XX

LES SAISONS DE VÉNUS. — LE VILLAGE. — ÉLECTIONS. — COURSES.


Depuis mon arrivée à Vénusia, je remarquai que les jours croissaient et que la température s’échauffait dans des proportions extraordinaires. L’inclinaison de 72 degrés que forme l’équateur de Vénus sur le plan de son orbite explique ces variations si rapides. Il résulte en effet de cette inclinaison que les jours, qui sur la Terre n’augmentent ou ne diminuent en moyenne que de 3 minutes 36 secondes, subissent là-haut une variation de 42 minutes 15 secondes pour chaque rotation de l’astre sur lui-même, rotation qui, au lieu d’être de 23 heures 56 minutes comme celle de notre planète, n’est que de 23 heures 21 minutes. Ajoutez que pour les pays qui se trouvent au delà d’une zone de 56 degrés dont l’équateur occupe le milieu, (comme il en est sur notre planète de la totalité de l’Europe et des deux tiers de l’Asie,) les jours d’été dépassent 23 heures, et s’allongent encore à mesure qu’on s’approche du pôle, où ils atteignent, comme au nôtre, une durée égale à la moitié de l’année — laquelle moitié est de 112 jours 113 (un peu moins de quatre mois). — En revanche, leurs nuits d’hiver, suivant la même progression, s’allongent très-rapidement, et les Vénusiens passent ainsi, presque sans transition, d’un excès de jour à un excès de nuit, d’une chaleur torride à un froid intolérable.

En général, il faut le reconnaître, les planètes sont assez mal favorisées pour les climats, et il semble que, dans le voyage immense où le soleil les entraîne, le voisinage de quelques grands astres ait altéré l’ordre primitivement établi par la Providence. L’état le plus favorable pour une planète serait évidemment d’avoir son axe de rotation perpendiculaire à son écliptique. S’il en était ainsi pour la Terre, si son axe ne faisait pas avec l’écliptique un angle de 66 degrés et demi mais bien de 90, les jours seraient égaux aux nuits, les régions polaires ne subiraient plus la fatigue de six mois de jour et l’ennui lugubre de six mois de ténèbres. À toute époque et sur tous les points du globe, nous aurions douze heures de jour et une température moyenne entre celles du 20 mars et du 23 septembre. Peut-être avait-on jadis ces avantages, et le printemps était-il éternel :

« Aurea prima sata est ætas…
Ver erat œternum, tepidis que faventibus auris,
Mulcebant zephyri natos sine semine flores. »

« D’abord on vit briller l’âge d’or. En ce temps,
Souriait à la terre un éternel printemps,
Et les tièdes zéphyrs, à la douce influence,
Se jouaient dans les fleurs écloses sans semence. »

Ainsi dit Ovide, tranchant avec une aisance merveilleuse, les deux questions si ardues de l’état primitif de la Terre et de la génération spontanée. Sans doute, il ne faut pas ajouter plus d’importance qu’il ne convient aux récits des poëtes. N’oublions pas cependant qu’ils se sont inspirés d’antiques légendes, qui ont pu se modifier et s’embellir en traversant le cours des âges, mais dont le fond n’en repose pas moins sur un fait réel. Les découvertes de la paléontologie ont démontré que l’existence des animaux monstrueux contre lesquels avaient combattu les Hercule, les Thésée, les Cadmus, etc., n’était pas aussi fabuleuse qu’on le pensait au dernier siècle ; peut-être la science en arrivera-t-elle à donner raison aux deux vers d’Ovide.

Mais l’homme ne jouit pas longtemps de cette température édénique ; il eût été trop heureux ! Les saisons arrivèrent, avec leurs excès de chaud et de froid :

 

« Tum primùm, siccis aer fervoribus ustus
Canduit, et ventis glacies adstricta pependit.
 »



« Alors, l’air s’embrasa dans les brûlants étés,
Et la glace pendit en festons argentés. »

 

Ainsi s’évanouit l’âge d’or de la température. Les planètes fatiguées cessèrent de se tenir ferme sur leurs axes, et Vénus se pencha plus qu’aucune autre.

J’avais abordé vers le vingtième degré de latitude. Le jour était d’environ trois heures à ce moment-là ; trois semaines après il était de dix-neuf !

— L’été s’avance à grands pas, me dit alors Mélino, c’est le moment d’émigrer à la campagne. J’ai une villa située à trois heures de Vénusia. J’espère que vous m’accorderez le plaisir qui réjouit le plus au monde le cœur d’un propriétaire : celui de faire visiter sa propriété.

Je le remerciai de son offre, qui m’était d’autant plus agréable que, bien moins cuirassé que les Vénusiens contre les flèches de feu dont les crible leur grand soleil, j’espérais trouver à la campagne une température plus clémente.

Nous fîmes le voyage à l’aide d’un véhicule atmosphérique. Les appareils de ce genre, à hélice ou à aubes, sont fort employés dans les pérégrinations vénusiennes : leur pesanteur, qui du reste est d’un dixième moins grande que celle qu’ils auraient sur notre planète, est contre-balancée par la vitesse excessive des moteurs. Ne voyons-nous pas, à tout instant, de gros insectes voler à l’aide de petites ailes dont les vibrations sont extrêmement rapides ?


Selon mon espoir, je trouvai à la villa de Mélino une température beaucoup moins ardente que celle de Vénusia. Elle était située sur un plateau élevé, et vous comprenez que, dans un pays où les bouleversements géologiques ont pu faire jaillir des montagnes cinq fois plus hautes que les Cordilières, les plateaux de ce genre doivent être nombreux, Or, vous savez combien la chaleur décroît dans les hautes régions : l’atmosphère moins dense y laisse au rayonnement du sol toute sa liberté, et ces altitudes se trouvent, par rapport aux vallées et aux plaines, dans les mêmes conditions qu’un homme presque nu, par rapport à un autre emmaillotté dans d’épaisses couvertures.

De plus, la température s’y montrait d’une variété extrême, car — sur ce globe dont un hémisphère est presque tout entier chauffé par le soleil, tandis que l’hémisphère situé de l’autre côté de l’équateur est à peu près complétement noyé dans l’ombre, — le moindre vent du nord ou du sud apporte nécessairement dans l’état de la température les changements les plus brusques et les plus considérables.

Je vous ai parlé aussi de l’effet rafraîchissant qu’a pour les Vénusiens l’état de leur atmosphère presque toujours couverte de nuages.

Enfin, la maison de plaisance de Mélino se trouvait protégée contre l’action du soleil par un bouquet d’arbres gigantesques, d’une puissance de végétation qui nous est inconnue et dont celle des terres tropicales ne peut donner qu’une faible idée. Ils entre-croisaient sur la villa leurs branchages touffus, et baignaient ses murs de la fraîcheur opaque de leur ombre. Derrière la maison, après une pelouse du vert le plus tendre et le plus velouté, s’étendait la nappe, moirée d’azur et d’argent, d’un grand lac encadré d’arbres séculaires. Je dirigeais souvent mes pas de ce côté, et j’aimais à promener mes rêveries le long de ses rives ombreuses.


À une lieue environ de l’habitation de Mélino, se trouvait un village dont il m’indiqua la position, car je ne l’eusse jamais aperçu, modestement caché qu’il était sous la luxuriante frondaison d’un vaste bosquet.

Mon hôte m’y conduisit, et me donna l’occasion de voir le bourg le plus propre, le plus coquet, le plus élégant qu’on puisse imaginer. Les maisons étaient confortablement construites, couvertes d’ardoises, percées de larges fenêtres et fort bien tenues. Quelle différence avec nos masures rustiques dont les murs baignent dans la boue, dont le faîte pourrit dans le chaume, et où l’air et la lumière ne pénètrent que par des trous avares ; sans parler des guenilles et des provisions rances qui pendent aux poutres noires du plafond, des cheminées qui fument sans chauffer, et des placards qui font office d’alcôves, avec leurs battants pour rideaux !

Ce jour-là, il y avait une certaine animation dans le village vénusien. On s’y occupait d’une élection ! Les angles de chaque rue étaient tapissés de professions de foi, autour desquelles se pressaient un grand nombre d’électeurs et d’électrices qui se rendaient ensuite à une assemblée préparatoire.

Ces proclamations, rédigées sans aucune emphase, faisaient connaître d’une façon explicite l’opinion du candidat sur les questions qui préoccupaient le plus vivement l’esprit public.

Ce n’étaient pas, comme dans notre pays, de ces vagues programmes de conduite politique, qui vont à tous les partis, et qui peuvent se résumer ainsi :

« ÉLECTEURS !

« Voulez-vous la nation heureuse et prospère ?

« L’Ordre uni à la Liberté ?

« Voulez-vous, propriétaires, l’agriculture encouragée, les campagnes dotées de chemins, de ponts, de canaux, etc. ?

« Voulez-vous, dignitaires, soldats, fonctionnaires, de notables augmentations dans vos traitements ?

« Voulez-vous tous, néanmoins, nos finances administrées avec une stricte économie, et de grandes diminutions dans nos dépenses ?

« Voulez-vous enfin, pour représenter vos intérêts, un homme qui vous affectionne de toute son âme et qui donnerait pour vous son sang et sa vie ?…

« NOMMEZ-MOI. »


Prenez toutes les professions de foi qui, dans la saison électorale, s’épanouissent par myriades — natos sine semine flores, — et vous verrez qu’il n’en est aucune qu’on ne puisse ramener à ce type. C’est comme un passe-partout banal où s’encadrent les candidatures les plus diverses.


— L’élection que l’on fait dans ce village, dis-je à Mélino, présente quelque analogie avec ce qu’on appelle, en certaines contrées de la terre, l’élection d’un conseiller général, ou provincial ; mais là, les femmes ne votent pas, et dans les campagnes, les affiches ne sont pas lues des électeurs.

— Quelle indifférence !

— Ce n’est pas indifférence, mais uniquement parce qu’ils ne savent pas lire. Les candidats suppléent à l’inconvénient qui en résulte par des visites personnelles, de pressantes obsessions, de magnifiques promesses, et surtout de vigoureuses poignées de mains — qui engagent beaucoup moins. Il y a encore la propagande œnophile qui est fort employée, et d’un effet plus sûr. Le vin est un précieux agent électoral : sa douce chaleur amollit l’âme et la dispose merveilleusement à recevoir l’empreinte de convictions nouvelles, elle dissipe les défiances, et provoque, par degrés, l’admiration et le dévouement de celui qui boit pour celui qui remplit son verre. Mais, comme chaque concurrent a aussi recours au pouvoir de cette spiritueuse éloquence, la lutte bachique prend des proportions colossales. Plusieurs jours avant le vote, les électeurs de chaque parti se réunissent ensemble et procèdent à des libations préparatoires. À mesure que les futailles se vident, l’enthousiasme électoral va s’exaltant, et devient du délire et de l’ivresse — la plus réelle. On vote alors, et le candidat le plus généreux reçoit le prix de ses largesses : la victoire est aux gros tonneaux.

— Et les élus sont fiers d’un tel triomphe ?

— Très-fiers et très-heureux, je vous assure. Les moyens s’oublient et le résultat est acquis.

— Vous voulez dire acheté. Mais aussi, que peut-on attendre d’électeurs qui ne savent pas lire ? Les paysans de votre planète sont donc bien ignorants !

— Pas partout. Il est une nation qui fait à cet égard une exception magnifique, car l’instruction y est puissamment encouragée, et chaque village s’y trouve pourvu d’un instituteur et d’une institutrice. Cette nation si exceptionnellement avancée dans la voie du progrès…

— C’est la France ?

— C’est la Chine. Il est très-rare d’y rencontrer un paysan ne sachant pas lire ; et certes, ce n’est pas un mince mérite en un pays où l’alphabet se compose de quarante mille caractères, alors que, dans les contrées civilisées, ou se disant telles, on trouve tant de gens qui ne savent pas épeler un seul mot, et qui n’auraient pourtant que vingt-quatre lettres à apprendre !

— Mais comment se fait-il que dans votre Europe l’instruction soit si négligée ? Vous avez pourtant d’énormes budgets qui vous permettraient de lui donner un développement extrême.

— Sans doute, mais il est grevé de non moins énormes dépenses pour l’armée. N’en faut-il pas une pour maintenir l’ordre à l’intérieur et porter la civilisation dans les contrées lointaines ?

— L’instruction y supplée largement chez nous. C’est l’ignorance et le fanatisme aveugle qui fomentent les séditions, et la force des armes n’a jamais converti un peuple soit à la civilisation, soit à la religion qu’on a voulu lui imposer. Quelques livres et quelques instituteurs eussent fait bien davantage.

Je goûtai volontiers ces réflexions de Mélino. Sans doute, autant qu’un autre, j’admire le fier courage d’une nation qui lutte contre le despotisme absolu de son souverain ou contre l’oppression que lui fait subir le chef d’un empire voisin, qui la possède par ce qu’on est convenu d’appeler droit de conquête. Mais dans ces tristes luttes, la victoire finit malheureusement par appartenir à la force matérielle, et la masse écrasante d’une milice brutale l’emporte hélas ! presque toujours, sur le dévouement de quelques cœurs héroïques. Il n’en est pas ainsi des révolutions produites par les idées : leur marche est plus lente, mais aussi plus assurée, et pure au moins de larmes et de sang. Vous vous rappelez Phébus et Borée, la charmante fable de La Fontaine. Phébus et Borée s’efforcent de dépouiller un voyageur de son manteau ; Borée commence à souffler avec frénésie :

 

Notre souffleur à gage
Se gorge de vapeurs, s’enfle comme un ballon,
Fait un vacarme de démon,
Siffle, souffle, tempête, et brise en son passage
Maint toit qui n’en peut mais, fait périr maint bateau…

Le Vent perdit son temps ;
Plus il se tourmentait, plus l’autre tenait ferme…
Sitôt qu’il fut au bout du terme
Qu’à la gageure on avait mis,
Le Soleil dissipe la nue,
Recrée, et puis pénètre enfin le cavalier,
Sous son balandras fait qu’il sue,
Le contraint de s’en dépouiller.
Encor n’usa-t-il pas de toute sa puissance !

 

Ainsi, l’insurrection est souvent impuissante à dépouiller un roi de son manteau de despote,

 

Plus elle se tourmente et plus l’autre tient ferme.


Mais que le soleil de l’instruction vienne à luire sur les masses, qu’il fasse germer en elles le sentiment de leur dignité, le souci de leur indépendance, la conscience de leurs droits, et alors cette unanimité de conviction, cette chaude et lumineuse atmosphère d’idées nouvelles, enveloppera et pénétrera si bien le pouvoir despotique, — sans toutefois peut-être le recréer beaucoup — qu’il le contraindra de se dépouiller des prérogatives tyranniques que le changement des temps ne comportera plus.


— Ici, continua Mélino, l’instruction des masses, surtout au point de vue moral, est la première de nos préoccupations. Au lieu de leur parler un langage mystique qu’elles ne comprennent pas, et que les citations latines dont il est émaillé sont loin de rendre plus intelligible, leurs prédicateurs s’efforcent de leur enseigner l’amour de Dieu, l’immortalité de l’âme, leurs devoirs de famille et de citoyen. Ce sont plutôt les entretiens affectueux d’un père que les sermons d’un prêtre ; il s’attache notamment à retenir les cultivateurs dans la modeste et douce existence de la campagne, et à leur faire comprendre tout ce que le séjour des champs offre de poésie à l’imagination, de calme à l’âme, de sève et d’énergie au corps ; il leur montre encore combien les travaux agricoles sont considérés, et combien le mot de paysan — au lieu d’être presque une injure — est justement vénéré.

« Avec l’histoire impartialement racontée, les instituteurs leur enseignent surtout l’art agricole et les notions chimiques et physiques qui s’y rattachent. Ces connaissances, tout en étant éminemment utiles à nos paysans, achèvent de leur faire aimer leur état qu’ils n’exercent plus suivant une aveugle routine.

« Autrefois, le recrutement militaire et les entreprises de travaux gigantesques auxquels se livraient toutes les villes avec une ardeur maladive, enlevaient aux campagnes un grand nombre de jeunes gens, et cela presque sans retour, car le séjour des cités avait pour fâcheux résultat de les désaffectionner du hameau natal et des travaux champêtres. Nous n’avons plus, grâce à Dieu ! ces deux causes si redoutables de dépopulation agricole.

Dans nos campagnes comme dans nos villes, l’association étend ses bienfaits sur le travail. Vos propriétés rurales sont tellement divisées que bien des cultivateurs n’ont pas de quoi exploiter la parcelle de terrain qui leur est échue en héritage. Ici, chaque village est le centre d’une exploitation commune, et chacun de ceux qui l’habitent en retire un bénéfice proportionnel à son apport et à son travail. Toutefois cette association est complètement volontaire et libre.

« Une communauté analogue existe aussi pour la préparation des repas, surtout en hiver, car alors, elle procure une très-notable économie de combustible. En été, c’est le soleil qui se charge de faire cuire nos aliments.

— J’ai peine à le croire, dis-je en souriant.

— Venez voir alors, répliqua Mélino.

Et il me conduisit dans un petit clos attenant à la maison d’un cultivateur. Je vis là quelques cloches, semblables à nos cloches à melons et superposées entre elles par groupes de quatre ou cinq. Ces appareils étaient de verre à leur paroi supérieure, et, sur les côtés, d’un métal intérieurement noirci.

— Voici, me dit mon compagnon, une cuisine d’été. Approchez et regardez au fond des cloches. Vous verrez un mets en train de cuire.

— Mais comment la chaleur du soleil peut-elle suffire à produire cet effet ?

— Rappelez-vous d’abord que notre soleil est deux fois plus chaud que le vôtre. Cependant je suis convaincu qu’avec nos appareils on obtiendrait, même sur la Terre, un résultat satisfaisant. Ils laissent en effet passer la chaleur lumineuse et la retiennent en empêchant le rayonnement. L’air s’échauffe ainsi par degrés, et atteint une température qui permet la cuisson des aliments. Ceux que j’ai le plaisir de vous offrir depuis que nous sommes installés à la campagne ne sont pas autrement préparés.


Un concours d’animaux se tenait près de là, et l’on s’y occupait, à ce moment, de comparer la vigueur de plusieurs chevaux.

— Quoique, dis-je à mon hôte, la force de traction soit la qualité la plus utile d’un cheval, on ne s’inquiète, sur notre continent, que de sa vélocité à la course et de sa légèreté acrobatique à sauter des haies et des fossés. Un certain nombre de chevaux appartenant à quelques membres de l’aristocratie, qui, — faute d’autre, — sont très-fiers de la gloire de leurs écuries, participent, huit ou dix fois par an, à ce jeu de casse-cou qu’anime l’appât d’une superbe prime, et qui ne manque jamais d’attirer un concours immense.

— On se passionne donc bien là-haut pour l’amélioration de la race chevaline ?

— Pas le moins du monde. Les neuf dixièmes des gens qui se rendent à ces fêtes n’y vont que pour contempler le défilé des équipages, pour engager des paris, ou pour être vus buvant du champagne avec ces filles de proie qu’on appelle des lorettes. Celles-ci également ne viennent pas plus par intérêt pour les courses qu’elles ne vont à l’Opéra pour écouter la musique. Là, comme partout, l’unique souci qui les domine, c’est d’exhiber leurs minois faits au pastel et l’éclatant papillotage de leurs toilettes chatoyantes et diversement nuancées comme leurs affections, car chacun de leurs atours est le prix d’une tendresse éternelle, jurée à un adorateur différent.

— Allons, dit en souriant mon compagnon, je vois que, sur votre globe, chaque époque a eu ses tournois et chaque tournoi ses prix spéciaux. Dans l’antiquité, une couronne de laurier était décernée au poëte vainqueur ; au moyen âge, des paladins combattaient pour recevoir de la noble dame de leurs pensées une couronne de roses ; aujourd’hui, ce sont les chevaux qui occupent l’arène, — devant d’autres dames beaucoup plus remarquables par la quantité que par la qualité, — pour gagner à leurs maîtres une grosse somme d’argent ; car vous n’estimez plus que les honneurs monnayés, les couronnes feuillées de billets de banque, et la gloire aux rayons d’or au lieu de la gloire aux rayons de lumière que vous recherchiez autrefois.

En parlant de la sorte, Mélino me conduisit à l’école du village, que nous visitâmes ainsi que la bibliothèque et le musée agricoles.


Puis, nous reprîmes le chemin du logis, vers le déclin du jour, — à l’heure douce et paisible où la campagne épuisée de chaleur semble se retremper avec délices dans l’ombre transparente du crépuscule.