmes putrides. Aussi, pendant les chaleurs de l’été, un grand nombre des habitants, fuyant les fièvres, se retirent à l’ouest de la ville dans un faubourg appelé Kalameria (beaux lieux). De ce côté, en effet, de joyeuses touffes de platanes, groupées selon le caprice des pentes, dessinent le cours du Vardar et respirent la vie, tandis qu’au levant de maigres cyprès cachent mal les cimetières, ce qui indique bien clairement que c’est de là que vient la mort.
La ville est partagée en deux par une rue qui s’étend de l’est à l’ouest, parallèlement à la mer. Cette rue est grande, régulière, bordée de boutiques à auvents, et terminée à chacune de ses extrémités par un arc de triomphe. C’est là l’endroit vivant, le quartier animé de la villa ; ailleurs le silence est complet, les rues sont désertes, étroites et taillées à pic dans le rocher. On ne s’explique cette préférence pour la ville basse que par la difficulté d’atteindre les quartiers hauts ; car les immondices entraînées par la pente naturelle font de la première un véritable égout, et il n’est rien de plus sale que cette large rue et le bazar qui l’avoisine, si ce n’est la population qui l’anime. Cette population est en grande partie composée de juifs. « Le grand nombre de juifs, dit naïvement Hadji-Kalfa[2], est une tache pour la ville, mais le profit qu’on retire de leur commerce fait fermer les yeux aux vrais croyants. »
Au milieu des Bulgares et des Grecs, confondus par un costume noir comme un vêtement de deuil, on reconnaît les juifs à leur coiffure faite d’un mouchoir de coton roulé en turban, à leur veste bordée de fourrures, et surtout à ce nez proéminent qu’ils ont conservé sous toutes les latitudes. Leurs femmes ont un accoutrement qui rappelle les modes du Directoire : un diadème en carton, recouvert de métal et serré sous la mâchoire par une étoffe légère, leur cache complétement les cheveux, fait saillir les joues et ressortir la pâleur mate de leur visage. Une robe de laine frangée en dents de scie, retenue sous les seins par une ceinture agrafée d’or, accuse les formes et laisse voir les pieds chaussés de babouches ou de brodequins lacés.
En butte au mépris de tous, hommes et femmes ont cet air inquiet qu’imprime la persécution.
Un hasard heureux nous avait fait arriver à Salonique le jour où les bergers descendent de la montagne pour se louer pendant le temps de la moisson : le bazar en était encombré. Nous profitâmes de cette foule pour perdre deux ministres anglicans qui, depuis le bateau, nous entretenaient avec ténacité de discussions religieuses à notre gré trop subtiles, et nous nous mîmes à la recherche des mosquées.
Salonique, qui compte au plus soixante mille habitants, n’a pas moins de trente sept mosquées, parmi lesquelles on reconnaît dix anciennes basiliques appropriées au culte musulman par l’adjonction de minarets et de portiques sarrasins. Un Juif, qui tenait comptoir de saraf (banquier) au coin d’une rue, consentit à nous servir de guide, et nous mena à Saint-Démétrius (Kassoumihié-Djami), dans le quartier d’Eski-Acapoussi.
Cette basilique a été construite au commencement du huitième siècle sur le tombeau de saint Démétrius, martyrisé à Salonique en 307. « De ce tombeau, dit l’historien Nicétas, jaillissait une source d’huile sainte. » Au jour même de l’entrée d’Amurat dans la ville, cette source se tarit. Les imans ont respecté le tombeau et le montrent aux étrangers dans un des angles de la mosquée, tolérance dont le mérite est atténué par le bénéfice qu’ils en retirent. L’église est précédée d’une petite cour carrée, ombragée de figuiers. Le narthex a deux entrées. (Le narthex est le vestibule, le pronaon des temples grecs. Cette disposition n’existe pas dans les églises du moyen âge, dont la nef communique directement avec la rue.) C’est dans le narthex que se tenaient les catéchumènes (κατηχουμενοι, qui se font instruire), les énergumènes (ενεργουμενοτ, possédés) et tous ceux qu’on ne jugeait pas dignes d’approcher du sanctuaire. Les portes de l’église leur restaient ouvertes seulement pendant le sermon qui précédait la célébration du service divin : de là vient qu’il y a souvent dans les homélies grecques des discours adressés aux païens pour combattre leurs croyances et les attirer à la foi chrétienne, coutume qui semble s’être conservée dans les sermons de nos prédicateurs, qui parfois s’adressent à leurs ouailles comme à des infidèles. Le narthex est couvert par le γυναίκωνίτης, galerie réservée aux femmes. « Le peuple était assis par ordre, dit saint Grégoire de Nazianze, les hommes d’un côté, les femmes de l’autre, et, pour être plus séparées, elles montaient à une galerie haute, s’il y en avait. » (Il en est toujours ainsi dans les églises du rite grec.)
La basilique de Saint-Démétrius est partagée en trois nefs par deux rangs de colonnes qui soutiennent les galeries latérales. La principale nef est formée par seize colonnes de vert antique, et le sanctuaire par quatre colonnes de granit rouge d’Égypte. Les dalles sont de marbre blanc, les murs marquetés de porphyre, la charpente, apparente, en bois de chêne, sans peinture et sans ornement.
Tout près de la est Ostendji-Effendi, ancienne église de Saint-Georges, connue dans la ville sous le nom de Rotonde à cause de sa forme circulaire. On y conserve un bloc de vert antique sur lequel prêcha saint Paul. Ce monument, garni à l’intérieur de mosaïques, doit être un des plus anciens de la chrétienté. M. Cousinery le fait remonter au temps des dieux Cabires[3]. Cabires ou non, il est possible que ce temple soit païen, mais il est certain que les mosaïques qui l’ornent sont chrétiennes ; mosaïques, du reste, assez médiocres et bien loin de valoir celles de Sainte-Sophie, petite église élevée par Justinien dans le quartier de Souuk-Sou (l’eau froide). Je ne connais pas de vestige plus beau de l’art des mosaïstes que cette coupole, respectée par les Turcs peut-être à cause de son admirable pureté. Quinze figures de plus de trois mètres d’élévation occupent le pourtour. Elles représentent la Vierge entre deux anges et les douze apôtres. Au centre plane le Christ dans une gloire avec cette inscription : « Homme de Galilée, pourquoi vous arrêtez-vous levant les yeux au ciel ? Jésus, qui en vous quittant s’est élevé dans le ciel, viendra de la même manière que vous l’y avez vu monter. » Ces figures se détachant sur le fond d’or par larges teintes d’un ton franc sont d’un effet décoratif merveilleux.
Après Sainte-Sophie, je citerai Sarali-Djami-Si, dans le quartier d’Eski-Saraï, remarquable par sa disposition en croix latine ; Eski-Djouma, basilique à deux étages comme Saint-Jean-Studius de Constantinople ; et l’ancienne église de Saint-Bardias, aujourd’hui Kassendjilar-Djami-Si, mosquée des chaudronniers. L’esnaf ou corporation des chaudronniers et celle des tanneurs ont une grande importance à Salonique.)
La disposition de ces basiliques n’affecte que deux types, l’un à branches égales, voûté en coupoles ; l’autre, sans coupoles et sans croix, de forme longue comme les basiliques de Rome. Toutes sont petites et la plus grande ne couvrirait pas le cinquième de la surface d’une de nos cathédrales. On n’y trouve pas la hardiesse des monuments du moyen âge, mais le plan en est plus saisissable et se rapproche plus, à ce titre, des conceptions de l’antiquité grecque si admirables par leur unité. Le jour y pénètre faiblement par de petites lucarnes, et donne un air de mystère à ces sanctuaires intimes d’une religion dont la morale austère ne s’accommodait pas encore des splendeurs que la foi affaiblie devait plus tard demander à profusion.
J’ai parlé de deux arcs de triomphe placés à chaque extrémité de la Grande-Rue, ancienne voie Egnatia. Ces deux monuments élevés, l’un à Auguste, l’autre à Constantin, sont en mauvais état et engagés à leur base dans des maisons qui empêchent d’en saisir les détails. Dans cette même rue, au-dessus d’une terrasse juive, paraissent cinq colonnes d’ordre corinthien avec des cariatides sculptées en bas-relief. Pokocke fait une description pompeuse de cette ruine, qui n’eut sans doute pour nous que le tort de se trouver trop près des chefs-d’œuvre d’Athènes. On pense que là était l’emplacement de l’hippodrome où Théodose fit massacrer les chrétiens, et que ces restes sont la tribune qui formait le fond du cirque. Les juifs appellent ces cariatides : las Encantadas, les Enchantées, et les Turcs : Soureti-malek, figures d’anges.
… Depuis notre arrivée à Salonique nous n’entendions parler que des exploits d’un brigand albanais, appelé Rabottas, qui ravageait la Chalcidique. Les quelques tours de son métier qu’on racontait dans les cafés n’avaient rien de rassurant ; cependant il n’y avait qu’une voix pour dire que c’était un honnête homme. Cette qualification d’honnête homme, accolée à celle de brigand, a pour nos oreilles quelque chose de malsonnant. En Turquie, cet assemblage d’épithètes semble tout naturel et l’est en effet. Il faut savoir que le raya[4] est à l’Osmanli à peu près ce que l’ilote était au Spartiate. Or le raya, qui ne peut supporter ni la surcharge d’impôts, ni l’enlèvement de sa fille ou de sa femme, ni autre injure du même genre, se retire dans la montagne pour fuir l’oppression. Jusque-là cet homme est parfaitement honnête ; mais il arrive forcément qu’il ne peut vivre sur un rocher inculte de l’air du temps ; alors il pille les caravanes, rançonne les villages, et, son indépendance compromettant celle de beaucoup d’autres, il prend naturellement place dans la catégorie des brigands. Ce sont ces brigands qui ont poussé la Grèce à la résistance une première fois et qui, selon toute probabilité, l’aideront une seconde. En attendant, il est prudent de s’en garder quand on voyage ; le pacha nous donna à cet effet une escorte de deux zaptiés de sa garde, ou bachi-bozouks, et la Porte y adjoignit deux hommes armés pour protéger ses chevaux. Notre départ était fixé au 14 mai. Un marchand de Scio, qui allait au mont Athos pour affaires, nous demanda la permission de se joindre à nous. Nous la lui accordâmes, mais, faute d’un cheval, nous nous vîmes forcés de refuser la même faveur à un moine qui revenait du Sinaï et désirait regagner sa Thébaïde. Ce fut sans regret, car le P. Gédéon était bien la personnification du moine dont il est dit : ὁ ἀνάξιος, καὶ ἀνωφελὴς ἱερομόναχος, ὁ ἀνυπόδητος καὶ ῥακενδύτης καὶ ἀλόγων ἀλογώτερος, l’indigne, l’inutile moine sacré, le va-nu-pieds, le déguenillé et le plus animal de tous les animaux, et il n’avait certes pas médité cette parole de saint Ambroise : « Que la netteté de ton visage, de tes mains et de tes vêtements soit un signe de la pureté de ton cœur et de l’innocence de ta vie. »
Jean Belon, du Mans, dans son livre Des singularités, dit « que les Turcs sont gens qui savent le mieux charger et descharger bagages en allant par pays que nuls autres. » Les Turcs de Salonique ont compromis cette réputation d’équilibristes ; car l’empressement maladroit qu’ils mettaient à charger les chevaux de bât nous fit perdre deux grandes heures, et la chaleur était déjà accablante quand la colonne se mit en mouvement.
Les deux zaptiés ouvraient la marche. L’accoutrement des bachi-bozouks varie selon le caprice de chacun. Ceux-là portaient la veste albanaise couleur lie de vin rehaussée de broderies noires, le pantalon large resserré au genou et le turban conique : un arsenal d’armes de toute sorte chargeait leurs ceintures. Les armes sont le luxe des Albanais, et leur vanité à cet endroit ne s’arrête qu’à la limite de leurs moyens pécuniaires, limite qui chez les bachi-bozouks n’est précisée que par leur plus ou moins d’aptitude au pillage. De nombreux καλη ωρα (bonne heure), καλη μερα (bon jour), augourler ola (que les augures soient bons), nous étaient adressés par les curieux que le bruit de ce convoi de tchelebis avait attirés sur leurs seuils.
Après trois heures de marche pénible dans les sables, sous un soleil de plomb, nous arrivâmes au Kiarvan-Saraï de Vasilika. Vasilika est un hameau de dix ou douze maisons au plus, relevé sur les ruines qu’en fit en 1821 Achmet-Bey. Quelques familles grecques l’habitent. Le sol est riche, fertile, planté de vignobles et de figuiers, et l’eau y descend en abondance de la montagne.
Sous cette oasis verdoyante, un groupe de femmes se reposaient près d’un arabas. Nous cherchions à les deviner sous leur voile transparent, quand, à la vue des Albanais, elles s’enfuirent, preuve du respect qu’inspirent les agents de l’autorité turque…
À mesure qu’on s’éloigne de la mer, les habitations deviennent rares, le myrte pousse librement dans cette terre féconde que méprise la charrue, et ce n’est qu’à Galatz qu’on retrouve l’agriculture et son cortége mugissant : Galatz est adossé au mont Disoron, au fond d’un cirque gigantesque. Ses maisons, éparpillées sur le rocher, et surmontées d’une énorme tour qui projette dans la vallée son ombre trapue et massive, lui donnent l’aspect d’une petite ville…
…Le lendemain, quand nous partîmes, le brouillard enveloppait encore la montagne, mais le soleil ne tarda pas à devenir ardent comme la veille, et nous mîmes pied à terre à Nedgesalar pour prendre une tasse de ce café léger qu’on sait faire bon en Orient dans la plus pauvre cabane. Il nous fut servi par une grande fille assez laide, mais dans la plus jolie cafetière du monde, vraie merveille de poterie dont la forme ovoïde rappelait les anciens types grecs.
À partir de Nedgesalar le sentier va toujours en montant, et nous remarquions qu’en sens inverse de la végétation, qui se rabougrit et se ratatine par degrés à mesure qu’on approche des hauts sommets, les hommes ont les épaules plus larges, le regard plus fier et la démarche plus assurée, la tyrannie oisive qui courbe et flétrit ayant d’ordinaire le pied peu montagnard. Mais comme il n’y a pas de règle sans exception, nous n’avions pas fait un kilomètre, que la première partie de nos observations se trouva de tous points inexacte, et que nous entrâmes sous un couvert d’arbres, tels que nous n’en avions encore vu dans aucune vallée. On se ferait difficilement une idée de ces monstrueux colosses entrelacés et enchevêtrés les uns dans les autres comme les serpents de la tête de Méduse. Quelques-uns ont monté droits, unis, comme d’un seul jet, par l’échappée que leur laissaient les voisins ; d’autres, moins heureux, refoulés par de plus forts, se sont contournés, tordus en rameaux courts, énormes, boursouflés aux extrémités, et la séve faisant irruption a ouvert dans leurs flancs de larges cratères béants ou mis à nu des excroissances informes. Sous cette végétation tourmentée fleurissent, comme en une serre chaude, le rhododendron à fleur pourpre, l’airelle rouge et l’amaryllis.
Au sortir de ce ligneux orage nous attendait un de ces spectacles géographiques qui surprennent sans émouvoir. L’Athos[5], semblable à un sphinx accroupi dans la mer, s’étalait à l’horizon dans toute sa longueur : jusqu’à lui les vallées se succédaient nombreuses comme les sillons d’un champ labouré ; à droite, on découvrait toute la presqu’île de Pallène et, à gauche, Orfano, au bout d’un golfe arrondi au compas : tout, même au plus loin, était baigné d’une nappe de lumière limpide et transparente. On suit encore de là, à chaque pas, les traces de l’incendie de 1821. Les Turcs ont appliqué la sinistre parole de Makmoud : « Fer, feu, esclavage », ont tout détruit jusqu’à Polyhieros (ancienne Olynthe).
Le soir, à neuf heures, nous traversions la rivière de Doutlitchaï (de la mûre noire), quand un pappas qui passait par là nous dit que nous étions venus trop sur le sud-est, qu’il nous fallait gagner la plage de Gemati, et que près de là nous trouverions le village d’Agios-Nicolaos ou nous pourrions passer la nuit. À minuit nous arrivions audit village, mais là, complication imprévue ! les maisons étaient encombrées de vers à soie. On nous déblaya bien deux chambres de ces hôtes incommodes, mais on oublia d’en chasser les puces, punaises, pucerons et maringouins qui n’eurent garde de nous oublier, étant conviés à un festin assez rare pour eux. Je compris à ce moment la distance que mon ami C… met entre ces deux mots : Voyage… d’agrément ; mais toute peine a sa récompense, et, ne pouvant dormir dans cette magnanerie, nous eûmes le loisir d’admirer aux premiers rayons du soleil les cocons rangés sur des claies comme autant de petites bulles d’or.
Une tartane qui chargeait du bois tout près de là, à Vorvourou, nous offrit de nous faire traverser le golfe de Monte-Santo. Nous attendions à l’ombre d’un platane que les vents nous fussent propices, quand nous vîmes arriver le P. Gédéon, haletant, essoufflé, ruisselant et les pieds gonflés. Il était venu de Salonique à pied en suivant la côte. C’était au fond un assez bon homme que ce P. Gédéon, malgré sa malpropreté, et cette malpropreté même était peut-être une vertu. Saint Basile n’a-t-il pas dit : « Que l’humilité du moine paraisse dans tout son extérieur, qu’il ait la tête mal peignée, l’habit sale et négligé. » Il nous donna de nombreux renseignements sur sa Thébaïde, nous dit d’abord qu’on y vivait très-vieux, d’accord en cela avec Élien qui constate que les habitants de l’Athos étaient appelés Macrobi, ensuite qu’il y avait au milieu de la montagne un village peuplé de moines, appelé Kariès, de Καρα, tête, et outre les vingt monastères qui garnissaient la montagne un grand nombre de skites[6], d’ermitages et de cellules, en tout environ neuf cent cinquante églises et chapelles ; il ajouta que les moines qu’on appelle caloyers (Καλογεροτ, bons vieillards), n’étaient plus que trois mille de six mille qu’ils étaient autrefois, mais qu’il y avait des frères lais, des ermites et des profès, enfin que le séjour en était délicieux, et qu’on était fort bien accueilli par le conseil de Kariès, si l’on était bien recommandé, pourvu toutefois qu’on n’eût ni femme, ni chienne, ni chatte, ni aucun animal du sexe femelle, la règle étant inflexible à cet égard.
Le récit du P. Gédéon était coupé d’invocations à la Vierge qui, disait-il, avait appelé le mont Athos sa terre de prédilection.
Le 17 mai, à deux heures de la nuit, nous jetions l’ancre devant le couvent russe, sur la côte occidentale de l’Athos. Aux premières lueurs de l’aube, des masses de têtes apparurent aux fenêtres des galeries hautes. On ne saurait voir rien de plus incohérent que la construction de ce monastère. C’est un mélange incroyable de redans, de bastions, de tours, tourillons et culs-de-lampe ; tout cela lézardé, ébréché et jauni par le temps. Dans la longue étendue de ces murailles il n’y a aucune ouverture, mais seulement au-dessous de la toiture, des galeries de bois en saillie, étayées sur le mur par des arcs-boutants. Ces galeries, ajoutées depuis que les pirates ont cessé d’inquiéter les moines, sont peintes d’une couleur sang de bœuf qui rompt la monotonie du ton général. Cet amas de maçonnerie est entassé sur un rocher planté au milieu d’une verdure luxuriante.
Voulgaris que j’avais dépêché en ambassadeur revint suivi de deux caloyers, chargés de melons et de figues fraîches que nous envoyait l’higoumène.
Après avoir fait honneur à cet envoi, nous montâmes la pente ardue qui mène au monastère. Une porte double, verrouillée comme la porte d’une prison et surmontée d’une Vierge (παναγια πορταιτισα) dont on distingue les vêtements dorés à travers un treillage, donne entrée dans la cour principale. Au milieu de cette cour est le Catholicon, basilique à cinq coupoles percées d’ouvertures jumelles : tout autour, sur un double rang d’arcades superposées les cellules. On nous conduisit d’abord à l’église, selon la règle de saint Basile : « Suscepti hospites ad orationem…, et postea cum eis sedeat. » C’était l’heure de la messe : les moines se rangeaient dans les stalles. Ces moines ou caloyers sont vêtus d’une robe brune retombant à plis droits, et, par-dessus, d’un vêtement également très long, mais de couleur plus claire et serré à la taille par une ceinture de cuir noir, agrafée de cuivre. Ils ont les pieds chaussés de brodequins, et la tête couverte d’un bonnet jaune amadou en forme de gâteau de Savoie. Prenant à la lettre la parole de l’Écriture, « et le fer ne touchera pas à sa tête, » ils portent les cheveux et la barbe aussi longs qu’ils veulent croître. Quelques-uns roulent leurs cheveux en un chignon énorme qu’ils retroussent sous leur bonnet, mais un grand nombre, non contents de la longueur démesurée de leurs barbes, laissent retomber sur les épaules leur abondante crinière, ce qui, à la longue, par le frottement, rend leur lévite complétement imperméable et leur donne une apparence de porc-épic derrière laquelle disparaît toute expression de physionomie. Cependant parmi les vieillards qui entraient dans l’église d’un pas chancelant, je vis un jeune homme s’avancer d’un pas ferme : je ne crois pas avoir jamais rencontré d’expression plus pure de la beauté mâle : ses yeux brillaient comme des flambeaux au milieu de la pâleur mate de son visage, amaigri par le jeûne et sa barbe retroussée par la ligne fière de ses lèvres se divisait sur sa poitrine, mêlant ses reflets bleuâtres aux tons plus sombres de sa chevelure. C’était un Grec de Zante, arrivé depuis peu sur la montagne.
Quand les assistants eurent psalmodie un psaume sur le rhythme lent et nasillard de l’Église grecque, qui est un récitatif plutôt qu’un chant, le prêtre commença la messe. Il fit d’abord trois signes de croix suivis d’une inclination (Le signe de croix se fait chez les Grecs en portant la main de droite à gauche, parce que le Christ donna pour être crucifié sa main droite la première, et à l’aide des trois premiers doigts de la main réunis, pour indiquer qu’il n’y a qu’un Dieu en trois personnes. L’inclination remplace la génuflexion, qui n’est admise par l’Église d’Orient que le jour de la Pentecôte.) Il revêtit ensuite une aube de soie brochée, et se ceignit d’une ceinture large à laquelle pend une sorte de sachet en losange appelé hipognation, de επι sur, γονυ, genou. Après le Confiteor et l’Introït, le prêtre prit le pain[7], coupa le morceau de croûte qui porte la formule, Jésus-Christ vainqueur, ainsi disposée :
la mit dans le bassin, versa le vin et l’eau, recouvrit le
bassin d’une croix et offrit le sacrifice.
Les Grecs ne disent pas la messe sur un autel de forme tumulaire comme le nôtre, mais sur une table recouverte d’un linge consacré appelé antimension. Ils attachent une idée de profanation à sacrifier dans le même sanctuaire qu’un autre prêtre, en sorte que dans ces monastères les chapelles et oratoires sont innombrables.
Après le service divin nous pûmes circuler librement dans l’église. Le plan de celle-ci est à branches égales ; des fresques tapissent les murs jusqu’à la voûte, disposées dans cet ordre, à peu près invariable dans les églises du rite grec : au centre le Christ bénissant[8], portant ce monogramme IHC XC. O παντοκρατωρ, Jésus-Christ tout-puissant ; du côté de l’Orient la Vierge (παναγια, toute sainte), entre les anges Michel et Gabriel ; plus bas les prophètes ; dans les pendentifs, les évangélistes ; au dedans du bêma la Cène ; au-dessus du narthex, la Transfiguration ; et sur les branches de la croix, les miracles de Jésus-Christ et les sujets de l’Ancien Testament. En dehors, sous la voûte du narthex, les ascètes, les stylites, les saints philosophes et les saints évêques.
Après une visite dans les cellules, meublées d’une simple estrade en bois sur laquelle couchent les moines, on nous conduisit au réfectoire ou la communauté dînait d’un macaroni trop cuit noyé dans une sauce trop longue. Un caloyer lisait une homélie pendant le repas.
Ce monastère est habité par des caloyers russes[9] et grecs. Nous prîmes congé d’eux pour présenter le plus tôt possible nos lettres d’introduction à Kariès. Ce village est à quatre heures du couvent russe. On traverse jusqu’à une certaine hauteur des jardins et des plants d’oliviers entretenus par les moines, à l’aide d’un système d’irrigation très-ingénieux ; l’eau est amenée des hautes assises du rocher par des troncs d’arbres creux ajustés bout à bout et étayés d’une branche à l’autre. Plus haut ce sont des bois de chênes et de châtaigniers d’une vigueur surprenante à cause du voisinage de la mer. Les historiens byzantins parlent fréquemment de cette végétation merveilleuse. « Ceux qui appellent l’Athos la terre de Dieu ne se trompent pas, » dit Cantacuzène. « La douceur de la température, dit Nicéphore Grégoras, la multiplicité des végétaux qui réjouissent la vue et embaument l’air, le chant des oiseaux, le murmure des eaux, le vol strident des abeilles, l’aspect de la grande mer, le calme des vallées, le silence et la solitude des bois, tout cela forme un tissu de voluptés qui ravissent les sens et élèvent vers Dieu l’âme recueillie dans de pieuses pensées. »
Kariès est caché dans un pli du versant oriental, au milieu de skites et d’ermitages accrochés à toutes les aspérités de la montagne. Les maisons sont basses, faites en bois, enduites d’un crépi rose ou blanc, et alignées sur les côtés d’une rue unique. Dans cette rue se tiennent, au fond de petites boutiques, ouvertes en tabatière, des moines qui vendent des rosaires, des gravures et des ustensiles de ménage sculptés par les ermites. C’est au bout de cette rue, dans une grande maison de modeste apparence, que siége le conseil qui gouverne la montagne.
Ce conseil est composé de vingt épistates représentant les vingt monastères. Un président, élu tous les quatre ans par cette assemblée, partage le pouvoir exécutif avec les représentants des quatre monastères de Lavra, Iveron, Vatopédi et Kiliandari. Ces quatre représentants administrent la montagne, et rendent compte de leur administration à l’assemblée générale qui, outre ces fonctions, juge les délits et les crimes. Les rescrits ou ordonnances doivent porter l’empreinte d’un sceau[10] dont chacun des quatre représentants possède un quart, ce qui fait que l’opposition d’un seul annule toute décision. Le gouvernement turc a reconnu cette petite république monacale après la prise de Constantinople, et s’en est déclaré le protecteur, moyennant un tribut annuel de 500 000 piastres versées entre les mains d’un aga qui réside à Kariès. La république entretient une garde de vingt Albanais chrétiens, destinés à faire la police de la montagne.
J’ai dit qu’il y a vingt monastères sur l’Athos. Dix-sept sont habités par des caloyers[11] grecs, un par des caloyers russes et grecs, et deux par des Serbes et des Bulgares.
Tous sont de l’ordre de saint Basile, mais ne sont plus gouvernés d’après les mêmes lois. Autrefois, ils avaient chacun un higoumène inamovible ; mais à la suite de discussions dont je n’ai pu savoir au juste la date, l’organisation fut modifiée, et aujourd’hui dix de ces monastères seulement, dits couvents de cénobites[12], ont conservé les anciens usages ; les dix autres ont pris la dénomination de couvents libres (ou διορισμοι, distincts), et sont régis par un conseil d’épitropes renouvelé tous les quatre ans.
Les monastères des cénobites sont Iveron, Kiliandari, Dyonisios, Koutloumousis, Zographos, Philothéos, Grigorios, Xénophon, Esphigmenou et Roussicon, couvent russe.
Les dix autres couvents se nomment : Vatopédi, Lavra, Pantocrator, Xiropotamos, Dokiarios, Karacallos, Simopétra, Stavronikitas, Agios Pablos et Castamoniti.
Les représentants des monastères de Lavra, Vatopédi, Iveron et Kiliandari, gouvernent les autres, non-seulement parce qu’ils sont les plus riches et les plus anciens, mais parce qu’ils portent le titre de monastères impériaux. (Sous les empereurs byzantins il y avait trois sortes de monastères : ceux qui relevaient directement de l’empereur, ceux qui relevaient des patriarches, et enfin ceux qui appartenaient aux évêques et archevêques.) Les revenus de tous ces couvents sont produits par l’exploitation des bois, la vente des noisettes et des olives. Koutloumousis récolte à lui seul deux cent mille ocques de noisettes. Lavra, Iveron et Philotéos exploitent annuellement pour cinq cent mille piastres de bois. Outre ces produits, les monastères ont de vastes propriétés appelées Métok, en Valachie, à l’île de Thasos et sur le littoral de la Turquie d’Europe.
Le jour de notre arrivée à Kariès était la veille d’un changement de gouvernement. Les epistates étaient enfermés pour procéder aux élections, et il y avait absence totale d’êtres vivants dans la cour du Konach. Au bout de quelques instants employés à nous promener dans le village, nous fûmes introduits dans une grande salle, sorte de galerie haute, ouverte sur la cour et garnie tout alentour de divans en estrades. Sur ces divans les membres de l’assemblée étaient assis à la manière turque, vêtus d’un manteau à manches amples, ouvert à la poitrine sur une robe de soie bleue ou violette, selon leur hiérarchie, et coiffées d’un kalimafki de feutre noir taillé comme une toque d’avocat. Sur les murs, lavés à la chaux d’un ton jaunâtre, ces personnages étoffés s’enlevaient merveilleusement. Le président s’avança appuyé sur sa crosse (πατεριξα), sorte de petite béquille noire garnie de nacre), et nous invita à prendre place sur le divan ; puis il ouvrit les lettres, et quand il arriva à celle du patriarche, il en baisa la signature. Un Albanais avait apporté un escabeau chargé de confitures sèches et de café, et quand chacun fut armé de sa tasse et du tchibouk de rigueur, tous nous firent des questions sur la France, sur Constantinople, et surtout sur le but de notre voyage à l’Athos. Il leur semblait étrange qu’on vînt voir de pauvres moines, quand on vivait au milieu des splendeurs de l’Occident dont on leur avait dit merveille.En notre qualité d’artistes, le président nous dit qu’il nous logerait chez le peintre Anthimès, une des lumières de la Sainte-Montagne. Avant d’aller chez notre hôte, nous montâmes faire visite à l’aga, qui habite la seconde aile du Konack. Ce pauvre musulman est là tout à fait dépaysé, n’ayant pour compagnons qu’un secrétaire et quelques Albanais de sa religion. C’est un jeune homme de trente à trente-cinq ans, ni beau ni laid, engraissé par l’oisiveté, hébété par la solitude. Il nous accueillit avec tout l’enthousiasme d’un homme ravi de voir d’autres visages que les profils liturgiques qui l’entourent ; mais cette expansion fut de courte durée, et il retomba dans son assoupissement, dont il ne sortira vraisemblablement que le jour où il sera appelé à d’autres fonctions, ou admis à faire valoir ses droits à la retraite.
Anthimès, notre hôte, était un tout autre homme, vif, alerte et remuant. Il habitait sa petite maisonnette en compagnie d’un pappas appelé Manuel, sorte de paria qui faisait la cuisine, cultivait le jardin, nettoyait la maison, aidait le peintre dans ses travaux, l’assistait à la messe et trouvait le temps de dormir et de boire quelquefois outre mesure, malgré ces nombreuses occupations.
Pendant que nous attendions le moment d’être admis auprès du conseil, j’étais allé jusqu’au Catholicon[13]. Là entrait en même temps que moi un jeune homme. Vêtus tous les deux comme on l’est au pays du macadam, nous nous devinâmes Français. Il était peintre, s’appelait Vaudin, et travaillait avec M. de Sévastiannoff. J’avais
entendu parler en Grèce des travaux de M. de Sévastiannoff[14] au mont Athos. Ma première visite fut naturellement pour lui. L’auteur des admirables reproductions photographiques que l’Institut a vues il y a quelques années, m’accueillit avec cette courtoisie et cette cordialité habituelle à l’aristocratie russe. Nous causâmes de la France en français, ce qui est une grande jouissance, et nous prîmes le thé en russe, ce qui est la bonne manière.
L’histoire du mont Athos est très-obscure depuis Jésus-Christ jusqu’au dixième siècle. Les moines font remonter à Constantin la fondation du monastère de Lavra, construit par saint Athanase l’Athonite. De ce saint Athanase il n’est question dans aucun historien ; mais dans ce même monastère de Lavra, une fresque représente ledit saint Athanase recevant une chrysobulle des mains de l’empereur Nicéphore Phocas, c’est-à-dire vers 965. Cependant il est probable que certains monastères sont de fondation plus ancienne : ceux d’Iveron et de Vatopédi, par exemple, construits sur l’emplacement des villes de Dium et d’Olophisos, dont parle Hérodote et dont ne parlent pas les historiens byzantins.
Quoi qu’il en soit, voici la version des moines : saint Athanase demanda à l’empereur la permission de construire un monastère sur l’Athos et éleva la grande Lavra ou Laure (Lavra signifie réunion, communauté, association) ; mais la montagne était occupée par des ermites. Ces ermites envoyèrent une députation à Constantinople pour protester contre l’envahissement de leur retraite. Leurs prières ne furent pas écoutées et les monastères se succédèrent sur les flancs de la montagne.
(La suite à la prochaine livraison.)
- ↑ Salonique, ancienne Thermès ou Thessalonique. Philippe avait donné le nom de Thessalonique à sa fille en mémoire d’une victoire remportée sur les Thessaliens (θεσσαλος, Thessaliens ; νίχη, victoire), et Cassandre, gendre de Philippe, fit donner le nom de sa femme à la ville de Thermès.
- ↑ Hadji-Kalfa, savant Turc de Constantinople, grand trésorier d’Amurat IV, a publié de nombreux ouvrages, entre autres une Géographie et une Histoire de Constantinople.
- ↑ La forme circulaire n’est pas une preuve d’origine païenne. Sainte Hélène fonda sur le mont des Oliviers, à Jérusalem, l’église de l’Ascension. Ce monument est circulaire. (Voy. Lenoir, Archéologie monumentale de l’histoire de France.)
- ↑ On appelle en Turquie raya tout sujet non musulman, tout individu qui fait partie de la race vaincue : Grec, Juif, Bulgare, etc., etc.
- ↑ Les anciens dont l’oroogie était loin d’être parfaite prétendaient que de la cime de l’Athos on voyait le soleil trois heures avant son lever. Ce qui a pu accréditer cette erreur, c’est que cette montagne qui, d’après les calculs récents du capitaine Gautier, n’a en réalité que deux mille six cents mètres d’élévation, semble, par sa position isolée au-dessus de la mer, plus élevée qu’aucune montagne de l’Orient. Sophocle, Pline et Plutarque disent que son ombre atteignait la place publique de Mirina à Lemnos. (Voir à cet égard les calculs de Choiseul-Gouffier et les travaux de M. Delambre. — Choiseul-Gouffier, Voyage dans l’Empire Ottoman, vol. II, p. 246 ; Ed. Aillaud, 1852.)
- ↑ Skites a la même signification que cellules et vient de Skete, partie de l’Égypte habitée par des moines.
- ↑ L’usage des azymes est au nombre des dissidences qui séparent
l’Église de Rome de l’Église d’Orient. Les catholiques disent
que Jésus-Christ ayant fait la cène avec ses disciples, devait avoir
employé du pain azyme, selon la coutume des Juifs qui font la
pâque avec ce pain. Les Grecs disent, au contraire, que puisque
l’époque de la pâque n’était pas venue, Jésus-Christ fit la cène
avec du pain ordinaire, c’est-à-dire avec du pain inzyme.
Les principales dissidences sont, du reste, au nombre de trois : 1o la suprématie du pape ; 2o la procession du Saint-Esprit, c’est-à-dire l’addition filioque ; 3o le purgatoire.
La question des azymes peut être classée dans les différences d’usage qui sont : 1o les azymes ; 2o le baptême par triple immersion ; 3o la prêtrise chez les hommes mariés ; 4o la communion chez les enfants ; 5o la génuflexion ; 6o l’abstinence du mercredi.
- ↑ La main qui bénit est ainsi disposée : le pouce croisé avec le quatrième doigt, de manière que l’index reste droit, et le troisième recourbé ; on forme ainsi le nom de Christ, ixc.
- ↑ Il y a une opinion généralement accréditée qui veut que l’Église russe soit séparée de l’Église de Constantinople, et que le tzar en soit le chef. Cela n’est pas tout à fait exact. Dans les annotations du Pedalium, recueil des canons, l’Église d’Orient dit : « Il y a eu autrefois un patriarche de Russie, mais ce patriarche n’existe plus. » En effet, Ivan III avait pris le titre de patriarche de Russie, mais Pierre le Grand ne le conserva pas, nomma un conseil d’évêques qu’il appela saint Synode dirigeant, et prit le titre de Protecteur de l’Église. Il demanda la confirmation de ces mesures au patriarche de Constantinople, lui écrivit qu’il avait toujours reconnu sa primauté synodale sur l’Église orthodoxe, et le pria de l’aider de ses conseils.
- ↑ Ce sceau est en argent coupé en quatre parties égales. Une cinquième volonté est nécessaire pour valider les actes ; c’est celle du président qui possède la clef à vis qui réunit les quatre portions. Autour de ce sceau, représentant la Vierge, est l’inscription suivante en grec et en turc : Sceau des Épistates de la communauté de la Sainte-Montagne.
- ↑ Les caloyers ou moines appartiennent au premier ordre du
clergé grec, appelé ordre des hiéronomaques. Lorsque l’Église d’Orient
se sépara de celle de Rome, elle divisa son clergé en deux ordres : les hiéronomaques et les pappas. Les premiers, voués au célibat, comprennent les patriarches, les énarques, métropolitains, archevêques, évêques, archimandrites et caloyers.
Les seconds, qui peuvent se marier, sont les pappas, nommés aussi journaliers.
Il y a quatre patriarches, qui occupent les trônes de Constantinople, Alexandrie, Jérusalem et Damas. Celui de Constantinople a la primauté synodale.
Les caloyers du Mont Athos relèvent de ce dernier.
- ↑ Κοινοβιον signifie proprement communauté.
- ↑ On appelle catholicon l’église de la Vierge. Le mont Athos est tout entier sous l’invocation de la Vierge, et dans chaque monastère l’église principale lui est dédiée.
- ↑ M. de Sévastiannoff a reproduit à l’aide de la photographie : 1o un manuscrit du douzième siècle en caractères microscopiques ;
2o des sermons de saint Grégoire le Théologien, de Jean Damascène ;
3o un traité inédit de médecine ; 4o la géographie de Ptolémée ;
5o une liturgie-de saint Jean Chrysostome sur parchemin ;
6o des chartes en langues grecque et slave ; 7o des fragments de la
Légende dorée.
Pendant que j’étais au mont Athos, M. de Sévastiannoff préparait de nombreux travaux. Son séjour devait être encore fort long sur la montagne, et l’infatigable voyageur avait le projet de compléter ce travail gigantesque par une excursion au Sinaï.