Monnoyer (p. 262-270).

Ciel de la Guadeloupe.

J’ai déjà donné une idée du beau ciel de la zone torride. Mais autre chose est de le considérer au loin, sur la plaine de l’Océan, ou de ne le voir que dans le voisinage des terres. Ici il est beaucoup plus nuageux, beaucoup plus sombre, parce que les montagnes semblent exercer sur les nuages et sur les vapeurs une force attractive qui les accumule dans leurs environs. Ainsi, tandis qu’on est plongé dans une atmosphère épaisse et humide, ou qu’on est pénétré par une petite pluie continuelle, on voit les rayons brillants du soleil se réfléchir sur la surface tremblante des eaux. Souvent même, dans les hauteurs, la pluie tombe deux jours de suite sans discontinuer, tandis qu’on jouit du plus beau temps sur les bords de la mer.

L’état du ciel à la Guadeloupe varie selon bien des causes. Je le considérerai sous le rapport de trois saisons distinctes : la saison des sécheresses, la saison des orages, la saison des pluies.

La saison des sécheresses comprend les mois de mars, d’avril, de mai, de juin.

La saison des orages comprend ceux de juillet, d’août, de septembre et d’octobre.

Les quatre autres mois forment la saison des pluies.

Durant la première saison, le ciel est plus serein. Les nuages sont ordinairement blancs, élevés, peu nombreux. Les montagnes laissent voir plus souvent leurs cimes. Les pluies sont beaucoup moins fréquentes et beaucoup moins abondantes ; ce ne sont que de légères averses qui ne durent qu’un moment. L’air est moins humide, très-rarement troublé par de gros vents. Les étoiles semblent briller d’un plus pur éclat. Cette saison est la plus constante ; c’est elle qui offre les plus longues suites de beaux jours. C’est aussi celle que le voyageur doit choisir pour parcourir les montagnes, les bois, le lit des rivières.

Dans la saison des orages, qu’on appelle hivernage, le ciel est souvent très-beau ; quelquefois l’œil ne découvre pas un seul petit nuage dans toute son étendue ; mais rien de plus variable alors que l’état de l’atmosphère. Un léger nuage blanc paraît à l’horizon, il s’élève, s’étend, grossit en prenant une teinte bleuâtre, s’approche, couvre bientôt l’île tout entière, ou une partie seulement, et verse la pluie par torrents. Les rivières grossissent soudain, arrachent, entraînent tout ce qui se trouve sur leurs bords ; les villes, les campagnes sont inondées. Ce déluge dure huit ou dix minutes, quelquefois plus, le nuage se dissipe et, tout à coup, le beau temps renaît. Ou bien de gros nuages bleus, fortement électrisés, flottent dans une atmosphère tranquille, viennent lentement se réunir vers le centre de l’île, s’étendent comme un vaste pavillon et lancent, avec un fracas horrible, mille foudres renfermées dans leur sein. Quelquefois le ciel s’obscurcit de toutes parts ; il se forme deux couches de gros nuages gris. Les oiseaux n’ont plus qu’un vol incertain, triste avant-coureur d’un ouragan. L’air s’ébranle, les vents se déchaînent, bouleversent toute la surface de l’île, et dans un instant font perdre au planteur le fruit d’une année de pénibles travaux. Aux ravages des vents toujours une pluie diluviale vient mêler les siens. Souvent, à ce redoutable fléau, s’en joint un autre plus redoutable encore : la terre se balance sur ses fondements, comme pour s’abîmer dans les immenses profondeurs de l’Océan ; les édifices s’écroulent et ensevelissent sous leurs ruines de malheureuses victimes.

La saison des pluies est aussi celle des gros vents. Ce n’est pas qu’on ait encore à craindre des ouragans ; mais c’est que le vent d’est, qui règne toute l’année, souffle dans cette saison beaucoup plus fort. Le ciel, dans ce temps, n’est jamais constamment beau ; il est toujours plus ou moins chargé de gros nuages grisâtres ; les pluies sont très fréquentes ; elles tombent longtemps, mais avec beaucoup moins de force et d’intensité que pendant l’hivernage. L’air est souvent humide. Le ciel reste quelquefois plusieurs jours de suite entièrement couvert. Les montagnes sont presque toujours enveloppées de ces gros nuages gris, aussi est-ce la saison la plus favorable à l’Européen qui veut aborder au rivage de la Guadeloupe, parce qu’il a le temps de s’acclimater avant les funestes chaleurs de l’hivernage.

L’Européen ne peut se faire une idée de ces pluies diluviales, quelquefois si fréquentes pendant l’hivernage. Souvent deux hommes ne se voient point à dix pas l’un de l’autre. On ne saurait se défendre d’une sorte de frayeur, et il faut être accoutumé à voir ce phénomène pour n’être point épouvanté. Parapluie, manteau, tout moyen ordinaire de préservation est inutile. Les animaux eux-mêmes sont frappés de crainte. Il m’est arrivé plus d’une fois d’être surpris par ces pluies en voyageant dans l’intérieur. Le cheval qui me portait s’arrétait tout à coup, tremblait de tous ses membres, et il m’était impossible de le faire avancer ; j’étais obligé de descendre. Si mes occupations me l’eussent permis, j’aurais tenté des expériences propres à faire connaître la quantité qui tombe, dans une de ces averses, sur une surface donnée ; mais le temps m’a toujours manqué pour faire des expériences suivies et de longues observations.

Quelquefois l’air est saturé d’humidité, sans que, pour cela, il perde beaucoup de sa transparence, et que la couleur bleue qu’il réfléchit soit très-sensiblement altérée. J’ai vu l’arc-en-ciel se tracer sur un ciel sans nuages et en apparence fort pur. Cet état de l’atmosphère présage presque toujours des pluies abondantes ou de gros vents. C’est surtout pendant l’hivernage qu’on remarque cet état de l’air.

Il n’y a jamais de brouillards à la Guadeloupe, mais souvent, pendant la saison des pluies, le ciel est couvert d’une couche de nuages gris, étendus, bas, touchant à la terre, qui laissent échapper une petite pluie fine qui dure quelquefois un jour entier. On est alors dans les nuages.

Assez ordinairement, pendant l’hivernage, on voit flotter, dans le voisinage des montagnes, depuis onze heures du matin jusqu’à deux heures du soir, de gros nuages bleus, orageux. Les personnes dont le système nerveux est délicat, en sont sensiblement affectées. Elles éprouvent un malaise général ; elles sentent une grande pesanteur dans tous les membres et une sorte de douleur dans la région épigastrique.

Les météores ignés sont beaucoup plus rares qu’on n’aurait lieu de le penser, dans ces contrées où l’on voit tant de débris volcaniques, même des volcans en activité. On n’en a vu qu’un dans l’espace de six ans que j’ai demeuré à la Guadeloupe. C’était le 23 octobre 1817, à cinq heures quarante-cinq minutes du soir ; le soleil se plongeait dans l’Océan, toute la partie occidentale du ciel était semée de beaux nuages diversement colorés ; au milieu de ces nuages brillants parut tout à coup, assez près de l’horizon, une longue traînée de lumière. Cette inflammation de gaz fut accompagnée de trois fortes détonations semblables à des coups de canon, et à cette vive lumière succéda une vapeur blanche qui dura plus d’un quart d’heure.

Les orages ne font quelquefois que passer ; mais souvent aussi ils durent vingt-quatre heures, et plus, sans discontinuer. Ils ont alors quelque chose d’effrayant. Tout tremble à chaque coup de tonnerre, et les échos des montagnes, en répétant le bruit de ces terribles explosions, doublent l’effroi dont on est saisi. Quelquefois, durant ces orages, il ne tombe pas une goutte de pluie, et d’autres fois elle se précipite en torrents. La foudre tombe très-souvent dans les hauteurs, mais principalement sur le sommet de la Soufrière. On voit dans ce dernier lieu des masses énormes de lave qu’elle a fendues et laissées toutes noires.

Pendant la saison des sécheresses, les montagnes sont assez ordinairement visibles. Elles ne sont couvertes de nuages que par intervalles, et il n’est guère de jours que la Soufrière ne se laisse voir plus ou moins longtemps. Il arrive même que, pendant plusieurs jours de suite, on n’y aperçoit pas la plus légère vapeur. Pendant l’hivernage, leur état est inconstant comme celui du ciel ; il change d’une heure à l’autre. Tantôt de gros nuages orageux posent sur leurs cimes, tantôt elles en sont tout à fait environnées. Quelquefois il y pleut abondamment, d’autres fois elles sont entièrement découvertes, ou bien seulement de légers nuages blancs en dérobent, pendant quelques instants, les sommets à la vue. Mais, pendant la saison des pluies, elles sont presque toujours cachées dans de gros nuages grisâtres. Si elles se laissent apercevoir, ce n’est qu’à de courts intervalles ; et souvent, pendant des semaines entières, l’œil les chercherait en vain.

Rien n’est moins rare que de voir des trombes marines dans le canal des Saintes, pendant les mois de janvier, de février et de mars. J’en ai vu dix dans la seule journée du 26 janvier 1822. J’étais alors aux Trois-Rivières, chez M. de Gondrecourt, dont l’habitation domine entièrement le canal. Je les examinai avec une bonne lunette. Tout le monde sait qu’une trombe présente un cône renversé, dont la base tient au nuage et dont le sommet est tourné vers la terre. Mais je cherchais à voir ce qui n’est pas toujours visible, le prolongement du sommet jusqu’à la surface de la mer.

Ce prolongement ne me sembla qu’un fil très-délié, à l’extrémité duquel on voyait bouillonner la mer. Ces trombes ne disparaissaient que quand les nuages fondaient en pluie. Vers trois heures, il passa un gros nuage bleuâtre qui en portait cinq.

Je joins ici un petit tableau que j’ai extrait de mes observations, et que je crois de quelque utilité pour donner une idée générale du temps qu’on éprouve à la Guadeloupe.

ANNÉES. JOURS
pluvieux. très-beaux, secs, presque sans nuages. incertains, nuageux, sans pluie. orageux, sans pluie. orageux, avec pluie.
1818 177 80 56 8 44
1819 223 88 23 3 28
1820 211 92 27 5 31
1821 195 116 19 7 29

Par jours pluvieux, je n’entends pas seulement des jours entièrement pluvieux ; mais je mets de ce nombre tous ceux où il a plu, soit que la pluie ait duré longtemps, soit qu’elle n’ait été qu’instantanée.