Monnoyer (p. 233-246).

Du langage ou patois créole.

Le blanc n’entendant pas mieux le langage du noir, que le noir celui du blanc, pour se comprendre, ils durent se faire réciproquement des concessions de mots et construire sur un mode nouveau. De ce mélange de mots plus ou moins altérés est sorti le patois créole.

Ce langage, dans la bouche des créoles blancs et des noirs, a beaucoup de douceur, quelquefois une sorte de grâce. La construction en est simple. L’expression fait souvent image. Il est assez rare qu’un étranger parvienne à le bien prononcer. Peut-être serait-il facile de le soumettre à quelques règles ; mais on ne l’a pas tenté.

Je n’ai jamais fait de ce patois une grande étude. Je ne le parlais que pour me faire entendre de nos domestiques. Mais voici ce que j’ai remarqué de plus frappant.

Un verbe ne varie pas dans sa terminaison et ne s’emploie guère qu’au présent de l’indicatif, au prétérit défini, au futur simple, au conditionnel présent et à l’impératif. Ce sont des signes qui marquent les temps. Ka, devant le verbe, marque le présent ; mon k’allé, je vais. marque le prétérit ; mon té allé, j’ai été. Sra désigne le futur ; mon sra dit vous, je vous dirai. Sré désigne le conditionnel ; mon sré dit vous, je vous dirais. L’impératif n’a point de signe. Un seul exemple suffit pour donner une idée de la construction de tous les verbes.

QUIMBE, tenir, saisir, prendre.
INDICATIF.
Présent
Mon ka quimbé, Je prends.
To ka quimbé, Tu prends.
Li ka quimbé, Il prend,
Nou ka quimbé, Nous prenons.
Vou ka quimbé, Vous prenez.
Yo ka quimbé, Ils prennent.
Imparfait.
Mon té ka quimbé, Je prenais.
To té ka quimbé, Tu prenais.
Li te ka quimbé, Il prenait.
Nou te ka quimbé, Nous prenions, etc.
Prétérit.
Mon té quimbé, Je pris ou j’ai pris.
To té quimbé, Tu pris ou tu as pris, etc.
Futur.
Mon sra quimbé, Je prendrai.
To sra quimbé, Tu prendras, etc.
Conditionnel.
Mon sré quimbé, Je prendrais.
To sré quimbé, Tu prendrais, etc.
Impératif.
Quimbé, Prends, prenez

Ils n’emploient que l’adjectif possessif mon, ton, son, pour les substantifs des deux genres. Ils disent mon tête, mon table, mon case, ou tête à moin, case à moin, case à toué, case à li. Ti moune à moin, mon petit enfant. Chouval à yo, leur cheval. Après les noms communs, ils mettent le mot là, qui souvent tient lieu d’un adjectif démonstratif. Ex. Nègre-là vini, venez, nègre. Moune-là, femme-là, ça vouka potté-là ? l’homme, la femme, que portez-vous là ? Béqué-là belle, ce blanc est joli. Milette-là ka goumé épuis camarade à li, ce mulet se bat avec son camarade, Iche-là té fouté moin, cet enfant m’a battu.

Je donne ici quelques pièces écrites dans ce langage, afin qu’on puisse mieux s’en faire une idée. Je suis loin de prétendre que ce soit le patois dans sa pureté, parce que, encore un coup, je ne me suis point occupé de cette étude.

Voici donc la conversation d’un nègre de côte avec un nègre sacristain qui avait coutume de nommer les noirs et leurs enfants, et que, pour cela, ils appelaient tous papa.

Le sacristain. — Av’là toué don !… comment dipis temps to dans pays, c’est à prisent, to ka vini pour yo baptizé toué ?

Le nègre, portant une poule sous le bras. — Et oui, papa, av’la moin.

Le sacristain. — Eh ben ! comment to v’lé yo crié toué ?

Le nègre. — Eh ben ! papa, mon v’lé yo crié moins Baltaza.

Le sacristain. — To v’lé yo crié toué Baltaza ; eh ben ! ça to ka potté ? to save ben, prête-là ka vive d’lautel.

Le nègre. — Ça vrai, papa, eh ben ! mon ka potté gnon gros maman poule.

Le sacristain. — Baltaza, pou gnon poule !… est-ce to pas save Baltaza, c’étoit gnon d’ces mages qui té vini adoré notte seigné dans créche ? Si enco to lé ka potté gnon bel mâle cochon, gnon gros mouton, gnon bel père zoie, passe ; mai Baltaza pou gnon poule ! ah !

Le nègre. — Eh ben ! papa, crié moin Aléçanne.

Le sacristain. — Aléçanne ! mai jou coué c’étoit manié gnon prophète.

Le nègre. — Eh ben ! papa, crié moin Joséphe.

Le sacristain. — Joséphe ! mai c’étoit minisse à Pitifà ! si to v’lé, mon ka lé crié toué pié, Paul, Jacques ; c’est tout ça mon pê fai pou gnon poule.

Le nègre. — Eh ben ! papa, si vou pâ v’lé crié moin Baltaza, mon ka lé, mon pâ ka vini enco.

Le sacristain. — Allon, vini, ces nègres-là. Zotte ka faite moué fai, tout ça zotte v’lé ; mai malgré ça, Baltaza pou gnon maman poule ! ça ben fô.

Voici quelques fables que j’ai mises comme j’ai pu en patois créole.

L’enfant et le serpent.

Ti moune té ka joué, outi gnon pié rose. Li voir là sépent. Oh ! comme bête-là belle, dit li moune-là qui té ka sauté contentement. Bête-là ka dromi dans fleur-là ! mai li ka baillé ! li tini faim don ! Faut mon bâ li vite pain à moin, épui confitures à moin. Ti moune-là ka palé conne ça pâ ce li pâ save çà çà lés gnon sépent. Li te ka couri vitement pou li bâ li mangé. Quanto sépont-là te voir main à ti moune-là, vite li té quimbé li et déchiré li épui dents à li qui tini v’lin.

Quante vou ka rende sévice à moune, c’est yo qui ka faite vou mal après.

La cigale et la fourmi.

Cigalo té chanté toute l’été ; li trouvé li pauve quante vent-là té vini. Pâ gnon ti mocho pain, mouche épui vémicho. Li ka lé crié misère dans case fourmi qui voisine. Li dit li : vou va prêté quéque grains pour mon vive, jusqu’à bon temps vini, mon sra rende vou avant récolte ; bon Dieu puni moin si mon pâ bâ vou tout et zintérêt-là. Fourmi pâ ka aimé prêter. C’est là plis péti faute à li. Ça vou té ka faite quante temps té chaud, li dit à emprunteuse-là ? mon té ka chanté pendant nuite épui jour, ça pas ka faite vou peine. Vou té ka chanté ! mon content. Eh ben ! mon dit vou, dansé.

Le corbeau et le renard.

Corbeau té monté su gnon zarbe ; li te ka quimbé gnon fromage dans bec à li. Rinarde-là que sentir-là faite vini, li dit conne ça : hé, bon jour, mouché du corbeau, que vou joli, que vou semblé moin belle ! serment, si chanté à vou ka semblé plume à vou, vou pli belle zozio dans bois-là. À mots-là corbeau pâ ka senti li joie, et pou faite voir biau voix à li, ka ouvré gnon grand bec et laissé tombé proie à li. Rinarde quimbé li et dit li : vou qué savo, biau mouché que toute flatter ke vivo à dépends de cila ka coûté li.

Leçon la vô ben gnon fromage, mon pâ trompé vou. Corbeau tout sotte, jira gnon peu tard que yo pâ ka lé trapé li enco.

Voici quelques chansons en usage dans la colonie.

Chanson.
1.

Laut jour gnon jeine criol cangio freluquet
Belle passé blanc dans bal à yo,
Pour traper moins li té dire :
Vini zami pour nou rire.
Non, mouché, m’pâ v’lé rire moin.

2.

Moin couri dans gnon bois voisin,
Criol-là té prende même chimin ;

Et toujours li té dire :
Vini zami pour nou rire.
Non, mouché, m’pâ v’lé rire moin.

3.

Zié li brillé tant comme zéclair,
Piti brin yo ka faite moin per,
Gisque tant moin pâ n’osé dire :
Non, mouché, m’pâ v’lé rire,
Non, mouché, m’pâ v’lé rire moin.

4.

Criol-là tant tracassé moin
Que pour li quitté allé moin,
Enfin mon obligé dire :
Oui, mouché, mon v’lé rire moin,
Oui, mouché, mon v’lé rire moin.

5.

Zotte qui peut moqué tout moin tout bas,
Si zotte té connaître cangio-la,
Avec façon li pour rire,
Bon Dieu pini moin, zotte va dire :
Oui, mouché, mon v’lé rire moin,
Oui, mouché, mon v’lé rire moin.

La romance suivante a été composée par M. Dupuy des Islets, créole fixé en France.

1.

Cœur à moin chagrin Félicie,
Moi plus chéri, c’est z’officier.
N’as pas dit non, mamsell’ tant prie,
Quimbez li sous bananier.
Zamour c’est brasier qui consume,
Toi crais li pas k’aller changer !
Colibri li tini bell’ plume,
Mais zaile aussi pour voltiger.

2.

Quand blanc-là venir Guadeloupe,
Moi voir au loin naufrage à li,
À la mer moi metté chaloupe
Moi té crais moi sauvez zami.
Si moi té gagné prévoyance,
Moi té brisé canot à moi :
Çà li bâ moi pour récompense ?
Cœur à li volé cœur à toi.

3.

Moi nommé li traîte, perfide,
Moi v’lé proposé li combat,

Moi té gagné flèche rapide
Qui connaît percer cœur ingrat.
Mais moi disai, pauve Félicie,
Si toi perd zamant cher trésor,
Toi pleuré li toute la vie,
Toi va haïr moi plus encor.

4.

Nature semblait moi sauvage,
Moi soupirer, gémir toujours ;
Zoiseaux plus causé sous feuillage ;
Ramiers plus roucoulé zamours.
Cœur à moi brisé par tristesse,
Comme ioune lampe moi va finir ;
Mais moi toujours garder tendresse
À cilà qui fait moi mourir.


La chanson suivante a été composée par un habitant de Saint-Domingue. On peut la chanter sur l’air : Que ne suis-je sur la fougère, etc.

1.

Lisette quitté la plaine,
Mon perdit bonher à moi.
Ziés moin semblé fontaine,
Dipi mon pas miré toi.

La jour, quand mon coupé canne,
Mon songié zamour à moué ;
La nuit, quand mon dans cabane,
Sans dromi, mon quimbé toué.

2.

Quand to allé à la ville
To trouvé jeine cangio,
Qui gagné, pour trompé fille,
Bouche doux passé sirop.
Yo paraître à toi sincère,
Pendant quer yo coquin trop.
C’est serpent qui contrefaire
Crié rats pour trompé yo.

3.

Dipi mon perdi Lisette
Mon pas souche calinda[1]
Bouche à moi tourné muette,
Mon pas souché bamboula[2],
Quand mon miré jeine négresse
Mon pas ouvri ziés bâ li :

Mon pas souché travail pièce,
Toute qui chose à moi mouri.

4.

Lisett’ mon tendé nouvelle
To allé bentôt vini.
Vini don toujours fidelle ;
Miré bon pass’ temps ici.
N’as pas tardé davantage,
To fair’ moi assez chagrin.
Si quer à toi pas volage,
Toi doit souvenir Colin.

5.

Mon maigre tant comm’ gnon souche,
Jambe à moi tout comm’ roseau.
Mangé n’a pas doux dans bouche,
Tafia mêm’ c’est comme diau.
Quand mon songié toi Lisette,
Diau toujours dans ziés moi.
Manière moi vini tout bête,
À force chagrin mangé moi.


Les nègres ont une foule de bons proverbes, comme on en peut juger par ceux-ci, que le hasard m’a fait recueillir :

Quante vou voir barbé à camarade à vou prendre di fé, n’a pas jamais soufflé su li, metté diau à su li. — Quante vou voir misère gagné camarade à vou, pas jamais rire, toute péché miséricorde. — Zafaire à vou, pas zafaire à camarade. — Ravette pas tini raison divant poule. — Ka lé pi souvent ti bouvard à la boucherie que vache. — Vieux canari ka faite toujours bonne soupe. — Quante vou marron, pas jamais boire diau dans rivière, boire dans fouille à bois. — Çà qui bon pour zoie, bon pour canard. — Bon savane ka faite bon bof. — Vou ka fité couteau avant trappé cabrite. — Dipis quanté diable té ti moune, li té ka vende berre pou l’huile. — Bof tini besoin queue à li pou chassé mouches. — Zafaire à grand moune, pas zafaire à ti moune.

  1. Sorte de danse particulière.
  2. Danse en général.