Voltaire philosophe (Pellissier)/Religion

Armand Colin (p. 63-160).

CHAPITRE II

RELIGION

Voltaire, nous l’avons dit, reconnut toujours l’existence de Dieu soit comme certaine, soit au moins comme probable. Pourtant, sans parler de ceux qui le taxent d’athéisme[1], on s’accorde généralement à le taxer d’irréligion. C’est un point que nous devons tout d’abord examiner.

« Le choix d’une religion, déclare Voltaire dans la préface d’un de ses principaux ouvrages métaphysiques[2], est mon plus grand intérêt » (XLIII, 43) ; et voilà qui ne dénote pas sans doute un esprit irréligieux. Mais ce mot lui-même suffirait à montrer qu’il refuse d’accepter une religion toute faite, qu’il prétend se faire sa religion. « À qui soumettrai-je mon âme ? demande-t-il dans le même passage. Serai-je chrétien parce que je serai de Londres ou de Madrid ? Serai-je musulman parce que je serai né en Turquie ? Je ne dois penser que par moi-même et pour moi-même… Tu adores un Dieu par Mahomet ; et toi, par le grand Lama ; et toi, par le pape. Eh ! malheureux, adore un Dieu par ta propre raison[3]. »

Dire que Voltaire est irréligieux, c’est confondre la religion avec la superstition. Lui-même s’attache souvent à en faire la différence :

Je distinguai toujours de la religion
Les malheurs qu’apporte la superstition.
(Épître à l’auteur du livre des Trois imposteurs, XIII, 266.)


Il les distingue en combattant le catholicisme : « La superstition est à la religion ce que l’astrologie est à l’astronomie, la fille très folle d’une mère très sage » (Traité de la Tolérance, XLI, 357) ; « celle-là est l’objet de la sottise et de l’orgueil, celle-ci est dictée par la sagesse et par la raison » (Lettre à M. Bertrand, 8 janv. 1764)[4]. Il les distingue encore, dans les derniers temps de sa vie, lorsqu’il combat l’athéisme. « La religion, dites-vous, a produit des milliasses de forfaits. Dites : la superstition, qui règne sur notre triste globe ; elle est la plus cruelle ennemie de l’adoration pure qu’on doit à l’Être suprême » (Dict. phil., Dieu, XXVIII, 389)[5]. Les catholiques confondaient la superstition et la religion pour défendre l’une aussi bien que l’autre ; les athées, pour attaquer l’une et l’autre également. Voltaire les distingue pour attaquer la première et défendre la seconde.

Certes, il n’y a en lui rien d’un mystique. Pourtant sa religion ne procède pas de l’intelligence seule ; elle est bien une religion, et non pas une philosophie purement rationnelle.

Ne reconnaître qu’un Dieu créateur, ne considérer Dieu que comme un être infiniment puissant, et ne voir dans ses créatures que d’admirables machines, ce n’est pas, il le déclare lui-même, être vraiment religieux. Mais, continue-t-il, « celui qui pense que Dieu a daigné mettre un rapport entre lui et les hommes, qu’il les a faits libres, capables du bien et mal, et qu’il leur a donné à tous ce bon sens qui est l’instinct de l’homme et sur lequel est fondée la loi naturelle, celui-là sans doute a une religion » (Dict. phil., Théisme, XXXII, 349). À M. Contant d’Orville, qui lui avait envoyé le premier volume d’un recueil intitulé Pensées de Voltaire, il répond : « Je me suis retrouvé d’abord dans tout ce que j’ai dit de Dieu. Ces idées étaient parties de mon cœur si naturellement, que j’étais bien loin de soupçonner d’y avoir aucun mérite » (11 févr. 1766).

La croyance de Voltaire en Dieu n’est donc pas une simple adhésion de l’entendement ; elle part aussi du cœur. Dans l’article du Dictionnaire philosophique intitulé Amour de Dieu, il compare cet amour à celui que nous inspire l’auteur d’un beau poème, d’un chef-d’œuvre de l’art en musique ou en peinture ; et il explique par là nos « élans » vers l’Être suprême[6]. Dans Le Pour et le Contre, il dit :

Je veux aimer ce Dieu, je cherche en lui mon père ;


puis, le prenant à témoin :

Je ne suis pas chrétien, mais c’est pour t’aimer mieux.

(XII, 16, 19.)
Ce Dieu, dont le catholicisme fait un « tyran », il cherche en lui le père de ses créatures, et, s’il n’est pas chrétien, c’est pour l’aimer de ce véritable amour qui se traduit par la pratique de sa loi.

Niant, comme nous l’avons vu, la Providence partieculière, il ne saurait donc admettre qu’on prie. Dieu a ses desseins, qui sont éternels. Le prier, c’est lui demander ou quelque chose de conforme à sa volonté immuable ou quelque chose de contraire à cette volonté ; dans le premier cas, la prière est inutile ; dans le second, elle est absurde, elle est aussi blasphématoire. Mais, d’autre part, Dieu ne peut agir que justement. On n’a donc pas besoin de lui demander ce qui est juste, car il l’accomplira sans qu’on le lui demande ; et, en lui demandant ce qui est injuste, on outrage sa justice[7]. Prier l’Être suprême, c’est le rabaisser au rang d’un maître déraisonnable et inique. La véritable prière consiste dans la soumission[8].

La soumission pourtant ne suffit pas. Interrogé par un théologal sur la manière dont il adore Dieu : « Je me garde bien, répond le bon vieillard Dondindac, de lui rien demander » ; mais il a dit d’abord : « Je le remercie des biens dont je jouis et même des maux dans lesquels il m’éprouve » (Dict. phil., Dieu, XXVIII, 398). Tel est le culte particulier et intime que nous devons à l’Être suprême.

Du reste, Voltaire ne répudie point les cérémonies publiques. Seulement, ne pouvons-nous les rendre moins indignes de Dieu ? Il voudrait par exemple que, proscrivant du culte chrétien le « barbare galimatias » attribué à David, on louât la puissance et la bonté divine sur le mode d’Orphée, de Pindare, de Pope ; qu’on ne prononçât plus de ces sermons où la métaphysique la moins intelligible alterne avec la satire, et qu’on y substituât des exhortations morales[9]. Mais, s’il reproche aux catholiques ce que leurs cérémonies lui paraissent avoir de ridicule, d’absurde ou de malséant, il trouve bon que le peuple s’assemble parfois dans les temples pour remercier Dieu de ses dons, qu’un citoyen, nommé vieillard ou prêre, y récite de publiques actions de grâces[10].

Pourtant le meilleur culte que nous puissions rendre à l’Être suprême, c’est de pratiquer la vertu. On connaît les vers de Boileau dans sa satire sur l’Amour de Dieu :

Qui fait exactement ce que ma loi commande
A pour moi, dit ce Dieu, l’amour que je demande.

Voltaire les a souvent rappelés, et maintes pages de ses écrits sur la religion en sont une éloquente paraphrase. Le Dieu que lui ont démontré la métaphysique et la physique, il n’y voit pas seulement une vérité abstraite, ou même l’architecte de l’univers, il y voit l’auteur de la loi morale. Or, les philosophes qui pensent que Dieu a créé le monde sans donner une loi morale à l’homme, peuvent bien n’être point religieux ; mais ceux-là ont vraiment une religion, qui croient que nous tenons de Dieu la conscience du bien et du mal.

Ici, Voltaire a été accusé de se contredire. Il repousse les idées innées : comment donc admet-il que nous ayons reçu de Dieu cette conscience[11] ?

Avec Locke en effet, et par les mêmes arguments, Voltaire combat l’innéité. « Locke a démontré, s’il est permis de se servir de ce terme en morale et en métaphysique, que nous n’avons ni idées innées, ni principes innés… ; nous n’avons point d’autre conscience que celle qui nous est inspirée par le temps, par l’exemple, par notre tempérament, par nos réflexions » (Dict. phil., Conscience, XXVIII, 169)[12]. Mais qu’est-ce que l’idée du bien et du mal, comme l’entend Voltaire ? S’il n’y a selon lui aucune connaissance innée, par la même raison qu’il n’y a point d’arbres qui portent des feuilles et des fruits en sortant de la terre, Dieu nous fait naître avec des organes qui, dans le cours de leur croissance, nous fournissent peu à peu toutes les notions nécessaires à la vie humaine. Et Voltaire, qui convient avec Locke qu’aucune idée morale n’est innée dans notre âme, peut sans contradiction soutenir contre Locke que Dieu nous révèle sa loi[13].

Consistant dans une morale inspirée par l’Être suprême au cœur des hommes, la religion que prêche Voltaire est donc universelle. Les autres religions n’ont chacune qu’un certain nombre d’adeptes, et d’ailleurs elles se divisent, comme le christianisme, en sectes rivales. Or la vérité ne comporte point de sectes. Une secte est toujours « le ralliement du doute » (Dict. phil., Sectes, XXXII, 207). Vous faites profession de mahométisme : mais d’autres font profession de christianisme, et vous pouvez donc être dans l’erreur. Vous faites profession de christianisme : mais d’autres font profession de mahométisme ; et qui vous assure qu’ils ne sont pas dans le vrai ? La meilleure religion, la seule bonne, c’est celle qui unit tous les esprits ; elle a pour dogmes l’adoration de Dieu et le culte de la vertu.

Hostile à toutes les religions particulières, Voltaire combat principalement la religion dite catholique. Nous verrons plus loin quels griefs spéciaux il avait contre elle. Mais, quand même les superstitions et les abus du catholicisme ne lui eussent pas semblé plus haïssables et plus dangereux que ceux des autres religions, il devait en être touché plus sensiblement comme les voyant de plus près.

Dès le début, Voltaire s’y attaqua. Au collège, son professeur d’éloquence, le Père Lejay, lui prédit qu’il serait un jour « l’étendard des déistes »[14]. On divise sa carrière en deux parties ; et, dans la seconde, depuis qu’il s’est établi à Ferney, la lutte contre le catholicisme l’absorbe presque entièrement. Mais, dans la première elle-même, si d’autres objets le divertirent, il ne perdit jamais de vue cet objet essentiel. L’abbé de Voisenon, qui avait lu ses lettres à Mme du Châtelet, dit qu’elles renfermaient « plus d’épigrammes contre la religion que de madrigaux pour sa maîtresse ». Son Épître à Urani[15] commence par les vers suivants :

Tu veux donc, belle Uranie,
Qu’érigé par ton ordre en Lucrèce nouveau,
Devant toi, d’une main hardie,
Aux superstitions j’arrache le bandeau,
Que j’expose à tes yeux le dangereux tableau
Des mensonges sacrés dont la terre est remplie.

(XII, 15.)


Cette épître « érigeait » déjà Voltaire en héraut de la propagande anticatholique. Le lieutenant de police lui ayant dit un jour : « Vous avez beau faire, jeune homme, vous ne détruirez pas le catholicisme », il répondit : « C’est ce que nous verrons. »

Sans citer d’autres ouvrages de sa jeunesse, et même des tragédies, dans lesquels se marquent par maints traits le mépris et la haine de la religion catholique, rappelons au moins ses Remarques sur les Pensées de Pascal. Il y montre que la nature humaine ne présente point les contrariétés sur lesquelles s’appuie ce « misanthrope sublime » pour prouver le christianisme, et que, d’ailleurs, le mythe de Prométhée et de Pandore, la fable des androgynes ou la doctrine de Zoroastre en rendraient tout aussi bien compte. Il accuse Pascal d’exagérer à plaisir notre misère, d’expliquer une prétendue énigme par un mystère plus inconcevable encore et qui dément notre raison. Il proteste contre son étrange assertion, que l’obscurité même des dogmes en démontre la vérité. Il lui reproche enfin son fanatique amour de Dieu, qui l’empêche d’aimer les créatures. Ce qu’il a voulu combattre en s’attaquant tout d’abord à Pascal, c’est le plus éloquent apologiste de la foi chrétienne.

Luttant contre le catholicisme, Voltaire ne saurait être impartial. On peut notamment l’accuser d’avoir méconnu sur plusieurs points le rôle bienfaisant de l’Église. Par exemple, il n’apprécie pas avec équité les services que, durant les premiers siècles du moyen âge, elle rendit à la civilisation. Si l’Église sauva, de la culture antique, tout ce qui pouvait en être préservé, si elle garantit les institutions sur lesquelles repose l’ordre social, si elle donna l’exemple du travail soit intellectuel, soit même manuel, si elle fut enfin, pendant quatre ou cinq cents années, la gardienne de l’idéal, Voltaire sans doute ne le dit pas assez. Mais devons-nous, après tant d’autres, l’accuser d’avoir trop assombri le moyen âge par hostilité contre la religion catholique ? Le xviie siècle lui-même, si catholique de tempérament, n’y voyait qu’une époque de ténèbres et de barbarie.

On fait surtout un crime à Voltaire de vilipender les croisades. Ce furent, selon lui, des « folies guerrières » (Essai sur les Mœurs, XVI, 149), des « fureurs épidémiques » (Petites hardiesses de M. Clair, XLVII, 133). Les Européens n’en rapportèrent que la lèpre[16], et l’unique bien procuré par ces désastreuses expéditions consista dans la liberté de plusieurs communes, qui achetèrent leur charte d’affranchissement aux seigneurs ruinés[17]. De telles boutades, il faut l’avouer, sentent le parti pris. Mais lui reprochera-t-on de dire que, si l’Égypte suivait la religion du Prophète, ce n’était pas un motif suffisant pour la ravager[18], ou de faire honte à la cruauté des chrétiens, quand, après avoir pris Jérusalem, ils massacrèrent les infidèles sans distinction d’âge ni de sexe[19], et quand, devenus maîtres de Constantinople, ils se ruèrent au sac des églises en tuant tout sur leur passage[20] ? Aussi bien, quel est son jugement général sur les croisades ? Elles produisirent, déclare-t-il, de grandes et d’infâmes actions, de nouveaux établissements, de nouvelles misères, beaucoup de malheur, peu de gloire[21]. Ce jugement, à vrai dire paraît équitable ; et l’abbé Fleury les apprécia beaucoup plus sévèrement.

Dans ses ouvrages de polémique, Voltaire peut bien ne nous montrer le catholicisme que par ses mauvais côtés. Mais distinguons l’historien du polémiste. Historien, il s’efforce d’être juste. Sans citer ce qu’il dit de l’évêque Gozlin, de Léon IV, d’Alexandre III, ou même d’Alexandre VI, rappelons du moins qu’il rend un sincère hommage soit à certaines institutions ecclésiastiques, soit au clergé pris dans son ensemble. Et même, son aversion pour les moines ne l’empêche pas de les louer. « Il faut convenir, lisons-nous dans le Dictionnaire philosophique à l’article Biens d’église, qu’il y a eu toujours parmi eux des hommes éminents en science et en vertu, que, s’ils ont fait de grands maux, ils ont rendu de grands services » (XXVII, 369). Et, dans l’Essai sur les Mœurs : « Trop d’écrivains se sont fait un plaisir de rechercher les désordres et les vices dont furent souillés quelquefois ces asiles de la piété [les monastères]; il est certain que la vie séculière a toujours été plus vicieuse » (XVII, 325)[22]. Ce n’est pas là le langage de la polémique, mais celui de l’équité[23].

Pour combattre l’Église, Voltaire n’en employa pas moins tous les moyens que la critique pouvait lui fournir.

D’abord aux préjugés religieux qui faisaient de la Palestine le centre même de l’humanité, il oppose tout ce qu’avait découvert la science contemporaine sur les antiques peuples du Haut-Orient. On peut sans doute relever chez lui maintes inexactitudes ; certaines sont imputables à ses propres préjugés ou à une méthode qui n’est pas toujours assez scrupuleuse ; la plupart, aux savants et aux voyageurs dans les relations desquels il devait chercher des renseignements. Mais ses nombreuses erreurs ne l’empêchent pas d’avoir, le premier, réformé la fausse conception qu’on s’était faite jusque-là de l’histoire universelle. Derrière le petit peuple Juif, qui n’y joua par lui-même qu’un rôle très médiocre, il montre les Chinois, les Hindous, les Persans, un monde bien autrement vaste que celui de la Bible ; et, donnant place à ces peuples dans l’histoire, il corrige ainsi le plan conventionnel qui la subordonnait à la théologie catholique[24].

Ensuite, Voltaire applique à l’évolution du catholicisme une méthode purement rationnelle. « Nous examinerons cette histoire, déclare-t-il, comme nous ferions celle de Tite-Live ou d’Hérodote » (Dieu et les Hommes, XLVI, 143). Et encore : « Il n’y a qu’un fanatique ou qu’un sot fripon qui puisse dire qu’on ne doit jamais examiner l’histoire de Jésus par les lumières de la raison. Avec quoi jugera-t-on d’un livre, quel qu’il soit ? Est-ce par la folie ? Je me mets ici à la place d’un citoyen de l’ancienne Rome qui lirait les histoires de Jésus pour la première fois » (Ibid., id., 201). Traiter le catholicisme ainsi qu’un phénomène naturel, étudier l’histoire sacrée en y appliquant la même méthode qu’à l’histoire profane, c’était, aux yeux des catholiques, un crime contre la religion. Ne se rappelle-t-on pas comment le premier en date de nos exégètes, Richard Simon, avait été, vers la fin du xviie siècle, poursuivi par Bossuet, qui l’accusait d’altérer « les sens de Dieu » ? Ses livres furent supprimés, et lui-même, réduit finalement au silence, mourut de chagrin. Mais, tandis que Richard Simon, membre de l’Oratoire et croyant, n’avait aucun dessein hostile à l’Église, et même qu’il défendit la divinité des Écritures contre Spinoza, Voltaire se sert de l’exégèse comme d’une arme pour combattre le catholicisme ; et ce que sa polémique cherche dans l’histoire, soit dans l’histoire profane soit dans l’histoire sacrée, ce sont les faits dont elle peut tirer des arguments pour la propagande anticatholique.

Il s’attache par exemple à réhabiliter ceux des empereurs qui, durant les premiers siècles, persécutèrent le christianisme. Deux surtout, Dioclétien et Julien.

Que reprochent donc à Dioclétien les auteurs catholiques ? Il était fils d’un paysan ? Cette humble origine tourne à sa gloire. Il s’empara du trône par le meurtre ? Depuis longtemps, on ne connaissait plus guère d’autre investiture. Il maltraita les chrétiens ? Mais il ne les maltraita que vers la fin de son règne, pour défendre contre leur faction la sûreté de l’État ; pendant dix-huit années il les avait laissés libres, et, quelques jours après son avènement, il nommait un d’entre eux chef d’une compagnie dans la garde prétorienne. Aussi bien ce prétendu monstre restaura la grandeur de l’Empire, ramena les barbares dans l’obéissance, administra sagement, fit des lois équitables et humaines. Agé de soixante ans, il se démit du pouvoir, et trouva plus de plaisir à cultiver son jardin de Salone qu’il n’en avait trouvé à gouverner le monde. Ce fut un grand empereur, et ce fut aussi un philosophe[25].

Si la mémoire de Dioclétien a été abominablement calomniée par les écrivains catholiques, ils se montrèrent plus injurieux encore pour celle de Julien. Grégoire de Nazianze entre autres l’appelle un fou enragé, assure qu’il avait un commerce secret avec les démons, que, toutes les nuits, il immolait aux fausses divinités, notamment à la Lune, des jeunes gens et des jeunes filles, que, parmi ses meubles, on découvrit après sa mort un immense coffre rempli de têtes. Or, soit dans la vie privée, soit dans la vie publique, Julien ne le céda sur aucun point à Marc-Aurèle lui-même. Il fit observer les lois, rétablit la discipline des mœurs, soulagea ses peuples, favorisa les lettres et les arts, refusa le titre de dominus, épargna dix soldats chrétiens qui complotaient de l’assassiner, fut le modèle de toutes les vertus, réalisa le type du héros et celui du sage[26].

Voltaire, d’autre part et inversement, prend à tâche de rabaisser les principaux fauteurs du christianisme, ceux que, malgré leurs crimes, l’Église a glorifiés. Deux surtout, Constantin et Théodose.

Les écrivains ecclésiastiques, Eusèbe, Grégoire de Nazianze, Lactance, n’ont pas assez d’éloges pour Constantin. Qu’est-ce que nous en dit l’histoire ? Il étouffa sa femme, il fit pendre son beau-père, étrangler son beau-frère, égorger son neveu, décapiter son fils aîné. Il exposa aux bêtes, pour se divertir, les chefs des hordes barbares vaincues par ses généraux ; il porta jusque dans ses lois la férocité de son caractère ; il fut aussi perfide que cruel ; il allia la débauche à la scélératesse. Mais, protecteur du christianisme, l’Église lui devait sa canonisation[27].

Théodose ne vaut guère plus. Quand il devint empereur, il extermina les anticonsubstantiels, et leurs ennemis célébrèrent à l’envi sa justice et sa clémence. Veut-on savoir comment il les exerça ? Les habitants d’Antioche ne pouvant obtenir la diminution d’un très lourd impôt dont il avait frappé leur ville, brisèrent quelques statues, parmi lesquelles une de son père. Peu d’années auparavant, Julien ne s’était vengé des libelles faits contre lui dans cette ville même qu’en écrivant une satire ingénieuse ; Théodose, lui, se vengea de telle sorte que l’Oronte, durant plusieurs jours, charria des cadavres. À Thessalonique, où le pouvoir impérial avait été méconnu, il fit périr quinze mille hommes. Tel est le nombre indiqué par les écrivains dignes de foi. Ses apologistes en rabattent une moitié, mais lui pardonnent l’autre eu égard à la pénitence qu’il voulut bien subir. Car, admonesté par saint Ambroise, il s’abstint pendant quelque temps d’entrer dans aucune église. C’était marquer sa soumission au pouvoir ecclésiastique, qui sut l’en récompenser[28].

Voltaire traite aussi mal les grands héros de la Bible que les empereurs chrétiens. Attaquant dans le judaïsme une sorte de christianisme préalable, il montre la cruauté de la nation juive, sa haine contre les autres peuples, son avarice, ses turpitudes, les superstitions dont elle a rempli le monde. Et, choisissant entre les héros bibliques ceux que l’Église honore par-dessus tous, il prend à tâche de dénoncer leurs vices ou leurs crimes.

Le plus illustre est David, dans la lignée duquel naquit Jésus. La Bible en main, Voltaire nous raconte son histoire. David ramasse d’abord six cents vagabonds, et, à leur tête, pille ou tue ses compatriotes ; il ravit le trône à Isboseth par traîtrise, il dépouille et massacre Méphiboseth, petit-fils de Saül, il livre aux Gabaonites cinq autres petits-enfants et deux enfants du même prince, il assassine Urie pour lui enlever Bethsabée, il fait périr par un supplice horrible les enfants de sa première femme ; enfin, « cet homme selon le cœur de Dieu » ne prend jamais une ville sans passer au fil de l’épée tous les habitants[29]. Tel est l’ancêtre de Jésus-Christ ; un monstre de perfidie et de férocité.

Les arguments de ce genre ne touchent pas au christianisme en lui-même. Parmi ceux que Voltaire allègue directement contre la religion chrétienne, un des principaux consiste à montrer que les autres religions la valent bien, entre autres le polythéisme et l’islamisme.

On taxe les Grecs d’idolâtres : mais si la populace, chez eux, adorait les statues, n’en est-il pas de même chez nous ? et, quant aux honnêtes gens, ils adoraient la divinité, non l’image[30]. On allègue leurs trente mille dieux : mais ils reconnaissaient un Dieu suprême ; et, du reste, les Génies inférieurs qu’ils admettaient au gouvernement du monde ont beaucoup de ressemblance avec nos anges[31]. Leurs fables absurdes, contradictoires, immorales : mais distinguons ces fables de leur religion ; elles étaient dans le polythéisme ce que sont dans le christianisme la Légende dorée et la Fleur des Saints[32]. Leurs oracles et leurs prodiges : mais oublions-nous donc Notre-Dame de Lorette, Saint-Antoine de Padoue, Saint-Jacques de Compostelle[33] ? On leur reproche enfin de n’avoir point de morale ; Lebeau, par exemple, dans sa docte Histoire du Bas-Empire, l’affirme en termes décisifs. « Les chrétiens, dit-il, avaient une morale, les païens n’en avaient point. » Mais comment peut-on avancer une pareille sottise ? et ceux qui l’avancent n’ont-ils donc jamais lu les philosophes grecs[34] ? On veut du moins que certaines vertus soient exclusivement chrétiennes, et surtout l’humilité. Voltaire atteste Platon, il rappelle Épictète, qui la prêche en vingt passages, Marc-Aurèle, qui la pratique sur le trône, qui égale Alexandre à son muletier[35]. En réalité le christianisme s’assimila la morale des païens, et les modifications qu’il y introduisit s’expliquent par les circonstances où se trouvait le monde aux premiers siècles de l’ère chrétienne. Dira-t-on que la philosophie grecque n’est pas une religion ? Si elle reconnaît un Dieu, un Dieu maître et père des hommes, on ne peut lui refuser ce nom qu’en le réservant au merveilleux, au surnaturel, à toutes les aberrations qui pervertissent et corrompent le christianisme.

Après les païens, voici les islamites. En racontant la prise de Constantinople par les Turcs, Ducas écrit la phrase suivante : « Le sultan envoya [à ses soldats] ordre d’allumer partout des feux, ce qui fut fait avec ce cri impie qui est le signe particulier de leur superstition détestable, » Allah, le nom même de Dieu, tel est le cri par lequel Ducas symbolise la « superstition » musulmane. Mais, des Turcs et des chrétiens, lesquels étaient plus superstitieux ? Ceux-ci se réfugièrent en grand nombre dans l’église Sainte-Sophie, sur la foi d’une prédiction qui les assurait qu’un ange descendrait à leur secours ; l’ange ne se montra point, et ils furent tous massacrés ou réduits en esclavage[36]. Du reste, les écrivains catholiques n’ont pas moins calomnié la morale musulmane que celle des païens. Mme du Châtelet, à ce que Voltaire rapporte, en lut, sur sa recommandation, un précis fort exact, et, surprise de la trouver si austère, s’indigna de la mauvaise foi avec laquelle nos historiens la défiguraient. Le mahométisme, dont ces historiens dénoncent la prétendue sensualité, n’interdit pas seulement le vin et les liqueurs, mais exige les jeûnes les plus rigoureux, et borne à quatre le nombre des femmes, que ne limitait point la loi judaïque[37]. Faut-il, du moment où l’on est chrétien, qu’on tâche à discréditer tous les autres cultes par des mensonges ?

Pour prouver la divinité du christianisme, on atteste la promptitude avec laquelle il se répandit. À vrai dire, aucune religion ne fit, sitôt née, autant de progrès que la musulmane. Et d’ailleurs, cette prompte diffusion de la religion chrétienne s’explique aisément, selon Voltaire, par des causes naturelles : les vertus de Jésus-Christ, ses souffrances elles-mêmes et sa mort ; les aspirations de l’humanité contemporaine vers le merveilleux, si puissant alors sur les âmes, qu’on ne vit jamais tant de thaumaturges ; enfin l’annonce d’un prochain royaume des cieux pour les déshérités de la terre[38].

Aussi bien la religion chrétienne emprunta ses dogmes et ses rites à la Grèce, à l’Égypte, voire à l’Inde ; et ce ne fut pas là une des moindres causes de son succès[39]. Toute sa théologie, elle la reçut en réalité des platoniciens. « Le platonisme fut cette force étrangère qui, appliquée à la secte naissante, lui donna de la consistance et de l’activité… C’est dans Alexandrie, devenue le centre des sciences, que les chrétiens devinrent des théologiens raisonneurs ; et c’est ce qui releva la bassesse qu’on reprochait à leur origine… C’est là que commence réellement cette religion. C’est là que le Verbe fut connu des chrétiens, c’est là que Jésus fut appelé le Verbe. Toute la vie de Jésus-Christ devint une allégorie », etc. (Dieu et les Hommes, XLVI, 241, 242, 246 sqq,). Ayant pour mère la religion juive, le christianisme a pour père le platonisme[40]. Si par là s’explique en grande partie sa rapide propagation, tout ce que lui fournirent les religions et les philosophies antérieures suffirait du reste pour démentir la prétendue divinité de son origine.

Ailleurs, Voltaire s’applique à relever les invraisemblances des saintes Écritures.

Dans l’Ancien Testament, c’est la femme tirée d’une côte de l’homme, le serpent qui parle, l’arbre de la science, l’Océan qui, pendant le déluge, dépasse de quinze coudées le sommet des plus hautes montagnes sans laisser pourtant son lit à sec, l’arche qui contient toutes les bêtes de l’univers avec leur nourriture ; c’est la cavalerie envoyée par le pharaon à la poursuite des Hébreux quand la sixième et la septième plaie d’Égypte n’avaient laissé vivant aucun animal, c’est Josué qui arrête le soleil, Jonas qui reste trois jours dans le ventre d’une baleine, etc.[41]. Comment de telles fables trouvent-elles encore créance ? Et se peut-il que des hommes sensés admettent l’inspiration divine d’un livre qui semble avoir pris à tâche de défier le sens commun ?

Quant aux Évangiles, Voltaire en fait voir surtout les divergences. Par exemple, Mathieu dit que, le roi Hérode ayant ordonné de massacrer tous les enfants nouvellement nés à Bethléem, Joseph et Marie, avertis par un ange, s’enfuirent en Égypte ; Luc ne parle pas de ce massacre, et laisse Joseph et Marie à Bethléem pendant six semaines. Selon Mathieu, Luc et Marc, Jésus, après son baptême, fut transporté par l’Esprit dans un désert où il jeûna quarante jours et quarante nuits ; selon Jean, il partit aussitôt pour la Galilée. De même, Mathieu, Luc et Marc disent que les saintes femmes regardèrent de loin le crucifiement ; mais Jean rapporte qu’elles étaient debout au pied de la croix. Les évangélistes ne s’accordent ni sur le nombre de fois qu’apparut le Christ ressuscité, ni sur les lieux où il apparut, ni sur son ascension, ni même sur sa généalogie. Dès les origines, l’histoire du christianisme fut un tissu de contradictions[42].

Au surplus Voltaire montre directement l’inauthenticité des Écritures, celle de l’Ancien Testament en expliquant par exemple comme quoi Moïse ne peut avoir écrit le Pentateuque, celle du Nouveau Testament en faisant voir que les quatre Évangiles ont été fabriqués longtemps après Jésus-Christ. Il signale, dans l’un et dans l’autre, les nombreuses altérations et falsifications qu’ont reconnues d’ailleurs, à commencer par saint Jérôme, beaucoup d’éminents chrétiens. Il rappelle les dissentiments de maintes sectes sur certains livres sacrés : les pharisiens rejetaient tous les prophètes et ne recevaient que le Pentateuque ; parmi les chrétiens, Marcion et ses sectateurs rejetaient le Pentateuque comme les prophètes et introduisaient d’autres livres à leur mode ; les allogiens excluaient l’évangile de saint Jean et l’Apocalypse ; les ébionites admettaient un seul évangile, celui de Mathieu ; enfin les hérétiques modernes répudient plusieurs livres que tient pour authentiques l’Église romaine[43].

Mais où sont, en cette matière, les éléments de certitude ? Ceux qui affirment l’authenticité de tels ou tels livres niée par d’autres, comment pourraient-ils l’établir ? Les Évangiles apocryphes sont presque les seuls que citent les Pères des deux premiers siècles. Et sait-on pour quels motifs l’Église choisit quatre Évangiles, ni plus ni moins ? L’Église fixa le nombre des Évangiles à quatre d’après un rapport de saint Irénée, alléguant les quatre vents cardinaux et les quatre formes des chérubins sur lesquels Dieu est assis. À ces motifs, Théodore d’Antioche, saint Cyprien, saint Jérôme en ajoutent, il est vrai, de non moins bons : le premier, c’est que Lazare resta mort pendant quatre jours ; le second, c’est qu’il y avait quatre fleuves dans le paradis terrestre ; le troisième enfin, c’est qu’on portait l’arche sainte avec des bâtons passant par quatre anneaux. Et voici quelque chose de mieux. Au concile de Nicée, les Pères, fort en peine d’opérer le triage, placèrent sans distinction sur l’autel tous les livres contestés, en priant le Seigneur de faire tomber ceux qui n’avaient pas reçu l’inspiration divine : et telle est, paraît-il, la grâce que le Seigneur leur accorda[44].

Dénonçant les contradictions et les extravagances dont abonde l’histoire du christianisme « depuis Luc et Mathieu, ou plutôt depuis Moïse » Voltaire écrit à Helvétius : « Ce serait, une chose bien curieuse que de mettre sous les yeux ce scandale de l’esprit humain. Il n’y a qu’à lire et transcrire, c’est un ouvrage très agréable à faire ; on doit rire à chaque ligne » (Lettre du 4 oct. 1763). L’ouvrage dont parle Voltaire, lui-même le fit en plusieurs volumes et sous des titres divers ; et, le faisant, il ne négligea point les occasions de rire.

Le rire, d’abord, est un « palliatif contre les misères, les sottises atroces dont on est quelquefois environné » (Lettre à M. Gaillard, 2 mars 1769). Ensuite et surtout aucune arme ne vaut celle-là dans un pays tel que la France. « On n’a cause gagnée avec notre nation qu’à l’aide du plaisant et du ridicule » (Lettre à Helvétius, 15 sept. 1763). « Nous autres Français, nous sommes gais, les Suisses sont plus graves. Comptez que rien n’est plus efficace pour écraser la superstition que le ridicule dont on la couvre » (Lettre à M. Bertrand, pasteur à Berne, 8 janv. 1764)[45]. Aussi bien, comment prendre au sérieux les absurdités de l’exégèse et de la théologie catholiques ? Quand le fanatisme étale seulement sa sottise, les honnêtes gens peuvent se contenter d’en rire[46].

Cependant, s’il y a temps pour la raillerie, il y a a temps aussi pour la colère et l’indignation. « Selon que les objets se présentent à moi, dit Voltaire, je suis Héraclite ou Démocrite ; tantôt je ris, tantôt les cheveux me dressent à la tête ; et cela est très à sa place, car on a affaire tantôt à des tigres, tantôt à des singes » (Lettre à Mme du Deffand, mars 1769 ; LXV, 385)[47].

En maintes occasions, c’est lui qui reproche à ses amis de rire, qui leur en fait honte. D’Alembert par exemple lui avait écrit, après le supplice de La Barre, une lettre dont voici la dernière ligne : « Pour moi, je rirai comme je fais de tout, et je tâcherai que rien ne trouble mon repos et mon bonheur ». Mais Voltaire répond : « Ce n’est plus le temps de plaisanter ; les bons mots ne conviennent point aux massacres » (18 juill. 1766) ; et, quelques jours après : « Non, encore une fois, je ne puis souffrir que vous finissiez votre lettre en disant : Je rirai. Ah ! mon cher ami, est-ce là le temps de rire ? Riait-on en voyant chauffer le taureau de Phalaris ? Je vous embrasse avec rage » (23 juillet).

Les ennemis de Voltaire ont souvent cité le mot suivant d’une de ses lettres : « Je suis fâché qu’on ait cuit ce pauvre Napolitain [Vanini], mais je brûlerais volontiers ses ennuyeux ouvrages » (À l’abbé d’Olivet, 6 janv. 1736). Que veulent-ils prouver par là ? Et prétendraient-ils nous faire accroire, en citant une boutade parmi soixante-dix volumes, que Voltaire ne haïssait pas le fanatisme ou n’en plaignait pas les victimes ? « Sirven, Calas, Martin, le chevalier de La Barre, écrit-il, se présentent quelquefois à moi dans mes rêves. J’ai toujours la fièvre le 24 du mois d’auguste,… je tombe en défaillance le 14 de mai, où l’esprit de la Ligue catholique… assassina Henri IV par les mains d’un révérend Père feuillant » (Lettre à d’Argental, 30 août 1769)[48]. Si Voltaire ne se fait pas faute de rire toutes les fois qu’il y en a lieu, combien de pages, dans son œuvre, expriment sa pitié ou son indignation ! Ce n’est pas l’ironie hautaine et contenue de Montesquieu, ce n’est pas non plus l’âpre rhétorique de Jean-Jacques Rousseau : c’est une éloquence sans apprêt, qui jaillit spontanément de son cœur[49].

Il était encore très dangereux au xviiie siècle de combattre le catholicisme. En 1757 parut une déclaration royale contre la licence des écrivains ; cette déclaration, enregistrée le 21 avril par la Grand’Chambre, portait que « les personnes convaincues d’avoir composé, fait composer et imprimer des écrits tendant à attaquer la religion » seraient punies de la peine capitale. Et sans doute elle ne fut pas appliquée dans sa rigueur. Mais, durant tout le xviiie siècle, si l’on ne brûla ni ne roua les écrivains hostiles à l’Église, on les incarcérait, on les exilait, on interdisait ou supprimait leurs livres.

Faut-il donner, par quelques exemples, une idée de ce qu’était le régime de la presse [50]? Bornons-nous à rappeler de quelle façon furent traités les ouvrages de Voltaire, non seulement ceux où il attaque le catholicisme, mais ceux-là mêmes où il se borne à exprimer, sans rien d’agressif, ses idées philosophiques.

La Sorbonne dénonca la Henriade et lui en fit refuser le privilège. « J’ai, déclare-t-il, trop recommandé… l’esprit de paix et de tolérance ; j’ai trop dit de vérités à la cour de Rome, j’ai répandu trop peu de fiel contre les réformés, pour espérer qu’on me permette d’imprimer dans ma patrie ce poème composé à la louange du plus grand roi que ma patrie ait jamais eu » (Lettre à M. Cambiague, 1724, édit. Moland, XXXIII, 107). Les Lettres philosophiques et la Voix du Sage et du Peuple furent supprimés. De même les deux premiers chapitres du Siècle de Louis XIV[51]. « J’élevais un monument à la gloire de mon pays, s’écrie Voltaire, et je suis écrasé sous les premières pierres que j’ai posées » (Lettre à d’Argenson, 8 janv. 1740). L’ouvrage ne put paraître qu’à Berlin, comme si, pour raconter l’histoire de France, il fallait être hors de France[52]. La Loi naturelle fut condamnée aux flammes par le Parlement[53]. Le Précis de l’Ecclésiaste et le Cantique des Cantiques furent lacérés et brûlés. Un exemplaire du Dictionnaire philosophique fut jeté au feu avec le corps du chevalier de La Barre. En 1769, l’Histoire du Parlement, vendue sous le manteau par des colporteurs, coûtait jusqu’à trois louis.

On sait au surplus combien de fois Voltaire dut changer de résidence, se cacher, s’enfuir. Même à Ferney, sa sécurité est précaire. Ayant appris qu’on le soupçonnait d’être l’auteur de Saül, paru comme une traduction de l’anglais, il écrivait à Damilaville, le 21 juillet 1764 : « Je me trouve dans des circonstances épineuses où ces odieuses imputations peuvent me faire un tort irréparable et empoisonner le reste de ma vie. » Le 21 septembre de la même année, il écrit à Mme du Deffand : « Je serais homme à souhaiter de n’être pas né, si on m’accuse d’avoir fait le Dictionnaire philosophique, car… les hommes sont si sots, si méchants, les dévots sont si fanatiques, que je serais sûrement persécuté. » Deux ans après, l’affaire La Barre lui cause de vives inquiétudes : dans une séance du Parlement, le conseiller Pasquier a déclaré que les jeunes gens d’Abbeville se sont pervertis en lisant ses livres. Il craint qu’on ne le poursuive jusqu’au fond de son désert, qu’un décret ne l’oblige de quitter Ferney ; et déjà il s’enquiert d’un asile plus sûr au pays de Clèves[54]. Le 5 février 1768, lorsque vient de paraître le Dîner du comte de Boulainvilliers, il écrit à M. Saurin : « Vous sentez… combien il serait affreux qu’on m’imputât cette brochure… Mon âge, ma santé très dérangée, mes affaires qui le sont aussi, ne me permettent pas de chercher une autre retraite contre la calomnie… Les morts se moquent de la calomnie, mais les vivants peuvent en mourir[55]. » Quelques mois plus tard, le 13 juillet, il écrit à Mme du Deffand : « Les dents et les griffes de la persécution se sont allongées jusque dans ma retraite ; on a voulu empoisonner mes derniers jours. »

Dirons-nous que les appréhensions de Voltaire étaient excessives ? Certains de ses amis, entre autres d’Alembert et Diderot, le trouvent trop prompt à s’alarmer. Mais d’Alembert ne lui en recommande pas moins d’être circonspect ; et, dans une lettre à Mlle Volland, Diderot exprime la crainte que « nos seigneurs » ne laissent jamais le « patriarche » en repos, que, malgré ses protections, malgré ses talents et sa gloire, ils ne « lui jouent quelque mauvais tour » (Lettre du 8 août 1768).

Or Voltaire, qui veut bien être confesseur, ne veut pas être martyr[56]. Aussi prend-il toutes les précautions possibles. « Les philosophes doivent rendre la vérité publique et cacher leur personne » (Lettre à Damilaville, 19 sept. 1764). Il regrette qu’Helvétius « ait eu le malheur d’avouer un livre[57] qui l’empêchera d’en faire d’utiles » (Au même, 10 oct. 1762). Il écrit à d’Alembert : « Frappez et cachez votre main. On vous reconnaîtra, je veux bien croire qu’on en ait l’esprit, qu’on ait le nez assez bon ; mais on ne pourra vous convaincre » (7 mai 1761). Et encore : « On m’a dit que vous travaillez à un grand ouvrage ; si vous y mettez votre nom, vous n’oserez pas dire la vérité » (8 mai 1764). Lui-même publie une foule de brochures soit anonymes, soit pseudonymes. Très souvent, il se plaint que « les frères » le signalent comme l’auteur de tel ou tel écrit où sont attaqués le fanatisme et la superstition. Peu importe « de quelle main la vérité vienne, pourvu qu’elle vienne. C’est lui, dit-on, c’est son style, c’est sa manière ; ne le reconnaissez-vous pas ? Ah ! mes frères, quels discours funestes ! Vous devriez au contraire crier dans les carrefours : Ce n’est pas lui ! » (Lettre à d’Alembert, 1er mai 1768)[58].

On veut faire un crime à Voltaire de son « anonymat perpétuel » et de son « pseudonymat obstiné »[59]. Sans doute il se fût montré plus courageux en avouant ses œuvres. Mais on l’aurait réduit au silence, et la vérité ne serait point venue[60].

D’autre part, Voltaire conseille à ses amis de mener prudemment la campagne philosophique, de ne pas donner d’armes contre eux. S’il blâme parfois des articles trop timides que Diderot et d’Alembert écrivent eux-mêmes ou admettent dans l’Encyclopédie, il en signale d’autres comme trop audacieux. Pour son compte, il use de ménagements. Il ne dit pas toujours sa véritable pensée ; il recourt très souvent à cette ironie qui est, comme l’appelaient les Latins, une dissimulation[61] ; il se déclare meilleur chrétien que ses adversaires[62].

Et même il ne se borne pas à protester verbalement ou par écrit de son orthodoxie catholique, apostolique et romaine. Dans la seconde moitié de sa vie, il croit nécessaire de pratiquer le culte. À Colmar, en avril 1754, comme des espions avaient été apostés pour s’enquérir s’il ferait ses pâques, des amis l’avertirent en le pressant de les faire ; et il suivit ce conseil[63]. Pendant son séjour à Ferney, il accomplit tous les devoirs extérieurs de la religion. « Je vous quitte, écrit-il au marquis Albergati, pour aller à la messe de minuit avec ma famille et la petite-fille du grand Corneille. Je suis fâché d’avoir chez moi quelques Suisses qui n’y vont pas ; je travaille à les ramener au giron » (23 déc. 1760). La comtesse d’Argental lui ayant recommandé la prudence : « Je vais à la messe de ma paroisse, lui répond-il, j’édifie mon peuple, je bâtis une église, j’y communie et je m’y ferai enterrer, mort-Dieu, malgré les hypocrites. Je crois en Jésus-Christ consubstantiel à Dieu, en la vierge Marie mère de Dieu. Lâches persécuteurs, qu’avez-vous à me dire ? » (14 janv. 1761)[64]. On connaît ses querelles avec Biord, l’évêque d’Annecy ; rappelons seulement qu’en 1769, craignant d’être persécuté, il força le curé de Ferney à lui donner la communion.

Ses amis lui faisaient honte, d’Alembert entre autres et d’Argental. Il se défendit de son mieux.

Et certes il se défend mal en alléguant qu’on doit hurler avec les loups, que, s’il n’a aucune prétention, il ne saurait donc être taxé d’hypocrite[65], que la meilleure façon de marquer son mépris pour de telles facéties consiste à les jouer[66]. Citerons-nous l’exemple de Montesquieu et celui de Buffon ; qui se conformèrent eux aussi à la religion de leur pays et de leur roi ? Ni l’un ni l’autre, tout incroyants qu’ils fussent, n’avaient, comme Voltaire, déclaré la guerre au catholicisme.

Mais ses attaques mêmes contre le catholicisme l’obligeaient de prendre ses précautions. Il a comme excuse la crainte des périls qui le menaçaient.

Sur son lit de mort, il se confessa, en disant : « Je ne veux pas qu’on jette mon corps à la voirie. » Pendant ses démêlés avec l’évêque Biord : « Pour n’être point brûlé, je fais, écrivait-il à d’Alembert, provision d’eau bénite » (24 mai 1769). Brûlé ? non sans doute. Mais il aurait été réduit à quitter Ferney ; or, que pouvait-il, sauf le bûcher, craindre de pire[67] ?

Remarquons du reste que ce qu’il achetait ainsi, ce n’était pas une paix égoïste. Rien ne l’empéchait de vivre tranquille en se taisant. D’autres s’étaient tus jadis, à commencer par Descartes ; et d’Alembert lui-même gardait maintenant le silence. Mais il voulait continuer sans relâche la lutte contre le fanatisme. À ceux qui l’accusent de manquer de courage, on pourrait répondre par ce mot d’une de ses lettres : « Nous sommes bien heureux, mes anges, d’avoir des philosophes qui n’ont pas la prudente lâcheté de Fontenelle » (À d’Argental, 22 juin 1766).

Non seulement Voltaire ne se tut pas dans les dernières années de sa vie, mais il fut plus actif que jamais.

Pourquoi ce redoublement de zèle ? On prétend que le succès du Vicaire savoyard, publié en 1762, l’avait rendu jaloux de Rousseau. Selon Condorcet, le Sermon des Cinquante serait le premier ouvrage où Voltaire attaqua de front la religion chrétienne, et il ne l’aurait écrit que pour surpasser Rousseau en hardiesse « comme il le surpassait en génie[68] ». Cette assertion, sur laquelle veulent s’appuyer des critiques modernes[69], ne supporte pas l’examen. D’abord, Voltaire avait déjà fait paraître avant 1762 beaucoup d’ouvrages tout aussi hardis que le Sermon des Cinquante[70] ; ensuite, le Sermon des Cinquante précéda le Vicaire savoyard, et, peut-être, de douze ou quinze ans[71].

Ce qui n’en reste pas moins, c’est que, depuis son établissement à Ferney, il mena la campagne anticatholique avec une nouvelle ardeur et y consacra désormais presque tous ses efforts. De plus en plus il n’écrit que pour agir, et de plus en plus son action est dirigée contre l’Église. Il néglige tout ce qui est purement littéraire ; il se refuse jusqu’au plaisir de rimer des badinages. « Ce n’est pas la peine, dit-il ; le temps est trop cher[72]. » Suivant l’expression d’Helvétius, Voltaire a passé le Rubicon, et le voilà devant Rome[73].

Si l’on veut se faire une idée de la place que tient dans son œuvre, à cette époque, la polémique anticléricale, il suffit de lire le Dictionnaire philosophique. Dans le premier volume par exemple, une vingtaine d’articles sur soixante prennent à partie le catholicisme : Abbaye, Abbé, Abraham, Adam, Adorer, Agar, Ame, Amour de Dieu, Ange, Annates, Antitrinitaires, Apocryphes, Apostat, Apôtre, Ararat, maints autres encore. Et ce sont presque toujours les plus étendus. Sur Abraham, vingt pages ; sur Adam, dix ; sur Âme, vingt ; sur Apocryphes et sur Apôtre, quinze. Aussi bien plusieurs articles, dont le titre n’annonce rien d’anticatholique, se rattachent pourtant, soit en partie, soit tout entiers, à la propagande contre l’Église. Dans Abus, il ne parle que de « l’appel comme d’abus ». Dans Adultère, il plaide en faveur du divorce. Dans Anthropophages, il consacre deux ou trois pages à soutenir que les Hébreux mangeaient de la chair humaine. Dans Arabes, il montre que Job n’était pas Juif et que le Livre de Job est antérieur à tous les livres judaïques. Enfin, voici le commencement de l’article Aranda (comte d’) : « Quoique les noms propres ne soient pas l’objet de nos questions encyclopédiques, notre société littéraire a cru devoir faire une exception en faveur du comte d’Aranda, qui a commencé à couper les têtes de l’hydre de l’inquisition[74]. »

C’est aussi dans les vingt dernières années de sa vie que Voltaire publie le plus grand nombre de ses brochures anticléricales. Les gros livres ne sont pas de saison. Mieux valent des pamphlets, qui se répandent partout, que tout le monde veut lire et peut comprendre. « Il paraît convenable, écrit-il à Helvétius, de n’écrire que des choses simples, courtes, intelligibles aux esprits les plus grossiers. Que le vrai seul et non l’envie de briller caractérise ces ouvrages » (2 juill. 1763). Et, dans une autre lettre au même, signée Jean Patourel, ci-devant jésuite, après avoir gémi sur les progrès de l’incrédulité : « On oppose, dit-il, au Pédagogue chrétien et au Pensez-y bien, livres qui faisaient autrefois tant de conversions, de petits livres philosophiques qu’on a soin de répandre partout adroitement. Ces petits livres se succèdent rapidement les uns aux autres. On ne les vend point, on les donne à des personnes affidées qui les distribuent à des jeunes gens et à des femmes. Tantôt c’est le Sermon des Cinquante, qu’on attribue au roi de Prusse, tantôt c’est un Extrait du Testament de ce malheureux curé Jean Meslier,… tantôt c’est je ne sais quel Catéchisme de l’Honnête homme » (25 août 1763). Voilà le moyen le plus efficace de combattre l’Église ; et Voltaire ne le dénonce sous le nom de Jean Patourel que parce qu’il se félicite d’en user pour son propre compte avec succès.

Si beaucoup de ses ouvrages proprement littéraires avaient eu de tout temps un tour philosophique, le philosophe chez lui prévaut de plus en plus. Voltaire ne conçut jamais l’histoire en pur « littérateur » ; mais, sans parler de Charles XII, il y a une grande différence entre l’Essai sur les Mœurs et le Siècle de Louis XIV. Quant à ses pièces de théâtre, presque toutes sont maintenant des œuvres de combat : Socrate, où il représente la magistrature et le sacerdoce alliés contre la philosophie ; Saül, où il s’amuse à bafouer le roi et prophète David ; Olympie, où, comme nous l’avons vu[75], il prétend montrer que la religion chrétienne a tout pris des païens et que le peuple de Dieu fut un peuple abominable[76] ; les Guèbres, où il dénonce l’ambition des prêtres ; les Lois de Minos, où il flétrit les sacrifices humains, non pas seulement ceux de l’antiquité, mais aussi ceux des temps modernes et de son siècle même ; car de quel autre nom appeler les auto-da-fé, la Saint-Barthélemy, le supplice de La Barre ?

Sa polémique aussi prend un accent plus vif. C’est à partir de 1760 qu’il adopte pour devise le mot fameux : Écraser l’infâmie[77]. Il écrit, le 11 janvier 1764, à son ami Thiériot : « Je deviens Minos dans ma vieillesse, je punis les méchants[78] ». À Damilaville, le 9 mai 1763 : « Plus je vieillis et plus je deviens implacable envers l’infâme », et le 27 février 1765 : « Je deviens bien faible, mais mon zèle devient tous les jours plus fort. » À d’Alembert, Le 13 novembre 1772 : « Je deviens plus insolent à mesure que j’avance en âge. »

Jamais le ton de sa correspondance avec « les frères » ne fut si vif et si passionné. Lettre à Helvétius, du 2 janvier 1761 : « Il faut hardiment chasser aux bêtes puantes. » Lettre à d’Argental, du 3 octobre de la même année : « Ah ! barbares, ah ! chiens de chrétiens,… que je vous déteste ! » Lettre à d’Alembert, de février 1762 : « Si j’ai lu la belle jurisprudence de l’inquisition[79] ! Eh ! oui, mordieu, je l’ai lue, et elle a fait sur moi la même impression que fit le corps sanglant de César sur les Romains. Les hommes ne méritent pas de vivre puisqu’il y a encore du bois et du feu, et qu’on ne s’en sert pas pour brûler ces monstres dans leurs infâmes repaires » (LX, 174). Lettre à Damilaville, du 15 mars 1765 : « M. d’Argental doit recevoir dans quelques jours deux paquets de mort-aux-rats[80] qui pourront donner la colique à l’inf… »

En même temps Voltaire encourage ses amis ou les gourmande. Il écrit à d’Alembert, le 12 juillet 1762 : « Jean Meslier doit convertir la terre. Pourquoi son évangile[81] est-il en si peu de mains ? Que vous êtes tièdes à Paris ! Vous laissez la lumière sous le boisseau. » À Damilaville, le 12 octobre 1764 : « Chacun de son côté combat le monstre de la superstition fanatique ; les uns lui mordent les oreilles, d’autres le ventre, et quelques-uns aboient de loin. Je vous invite à la curée »; et le 19 novembre 1765 : « Allons, brave Diderot, intrépide d’Alembert, joignez-vous à mon cher Damilaville, courez sus aux fanatiques et aux fripons ;… détruisez les plates déclamations, les misérables sophismes, les faussetés historiques, les contradictions, les absurdités sans nombre, empêchez que les gens de bon sens ne soient les esclaves de ceux qui n’en ont point ; la génération naissante nous devra sa raison et sa liberté. » Encore à Damilaville, le 28 juillet 1766 : « Si le Platon moderne[82] voulait, il jouerait un bien plus grand rôle que l’ancien Platon. Je suis persuadé encore une fois qu’on pourrait changer la face des choses. » À d’Alembert, le 30 juillet de la même année : « Je pleure les gens dont on arrache la langue, tandis que vous vous servez de la vôtre pour dire des choses très agréables et très plaisantes. » À Damilaville enfin, quelques jours après, le 25 août : « Tout ce que je puis vous dire aujourd’hui par une voie sûre, c’est que tout est prêt pour l’établissement de la manufacture [une colonie philosophique qui devait s’établir à Clèves]… Des bords du Rhin jusqu’à ceux de l’Obi, Platon trouverait sûreté, encouragement et honneur… Je ne conçois pas ceux qui veulent ramper sous le fanatisme dans un coin de Paris tandis qu’ils pourraient écraser ce monstre. Quoi ! ne pourriez-vous pas me fournir seulement deux disciples zélés ! Il n’y aura donc que les énergumènes qui en trouveront ! Je ne demanderais que trois ou quatre années de santé et de vie ; ma peur est de mourir avant d’avoir rendu service. » Et, à la fin de la lettre, il répète trois fois Écrasez l’inf…[83].

On a déjà vu de quelle façon Voltaire combattait le catholicisme ; disons maintenant pourquoi il le combattit.

Il est le premier à dire que les questions métaphysiques dépassent l’intelligence humaine[84] ; et, quand une de ces questions se pose, il reconnaît humblement sa faiblesse. Mais, si faible que soit notre raison, il ne veut pas du moins y contredire. Or, le catholicisme prétend nous imposer des croyances qui la révoltent.

Il appelle le théologien Jacques Vernet « professeur de la science absurde » (Lettre à Diderot, 1758 ; LVII, 456). Il écrit au cardinal de Bernis : « Quoi ! sérieusement, vous voulez rendre la théologie raisonnable ? Mais il n’y a que le Diable de La Fontaine à qui cet ouvrage convienne[85]. » Elle est « un cours de Petites-Maisons » (28 déc. 1761).

Parmi tant de dogmes absurdes imaginés par les théologiens du catholicisme, n’en retenons que deux, auxquels il revient le plus souvent, celui de la Trinité et celui de la Transsubstantiation.

D’après la religion catholique, il y a un seul Dieu, mais, en même temps, il y a trois personnes divines. La première, nommée le Père, a engendré la seconde, nommée le Fils, et le Père avec le Fils ont engendré la troisième, nommée l’Esprit ; cependant l’Esprit, le Fils et le Père sont aussi anciens l’un que l’autre. Ils n’ont au surplus ni corps ni figure ; et donc la personne du Père et la personne du Fils, purement spirituelles, ont produit la personne de l’Esprit, non moins spirituelle que le Fils et le Père. Voilà dans quel abominable galimatias s’embrouille le dogme de la Trinité [86].

Quant à la Transsubstantiation, c’est le suprême effort de la folie humaine, le dernier terme où pouvaient aboutir l’effronterie des moines et l’imbécillité des laïques. Un pain, changé en chair et en fibres, qui conserve le goût du pain ; non seulement un dieu dans un pain, mais un dieu substitué à ce pain ; cent mille miettes de pain devenues en un moment autant de dieux, qui ne font d’ailleurs qu’un seul dieu ! Comment de pareilles aberrations ne soulèveraient-elles pas le mépris et le dégoût ?[87]

Credo quia absurdum, déclarent les catholiques ; et ils n’ont pas d’autre ressource que de nous dire : « Fermez pieusement les yeux de la raison et adorez de si hauts mystères. » Mais alors, qu’est-ce qui nous empêchera de croire aux plus ridicules thaumaturgies ? Tous les imposteurs se sont réclamés de Dieu : qu’est-ce qui nous sauvera de leurs impostures, si nous commençons par nous aveugler[88] ?

Les défenseurs du catholicisme ne s’en tiennent même pas là. Si notre religion, disent-ils, ne venait pas de Dieu, on ne saurait expliquer que tant de peuples aient adopté des dogmes si contraires à la raison[89]. Cette argumentation est sans doute fort ingénieuse ; elle est encore plus impudente.

Un homme de bon sens doit rejeter le catholicisme non pas seulement pour l’absurdité de ses dogmes, mais déjà pour leur obscurité. Les théologiens parlent d’un Dieu caché, Deus absconditus. Quelle idée se font-ils donc de l’Être suprême ? Non, Dieu ne se cache point ; Dieu nous a révélé tout ce qui intéresse notre salut. Prétendre qu’il se cache, c’est lui faire injure. Il serait le plus insensé et le plus cruel des tyrans, s’il nous imposait l’observation de règles qui ne nous fussent pas clairement connues[90]. La religion « doit entrer dans le cœur de tous les hommes comme la lumière dans les yeux, sans effort, sans peine, sans pouvoir laisser le moindre doute sur la clarté de cette lumière » (Homélie du pasteur Bourn, XLIV, 377)[91]. Libre aux catholiques de dire : Credo quia absurdum ; tout homme raisonnable dira justement : non credo quia obscurum.

Il y a contre la religion catholique quelque chose de plus grave encore que l’extravagance de ses dogmes ; elle est foncièrement immorale.

Parcourons d’abord les récits de l’Ancien Testament : ce ne sont que fraudes et crimes, commis par ceux-là mêmes qu’il prétend nous proposer en exemples. Voici Jacob, qui force Ésaü mourant de faim à lui céder son droit d’aînesse ; voici Juda, le patriarche, le père de la première tribu, qui couche avec sa belle-fille ; voici Salomon, qui fait périr son frère. Un prêtre veut-il prêcher la morale au lieu de dogmes incompréhensibles ? il prendra le contre-pied des enseignements donnés par la sainte Écriture. Si Jacob rançonne Ésaü, pratiquez la justice envers tous les hommes et particulièrement envers vos proches. Si le patriarche Juda commet un inceste avec Thamar, « n’en ayez que plus d’aversion pour ces indignités ». Si Salomon assassine son frère et si presque tous les petits rois Juifs sont des meurtriers barbares, « adoucissez vos mœurs en lisant cette suite affreuse de crimes ». Voilà de quelle manière doivent interpréter l’Ancien Testament ceux qui veulent en tirer quelque instruction pour la conduite de la vie[92].

Laissons maintenant l’histoire sacrée et ne nous attachons qu’aux dogmes du catholicisme : leur obscurité et leur absurdité nous déconcertent ; comment leur iniquité ne nous indignerait-elle pas ?

On prétend que la justice divine peut différer de la nôtre. Mais nos lumières viennent-elles d’ailleurs que de Dieu ? Il ne saurait y avoir deux justices, pas plus qu’il n’y a deux géométries. S’il y avait deux justices, l’une pour nous, l’autre pour Dieu, l’Être suprême aurait donc voulu nous induire en erreur ; non content de se cacher à ses créatures, il les aveuglerait : quel pire outrage peut-on lui faire ? Non, ce qui est juste selon nous est juste selon Dieu[93].

Or examinons les deux dogmes principaux du catholicisme, ceux sur lesquels il se fonde : le Péché originel et la Rédemption.

Le dogme du péché originel est un scandale pour notre conscience. Quoi ? Dieu nous imputerait une faute commise par le premier homme voilà des milliers d’années ! Dira-t-on que le fils paye souvent les erreurs et les vices du père ? C’est là une loi de la nature, une solidarité de fait qui n’a rien à voir avec la morale. En nous punissant pour le crime d’un autre, Dieu renierait sa propre essence[94].

Quant à la rédemption par Jésus-Christ, elle n’est pas plus équitable que la condamnation en Adam. Chacun a sa responsabilité personnelle. Si nous méritons d’être récompensés ou d’être châtiés, nous le méritons en raison de notre propre conduite. La justice exige qu’on nous traite sur ce que nous avons fait. Je ne veux être ni châtié pour la faute d’Adam, ni récompensé pour les mérites de Jésus-Christ.

Aussi bien, pas de salut sans la foi ; telle est la pure doctrine du catholicisme. Les théologiens catholiques appellent péchés — splendida peccata, dit saint Augustin — les plus beaux traits de la vertu païenne. Et donc les Socrate, les Marc-Aurèle, les Épictète, étaient voués à la damnation éternelle. Mais, pendant qu’ils brûlent dans l’enfer, un Ravaillac jouit des félicités célestes ; car il avait la foi, et « c’est par la foi », comme dit saint Paul, qu’il assassina Henri IV, suspect de préparer la guerre contre le pape, représentant de Dieu sur la terre[95].

Une pareille doctrine renverse toute justice. Les hommes doivent être jugés d’après ce qu’ils font et non d’après ce qu’ils pensent[96].« Cent dogmes ne valent pas une bonne action » (Dict. phil., Philosophe, XXXI, 410). « Il serait ridicule de penser qu’on n’eût pu remplir ses devoirs avant que Mahomet [ou Jésus-Christ] fût venu au monde » (Ibid., Nécessaire, XXXI, 272). Les seuls dogmes nécessaires sont ceux que reconnaît l’humanité universelle[97], ce sont les prescriptions de la loi morale, par laquelle Dieu, notre père commun, s’est révélé à toutes ses créatures raisonnables[98].

Un autre grief de Voltaire contre la religion catholique, c’est qu’elle professe le mépris de l’homme. Sans doute, elle le relève après l’avoir avili ; mais elle ne le relève que par la grâce de Dieu, en vertu d’une théologie à laquelle répugne notre conscience. Or Voltaire, comme les autres philosophes du xviiie siècle, en a une meilleure idée ; et, dès ses premiers écrits, il réfute sur ce point les exagérations des moralistes chrétiens. Dans les Remarques sur les Pensées (1728), il reproche surtout à Pascal de montrer l’humanité sous un jour odieux. Et, par là, il n’attaque pas seulement Pascal et le jansénisme, il attaque le catholicisme lui-même, dont l’auteur des Pensées ne faisait qu’exprimer la doctrine[99].

Certes on peut trouver dans son œuvre maintes boutades qui, prises à la lettre, le feraient passer, lui aussi, pour misanthrope. Bien des fois, par exemple, il traite l’homme de fou. « Je m’amuse, écrit-il en parlant de son Essai sur les Mœurs, à parcourir les Petites-Maisons de l’univers » (Lettre à M. Lévesque de Burigny, 10 mai 1757). Et du reste, qui niera que la folie de l’homme ne le rende souvent féroce ? « Il y a des aspects sous lesquels la nature humaine est infernale » (Lettre à M. Pinto, 24 juill. 1762). Aussi ne trouve-t-on dans l’histoire guère moins d’« atrocités » que de « sottises » (Lettre à M. Dupont, 10 mars 1757).

Pourtant Voltaire se garde de calomnier la nature humaine. Il ne pense pas sans doute, avec Jean-Jacques ou Diderot, qu’elle soit foncièrement bonne ; mais, composée de bien et de mal, c’est le bien qui en général y domine. Les germes des vices, inhérents à tous les hommes, ne se développent pas chez tous. On ne saurait prétendre que l’homme soit né méchant ; il le devient parfois comme il devient malade. D’ordinaire, il est plutôt bon quand on ne l’« effarouche » pas[100].

Mais le catholicisme exagère à plaisir notre méchanceté. Comment nous vendrait-il ses drogues, s’il ne nous avait d’abord persuadés que nous sommes malades[101] ? À vrai dire, rien n’est si faux que les déclamations des prêtres contre la nature humaine. Et rien n’est si funeste : car elles découragent l’effort et paralysent l’énergie. Il vaudrait mieux exagérer dans l’autre sens. Montrons du moins à l’homme de quoi il est capable, pour exalter sa vertu[102].

La religion catholique, avons-nous dit, relève l’homme par la grâce divine ; mais combien d’hommes l’obtiennent, cette grâce que nul ne peut mériter ? Religion inhumaine, le catholicisme voue aux flammes éternelles presque toutes les créatures de Dieu.

Outre le plus grand nombre des catholiques eux-mêmes, car il y a peu d’élus parmi les appelés, elle damne non seulement les infidèles ou les païens[103], mais aussi les hérétiques. « Apprenez votre catéchisme, dit un moine à Marmontel dans l’Anecdote sur Bélisaire, sachez que nous damnons tout le monde… ; c’est là notre plaisir. Nous comptons environ six cents millions d’habitants sur la terre. À trois générations par siècle, cela fait environ deux milliards ; et, en ne comptant seulement que depuis quatre mille années, le calcul nous donne quatre-vingts milliards de damnés, sans compter tout ce qui l’a été auparavant et tout ce qui doit l’être après. Il est vrai que, sur ces quatre-vingts milliards, il faut ôter deux ou trois mille élus, qui font le beau petit nombre ; mais c’est une bagatelle, et il est bien doux de pouvoir se dire en sortant de table : Mes amis, réjouissons-nous, nous avons au moins quatre-vingts milliards de nos frères dont les âmes toutes spirituelles sont pour jamais à la broche en attendant qu’on retrouve leurs corps pour les faire rôtir avec elles » (XLII, 626)[104]. Voilà comment les catholiques se représentent la bonté divine. À les en croire, Dieu nous créa pour nous damner[105].

Si l’inhumanité de la religion catholique indigne Voltaire, son ascétisme ne pouvait manquer de lui répugner.

Cet ascétisme est incompatible avec le bonheur légitime du genre humain, et non seulement avec son progrès matériel, mais avec son progrès intellectuel et moral. Il faudrait donc réprouver tout plaisir, passer sa vie dans les mortifications, se rendre insensible à toutes les belles choses, aux arts et à la poésie ? C’est une inhumanité d’un autre genre.

Que des hommes choisis, comme les anciens brachmanes ou mages, s’exilent du monde pour consacrer leur existence à l’adoration de Dieu et à l’observation des phénomènes célestes, Voltaire ne leur refuse pas ses éloges. Et, louant cette existence des mages ou des brachmanes[106], il ne la blâmerait point chez les moines, si c’était vraiment la leur. Mais, sans parler ici de ceux qui vivent dans une paresse abjecte ou dans les plus viles débauches, les autres, respectables par leur sainteté, s’abusent d’une étrange façon sur le culte que Dieu demande à ses créatures. Dieu nous a faits des hommes : comment croit-on lui agréer en mutilant son être, en refusant les biens que lui-même a mis à notre disposition, en mortifiant soit sa chair, soit même, si l’on peut dire, son intelligence et sa conscience ?

Fondé sur une pareille théologie, le catholicisme ne saurait assurer son règne que par l’asservissement de la raison et de la volonté.

Voltaire nomme les prêtres « des maîtres d’erreurs payés pour abrutir la nature humaine » (Dict. phil., Franc, etc., XXIX, 487), ou encore « des sorciers vêtus de noir qui s’efforcent de changer les hommes en bêtes » (Lettre à Marmontel, 28 janv. 1764). Après avoir dit dans l’Essai sur les Mœurs que le concile de Toulouse défendit aux chrétiens laïques de lire les Écritures, il ajoute : « On fit brûler les ouvrages d’Aristote… Des conciles suivants ont mis Aristote presque à côté des Pères de l’Église. C’est ainsi que vous verrez… les sentiments des théologiens, les superstitions des peuples, le fanatisme, variés sans cesse, mais toujours constants à plonger la terre dans l’abrutissement » (XVI, 253).

Jeannot veut-il faire son salut ? Qu’il se garde avant tout de penser. « Souviens-toi, lui dit le père Nicodème,

 
Souviens-toi bien que la philosophie
Est un démon d’enfer à qui l’on sacrifie…

Tout chrétien qui raisonne a le cerveau blessé ;
Bénissons les mortels qui n’ont jamais pensé.

(XIV, 236[107].)


Pour faire son salut, Jeannot n’a qu’à s’entretenir pieusement dans l’ignorance et la bêtise.

L’éducation devrait éveiller l’esprit, former le jugement, développer le sens critique ; ce que veulent au contraire les ministres du catholicisme, c’est aveugler les hommes et fausser leur entendement. « Un fakir élève un enfant qui promet beaucoup ; il emploie cinq ou six années à lui enfoncer dans la tête que le dieu Fo apparut aux hommes en éléphant blanc, et il persuade l’enfant qu’il sera fouetté après sa mort pendant cinq cent mille années s’il ne croit pas ces métamorphoses » (Dict. phil., Esprit, XXIX. 242). Voilà comment l’Église a, depuis des siècles, perpétué sa puissance.

Il n’est pas de sottise que les prêtres ne prétendent inculquer à un peuple abruti par leurs soins. Dans les livres de nos christicoles sur les vies des saints, on lit que la chaussette de saint Honoré ressuscita un mort ; que saint Gracilien, par le mérite de son oraison, déplaça une montagne ; que, saint Pantaléon ayant eu la tête tranchée, du lait jaillit de son col ; que, le jour où Rome canonisa saint Antoine de Padoue, toutes les cloches de Lisbonne se mirent d’elles-mêmes à sonner ; que saint Paulin fit tomber par terre, en touchant des reliques, un possédé qui se promenait, comme une mouche, à la voûte d’une église ; que saint Romain, jusqu’alors bègue, parla, dès qu’on lui eut arraché la langue, avec la plus grande volubilité[108]. Encore du temps de Voltaire ont lieu parfois des prodiges tout aussi étonnants : à Paimpol entre autres, une apparition de Notre-Seigneur Jésus-Christ dûment authentiquée par l’évêque de Tréguier, le lieutenant-général et maintes personnes de distinction[109].

Pendant le xviiie siècle, deux partis, dans l’Église, se disputent l’influence : les jésuites et les jansénistes. Désireux d’accroître leur ascendant sur le peuple, ceux-là ont exploité à leur profit les visions d’une pauvre malade, Marie Alacoque[110], et créé une sorte de nouveau culte en matérialisant l’amour du Christ pour les hommes dans l’image de son cœur, qu’ils étalent tout saignant sur leurs bannières. Ceux-ci obtiennent des miracles par l’intercession du diacre Pâris : devant sa tombe, les convulsionnaires donnent le spectacle de crises hystériques ; puis, chassés du cimetière Saint-Médard, ils continuent leurs exploits en tenant des assemblées nocturnes où le fanatisme allie l’impudeur à la cruauté[111]. Telles sont les superstitions dont l’Église nourrit ses fidèles. Si l’on en croit Montesquieu, les Scythes crevaient les yeux à certains esclaves pour les rendre plus dociles. Ainsi fait l’Église catholique, et presque tout le monde est aveugle dans les pays qui subissent son joug. À peine si les Français du xviiie siècle commencent d’ouvrir un œil[112].

Le catholicisme ne se contente pas d’opprimer les intelligences et les consciences, il veut encore dominer sur la société civile.

D’abord, il fait prévaloir en maints points les institutions de l’Église sur celles de l’État : par exemple dans les lois qui régissent le mariage, dans le châtiment du sacrilège, dans le chômage des fêtes, dans les jeûnes.

Le mariage, encore à l’époque de Voltaire, n’avait, aucune valeur légale sans la consécration ecclésiastique ; c’était confondre le sacrement, qui octroie des grâces particulières, et le contrat, qui produit tous les effets civils[113]. D’autre part, comme l’Église tenait l’union conjugale pour indissoluble, la loi des pays catholiques, subordonnée au droit canon, n’admettait pas le divorce ; elle séparait les époux, mais ils ne pouvaient contracter un nouveau mariage. Ainsi l’on était, dit Voltaire, à la fois marié et comme veuf ; on se trouvait contraint de chercher dans l’adultère les affections ou les plaisirs que le mariage vous refusait[114].

À l’égard du sacrilège, il rappelle plus d’une fois l’histoire de Claude Guillon : pressé par la faim, ce malheureux avait, un jour maigre, mangé d’un cheval qui venait d’être tué dans une prairie voisine ; les juges le condamnèrent à mort, et le bourreau lui trancha bel et bien la tête[115]. Ce qui indigne surtout Voltaire dans les lois sur le sacrilège, c’est la gravité de la peine ; car, chez presque tous les peuples catholiques, le vol d’un ciboire ou d’un calice est puni de mort[116]. Pourtant il s’attache à distinguer avec précision la culpabilité civile de la culpabilité religieuse, et il veut que l’une relève des tribunaux humains, mais qu’on s’en remette, pour l’autre, à la justice divine[117].

Même prédominance de l’Église touchant les fêtes et les jeûnes. Il se plaint, sur le premier point, que tant de jours soient consacrés à la paresse, ou, le plus souvent, à la débauche, que le travail national dépende du sacerdoce, et non de la grande police[118] ; et, sur le second, il plaide la cause du paysan, que la loi civile, mise au service de la loi religieuse, empêche de manger les œufs pondus par ses poules ou les fromages pétris de ses mains[119].

Non seulement la loi religieuse s’assujettit la loi civile, mais on peut dire que l’Église fait un corps dans l’État, un corps privilégié et affranchi du droit commun.

D’abord, elle a sa juridiction. Voltaire rappelle l’époque où les clercs usurpaient dans bien des pays les principales charges de la magistrature. Sans doute ces abus ont pris fin ; mais les juridictions ecclésiastiques se sont en partie maintenues[120]. L’an 1758, Joseph Ier de Portugal ayant demandé au pape « la permission de faire juger par son tribunal royal des moines accusés de parricide », ne put l’obtenir et n’osa passer outre[121]. Est-ce que les princes continueront longtemps à s’incliner devant les prétentions du clergé ? N’auront-ils pas tôt ou tard le courage de revendiquer leurs prérogatives essentielles ?

Ensuite, l’Église possède ses biens propres ; et, « selon les principes du droit vulgairement appelé canonique, qui a cherché à faire un Empire dans l’Empire », les biens de l’Église sont sacrés et intangibles, comme « appartenant à la religion », comme « venant de Dieu, non des hommes » (Dict. phil., Droit canonique, XXVIII, 474).

Bien plus, elle ne paie pas l’impôt. Les rois de France ont souvent prétendu l’y soumettre et n’y ont jamais réussi. Tous des cinq ans, à vrai dire, le clergé se taxe lui-même. Mais c’est là une contribution volontaire, qu’il appelle « don gratuit » ; et presque toujours il en achète quelque concession[122].

Voltaire prétend que le droit commun soit imposé à l’Église. Pourquoi les clercs, qui ne rendent pas tous de bien grands services, paieraient-ils moins que les laboureurs[123] ? Le souverain, d’après lui, doit contrôler les revenus ecclésiastiques, suppléer, s’il y a lieu, à l’insuffisance de ces revenus, mais, si les richesses du clergé sont manifestement excessives, disposer du superflu pour le bien commun de la société[124]. En 1750, l’Église refusa de payer un impôt du vingtième que venait d’établir le contrôleur général Machault[125]. « Ne nous mettez pas, lui écrivit le vieil évêque de Marseille, Belzunce, dans l’obligation de désobéir à Dieu ou au roi ; vous savez lequel des deux aurait la préférence. » Assez hardi pour tenter une telle entreprise, Machault ne fut pas assez constant pour la soutenir[126].

Du temps de Voltaire, il y a dans l’État deux puissances, la puissance civile et la puissance ecclésiastique ; et, généralement, celle-ci prévaut sur celle-là. Louis XIV lui-même avait dû s’y soumettre. « Il fut bien plus grand que moi, disait le tsar Pierre Ier ; mais je l’emporte en un point, c’est que j’ai pu réduire mon clergé, et qu’il a été dominé par le sien. » Ces seuls mots : les deux puissances, sont, aux yeux de Voltaire, « le cri de la rébellion » (Mandement du révérendissime Père en Dieu Alexis, XLII, 135). Est-ce que, pendant les premiers siècles, le christianisme revendiqua jamais aucune part dans la souveraineté politique ? « Mon royaume, déclarait Jésus-Christ, n’est pas de ce monde. » En tout et pour tout, l’Église doit subir le contrôle de l’État; on insulte la raison et les lois quand on prononce le nom de gouvernement ecclésiastique[127]. Et peut-on même parler de je ne sais quel accord entre le sacerdoce et l’empire ? Cet accord, qui suppose la possibilité d’un partage, est par là même « monstrueux »[128].

Si Voltaire demande parfois qu’on sépare « toute espèce de religion de toute espèce de gouvernement » (Lettre à M. Bertrand, 19 mars 1765), ce qu’il veut en réalité, c’est la subordination complète de l’Église.

Pour ce qui se rapporte à l’ordre public, nul doute que l’État ne doive la tenir sous sa dépendance. Mais qu’est-ce qui n’y a pas rapport ? Selon Voltaire, les fonctions des ministres, leurs personnes, leurs biens, la manière d’enseigner la morale, de célébrer les cérémonies, dépendent de l’autorité du prince et relèvent de l’inspection des magistrats[129]. La puissance civile exerce son droit souverain sur les assemblées, les prières et les chants, sur l’instruction publique, sur l’administration des sacrements, qu’aucun pasteur ne peut refuser de son autorité privée, sur les sépultures, sur le régime monastique, etc.[130]. Il rappelle souvent et propose comme exemple ce qui se passait alors en Russie : l’évêque de Rostov ayant protesté contre un décret sur la gestion des biens ecclésiastiques, Catherine le fit livrer au bras séculier; et pareillement, des capucins de Moscou ne voulant pas enterrer un Français mort sans avoir reçu les derniers sacrements, elle les chassa et mit à leur place des augustins, qui prirent le parti de se soumettre[131].

Plusieurs fois Voltaire compare le prêtre avec le précepteur auquel un père de famille prescrit les heures de travail, le programme et la matière des études[132]. En toute chose, l’Église doit obéissance à l’État ; les dogmes eux-mêmes intéressent plus ou moins directement l’ordre social, et l’État, par suite, peut les fixer et les régler comme il le juge utile[133]. « Une bonne religion honnête, mort de ma vie ! dit A dans l’A, B, C, une religion bien établie par acte du parlement, bien dépendante du souverain, voilà ce qu’il nous faut ! » (XLV, 82).

Peut-être l’Église avait quelques titres à faire valoir durant les âges barbares où elle représentait la civilisation. Mais que représente-t-elle aujourd’hui ? Son seul rôle est de consacrer les abus et les injustices. Hostile à tout progrès, à toute réforme, elle combat tout ce que tente la philosophie pour rendre l’humanité meilleure et plus heureuse.

Tandis que les philosophes contemporains détestent la guerre et ses maux[134], les prêtres célèbrent à l’envi ce qu’elle a de plus affreux. Ces harangueurs à gages enseignent des mystères incompréhensibles, prouvent en trois points que Polyeucte et Athalie sont œuvres du démon, qu’une dame coupable d’appliquer un peu de carmin sur sa joue s’attire l’éternelle vengeance de l’Être suprême : pourquoi leurs déclamations épargnent-elles « le fléau et le crime qui contient tous les fléaux et tous les crimes » ? « Vous avez fait un bien mauvais sermon sur l’impureté, ô Bourdaloue ! mais aucun sur ces meurtres variés en tant de façons, sur ces rapines, sur ces brigandages, sur cette rage universelle » (Dict. phil., Guerre, XXX, 152 ; cf. A, B, C, XLV, 95). Après chaque massacre, nos prêtres, loin de fulminer leurs anathèmes, chantent un Te Deum[135].

Si l’Église glorifie la guerre, elle justifie l’esclavage. Voltaire remarque d’abord que les Évangiles ne mettent pas dans la bouche de Jésus-Christ un seul mot contre « cet état d’opprobre et de peine auquel la moitié du genre humain était condamnée », que ni les apôtres ni les Pères n’ont jamais flétri une iniquité si monstrueuse ; et il rappelle avec Linguet, l’auteur de la Théorie des Lois civiles, que le christianisme, au lieu de briser les chaînes de la servitude, les a resserrées pendant douze siècles[136].

Encore de son temps, les moines possèdent des esclaves sous le nom de mortaillables, de mainmortables ou de serfs de la glèbe ; au mont Jura par exemple et dans quelques autres contrées de la France. Au mont Jura, il y a trois régimes d’esclavage. Sous le premier, le serf ne peut disposer de son avoir en faveur de ses enfants que s’ils ont toujours vécu avec lui ; sinon, tout appartient aux moines, et l’on a vu plus d’une fois un fils demander l’aumône devant la maison bâtie par son père. Sous le second, quiconque habite un an et un jour dans le domaine mainmortable devient pour jamais esclave. Sous le troisième régime enfin, c’est l’esclavage à la fois réel et personnel, « ce que la rapacité a jamais inventé de plus exécrable, et ce que n’oseraient pas même imaginer les brigands » (Dict. phil., Biens d’église, XXVII, 372)[137]. Les moines assurent que leur prérogative est de droit divin ; en tout cas, elle répugne à l’humanité[138].

Un an après la mort de Voltaire, parut un édit qui abolissait la mainmorte dans le domaine royal. Le préambule de cet édit engageait tous les possesseurs de mainmortables à imiter l’exemple du roi. Or le clergé, sauf de rares exceptions, n’en fit rien ; et le chapitre de Saint-Claude, que Voltaire avait directement pris à partie, refusa d’affranchir les serfs de ses domaines sans indemnité préalable.

On voudrait que les ecclésiastiques fussent plus détachés des biens de la terre. Sans doute, il y en a beaucoup de pauvres qui ne se laissent pas tenter par la richesse ; Voltaire loue souvent les curés de campagne, les curés à portion congrue, et demande qu’on augmente leurs ressources pour leur assurer une existence honorable. Mais les prélats et tous les dignitaires, mais l’immense majorité des religieux ? Ceux-là vivent dans l’opulence et dans le luxe.

Dès le iiie siècle, si nous en croyons saint Cyprien, maints évêques, négligeant leurs devoirs sacerdotaux, « se chargeaient d’affaires temporelles, quittaient leur chaire, abandonnaient leur peuple et se promenaient dans d’autres provinces pour fréquenter les foires et s’enrichir par le trafic. Ils ne secouraient point les frères qui mouraient de faim ; ils voulaient avoir de l’argent en abondance, usurper des terres par de mauvais artifices, tirer de grands profits par des usures » (Dict. phil., Abbaye, XXVI, 32). Au ixe siècle, un écrit que Charlemagne rédigea pour le « parlement » de 811 nous donne quelques indications sur l’avarice des ecclésiastiques. « Nous voulons connaître leurs devoirs afin de ne leur demander que ce qui leur est permis, et qu’ils ne nous demandent que ce que nous devons accorder. Nous les prions de nous expliquer nettement ce qu’ils appellent quitter le monde et en quoi l’on peut distinguer ceux qui le quittent de ceux qui y demeurent, si c’est seulement en ce qu’ils ne portent point les armes et ne sont pas mariés publiquement ; si celui-là a quitté le monde, qui ne cesse tous les jours d’augmenter ses biens par toutes sortes de moyens en promettant le paradis et en menaçant de l’enfer, et employant le nom de Dieu ou de quelque saint pour persuader aux simples de se dépouiller de leurs biens, et en priver leurs héritiers légitimes…, si c’est avoir quitté le monde, que de suivre la passion d’acquérir jusqu’à corrompre par argent de faux témoins pour avoir le bien d’autrui, et de chercher des avoués et des prévôts cruels, intéressés et sans crainte de Dieu » (Ibid., id., 33).

Quelques années après que saint François d’Assise eut fondé les premiers ordres mendiants, saint Bonaventure s’élevait contre le faste de ces religieux, qui, faisant vœu de rien posséder, étaient plus riches que les monarques eux-mêmes. D’après l’évêque de Belley, Camus, un seul des ordres mendiants coûtait par an trente millions d’or pour le vêtement et la nourriture de ses moines. Leur avidité recourt à n’importe quels moyens. Ils font du commerce, ils brassent toutes sortes d’affaires privées ou publiques, ils courent après les héritages et captent les testaments. Ils exploitent la naïveté populaire, et nulle charlatanerie ne leur répugne pour attirer dans leurs mains l’argent des pauvres comme celui des riches. Suivant un témoin oculaire, Hondorff, lorsque les réformés eurent chassé les moines d’un couvent d’Eisenach, ils trouvèrent dans ce couvent une statue de la vierge Marie et de l’enfant Jésus disposée de telle façon que la mère et le fils tournaient le dos à ceux qui ne donnaient rien et remerciaient d’un signe de tête ceux qui déposaient une offrande sur l’autel[139].

Au xviiie siècle, le clergé possédait « un cinquième des biens du royaume[140] ». Voici quelques chiffres. Les estimations faites par les moines eux-mêmes se montent à plus d’un million de livres pour les 399 Prémontrés, à près de deux millions pour les 299 Bénédictins de Cluny, à huit pour les 1 672 Bénédictins de Saint-Maur ; et l’on sait que ces estimations, beaucoup trop modestes, doivent être triplées pour la plupart ou même quadruplées. Quant aux prélats, ils ont, outre leurs revenus épiscopaux, ceux de leurs abbayes : 30 000 livres à Séez, 36 000 à Sisteron, 40 000 à Rennes, 50 000 à Autun, 60 000 à Strasbourg, 82 000 à Sens, 106 000 à Toulouse, 130 000 à Rouen. Et quel emploi font-ils de tout cet argent ? Le soulagement des pauvres est le moindre de leurs soucis. Ils bâtissent, ils chassent, ils tiennent table ouverte ; ils ont leur batterie de cuisine en argent massif et tendent leurs confessionnaux de satin.

On peut se figurer par là même quelles sont les mœurs du haut clergé. Dom Collignon, représentant de l’abbaye de Metlach, seigneur et curé de Valmunster, évite du moins le scandale, et ne dîne avec ses deux maîtresses qu’en petit comité. Mais l’évêque du Mans, Grimaldi, fait de sa maison de campagne « un rendez-vous de jolies dames », et l’avocat Barbier nous dit que La Fare, évêque de Laon, eût été un mauvais sujet parmi les mousquetaires. Faut-il en nommer d’autres plus connus ? Lavergne de Tressan, habituel compagnon des roués, qui occupa le siège archiépiscopal de Rouen ; Tencin, archevêque d’ Embrun, « le fléau des honnêtes gens, simoniaque, incestueux, déshonoré et honni partout » (d’Argenson). Si les évêques de France en 1733 nommèrent le cardinal Dubois président de leur assemblée générale, rien là d’étonnant ; beaucoup d’entre eux ne valaient pas davantage.

On s’indigne que Voltaire taxe les prêtres de charlatans. Mais le clergé du xviiie siècle était en grande partie incrédule. « Je ne pense pas, écrit la Palatine en 1722, qu’il y ait à Paris, tant parmi les ecclésiastiques que parmi les gens du monde, cent personnes qui aient la véritable foi, et même qui croient en Notre Seigneur. » « Un simple prêtre, un curé, remarque plus tard Chamfort, doit croire un peu ; sinon, on le trouverait hypocrite. Il ne doit pas non plus être sûr de son fait ; sinon, on le trouverait intolérant. Au contraire le grand vicaire peut sourire à un propos contre la religion ; l’évêque en rira tout à fait, le cardinal y joindra son mot[141]. » Rivarol, de son côté, déclare que « les lumières du clergé égalent celles des philosophes ». Qu’est-ce à dire, sinon que le clergé est incrédule ? Sa résistance en 1791, au moins celle des prélats, s’explique par le point d’honneur. « Nous nous sommes conduits alors, déclarait l’archevêque de Narbonne, en vrais gentilshommes ; car de la plupart d’entre nous on ne peut pas dire que ce fût par religion. » Les ecclésiastiques qui ont quelque culture n’ont plus aucune croyance.

Cette incrédulité du clergé ne le rend pas moins fanatique. Et certes la foi des anciens temps ne justifiait point le fanatisme ; mais l’incrédulité présente le rend plus criminel encore et plus odieux.

Selon Voltaire, l’intolérance est propre à la religion chrétienne ; seule entre toutes les religions, elle a opprimé la conscience et persécuté ceux qui n’admettaient pas ses dogmes.

Quand les mahométans conquirent l’Espagne, ils n’obligèrent personne à embrasser l’islamisme. Après la prise de Constantinople, leurs sultans conservèrent plusieurs prébendes au clergé grec ; aujourd’hui encore ils font des chanoines et des évêques sans que le pape fasse jamais un iman ou un mollah[142].

Même tolérance chez les Juifs. Il y avait parmi eux bien des sectes ; les saducéens par exemple, qui, se fondant sur la loi de Moïse, niaient l’immortalité de l’âme ; les pharisiens, qui croyaient à la métempsycose ; les esséniens, qui étaient fatalistes, qui, d’ailleurs, ne sacrifiaient pas dans le temple et avaient leurs synagogues particulières. Ces sectes différaient beaucoup plus entre elles que les protestants ne diffèrent des catholiques. Pourtant aucune ne prétendit exterminer les autres, et, si superstitieux que fût le peuple Juif, il accordait à toutes une égale liberté[143].

Chez les Romains, ni Lucrèce ne fut inquiété pour avoir mis en vers le système d’Épicure, ni Cicéron pour avoir écrit, qu’on ne ressent après la mort aucune douleur, ni Pline pour avoir commencé son Histoire naturelle par une profession d’athéisme. Il appartient aux dieux, pensait le sénat, de venger leurs offenses. Quant aux différentes religions, Rome ne les tolérait pas seulement, mais encore les reconnaissait. Pendant longtemps les chrétiens furent aussi libres que les païens ; ils avaient des églises très riches, tenaient des conciles, exerçaient des charges publiques. Dioclétien lui-même les protégea d’abord et en accueillit plusieurs à la cour. S’ils furent persécutés dans la suite, c’est parce qu’ils attaquaient le culte national et les institutions de l’Empire. Rome ne persécuta pas, dans le christianisme, une secte religieuse, mais une faction politique qui mettait l’État en danger[144].

À l’égard des Grecs, quand Voltaire ne les compare pas avec les chrétiens, il reconnaît que, chez eux, les philosophes hétérodoxes n’étaient pas tolérés ; il cite Anaxagore, contraint de s’exiler pour avoir osé dire qu’Apollon ne conduisait point le char du soleil, Aristote, accusé d’athéisme par les prêtres ; il flétrit la condamnation de Socrate[145]. Mais lorsqu’il oppose les Grecs aux chrétiens, il ne parle plus d’Aristote et d’Anaxagore, il atteste que les épicuriens pouvaient sans aucun péril nier la Providence et l’immatérialité de l’âme, que les diverses sectes philosophiques avaient pleine licence de professer leurs doctrines. Quant à Socrate, c’est, dit-il, le « seul philosophe que les Grecs aient fait mourir pour ses opinions ». Aussi bien il prend soin de marquer toutes les circonstances atténuantes. Cette mort fut l’ouvrage d’une cabale. Puis les Athéniens s’en repentirent aussitôt après, et, non contents de châtier Mélitus, ils consacrèrent un temple à sa victime, de telle façon que la mort du philosophe eut pour effet une apothéose de la philosophie. Enfin, quelle différence entre cette mort et le supplice de tant d’hérétiques ou d’infidèles que l’Église a fait périr ! Point de question ordinaire ou extraordinaire ; ni bûcher, ni roue. Chargé de jours, Socrate expira doucement au milieu de ses amis en louant Dieu et en prouvant l’immortalité de l’âme[146].

Tandis que toutes les autres religions furent tolérantes, la religion catholique manifesta dès le début par d’abominables cruautés l’intolérance qui lui est propre. « Je suis persuadé, écrit Voltaire à Catherine, que, depuis la mort du fils de la sainte Vierge, il n’y a presque point eu de jour où quelqu’un n’ait été assassiné à son occasion ; mais, à l’égard des assassinats en front de bandière dont le fils et la mère ont été le prétexte, ils sont en grand nombre et trop connus » (18 nov. 1771). Et, dans son traité de Dieu et les Hommes : « Qui que tu sois, dit-il, en s’adressant au lecteur, si tu conserves les archives de ta famille, consulte-les et tu verras que tu as eu plus d’un ancêtre immolé au prétexte de la religion ou du moins cruellement persécuté, — ou persécuteur, ce qui est encore plus funeste » (XLVI, 268).

Après avoir loué une douzaine de «pages sublimes » écrites par Jean-Jacques Rousseau contre les cruautés de la religion catholique, il l’accuse plaisamment d’exagérer, et remarque que le christianisme, depuis quinze siècles, a seulement fait pérircinquante millions de personnes de tout âge et de tout sexe pour des querelles théologiques[147]. Lui-même, ici, paraît suspect d’exagération. Ailleurs, il en rabat les deux tiers. « La religion chrétienne, déclare-t-il dans l’article Athée du Dictionnaire philosophique, a coûté à l’’humanité plus de dix-sept millions d’hommes, à ne compter qu’un million d’hommes par siècle, tant ceux qui ont péri par les mains des bourreaux de la justice que ceux qui sont morts par la main des autres bourreaux soudoyés et rangés en bataille » (XXVII, 164). Dans le chapitre de Dieu et les Hommes intitulé Jésus et les Barbaries chrétiennes, il fait en détail son compte. Et ce n’est plus cinquante millions, ni même dix-sept. Mais, en y mettant la plus grande modération, c’est neuf millions quatre cent soixante-huit mille huit cents victimes. Voltaire trouve le compte « effrayant ». Ceux-là seuls n’en sont pas effrayés, qui voient dans ces massacres un hommage rendu à leur Dieu.

Peut-on dire qu’il faut accuser de ces massacres la méchanceté naturelle des hommes et non la religion catholique ? Les hommes ne sont pas si méchants. Il y en a beaucoup, en tout cas, qui sont naturellement bons, et dont la religion fait des monstres. Tel, dans Mahomet, « le malheureux Séide, qui croit servir Dieu en égorgeant son père » (Lettre à Frédéric, sept. 1739 ; LIII, 662) ; tel Damiens, qui déclara devant le Parlement qu’il avait commis son parricide « par principe de religion », qui soutint dans les tortures que l’assassinat du roi était une œuvre méritoire et que tous les prêtres en jugeaient ainsi. De même, Jacques Clément et Balthazar Gérard se préparèrent par la confession et la communion à tuer, celui-là Henri III, celui-ci le prince d’Orange. Et combien d’autres, prêtres ou laïques, ont versé le sang en sacrifiant leur humanité naturelle à ce qu’ils croyaient être leur devoir envers la Divinité[148] !

Beaucoup de croyants réprouvent ces crimes et prétendent que le catholicisme est un bon arbre qui a produit de mauvais fruits. Non pas ; si les fruits sont mauvais, l’arbre ne saurait être bon. C’est le catholicisme qui rend l’homme cruel. Un catholique croit posséder la vérité ; il s’imagine que cette vérité brille seulement pour lui, que tout le reste des hommes doit rôtir éternellement dans l’enfer : par quelle inconséquence n’aurait-il pas en horreur ceux qui sont en horreur à son Dieu ? On voit pourtant des catholiques pitoyables ; chez eux, la nature l’emporte sur la religion. Mais eux-mêmes, le plus souvent, se reprochent leur pitié comme une faiblesse[149].

Un contemporain d’Henri IV ou de Louis XIII pouvait encore expliquer les guerres de la Réforme par la politique, par des intérêts tout matériels, qui se dissimulaient sous la religion. Mais depuis longtemps, à l’époque de Voltaire, les querelles religieuses persistaient quand la politique n’y avait aucune place. Et, si ce n’étaient pas, comme autrefois, les massacres de la guerre civile ou les assassinats en masse, ces querelles n’en dénotaient pas moins un fanatisme tout aussi exécrable. On les voyait du reste se multiplier ; le catholicisme et le protestantisme avaient chacun produit des sectes acharnées l’une contre l’autre, qui témoignaient de leur foi par des persécutions mutuelles. Comment nier que la religion ne fût elle-même une source de conflits et de violences[150] ?

Callicrate ayant demandé à Évhémère quel est le plus méchant des peuples, celui-ci répond : « Le plus superstitieux » (Dialogues d’Évhémère, L, 150). Un superstitieux en effet est méchant par devoir : aussi n’écoute-t-il pas la voix de la nature ; il vole, il incendie, il massacre en croyant bien faire, et l’humanité n’a sur son cœur aucune prise. Mais comment cette humanité ne serait-elle pas innée à l’homme ? Si l’homme a pourtant de mauvais instincts, c’est le fanatisme qui les provoque et les irrite.

On allègue que le fanatisme, au xviiie siècle, n’était plus redoutable. Voltaire lui-même, durant la première partie de sa carrière, en exprime souvent l’espoir. La philosophie a-t-elle donc fait tant de progrès ? Il reconnaît bientôt son illusion, et se rend compte que l’esprit du catholicisme ne change point. Après l’attentat de Damiens, il écrit à d’Argental : « Comment me justifierai-je d’avoir tant assuré que ces horreurs n’arriveraient plus,… que la raison et la douceur des mœurs régnaient en France ? » (20 janv. 1757). Et déjà, en 1740, adressant à Frédéric une copie de son Mahomet, il s’élève contre « ceux qui disent que les flammes des guerres de religion sont éteintes ».

« Le poison subsiste encore, quoique moins développé. Cette peste, qui semble étouffée, reproduit de temps en temps des germes capables d’infecter la terre » (déc. 1740; LIV, 237). De même, à la fin du Philosophe ignorant : « Je vois qu’aujourd’hui, dans ce siècle qui est l’aurore de la raison, quelques têtes de cette hydre du fanatisme renaissent encore. Il paraît que leur poison est moins mortel et leurs gueules moins dévorantes. Le sang n’a pas coulé pour la grâce versatile, comme il coula si longtemps pour les indulgences plénières qu’on vendait au marché. Mais le monstre subsiste encore ; quiconque recherchera la vérité risquera d’être persécuté » (XLII, 609). Et enfin dans l’Avis au public sur les Calas et les Sirven : « Un prêtre irlandais a écrit depuis peu… que nous venons cent ans trop tard pour élever nos voix contre l’intolérance, que la barbarie a fait place à la douceur, qu’il n’est plus temps de se plaindre. Je répondrai à ceux qui parlent ainsi : Voyez ce qui se passe sous vos yeux » (XLII, 395)[151].

Voyez, dit Voltaire, ce qui se passe sous vos yeux. Et que se passait-il donc ?

En 1722, l’abbé Houtteville, dans la préface d’un livre intitulé la Vérité de la Religion chrétienne prouvée par les faits, appelle la tolérance un système monstrueux[152]. En 1749, l’abbé de la Ménardaye, dans son Examen et Discussion des Diables de Loudun, légitime le meurtre d’Urbain Grandier[153]. En 1758, l’abbé de Caveyrac, dans l’Apologie de Louis XIV et de son Conseil, justifie la révocation de l’édit de Nantes, la Saint-Barthélemy, les cruautés exercées contre les Albigeois, le supplice de Jean Huss, celui de Jérôme de Prague[154]. En 1762, l’abbé de Malvaut fait paraître l’Accord de la Religion et de l’Humanité (c’est une faute de l’imprimeur, dit Voltaire ; lisez : de l’inhumanité), où, protestant qu’on ne doit pas sacrifier une nation tout entière à quelques hérétiques, il conseille, soit de les pendre, soit de les envoyer sur les galères du roi ; selon lui, la révocation de l’édit de Nantes n’a pas eu pour la France autant d’inconvénients que certains le prétendent, et l’extermination des religionnaires n’affaiblirait pas plus le royaume qu’une saignée n’affaiblit un malade bien constitué[155].

En même temps, l’intolérance fait toujours de nouvelles victimes. Parlerons-nous de Calas, de Sirven, de La Barre ? Beaucoup d’autres exemples contemporains, s’ils sont moins notoires, ne sont pas moins odieux.

En 1730, la moitié du parlement de Provence condamna au feu le jésuite Girard pour avoir insufflé dans la bouche d’une fille, nommée la Cadière, un démon d’impureté[156]. En 1760, la justice sacerdotale de l’évêque de Wurtzbourg prononça la même peine contre une religieuse accusée de sorcellerie[157]. Diderot raconte qu’un Espagnol, don Pablo d’Olivarès, coupable de posséder dans sa bibliothèque les œuvres des philosophes français, fut, malgré ses vertus et ses services, condamné au gibet, puis, par commutation, aux verges publiques et à la prison perpétuelle. « J’ai vu encore en Écosse, dit Voltaire[158], des restes de l’ancien fanatisme qui avait changé si longtemps les hommes en bêtes carnassières. Un des principaux citoyens d’Inverness, presbytérien rigide…, ayant envoyé son fils unique faire ses études à Oxford, affligé de le voir à son retour dans les principes de l’Église anglicane, et sachant qu’il avait signé les trente-neuf articles, s’emporta contre lui avec tant de violence qu’à la fin de la querelle il lui donna un coup de couteau dont l’enfant mourut en peu de minutes entre les bras de sa mère » (L, 508). Et voici maintenant une autre histoire qui se passa non loin de Ferney, à Saint-Claude : « Il y a quelques années que deux jeunes gens furent accusés d’être sorciers. Ils furent absous je ne sais comment par le juge. Leur père, qui était dévot et que son confesseur avait persuadé du prétendu crime de ses enfants, mit le feu dans la grange auprès de laquelle ils couchaient, et les brûla tous deux pour réparer auprès de Dieu l’injustice du juge qui les avait absous » (Lettre à Damilaville, 7 nov. 1764).

Mais tenons-nous-en aux persécutions contre les protestants de France. Quand le duc d’Orléans devint Régent, ils se crurent permis de tenir leurs assemblées religieuses en prévenant les magistrats. Ce prince, qui n’osait braver l’intolérance du clergé, chargea les gouverneurs de leur faire entendre qu’on les ménagerait s’ils se conduisaient avec sagesse, mais de leur signifier aussi que les édits subsistaient. Chaque gouverneur agit à sa guise ; presque tous suivirent les traditions du règne précédent. Dans la la Guienne, Berwick proposa de massacrer ceux des religionnaires qui célébraient publiquement leur culte, et le Régent, s’il réprima ce zèle excessif, n’en fit pas moins traduire les délinquants devant le parlement de Bordeaux [159]. Quelques-uns de ses conseillers l’engagèrent à laisser s’établir dans telle ou telle province les protestants expatriés : il en fut empêché, une première fois (1717), par les jansénistes et les gallicans, puis, une seconde (1722), par les jésuites.

La déclaration de 1724, qu’avait inspirée Lavergne de Tressan, renouvela toutes les rigueurs du temps de Louis XIV et y en ajouta d’autres[160]. On interdisait l’exercice du culte même dans les familles. On punissait les fidèles, hommes ou femmes, qui n’auraient pas dénoncé les prédicants, celles-ci de la détention perpétuelle, ceux-là des galères. On enjoignait aux ecclésiastiques d’aller voir les malades suspects et de les exhorter sans témoins. On confirmait la peine des galères à vie et de la confiscation contre tout protestant qui guérissait après avoir refusé les sacrements ; mais il fallait autrefois que ce refus eût été constaté par un magistrat, et maintenant le témoignage d’un curé suffisait. On donnait ordre aux religionnaires d’observer dans le mariage les formules prescrites par les saints canons et par les ordonnances, de sorte que tout état civil leur était dénié. Cet édit fut exécuté à la lettre. L’application ne s’en relâcha que sous le cardinal Fleury. Peu après, à la suite du synode tenu secrètement, en 1744, dans le Bas-Languedoc, la persécution recommença. Deux ordonnances du mois de février 1745 prescrivirent la peine des galères sans forme de procès contre ceux qui auraient pris part à un culte public, et des amendes arbitraires contre tous les protestants de la région qui ne les auraient pas dénoncés.

Citons maintenant quelques exemples.

En 1747, une assemblée de soixante-quatorze personnes ayant été surprise à Anduze, on envoie tous les hommes aux galères. En 1745 et 1746, deux cent soixante-dix-sept hommes, dans la seule province du Dauphiné, subissent le même sort ; quant aux femmes, elles sont fouettées et emprisonnées. En 1746, le présidial d’Auch prononce la sentence capitale contre quarante gentilshommes coupables d’avoir entendu un prêche. En 1754, un autre tribunal condamne à mort le pasteur Lafaye, et le fait exécuter aussitôt. En 1762, le pasteur Rochette est pendu. Quand on vient l’arrêter, le tocsin sonne, et toute la population catholique s’ameute ; trois jeunes gentilshommes, les frères Grenier, prennent les armes de crainte qu’on ne leur fasse un mauvais parti : le même tribunal qui avait jugé Rochette les livre au bourreau ; ils ne sont pas pendus, mais décapités.

Nous trouvons la plupart de ces faits mentionnés par Voltaire. « On a fait pendre et rouer des ministres ou prédicants qui tenaient des assemblées malgré les lois ; et, depuis 1745, il y en a eu six de pendus » (Dict. phil., Église, XXIX, 27). « Nous envoyons encore quelquefois à la potence de pauvres gens du Poitou, du Vivarais, de Valence, de Montauban. Nous avons pendu depuis 4745 huit personnes de ceux qu’on appelle prédicants ou ministres de l’Évangile, qui n’avaient d’autre crime que d’avoir prié Dieu pour le roi en patois et d’avoir donné une goutte de vin et un morceau de pain levé à quelques paysans imbéciles » (Traité sur la Tolérance, XLI, 286). « On vient de condamner à être pendu un pauvre diable de Gascon qui avait prêché la parole de Dieu dans une grange, auprès de Bordeaux. Le Gascon maître de la grange est condamné aux galères, et la plupart des auditeurs Gascons sont bannis du pays » (Lettre à Damilaville, 30 oct. 1767).

Voltaire ne se lassa jamais de flétrir ces crimes de l’intolérance. Et, chaque fois qu’il en eut l’occasion, il intervint pour les persécutés. Sans parler, ici non plus, des Calas et des Sirven, combien d’autres malheureux n’a-t-il pas défendus contre le fanatisme ?

Ce furent, par exemple, les Espinas, qu’il finit par sauver[161] ? C’était, quelques années avant, le pasteur Rochette, pour lequel il s’employa de son mieux. « On dit, écrivait-il à Richelieu le 25 octobre 1761, qu’il ne faut pas pendre le prédicant de Caussade, parce que c’en serait trop de griller des jésuites à Lisbonne et de pendre des pasteurs évangéliques en France. Je m’en remets sur cela à votre conscience. » Et, comme s’il se souciait peu de cette affaire : « Rosalie[162], ajoute-t-il, m’intéresse davantage », etc. Puis, le 27 novembre, revenant à la charge : « Qu’on pende le prédicant Rochette ou qu’on lui donne une abbaye, cela est fort indifférent pour la prospérité du royaume des Francs ; mais j’estime qu’il faut que le parlement le condamne à être pendu et que le roi lui fasse grâce. Si c’est vous, monseigneur, qui obtenez cette grâce du roi, vous serez l’idole de ces faquins de huguenots. Il est toujours bon d’avoir pour soi tout un parti. » On a souvent allégué ces deux lettres pour montrer que le défenseur des Calas et des Sirven abandonnait à leur sort les protestants persécutés s’ils ne lui donnaient pas l’occasion de jouer un grand rôle. Mais on se garde bien de les citer tout entières, et l’on en dénature le sens. Voltaire n’ignorait pas que les juges appliqueraient la loi ; s’il affecte de ne prendre aucun intérêt au pasteur Rochette, c’est pour plaider sa cause avec plus d’adresse.

La tolérance ayant fait de grands progrès dans la seconde moitié du xviiie siècle, Voltaire put se rendre témoignage que son action n’avait pas été inutile. Cependant, en 1775, au sacre de Louis XVI, Loménie de Brienne, prélat incrédule comme tant d’autres, pressa le nouveau roi de porter le dernier coup aux protestants. Devenu plus tard ministre, l’opinion publique l’obligea de leur restituer l’état civil. Mais cette mesure lui aliéna la plupart des gens d’Église. Quinze ans après, en 1789, le clergé proteste dans ses cahiers contre tout ce qui s’est fait récemment pour améliorer le sort des religionnaires ; et, prévoyant de nouvelles « concessions », il demande qu’on les tienne exclus des charges de judicature, qu’on ne lève ni l’interdiction de leur culte en public, ni celle des mariages mixtes.

Ce n’est pas proprement au christianisme que Voltaire attribue l’intolérance et la persécution, ce n’est pas du moins au christianisme de Jésus, c’est à celui de l’Église. Et, bien souvent, les comparant entre eux, il montre que la religion catholique contredit en tout le christianisme primitif.

Elle le contredit sur la question même de la tolérance. Voltaire se plaît à rappeler maintes paraboles des Évangiles où Jésus prêche la douceur et le pardon : voici le père de famille tuant un veau gras en l’honneur du fils prodigue, voici le Samaritain charitable, voici l’ouvrier qui, venant travailler à la dernière heure, est payé comme les autres. Mais Jésus-Christ prêche aussi d’exemple : il protège la femme adultère ; il réprime les fils de Zébédée appelant le feu du ciel sur une ville qui les a mal accueillis ; il oblige Pierre de rengainer son épée. « Si vous voulez ressembler à Jésus-Christ, conclut Voltaire, soyez martyrs et non pas bourreaux » (Traité sur la Tolérance, XLI, 331).

Quant aux pratiques, il n’y a aucun rapport entre celles du christianisme et celles du catholicisme. La synaxe des premiers chrétiens n’était point une messe privée ; les images furent interdites pendant plus de deux cents ans, la confession auriculaire ne s’établit qu’au vie siècle, et, jusque vers le viie, les petits enfants reçurent l’eucharistie[163].

De même pour les dogmes. L’invocation publique des saints ? Il n’y en a pas trace avant l’an 375. La procession du Saint-Esprit ? Elle date du temps de Charlemagne. L’Immaculée conception ? Elle remonte au xiie siècle. Bien plus, les deux natures du Christ ne furent pleinement reconnues qu’en 451[164], et ses deux volontés qu’en 680[165]. C’est le premier concile de Nicée qui adopta la consubstantialité de Dieu et de son fils. Jusqu’à saint Augustin et saint Jérôme, aucun Père de l’Église n’avait enseigné le péché originel[166].

Né sous la loi mosaïque, Jésus-Christ fut circoncis selon cette loi, il en pratiqua les observances, en suivit les prescriptions, ne mangea ni la chair du porc, qui est un animal immonde, ni celle du lapin, qui rumine et n’a pas le pied fendu[167]. À proprement parler, sa religion est le judaïsme ; et, quant à la théologie catholique, aucun docteur ne serait assez habile pour la lui faire seulement comprendre.

Jésus ne révéla point le mystère de son incarnation et ne prétendit point être le fils d’une vierge ; il laissa aux cordeliers et aux jacobins le soin de décider si sa mère elle-même avait été conçue sans péché ; il ne déclara point que le mariage est le signe visible d’une chose invisible ; il ne parla point des sept sacrements, des sept vertus, des sept péchés capitaux, des sept douleurs, des sept béatitudes, des sept sortes de grâces qui répondent aux sept branches du chandelier. Il n’institua point la hiérarchie ecclésiastique. Il cacha à ses contemporains qu’il était le fils de Dieu éternellement engendré, consubstantiel à Dieu, et que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils. Il ne dit point que, la première femme ayant été persuadée par un serpent de manger une pomme, toute la postérité de cette femme devait naître coupable des plus horribles crimes et vouée aux flammes éternelles. Il ne dit point qu’il était venu racheter les hommes et que cependant il rachèterait ceux-là seuls auxquels il aurait donné une grâce efficace, laquelle peut n’avoir aucune efficacité. Il n’ordonna point à ses disciples de mettre par des paroles son corps tout entier dans un petit morceau de pain, et son sang, à part, dans un gobelet de vin. Si Jésus avait voulu fonder une nouvelle religion, n’en aurait-il pas établi les lois, fixé les rites, organisé la hiérarchie ? Mais il ne professait aucun dogme, pas plus que les Juifs, et il se contenta de prêcher la morale. Tous les dogmes ont été inventés après lui. Dans son enseignement ne paraît nulle trace de ce que nous appelons le christianisme ; et la première condition pour être chrétien dans le vrai sens du mot, c’est de ne pas être catholique[168].

Faut-il, d’autre part, examiner comment les ministres de Jésus imitent sa vie et ses mœurs ? Jésus a été pauvre, a fui les honneurs, a chéri l’abaissement, les souffrances. Comparons-lui les évêques et le pape. En tout pays, les évêques usurpent sur l’autorité séculière ; ils sont riches ; ils vivent dans la mollesse[169]. Quant au pape, il habite un palais magnifique et possède d’immenses revenus. Lui qui devrait être le serviteur des serviteurs de Dieu, il prétend dominer par-dessus les rois, leur donner et leur enlever la couronne selon son bon plaisir. Un fakir des Indes ressemble beaucoup plus à Jésus que le pape. Disons mieux : si le pape fait tout le contraire de ce que fit et commanda le Christ, il est proprement un anté-christ[170].

Voltaire, à vrai dire, a souvent mal parlé de Jésus. Il en parle mal toutes les fois qu’il considère, non pas Jésus lui-même, mais le faux christianisme des catholiques.

Dans l’article Messie du Dictionnaire philosophique et dans l’Examen important, il suit le Sepher Toldos Jeschut[171]. Qu’est-ce donc que ce prétendu fils de Dieu ? Une nommée Mirja, épouse d’un certain Jocanam, se laissa séduire par un soldat du voisinage qui la rendit mère. Confus et désespéré, Jocanam quitta le pays pour ne plus y revenir. Le fils de Mirja, Jésu ou Jeschut, fut déclaré bâtard par le juge. Arrivé à l’âge de suivre l’école publique, il s’y plaça parmi les enfants légitimes et en fut exclu : de là son animosité contre les prêtres, qu’il ne cessa d’injurier et de calomnier. Un jour, il se prit de querelle avec un autre Juif, appelé Judas, sur quelque affaire d’intérêt matériel ou sur certains points de doctrine religieuse. Judas le dénonça au sanhédrin. Arrêté, il demanda pardon et pleura. Mais le tribunal ne l’en condamna pas moins ; il fut fouetté, puis lapidé, enfin pendu. Voilà l’histoire authentique de Jésus-Christ. Cette histoire, à laquelle s’ajoutèrent par la suite des fables insipides et grotesques, est du reste très conforme à ce qui se passe tous les jours sous nos yeux[172].

Quant à ses miracles, ils suffiraient pour le couvrir de ridicule. Envoyer des diables dans les corps de deux mille cochons, dire la bonne aventure à une Samaritaine, guérir un muet en lui palpant la langue, sécher un figuier qui ne porte pas de fruits avant la saison, quoi de plus impertinent ou de plus absurde[173] ?

Personnellement, Jésus était un homme de rien, vil et méprisable, dénué de talent, de science, d’adresse, qui, ayant voulu faire parler de lui, passa pour un extravagant et un imposteur aux yeux de ses contemporains. S’il fut moqué, fouetté, persécuté et finalement mis en croix, tel est le sort de tous ceux qui ont prétendu jouer le même rôle sans avoir plus d’habileté[174].

Au reste, ses paroles ne valaient pas mieux que ses actes. Il compare le royaume des cieux à un grain de moutarde, à un morceau de levain mêlé dans trois mesures de farine, à un filet avec lequel on pêche du bon et du mauvais poisson. Quelle grossièreté et quelle bassesse ! Parfois ses propos sont odieux : il se vante d’être venu apporter le glaive et non la paix, semer le désordre entre le fils et le père, entre la fille et la mère ; il recommande à notre imitation le maître qui jette en prison des serviteurs coupables de ne pas avoir fait valoir son argent à usure. Est-ce donc ainsi que parle un sage ou même un homme raisonnable[175] ?

Mais, si Voltaire dénigre souvent et vilipende Jésus-Christ, considéré comme responsable des crimes commis en son nom, il le loue au contraire quand il veut montrer que le catholicisme est une perversion du christianisme. Et ne nous étonnons pas s’il se contredit alors sur la plupart des points.

« L’histoire véritable de Jésus, écrit-il dans Le Douteur et l’Adorateur, n’était probablement que celle d’un homme juste qui avait repris les vices des pharisiens et que les pharisiens firent mourir » (XLI, 404). Et, dans L’Homélie sur l’interprétation du Nouveau Testament : « Jésus était un homme de bien qui parlait aux pauvres contre la superstition des riches pharisiens et des prêtres insolents » (XLIII, 290). Il lui reconnaît le don de s’attacher des disciples ; il vante ses bonnes mœurs, son courage, sa charité. Dans un passage de Dieu et les Hommes, il semble le mettre au-dessous de Socrate, comme ayant eu peur de la mort. Mais, dans le Traité sur la Tolérance, il le lui préfère, comme ayant prévu et voulu son supplice ; si d’ailleurs Jésus, au moment de mourir, sua une sueur de sang, son âme, dit-il, resta inébranlable ; et la plus grande preuve de constance, n’est-ce pas de braver la mort en la redoutant[176] ? Enfin, dans la Profession de foi des Théistes, il l’appelle « un homme distingué entre les hommes par son zèle, par sa vertu, par son amour de l’égalité fraternelle » : Il plaint « ce réformateur peut être un peu inconsidéré, qui fut la victime des fanatiques persécuteurs »; et, oubliant de quelle façon lui-même le traita, il se défend d’en avoir jamais parlé avec mépris ou dérision[177].

Tout à l’heure il reprochait à Jésus quelques-unes de ses maximes et de ses paraboles. Il soutient maintenant qu’elles lui ont été faussement attribuées ; et, si elles sont authentiques, il proteste contre le sens qu’y donnent les sectaires. Ceux-ci en prennent texte pour justifier leur fanatisme. Mais ni la parabole du figuier stérile ne nous autorise à maltraiter nos frères, ni le Compelle intrare à employer la force quand la douceur ne nous a pas réussi. Toute la conduite de Jésus dément cette interprétation[178].

D’une part Voltaire, mettant le christianisme évangélique en contraste avec celui des théologiens et des inquisiteurs, déclare expressément que le Christ n’était pas chrétien[179] ; d’autre part, réservant le nom de chrétien à ceux qui professent et pratiquent le christianisme de Jésus, il revendique ce nom pour lui-même. « Je suis chrétien, fait-il dire à son Adorateur, je suis chrétien comme l’était Jésus, dont on a changé la doctrine céleste en doctrine infernale » (Le Douteur et l’Adorateur, XLI, 405).

Qu’est-ce, en somme, que le Christ ? Un serviteur de Dieu qui a prêché la vertu, autant dire un théiste[180]. Son christianisme, si tôt perverti par la superstition et l’intolérance, Voltaire l’a toujours préconisé. C’est ce christianisme qu’il glorifie par exemple dans Alzire[181]. Et, plus tard, prenant à partie un pamphlétaire qui représentait la morale du Christ comme oppressive et corruptrice, il lui reproche de la confondre avec celle des faux chrétiens[182].

La religion protestante se rapproche plus que la catholique du véritable christianisme. Aussi lui marque-t-il souvent quelque préférence. L’auteur d’une dissertation critique sur la Henriade[183] avait écrit ces lignes : « … Un vieillard catholique qui prédit deux choses : l’une, que notre religion[184] sera bientôt détruite ; l’autre, que Henri IV se fera papiste dans l’occasion. De ces deux prédictions, la première me semble difficile à accomplir ; au contraire, il y a plus d’apparence que le papisme sera à sa fin plus tôt que le protestantisme. » Voltaire met en marge de son exemplaire : « Je le souhaite de tout mon cœur, et ni moi ni mon ouvrage ne s’y opposent » (Réponse à la critique de la Henriade, X, 496). Il fait dire à milord Cornsbury : « Notre Église anglicane est… moins absurde que la romaine ; j’entends que nos charlatans ne nous empoisonnent qu’avec cinq ou six drogues, au lieu que les montebanks[185] papistes empoisonnent avec une vingtaine » (Lettre de milord Cornsbury à milord Bolingbroke, XLIII, 213). Enfin, dans le Catéchisme de l’Honnête homme, voici comment cet honnête homme parle du protestantisme : « C’est peut-être celle de toutes [les religions] que J’adopterais le plus volontiers, si j’étais réduit au malheur d’entrer dans un parti » (XLI, 122).

Est-il vrai que Voltaire ne comprenne pas l’importance historique de la Réforme ? Ses détracteurs l’ont prétendu. Et il peut dire en effet qu’un « petit intérêt de moines dans un coin de la Saxe produisit plus de cent ans de discordes, de fureurs et d’infortunes chez trente nations ». On reconnaît là sa tendance à expliquer les grands faits par des causes infimes. Mais ceux qui prennent texte de cette phrase n’ont sans doute pas lu les lignes suivantes, où il qualifie la Réforme de « grande révolution dans l’esprit humain et dans le système politique de l’Europe[186] ».

La principale supériorité du protestantisme sur le catholicisme est, d’après Voltaire, qu’il aboutit nécessairement à la libre pensée ; tout protestant est pape. Aussi le protestantisme persécuteur lui semble se mettre en contradiction avec ses propres maximes, et, pour ainsi dire, se renier. « Lorsque nous vous persécutons, nous papistes, écrit-il à M. Bertrand, nous sommes conséquents à nos principes, parce que vous devez vous soumettre aux décisions de notre mère, sainte Église. Hors de l’Église, point de salut. Vous êtes donc des rebelles audacieux. Lorsque vous persécutez, vous êtes inconséquents, puisque vous accordez à chaque charbonnier le droit d’examen » (26 déc. 1763). C’est du protestantisme que date l’affranchissement des esprits et des consciences ; Voltaire, qui ne l’ignore pas, considère les réformateurs comme les lointains devanciers de la « philosophie ».

Pourtant le protestantisme, quels que soient ses principes, a opprimé et persécuté les autres religions partout où il dominait. Dans les pays qui l’adoptèrent, il ne renversa l’autorité de l’Église catholique que pour la remplacer par celle d’une autre Église. Aux décisions des conciles il substitua les décisions des synodes : or, le synode de Dordrecht vaut-il beaucoup mieux que le concile de Trente[187] ? Tous les réformateurs, depuis Wiclef jusqu’à Luther, furent intolérants. Quant au bourreau de Servet, Voltaire flétrit en maints endroits son fanatisme et son despotisme. Dans l’article Dogmes du Dictionnaire philosophique[188], Calvin, devant les juges des morts, se vante d’avoir renversé l’idole papale, d’avoir écrit contre la sculpture, montré que les bonnes œuvres ne servent à rien, interdit la danse comme diabolique. « Placez-moi, conclut-il, à côté de saint Paul. » Mais, « comme il parlait, on vit auprès de lui un bûcher enflammé ; un spectre épouvantable, portant au cou une fraise espagnole à moitié brûlée, sortait du milieu des flammes avec des cris affreux. Monstre, s’écriait-il, monstre exécrable, tremble ! Reconnais ce Servet que tu as fait périr par le plus cruel des supplices » (XXVIII, 441). Alors, tous les juges ordonnent que Calvin soit précipité dans la géhenne.

Après tout l’intolérance protestante égala l’ intolérance catholique. Les meurtriers de Servet et de Barneveldt ne peuvent rien reprocher à ceux du conseiller Dubourg, et la Saint-Barthélemy n’est pas plus détestable que les sombres fureurs du presbytérianisme anglais ou la rage des camisards cévenols[189]. Écrivant à un religionnaire de Hollande, Voltaire lui représente que les huguenots ne sauraient incriminer dans autrui un fanatisme dont eux-mêmes sont infectés. « Il n’est pas moins nécessaire de prêcher la tolérance chez vous que parmi nous… Si un des vôtres croit devoir préférer pour le salut de son âme la messe au prêche, il cesse aussitôt d’être citoyen, il perd tout, jusqu’à sa patrie. Vous ne souffririez pas qu’aucun prêtre dit sa messe à voix basse, dans une chambre close, dans aucune de vos villes. N’avez-vous pas chassé des ministres qui ne croyaient pas pouvoir signer je ne sais quel formulaire de doctrine ?… N’a-t-on pas déposé un pasteur parce qu’il ne voulait pas que ses ouailles fussent damnées éternellement ? Vous n’êtes pas plus sages que nous » (Lettre à M. ***, 3 janv. 1759). Dans le second des Dialogues chrétiens, un ministre protestant s’unit à un prêtre catholique pour persécuter les philosophes : la seule différence entre eux est que le ministre veut s’y prendre, avec une douceur perfide[190]. Et rappelons enfin les vers bien connus de la Henriade :

Je ne décide point entre Genève et Rome.
De quelque nom divin que leur parti les nomme,
J’ai vu des deux côtés la fourbe et la fureur…
L’un et l’autre parti, cruel également,
Ainsi que dans le crime est dans l’aveuglement

(X, 75.)
Ces vers, que le poète fait prononcer à Henri IV, expriment en réalité sa propre pensée. Il semble quelquefois préférer la religion protestante à la catholique. Mais, si elle est moins absurde et moins superstitieuse, peu importe, après tout, le nombre des drogues avec lesquelles une religion nous empoisonne.

C’est un lieu commun de dire que Voltaire fut « le génie de la destruction ». On reproche au xviiie siècle en général d’avoir tout ruiné sans rien rebâtir. N’est-ce donc pas sur les principes des philosophes que se constitua la société moderne ? Et quand même leur œuvre, à la considérer en soi, eût été purement destructive, ruiner les erreurs, les préjugés, les abus, n’est-ce pas édifier la vérité et la justice ? Pareillement on accuse Voltaire de jeter à bas le catholicisme sans y rien substituer. On l’en accusait déjà de son temps. Et il s’écrie : « Quoi ! un animal féroce a sucé le sang de mes proches, je vous dis de vous défaire de cette bête, et vous me demandez ce qu’on mettra à sa place ! » (Exam. important, XLIII, 204). Après avoir tué le lion de Némée ou l’hydre de Lerne, Hercule devait-il donc mettre à leur place de nouveaux monstres ?

Au reste, Voltaire ne prétend pas ruiner du jour au lendemain la religion catholique. Il est encore trop tôt ; attendons que le peuple puisse s’en passer. Jusque-là, bornons-nous à surveiller et à contenir l’Église, à rabaisser son orgueil, à réprimer surtout son fanatisme. Certes la philosophie commence de répandre la lumière parmi les nations, et non seulement dans les classes cultivées, mais jusque dans la foule. Pourtant ce n’est encore que l’aube des temps nouveaux. Sans cesser d’être actifs, soyons patients. Traitons le catholicisme comme le médecin traite une maladie chronique ; ne comptons pas l’extirper d’un coup, attaquons-le par degré[191]. La religion catholique « est un arbre qui, de l’aveu de toute la terre, n’a porté jusqu’ici que des fruits de mort ; cependant nous ne voulons pas qu’on le coupe, mais qu’on le greffe » (Dieu et les Hommes, XLVI, 270)[192].

« Dieu, la vérité, la vertu » voilà ce qui remplacera le catholicisme[193]. Croire en Dieu, être juste et bienfaisant, que faut-il davantage ? Nous n’avons nul besoin d’une théologie.

Disons mieux : la théologie enfante l’athéisme et l’immoralité. La théologie enfante l’athéisme : car, incapables de s’élever par eux-mêmes aux pures croyances, mais ayant assez d’esprit pour juger absurde la religion des théologiens, beaucoup d’hommes concluent qu’il n’y a pas de Dieu[194]. Et la théologie enfante l’immoralité : car ces hommes, n’étant plus dès lors réprimés par aucun frein, cèdent à leurs mauvaises passions et se jettent dans tous les vices[195].

Au catholicisme il faut substituer la religion naturelle, qui bannit toute relation, tout merveilleux, tout dogme inintelligible. Mais qu’est-ce que cette religion ? C’est, tout simplement, la morale.

  1. « Croiriez-vous qu’il y a eu des gens qui m’ont appelé athée ? C’est appeler Quesnel moliniste » (Lettre à M. Contant d’Orville, 11 févr. 1766).
  2. L’Examen important de milord Bolingbroke.
  3. Dans les notes que Voltaire écrivit sur son exemplaire du Vicaire Savoyard, on trouve notamment les deux suivantes :
    Texte du Vicaire Savoyard : Que faire au milieu de toutes ces contradictions ?… Respecter en silence ce qu’on ne saurait ni rejeter ni comprendre. Note de Voltaire : « Si tu ne comprends, rejette. »
    Texte du Vicaire Savoyard : Dans l’incertitude on nous sommes, c’est une inexcusable présomption de professer une autre religion que celle où l’on est né. Note de Voltaire : « Pourquoi professer des sottises ? Il n’y a qu’à se taire et à ne rien professer. » (Notes inédites de Voltaire sur la Profession de foi du Vicaire Savoyard, publiées par B. Bouvier, Genève, 1906).
  4. « Il y a partout de ces esprits également absurdes et méchants qui croient ou qui font semblant de croire qu’on n’a point de religion quand on n’est pas de leur secte… J’ai dit quelque part que La Mothe-le-Vayer, précepteur du frère de Louis XIV, répondit un jour a un de ces maroufles : Mon ami, j’ai tant de religion que je ne suis pas de ta religion. Ils ignorent, ces pauvres gens,… que la religion ne consiste ni dans les rêveries des bons quakers, ni dans celles des bons anabaptistes ou des piétistes, ni dans l’impanation et l’invination, ni dans un pèlerinage à Notre-Dame-de-Lorette, à Notre-Dame-des-Neiges ou à Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, mais dans la connaissance de l’Être suprême qui remplit toute la nature et dans la vertu » (Lettre à Frédéric, nov. 1769 ; LXVI, 75). — Cf. encore, Henriade, chant iv, le portrait de la Religion, X, 145.
  5. « Détestons, ajoute-t-il, ce monstre qui a toujours dechiré le sein de sa mère ; ceux qui le combattent sont les bienfaiteurs du genre humain ; c’est un serpent qui entoure la religion de ses replis. Il faut lui écraser la tête sans blesser celle qu’il infecte et qu’il dévore. »
  6. « Il parait clair qu’on peut aimer un objet sans aucun retour sur soi-même, sans aucun mélange d’amour-propre intéressé. Nous ne pouvons comparer les choses divines aux choses terrestres, l’amour de Dieu à un autre amour. Il manque précisément un infini d’échelons pour nous élever de nos inclinations humaines à cet amour sublime. Cependant, puisqu’il n’y a pour nous d’autre point d’appui que la terre, tirons nos comparaisons de la terre. Nous voyons un chef-d’œuvre de l’art en peinture, en sculpture, en architecture, en poésie, en éloquence ; nous entendons une musique qui enchante nos oreilles et notre âme : nous l’admirons, nous l’aimons, sans qu’il nous en revienne le plus léger avantage. C’est un sentiment pur ; nous allons même jusqu’à sentir quelquefois de la vénération, de l’amitié pour l’auteur ; et, s’il était là, nous l’embrasserions. C’est à peu près la seule manière dont nous puissions expliquer notre profonde admiration et les élans de notre cœur envers l’éternel architecte du monde. Nous voyons l’ouvrage avec un étonnement mêlé de respect et d’anéantissement, et notre cœur s’élève autant qu’il peut vers l’ouvrier » (XXVI, 271).
  7. Dict. phil., Prières, XXXI, 517.
  8. Cf. Dialogue entre un Brachmane et un Jésuite : « Le Brachmane. L’ordre établi par une main éternelle et toute puissante doit subsister à jamais. — Le Jésuite. À vous entendre, il ne faudrait donc point prier Dieu ? — Le Brachmane. Il faut l’adorer. Mais qu’entendez-vous par le prier ? — Le Jésuite. Ce que tout le monde entend ; qu’il favorise nos désirs, qu’il satisfasse à nos besoins. — Le Brachmane. Je vous comprends. Vous voulez qu’un jardinier obtienne du soleil à l’heure que Dieu a destinée de toute éternité pour la pluie, et qu’un pilote ait un vent d’Est lorsqu’il faut qu’un vent d’Occident rafraichisse la terre et les mers. Mon père, prier, c’est se soumettre » (XXXIX, 587). — Cf. encore Les Oreilles du comte de Chesterfield, XXXIV, 437, et l’article Dieu du Dictionnaire philosophique, XXVIII, 395.
  9. Dieu et les Hommes, XLVI, 275 sqq.
  10. Dict. phil., Dieu, XXVIII, 390.
  11. « Est-il un pur positiviste en morale ? Il semble que oui, il semble que non. Il semble que oui : il repousse de toutes ses forces les idées innées… Donc, point de loi morale… Si ! il y en a une et Voltaire fait une exception en sa faveur. Pour elle, il supposera une idée innée, une manière de révélation. Dieu a parlé. « Il a donné sa loi »… Qu’on ne dise point que la conscience est un effet de l’hérédité, de l’éducation, de l’habitude et de l’exemple ; elle est bien un ordre de Dieu à notre âme » (E. Faguet, Dix-huitième siècle, p. 210).
  12. Cf. Traité de Métaphysique, XXXVII, 299 sqq.
  13. « Qui nous a donné le sentiment du juste et de l’injuste ? Dieu, qui nous a donné un cerveau et un cœur. Mais quand votre raison vous apprend-elle qu’il y a vice et vertu ? Quand elle nous apprend que deux et deux font quatre. Il n’y a point de connaissance innée, par la raison qu’il n’y a point d’arbre qui porte des feuilles et des fruits en sortant de terre. Rien n’est ce qu’on appelle inné, c’est-à-dire né développé. Mais… Dieu nous fait naître avec des organes qui, à mesure qu’ils croissent, nous font sentir tout ce que notre espèce doit sentir pour la conservation de cette espèce » (Dict. phil., Juste, XXX, 503). — Cf. encore Ibid., Conscience, XXVIII, 170; Loi naturelle, XIX, 164.
  14. Ce n’est là peut-être qu’une légende postiche.
  15. Ou Le Pour et le Contre. Écrite sans doute en 1722, imprimée dix ans plus tard.
  16. Essai sur les Mœurs, XVI, 135.
  17. Ibid., id., 212.
  18. Ibid., id., 205.
  19. Ibid., id., 168.
  20. Ibid., id., 190.
  21. Ibid., id., 149.
  22. Cf. Essai sur les Mœurs. « On ne pouvait reprocher à ces bénédictins de violer par leurs richesses leur vœu de pauvreté, car ils ne font point expressément ce vœu… On leur donna même souvent des terres incultes qu’ils défrichèrent de leurs mains. Ils formèrent des bourgades, des petites villes même autour de leurs monastères. Ils étudièrent ; ils furent les seuls qui conservèrent les livres en les copiant ; et enfin, dans ces temps barbares où les peuples étaient si misérables, c’était une grande consolation de trouver dans les cloitres une retraite assurée contre la tyrannie » (XV, 443). — Remarques de l’Essai sur les mœurs : « On a parlé des moines dans l’Essai sur les Mœurs, quoique cette partie du genre humain ait été omise dans toutes les histoires qu’on appelle profanes… L’auteur a été beaucoup plus modéré envers eux que le célèbre évêque du Bellay et que tous les auteurs qui ne sont pas du rite romain » (XLI, 156.).
  23. L’équité de Voltaire historien ne saurait pourtant, ajoutons-le, remplacer cette sympathie dont Renan faisait l’âme même de l’histoire. Il n’a pas vu et peut-être n’a-t-il pas voulu voir ce que le christianisme pouvait contenir d’approprié aux instincts, aux besoins, aux aspirations intimes de l’âme humaine. Mais doit-on lui demander de la sympathie pour une religion qu’il s’attacha pendant toute sa vie à combattre ? C’est comme si l’on en demandait à l’auteur des Provinciales pour le jésuitisme.
  24. Celui que traça Voltaire a, depuis cent cinquante ans, admis tous les progrès de la science historique, et l’on peut dire que nos historiens du xixe siècle sont ses disciples et ses continuateurs.
  25. Dict. phil., Dioclétien, XXVIII, 398 sqq., Martyrs, XXXI, 158 ; Essai sur les mœurs, XV, 355 sqq. ; Examen important, XLIII, 164 sqq. ; etc.
  26. Dict. phil., Julien, XXX, 493 sqq. — Cf. Examen important, XLIII, 179 sqq. ; Discours de l’Empereur Julien, XLV, 197 sqq. ; etc.
  27. Dict. phil., Constantin, XXVIII, 184 sqq. ; Examen important, XLIII, 167 sqq. ; Fragment sur l’Hist. générale, XLVII, 541; Hist. de l’établiss. du christianisme, L, 483 sqq.; etc.
  28. Dict. phil., Théodose, XXXII, 357 sqq. ; Examen important, XLIII, 188 ; Fragment sur l’Hist. générale, XLVII, 544, 542; etc.
  29. Cf. Dict. phil., David, XXVIII, 293 sqq., Philosophe, XXXI, 397 ; Examen important, XLIII, 71 sqq.; Fragm. sur l’Hist. générale, XLVII, 539 sqq. ; la Bible enfin expliquée, XLIX, 271 sqq. ; etc. — Cf. encore la pièce intitulée Saül (VII, 325 sqq.) dont Voltaire dit à Mme du Deffand : « Avez-vous jamais lu, madame, la tragédie de Saül et David ? On l’a jouée devant un grand roi ; on y frémissait et on y pâmait de rire, car tout y est pris mot pour mot de la Sainte Écriture. » (Lettre du 7 août 1769.)
  30. Dict. phil., Idole, XXX, 279 sqq.
  31. Dict. phil., Polythéisme, XXXI, 465 sqq.
  32. Ibid., id.
  33. Ibid., Idole, XXX, 279 sqq.
  34. Dict. phil., Morale, XXXI, 261.
  35. Ibid., Humilité, XXX, 260, 261. — Cf. le Dîner du comte de Boulainvilliers, XLII, 567.
  36. Essai sur les Mœurs, XVI, 492.
  37. Remarq. de l’Essai sur les Mœurs, XLI, 129.
  38. Dict. phil., Christianisme, XXVIII, 52 sqq. ; Dieu et les Hommes, XLVI, 235 sqq. ; Hist. de l’établiss. du Christianisme, L, 407 sqq.; etc.
  39. Voltaire écrivit sa pièce d’Olympie pour montrer la conformité des mystères et des rites païens avec ceux du christianisme. Cf. Lettre à Damilaville, 8 mars 1762 : « On a voulu mettre au théâtre la religion des prétendus païens, faire voir dans des notes que notre sainte religion a tout pris de l’ancienne », etc. Cf. encore Lettre à d’Alembert, 25 févr. 1762, et Lettre à d’Argental, 13 juill. 1763.
  40. Dieu et les Hommes, XLVI, 285.
  41. Dict. phil., passim ; Extrait des Sentiments de J. Meslier, XL, 410 ; Questions de Zapata, XLIII, 7 sqq. ; Instruction à frère Pediculoso, XLIV, 486 sqq. ; etc.
  42. Dict. phil., Généalogie, XXIX, 537 sqq.; Extrait des Sentiments de J. Meslier, XL, 412 sqq. ; Instruction à frère Pediculoso XLIV, 496 sqq. ; etc.
  43. Dict. phil., Évangile, XXIX, 268 sqq., Genèse, XXX, 25 sqq. ; Moïse, XXXI, 239 sqq. ; Extrait des Sentiments de J. Meslier, XL, 406 sqq ; etc.
  44. Examen important, XLIII, 103 sqq. ; Collection d’anciens Évangiles, XLV, 325 sqq. ; Hist. de l’établiss. du Christianisme, L, 462 sqq., 489; etc.
    Si l’exégèse biblique et l’histoire religieuse ne sont pas chez Voltaire originales par le fond même, — car il ne fit le plus souvent que répéter à sa façon ce qu’avaient déjà dit Spinoza, Bayle, Fréret et les philosophes anglais tels que Woolston, Collins, Toland, Bolingbroke, — non seulement ce fut un admirable vulgarisateur, mais surtout il répandit dans le grand public l’esprit de libre examen, opprimé jusqu’alors par une aveugle superstition des textes sacrés ; et, d’autre part, si sa polémique ne répond plus en bien des points aux idées de notre époque, si les progrès des sciences historiques, naturelles et morales ont renouvelé les études religieuses, nos exégètes modernes ne le dépassèrent qu’en le continuant.
  45. Cf. encore Lettre à d’Alembert, 26 juin 1766 : « Le ridicule vient à bout de tout ; c’est la plus forte des armes. » — Lettre à Mme du Deffand, 21 nov. 1766 : « Il faut avouer en général que le ton de la plaisanterie est, de toutes les clefs de la musique française, celle qui se chante le plus aisément, » — Lettre à M. Gaillard, 2 mars 1769 : « Vous me parlez de certaine petite folie ; il est bon de ne pas être toujours sur le ton sérieux, qui est fort ennuyeux à la longue dans notre chère nation. Il faut des intermèdes. Heureux les philosophes qui peuvent rire et même faire rire ! » — Et, dans une lettre à d’Alembert, du 8 octobre 1760, le rondeau qui suit :

    En riant quelquefois on rase
    D’assez près ces extravagants
    À manteaux noirs, à manteaux blancs,
    Tant les ennemis d’Athanase,
    Honteux ariens de ce temps,
    Que les amis de l’hypostase,
    Et ces sots qui prennent pour base
    De leurs ennuyeux arguments
    De Baïus quelque paraphrase.
    Sur mon bidet, nommé Pégase,
    J’éclabousse un peu ces pédants ;
    Mais il faut que je les écrase
    En riant.

  46. Lettre à d’Alembert, 28 nov. 1762. — On peut, il est vrai, reprocher à Voltaire bien des pages dans lesquelles sa polémique antireligieuse ne s’interdit pas la bouffonnerie, voire lobscénité. Mais là même il a son excuse dans la bêtise pieuse avec laquelle des écrivains catholiques, tels par exemple que dom Calmet (Dict. de la Bible, 1722 ; Hist. de l’Anc. Testament, 1737) commentaient certains passages de la Bible, si peu chastes à vrai dire ou si orduriers, que l’obscénité dont on accuse Voltaire consiste la plupart du temps à les avoir tout simplement traduits.
  47. Cf. Lettre à Damilaville, 19 juill. 1766 : « Le rôle de Democrite est fort bon quand il ne s’agit que des folies humaines ; mais les barbaries font des Héraclites. Je ne crois pas que je puisse rire de longtemps. » — Lettre à M. Gaillard, 2 mars 1769 : « Quand les échafauds sont dressés à Toulouse et à Abbeville, je suis Héraclite ; quand on se saisit d’Avignon, je suis Démocrite. » — Cf. encore cette page peu connue des Questions sur les Miracles : « Il y a des choses dont on ne doit que rire ; il y en a contre lesquelles il faut s’élever avec force. Moquez-vous tant qu’il vous plaira de saint Justin qui a vu la statue de sel en laquelle la femme de Loth fut changée… Riez des miracles de saint Pacôme, que le diable tentait lorsqu’il allait à la selle, et de ceux de saint Grégoire Thaumaturge qui se changea un jour en arbre. Ne faites nul scrupule, en adorant Dieu et en servant le prochain, de vous moquer des superstitions qui avilissent la nature humaine ; riez des sottises ; mais éclatez contre la persécution. L’esprit persécuteur est l’ennemi de tous les hommes ; il mène droit à l’établissement de l’Inquisition, comme le larcin conduit à être voleur de grand chemin. Un voleur ne vous ôte que votre argent ; mais un inquisiteur veut vous ravir jusqu’à vos pensées. Il fouille dans votre âme, il veut y trouver de quoi faire brûler votre corps. J’ai lu ces jours passés dans un livre nouveau [le Catéchisme de l’Honnête homme] qu’il y a un enfer, qu’il est sur la terre, et que ce sont les persécuteurs théologaux qui en sont les diables » (XLII, 259).
  48. De même, Lettre à Schomberg, 31 août 1769 : « Ne soyez point étonné, Monsieur, que j’aie été malade au mois d’auguste… J’ai toujours la fièvre vers le 24 de ce mois, comme vers le 14 de mai » ; Lettre à M. Marin, 10 sept. 1774, édition Moland, XLIX, 79. — Sur Voltaire défenseur des victimes du fanatisme, cf. p. 145 sqq.
  49. Voici un passage du Dictionnaire philosophique où l’indignation succède au rire : « Peut-on répéter sérieusement que les Romains condamnèrent sept vierges de soixante et dix ans chacune à passer par les mains de tous les jeunes gens de la ville d’Ancyre ?… C’est apparemment pour faire plaisir aux cabaretiers qu’on a imaginé qu’un caberetier chrétien, nommé Théodote, pria Dieu de faire mourir ces sept vierges plutôt que de les exposer à perdre le plus vieux des pucelages. Dieu exauça le cabaretier pudibond, et le proconsul fit noyer dans un lac les sept demoiselles. Dès qu’elles furent noyées, elles vinrent se plaindre à Théodote du tour qu’il leur avait joué et le supplièrent instamment d’empêcher qu’elles ne fussent mangées des poissons. Théodote prend avec lui trois buveurs de sa taverne, marche au lac avec eux, précédé d’un flambeau céleste et d’un cavalier céleste, repêche les sept vieilles, les enterre et finit par être décapité… On trouve cent contes de cette espèce dans les martyrologes. On a cru rendre les anciens Romains odieux, et on s’est rendu ridicule. Voulez-vous de bonnes barbaries bien avérées, de bons massacres bien constatés, des ruisseaux de sang qui aient coulé en effet, des pères, des mères, des maris, des enfants à la mamelle réellement égorgés et entassés les uns sur les autres. Monstres persécuteurs, ne cherchez ces vérités que dans vos annales : vous les trouverez dans les croisades contre les Albigeois, dans les massacres de Mérindol et de Cabrières, dans l’épouvantable journée de la Saint-Barthélemy, dans les massacres de l’Irlande… Il vous sied bien, barbares que vous êtes, d’imputer au meilleur des empereurs des cruautés extravagantes, vous qui avez inondé l’Europe de sang, et qui l’avez couverte de corps expirants, pour prouver que le même corps peut être en mille endroits à la fois et que le pape peut vendre des indulgences ? Cessez de calomnier les Romains, vos législateurs, et demandez pardon à Dieu des abominations de vos pères » (Martyrs, XXXI, 159).
  50. Boulanger fut persécuté pour des livres d’érudition absolument étrangers aux polémiques contemporaines. En 1749, la Sorbonne dénonça le premier volume de l’Histoire naturelle de Buffon comme admettant plusieurs créations successives. En 1750, à la suite d’un sermon de je ne sais quel Père Aubert, on brûla sur la place publique de Colmar le Dictionnaire de Bayle. Après la publication de l’Émile, Rousseau fut décrété de prise de corps par le Parlement et dut s’exiler. En 1764, on interdit à Thomas d’imprimer son Éloge de Marc-Aurèle, qui avait eu un grand succès, et de le lire à l’Académie. Sept ans après fut renouvelé l’ancien règlement qui ordonnait de ne recevoir au concours académique pour le prix d’éloquence que les discours approuvés par deux docteurs de la Faculté de théologie.
    Recueillons çà et là d’autres exemples dans la Correspondance de Voltaire.
    « Votre héros Fontenelle fut en grand danger pour les Oracles…, et, quand il disait que, s’il avait la main pleine de vérités, il n’en lâcherait aucune, c’était parce qu’il en avait lâché et qu’on lui avait donné sur les doigts. » (Lettre à Helvétius, 15 sept. 1763.) Cf. Dict. phil., Philosophe, XXXI, 398 : « On ne sait pas assez que Fontenelle, en 1713, fut sur le point de perdre ses pensions, sa place et sa liberté, pour avoir rédigé en France, vingt ans auparavant, le Traité des Oracles du savant Van Dale, dont il avait retranché avec précaution tout ce qui pouvait alarmer le fanatisme. » — Helvétius lui-même à qui est écrite la lettre citée plus haut, eut son livre de l’Esprit condamné par le Parlement. « Qui croirait, dit Voltaire à l’article Lettres du Dictionnaire philosophique (XXXI, 9) que, dans le xviiie siècle, un philosophe ait été trainé devant les tribunaux séculiers et traité d’impie par les tribunaux d’arguments pour avoir dit que les hommes ne pourraient exercer les arts s’ils n’avaient pas de mains ? »
    « J’ai vu Fréret, le fils de Crébillon, Diderot, enlevés et mis à la Bastille, presque tous les autres persécutés, l’abbé de Prades traité comme Arius par les Athanasiens, Helvétius opprimé non moins cruellement, Tercier dépouillé de son emploi, Marmontel privé de sa petite fortune, Bret, son approbsteur, destitué et réduit à la misère » (Lettre à Palissot, 16 mars 1761).
    « J’ai à vous parler d’une autre nouvelle qui est assez intéressante selon ma façon de penser ; c’est la persécution que l’on suscite à l’abbé Raynal. On dit qu’il a été obligé de disparaître. Heureusement son livre ne disparaîtra jamais. Est-il vrai qu’on en veut à ce livre et à la personne de l’auteur ? Les jansénistes et les pharisiens se sont réunis, et fuerunt amici ex illa hora. Il n’y aura donc plus moyen chez les Welches de penser honnêtement sans être exposé à la fureur des barbares ! » (Lettre à d’Argental, 26 nov. 1775). [Le principal ouvrage de l’abbé Raynal, l’Histoire philosophique et politique des deux Indes, publiée en 1780, fut brûlé par ordre du Parlement, et l’auteur décrété de prise de corps.]
    « Pourriez-vous me dire si vous avez entendu parler de l’affaire d’un jeune philosophe et par conséquent d’un jeune malheureux, nommé Delisle de Sales, auteur d’un livre intitulé De la Philosophie de la Nature ? Il a été violemment persécuté et même décrété de prise de corps » (Lettre à Marmontel, 8 mars 1777). — « On me mande qu’ils [messieurs du Châtelet] ont condamné au bannissement perpétuel ce pauvre Delisle de Sales » (Lettre au même, 8 avr. 1777).
  51. Parus à part, en 1739.
  52. Lettre à Mme Denis, 28 oct. 1750.
  53. En juillet 1757, la reine, qui allait faire ses dévotions, aperçut dans une librairie un exemplaire de ce poème ; en repassant, elle entra, déchira la brochure et menaça la marchande de faire fermer sa boutique.
  54. Cf. Lettre de Frédéric à Voltaire, juill. 1766 ; LXIII, 218.
  55. Cf., même jour, à Mme de Saint-Julien : « Vous me faites beaucoup d’honneur et un mortel chagrin en m’attribuant l’ouvrage de Saint-Hyacinthe… Les soupçons, dans une matière aussi grave, seraient capables de me perdre et de m’arracher au seul asile qui me reste sur la terre dans une vieillesse accablée de maladies. »
  56. Lettre à Damilaville du 21 juillet 1764 ; Lettre à d’Argental du 1er avril 1768 ; Lettre à d’Alembert du 24 mai 1769.
  57. De l’Esprit.
  58. Cf. Lettre à Helvétius, 27 oct. 1766 : « Qu’importe l’auteur de l’ouvrage ? Ne voyez-vous pas que le vain plaisir de deviner devient une accusation formelle dont les scélérats abusent ? Vous exposez l’auteur que vous soupçonnez ; vous le livrez à toute la rage des fanatiques ; vous perdez celui que vous voudriez sauver. »
  59. É. Faguet, Dix-huitième siècle, p. 197.
  60. Le public ne s’y trompait pas. À qui Voltaire pensait-il faire accroire que ses pamphlets contre le catholicisme avaient été écrits par des religieux persécutés dans leurs couvents (Lettre à Damilaville, 8 févr. 1768), ou que le Dictionnaire philosophique devait être attribué à « un nommé Dubut, petit théologien de Hollande » ? (Lettre au même, 29 sept. 1764 ; cf. Lettre à d’Argental, 1er oct.) Aussi bien le ton même dont il se disculpe et les plaisantes raisons auxquelles il a recours montrent assez que ses désaveux étaient en général de pure forme.
  61. Déjà, par exemple, dans l’Avant-propos des Premières Remarques sur les Pensées de Pascal : « On ne peut trop répéter ici combien il serait absurde et cruel de faire une affaire de parti de cet examen des Pensées. Je n’ai de parti que la vérité. Je pense qu’il est très vrai que ce n’est pas à la métaphysique de prouver la religion chrétienne et que la raison est autant au-dessous de la foi que le fini est au-dessous de l’infini. Il ne s’agit ici que de raison, et c’est si peu de chose chez les hommes que cela ne vaut pas la peine de se fâcher » (XXXVII, 38).
  62. . « Il n’y a d’autre parti à prendre que de se déclarer meilleur chrétien que ceux qui nous accusent de n’être pas chrétiens », etc. (Lettre à d’Alembert, 21 févr. 1761).
  63. « Au moment où il allait être communié, dit Collini, je jetai un coup d’œil subit sur le maintien de Voltaire. Il présentait sa langue en fixant ses yeux bien ouverts sur la physionomie du prêtre. Je connaissais ce regard-là » (Mon séjour auprès de Voltaire, Paris, 1807, p. 127).
  64. Cf. Lettre à d’Alembert, 1er juill. 1766 : « Je rends le pain bénit tous les ans avec une magnificence de village que peut-être le marquis Simon Le Franc n’a pas surpassée. » Lettre à d’Argental, 1er avr. 1768 : « Vous me demandez pourquoi j’ai chez moi un jésuite ; je voudrais en avoir deux, et si on me fâche, je me ferai communier par eux fois par jour. » Lettre au cardinal de Bernis, 9 févr. 1770 : « Si vous êtes cardinal, je suis capucin. Le général qui est à Rome m’en a envoyé la patente… Je me fais faire une robe de capucin assez jolie. »
  65. Lettre à d’Argental, 22 avr. 1768.
  66. Id., 8 mai 1769. — Dans une lettre à Saint-Lambert du 4 avril 1769, après avoir dit : « J’ai eu douze accès de fièvre ; j’ai reçu bravement le viatique en dépit de l’envie. J’ai déclaré expressément que je mourais dans la religion du roi très chrétien et de la France, ma patrie », il ajoute, comme pour se donner le change à lui-même : « Cela est fier et honnête. »
  67. « Vous ne savez pas avec quelle fureur la calomnie sacerdotale m’a attaqué. Il me fallait un bouclier pour repousser les traits mortels qu’on me lançait. Voulez-vous toujours oublier que je suis dans un diocèse italien et que j’ai dans mon portefeuille la copie d’un bref de Rezzonico contre moi ? Voulez-vous oublier que j’allais être excommunié comme le duc de Parme et vous ? Voulez-vous oublier enfin que, lorsqu’on mit un bâillon à Lally et qu’on lui eut coupé la tête pour avoir été malheureux et brutal, le roi demanda s’il s’était confessé ? Voulez-vous oublier que mon évêque savoyard, le plus fanatique et le plus fourbe des hommes, écrivit contre moi au roi, il y a un an, les plus absurdes impostures ?… Il est très faux que le roi lui ait fait répondre par M. de Saint-Florentin qu’il ne voulait pas lui accorder la grâce qu’il demandait. Cette grâce était de me chasser du diocèse, de m’arracher aux terres que j’ai défrichées, à l’église que j’ai rebâtie, aux pauvres que je loge et que je nourris… Le roi veut qu’on remplisse ses devoirs de chrétien ; non seulement je m’acquitte de mes devoirs, mais j’envoie mes domestiques catholiques régulièrement à l’église et mes domestiques protestants régulièrement au temple ; je pensionne un maître d’école pour enseigner le catéchisme aux enfants. Je me fais lire publiquement l’Histoire de l’Église et les Sermons de Massillon à mes repas. Je mets l’imposteur d’Annecy hors de toute mesure, et je le traduirai hautement au Parlement de Dijon s’il a l’audace de faire un pas contre les lois de l’État… Si par malheur j’étais persécuté…, plusieurs souverains… m’offrent des asiles. Je n’en sais point de meilleur que ma maison et mon innocence. Mais enfin tout peut arriver » (Lettre à d’Argental, 23 mai 1769).
  68. Avertissement du Sermon des Cinquante.
  69. Entre autres Brunetière. Cf. Études critiques, t. III, p. 272.
  70. Par exemple, la Défense de milord Bolingbroke, la Lettre de Charles Gouju à ses frères ; quant à l’Extrait des Sentiments de J. Meslier, il en envoyait à Damilaville un exemplaire dès le 4 février 1762.
  71. Cf. Edme Champion, Voltaire, la Date du Sermon des Cinquante, p. 168 sqq.
  72. Lettre à d’Alembert du 8 octobre 1760. À propos d’un rondeau que Voltaire ne prend pas le temps d’achever. Cf. note 1 de la p. 87.
  73. Lettre à Helvétius, 2 janv. 1761.
  74. Dans le reste du Dictionnaire, sans citer les articles que signale assez leur titre, cf. entre autres Avignon, où Voltaire conteste les droits du pape sur cette ville ; Éclipse, où, rappelant la légende d’après laquelle la terre se serait couverte de ténèbres à la mort de Jésus-Christ, il conclut que les ténèbres de la superstition sont bien plus dangereuses ; Économie, où il critique les récits sacrés relatifs à Abraham et à Isaac ; Gloire (section II), où il raille la sottise humaine qui se représente l’Être suprême comme un glorieux ; Horloge, où il ridiculise le miracle « fait en faveur d’Ézéchiel sur son horloge, miracle par lequel le soleil recula sans souci de déranger le cours de tous les autres astres, etc., etc.
  75. Cf. p. 83, n. 2.
  76. Lettre à Damilaville, du 8 mars 1762 ; Lettre à d’Argental, du 13 juillet 1763.
  77. Lettre à d’Alembert du 23 juin 1760 ; à Thiériot, du 18 juillet ; à d’Alembert, du 20 avril 1761 ; du 25 février et du 12 juillet 1762 ; du 18 janvier 1763, etc.
  78. Cf. Lettre à la comtesse d’Argental, 14 janv. 1761 : « Vous m’allez dire que je deviens bien hardi et un peu méchant sur mes vieux jours. Méchant ? Non, je deviens Minos, je juge les pervers. »
  79. Le Manuel des Inquisiteurs, par Morellet.
  80. Il s’agit de brochures anticatholiques.
  81. L’Extrait des Sentiments de Jean Meslier.
  82. Diderot
  83. Cf. encore la lettre à d’Alembert du 26 juin 1766, la lettre à Helvétius du 27 octobre de la même année, etc.
  84. Cf. p. 6 sqq.
  85. Allusion à un conte de La Fontaine, intitulé la Chose impossible.
  86. Extrait des Sentiments de Jean Meslier, XL, 448 sqq. ; Dict. phil., Trinité, XXXII, 396 sqq.
  87. Dict. phil., Eucharistie, XXIX, 262 sqq., Transsubstantiation, XXXII, 395, 396.
  88. Extrait des Sentiments de J. Meslier, XL, 399 sqq., 449, etc.
  89. Dict. phil., Secte, XXXII, 211.
  90. Homélie sur la Communion, XLV, 301.
  91. Cf. la Loi naturelle :

    La nature a fourni d’une main salutaire
    Tout ce qui dans la vie à l’homme est nécessaire,
    Les ressorts de son âme et l’instinct de ses sens.
    Le ciel à ses besoins soumet les éléments ;
    Dans les plis du cerveau la mémoire habitante
    Y peint de la nature une image vivante.
    Chaque objet de ses sens prévient la volonté.
    Le son dans son oreille est par l’air apporté ;
    Sans efforts et sans soins son œil voit la lumière.
    Sur son Dieu, sur sa fin, sur sa cause première,
    L’homme est-il sans secours à l’erreur attaché ?
    Quoi ! le monde est visible, et Dieu serait caché ?
    Quoi ! le plus grand besoin que j’aie en ma misère
    Est le seul qu’en effet je ne puis satisfaire ?

    (XII, 158.)
  92. Sermon des Cinquante, XL, 605 sqq. ; Homélie sur l’interprétation de l’Ancien Testament, XLIII, 218 sqq.
  93. Homélie sur l’Athéisme, XLIII, 238, 239 ; Dict. phil., Impie, XXX, 333.
  94. Dict. phil., Péché originel, XXXI, 323 sqq. — Cf. Le Pour et le Contre :

    Ayant versé son sang pour expier nos crimes,
    Il nous punit de ceux que nous n’avons point faits !
    Ce Dieu poursuit encore, aveugle en sa colère,
    Sur ses derniers enfants l’erreur d’un premier père.

    (XII, 18.)
  95. Cf. Dict. phil., Catéchisme chinois, XXVII, 485 ; Henriade, chant vii :

    Pourrait-il [Dieu] les juger [les païens), tel qu’un injuste maître,
    Sur la loi des chrétiens qu’ils n’avaient pu connaître ?
    Non, Dieu nous a créés, Dieu veut nous sauver tous…
    Et si leur cœur fut juste, ils ont été chrétiens.

    (X, 223.)

    Loi naturelle :

    Les vertus des païens étaient, dit-on, des crimes.
    Rigueur impitoyable, odieuses maximes !
    Gazetier clandestin, dont la plate âcreté
    Damne le genre humain de pleine autorité,
    Tu vois d’un œil ravi les mortels, tes semblables,
    Pétris des mains de Dieu pour le plaisir des diables.
    N’es-tu pas satisfait de condamner au feu
    Nos meilleurs citoyens, Montaigne et Montesquieu ?
    Penses-tu que Socrate et le juste Aristide,
    Solon, qui fut des Grecs et l’exemple et le guide,
    Penses-tu que Trajan, Marc-Aurèle, Titus,
    Noms chéris, noms sacrés, que tu n’as jamais lus,
    Aux fureurs des démons soient livrés en partage
    Par le Dieu bienfaisant dont ils étaient l’image ?

    (XII, 170.)

    Et, dans les Trois Empereurs en Sorbonne [XIV, 225, 226), le morceau qui commence ainsi :

    Ô morts, s’écriait-il, vivez dans les supplices,
    Princes, sages héros, exemples des vieux temps.


    Voltaire y ajoute en note : « Le sieur Riballier… venait de faire condamner en Sorbonne M. Marmontel pour avoir dit que Dieu pourrait bien avoir fait miséricorde à Titus, à Trajan, à Marc-Aurèle. »

  96. Cf. Dict. phil., Dogmes : « Le 18 février de l’an 1763 de l’ère vulgaire, le soleil entrant dans le signe des poissons, je fus transporté au ciel comme le savent tous mes amis…
    « On croira bien que je fus ébloui ; mais ce qu’on ne croira pas, c’est que je vis juger tous les morts. Et qui étaient les juges ? C’étaient, ne vous en déplaise, tous ceux qui ont fait du bien aux hommes, Confucius, Solon, Socrate, Titus, les Antonins, Épictète, Charron, de Thou, le chancelier de l’Hospital, tous les grands hommes qui, ayant enseigné et pratiqué les vertus que Dieu exige, semblent seuls être en droit de prononcer ses arrêts…
    « Je vis une foule prodigieuse de morts qui disaient : J’ai cru, j’ai cru ; mais sur leur front il était écrit : J’ai fait, et ils étaient condamnés.
    « Le jésuite Le Tellier paraissait fièrement, la bulle Unigenitus à la main. Mais à ses côtés s’éleva tout d’un coup un monceau de deux mille lettres de cachet. Un janséniste y mit le feu : Le Tellier fut brûlé jusqu’aux os ; et le janséniste, qui n’avait pas moins cabalé que le jésuite, eut sa part de la brûlure.
    « Je voyais arriver à droite et à gauche des troupes de fakirs, de talapoins, de bonzes, de moines blancs, noirs et gris, qui s’étaient tous imaginé que, pour faire leur cour à l’Être suprême, il fallait ou chanter, ou se fouetter, ou marcher tout nus. J’entendis une voix terrible qui leur demanda : Quel bien avez-vous fait aux hommes ? À cette voix succéda un morne silence ; aucun n’osa répondre, et ils furent conduits aux Petites-Maisons de l’Univers ; c’est un des plus grands bâtiments qu’on puisse imaginer.
    « L’un criait : C’est aux métamorphoses de Xaca qu’il faut croire ; l’autre : C’est à celles de Sammonocodom. Bacchus : arrêta le soleil et la lune, disait celui-ci. Les dieux ressuscitèrent Pélops, disait celui-là ; voici la bulle in Caena Domini, disait un nouveau venu ; et l’huissier des juges criait : Aux Petites-Maisons, aux Petites-Maisons !
    « Quand tous ces procès furent vidés, j’entendis alors promulguer cet arrêt :
    « De par l’Éternel, Créateur, Conservateur, Rémunérateur, Vengeur, Pardonneur, etc., soit notoire à tous les habitants des cent mille millions de milliards de mondes qu’il nous a plu de former, que nous ne jugerons jamais aucun desdits habitants sur leurs idées creuses, mais uniquement sur leurs actions : car telle est notre justice » (XXVIII, 440 sqq.). — Cf. encore Entretiens chinois, XLIV, 78.
  97. Lettre à Mme du Deffand, 12 mars 1766 ; Lettre à Voyer d’Argenson, 6 nov. 1770.
  98. La morale uniforme eu tout temps, en tout lieu.
    À des siècles sans fin parle au nom de ce Dieu.

    (Loi naturelle, XII, 159.)
  99. XXXVII, 37. — Cf. Lettre à Cideville, 1er juill. 1733 : « Ce misanthrope chrétien, tout sublime qu’il est, n’est pour moi qu’un homme comme un autre quand il a tort… Ce n’est pas contre l’auteur des Provinciales que j’écris, c’est contre l’auteur des Pensées, où il ne paraît qu’il attaque l’humanité beaucoup plus cruellement qu’il n’a attaqué les jésuites. »
  100. Dict. phil., Charité, XXVIII, 15, Méchant, XXXI, 169 sqq. ; Troisième entretien de l’A, B, C, XLV, 32 sqq. ; Pensées, Remarques et Observations, L, 534. — Voltaire a bien des fois dit son mot sur la question. Mais l’article Homme du Dictionnaire philosophique la traite directement et avec suite dans une « section » intitulée L’Homme est-il né méchant ? dont voici les premières lignes : « Ne paraît-il pas démontré que l’homme n’est point né pervers et enfant du diable ? Si telle était sa nature, il commettrait des noirceurs, des barbaries, sitôt qu’il pourrait marcher, etc. Au contraire, il est par toute la terre du naturel des agneaux tant qu’il est enfant. Pourquoi donc et comment devient-il si souvent loup et renard ? N’est-ce pas que, n’étant né ni bon ni méchant, l’éducation, l’exemple, le gouvernement dans lequel il se trouve jeté, l’occasion enfin le déterminent à la vertu ou au crime ? » (XXX, 245). — « La terre, ajoute-t-il un peu plus loin, portera toujours des méchants détestables ; les livres en exagéreront toujours le nombre, qui, bien que trop grand, est moindre qu’on ne le dit. » (Id., 248)
  101. « C’est une étrange rage que celle de quelques messieurs qui veulent absolument que nous soyons misérables. Je n’aime point un charlatan qui veut me faire accroire que je suis malade pour me vendre ses pilules. Garde ta drogue, mon ami, et laisse-moi ma santé. » (Lettre à S’Gravesande, 1er juin 1741.)
  102. Dict. phil., Méchant, XXXI, 169, 170.
  103. Cf. p. 112.
  104. Cf. cet autre calcul dans une note de la Henriade : « On compte plus de neuf cent cinquante millions d’hommes sur la terre ; le nombre des catholiques va à cinquante millions ; si la vingtième partie est celle des élus, c’est beaucoup ; donc il y a actuellement sur la terre neuf cent quarante-sept millions cinq cent mille hommes destinés aux peines éternelles de l’enfer. Et comme le genre humain se répare environ tous les vingt ans, mettez, l’un portant l’autre, les temps les plus peuplés avec les moins peuplés, il se trouve qu’à ne compter que six mille ans depuis la création, il y a déjà trois cents fois neuf cent quarante-sept millions de damnés… Ce calcul méritait bien les larmes de Henri IV » (X, 227).
  105. C’est ce que Voltaire fait dire à Arnauld dans les Systèmes.
     
    De Dieu la bonté souveraine
    Exprès pour nous damner forma la race humaine.
    (XIV, 250.)
  106. Dict. phil., Austérités, XXVII, 213.
  107. Après avoir raconté l’histoire d’un hibou, qui, porté par un aigle vers le soleil, en perd la vue et devient la pâture des bêtes de proie, le père Nicodème ajoute :

    Profite de sa faute, et, tapi dans ton trou,
    Fuis le jour à jamais en fidèle hibou.


    Et, comme Jeannot manifeste l’envie de raisonner : « Ah ! lui dit-il,

    Ah ! te voilà perdu ! Jeannot n’est plus à moi.
    Tous les cœurs sont gâtés, l’esprit bannit la foi,
    L’esprit s’étend partout. Ô divine bêtise !
    Versez tous vos pavots, Soutenez mon église.

    (Le Père Nicodème et Jeannot, XIV, 238, 239.)


    Cf. la Pucelle, chant iii :

    Ah ! qu’aux savants notre France est fatale !
    Qu’il y fait bon croire au pape, à l’enfer,
    Et se borner à savoir son Pater !

    (XI, 58.)


    Cf. encore, dans le pamphlet intitulé De l’horrible Danger de la Lecture, un anathème lancé par le muphti du saint Empire ottoman contre l’infernale découverte de l’imprimerie, qui va sans doute dissiper l’ignorance, heureuse sauvegarde des Etats bien policés (XLII, 115 sqq.).

  108. Extrait des Sentiments de Jean Meslier, XL, 424 sqq. ; Fragment de l’Histoire générale, XLVII, 536 sqq.
  109. En voici la relation officielle : « Le 6 janvier 1771, jour des Rois, pendant qu’on chantait le salut, on vit des rayons de lumière sortir du Saint-Sacrement, et l’on aperçut à l’instant Notre seigneur Jésus en figure naturelle… À quatre heures du soir, Jésus avant disparu de dessus le tabernacle, le curé de ladite paroisse s’approcha de l’autel et y trouva une lettre que Jésus y avait laissée ; il voulut la prendre, mais il lui fut impossible de la pouvoir lever… Au bout de la huitaine, Mgr l’évêque y vint en procession… la prit sans difficulté. S’étant ensuite tourné vers le peuple, il en fit la lecture à haute voix, et recommanda à tous ceux qui savaient lire de lire cette lettre tous les premiers vendredis de chaque mois, et à ceux qui ne savaient pas lire, de dire cinq Pater et cinq Ave en l’honneur des cinq plaies de Jésus-Christ », etc. (Dict. phil., XXXII, 259.)
  110. Cf. le Russe à Paris  :

    Dans le fond de son âme, il se rit des Fantins,
    De Marie Alacoque et de la Fleur des Saints.

    (XIV, 193.)

    Sur le premier de ces deux livres, Voltaire fait en note cette remarque : « Ouvrage impertinent de Languet, évêque de Soissons, dans lequel l’absurdité et l’impiété furent poussés jusqu’à mettre dans la bouche de Jésus-Christ quatre vers pour Marie Alacoque. »

  111. Cf. Lettre au marquis Albergati, 23 déc. 1760 : « Vous ignorez peut-être, monsieur, ce que c’est qu’un convulsionnaire : c’est un de ces énergumènes de la lie du peuple qui, pour prouver qu’une certaine bulle d’un pape est erronée, vont faire des miracles de grenier en grenier, rôtissant des petites filles sans leur faire de mal, leur donnant des coups de bûche et de fouet pour l’amour de Dieu. » — Cf. encore, Septième Discours sur l’Homme, XII, 97 ; Dict. phil., Convulsions, XXVIII, 222 sqq.
  112. Dict. phil., Lettres, XXXI, 8.
  113. Dict. phil., Droit canonique, XXVIII, 487 ; Mariage, XXXI, 128.
  114. Dict. phil., Adultère, XXVI, 104 sqq. ; le Prix de la Justice et de l’Humanité, L, 301, 302.
  115. Cf. par exemple le Commentaire des Délits et des Peines, XLII, 448.
  116. Le Prix de la Justice et de l’Humanité, L, 258, 259.
  117. Commentaire des Délits et des Peines, XLII, 434.
  118. Requête aux Magistrats, XLVI, 433.
  119. Dict. phil., Carême, XXVII, 453.
  120. Ibid., Droit canonique, XXVIII, 489.
  121. Ibid., Pierre (saint), XXXI, 426 ; Siècle de Louis XV, XXI, 372. — Il s’agissait de quelques jésuites, qui « avaient conseillé et autorisé l’assassinat du roi ».
  122. L’assemblée de 1660, pour ne pas remonter plus haut, demande que l’apostasie soit interdite, que les réformés soient exclus des emplois publics, dépossédés de leurs temples, de leurs collèges, de leurs hôpitaux ; et le roi lui donne satisfaction sur la plupart de ces points. Celle de 1670, finit par obtenir que les enfants des religionnaires puissent être enlevés à leurs parents dès leur septième année. Celle qui suit la révocation de l’Édit de Nantes vote douze millions, somme extraordinaire, qui marque sa reconnaissance. Au xviiie siècle, les rapports de l’État avec l’Église n’ont pas changé. Seulement, il s’agit surtout pour l’Église de réduire les incrédules. « Sire, dit en 1748, l’archevêque de Tours au nom de l’Assemblée, que désirons-nous ? que l’impiété, qui marche la tête levée, soit forcée d’aller, tremblante et confuse, cacher sa honte et sa confusion dans les contrées les plus reculées », etc. Dix ans après, un don gratuit de seize millions récompensait Louis XV d’avoir révoqué le privilège de l’Encyclopédie.
  123. Dict. phil., Impôt, XXX, 340.
  124. Ibid., Droit canonique, XXVIII, 474.
  125. C’est à cette occasion que Voltaire publia la Voix du Sage et du Peuple.
  126. Siècle de Louis XV, XXI, 342.
  127. Idées républicaines, XL, 570.
  128. Dict. phil., Prêtres, XXXI, 513.
  129. Dict. phil., Droit canonique, XXVIII, 467.
  130. Ibid., id., 466 sqq. ; Voix du Sage et du Peuple, XXXIX, 344 sqq.
  131. Dict. phil., Puissance, XXXII, 34, 35.
  132. Cf. par exemple Ibid., Prêtres, XXXI, 512 ; Voix du Sage, etc., XXXIX, 345.
  133. Dict. phil., Droit canonique, XXVIII, 485.
  134. Cf. p. 215 sqq.
  135. Dict. phil., Guerre, XXX, 151 sqq. ; A, B, C, XLV, 95 sqq.
  136. Dict. phil., Esclaves, XXIX, 199.
  137. Outre l’article Biens d’Église, XXVII, 371 sqq., cf. Dict. phil., Esclaves, XXIX, 205 sqq. ; Nouvelle Requéle au Roi, XLVI, 464 ; Coutumes de Franche-Comté, ibid., 410 sqq. ; etc.
  138. Lettre à M. Perret, 28 déc. 1771.
  139. Cf. Dict. phil., Abbaye, XXVI, 32 sqq., Bulle, XXVII, 441 sqq., Évêque, XXIX, 271, 272, Oracles, XXXI, 300 sqq., Quêtes, XXXII, 54 sqq. ; Un Philosophe et un Contrôleur général, XXXIX, 396 ; Canonisation de saint Cucufin, XLV, 175.
  140. Avertissement des éditeurs de Kehl à la Voix du Sage et du Peuple, XXXIX, 340.
  141. L’abbé Bassinet, grand vicaire de Cahors, avait, quant à lui, la franchise de son incrédulité ; prononçant dans la chapelle du Louvre le panégyrique de saint Louis, il supprima le signe de la croix, le texte, les citations de l’Évangile, et ne loua ce modèle des princes chrétiens que pour ses vertus humaines.
  142. Sermon du rabbin Akkib, XL, 374 ; Dict. phil., Tolérance, XXXII, 379, 380.
  143. Dict. phil., Âme, XXVI, 245 ; Traité sur la Tolérance, XLI, 314 sqq.
  144. Dict. phil., Tolérance, XXXII, 368, Constantin, XXVIII, 187, 188, Dioclétien, id., 403, 404, Église, XXIX, 24 ; Traité sur la Tolérance, XLI, 261 sqq. ; Lettre à Hénault, 26 févr. 1768.
  145. Dict. phil., Athéisme, XXVII, 178.
  146. Traité sur la Tolérance, XLI, 259 sqq. ; Prix de la Justice, etc., L, 291 ; Essai sur les Mœurs, XVI, 340 ; Dieu et les Hommes, XLVI, 137 ; Lettre à Hénault, 26 févr. 1768.
  147. Lettre à d’Argental, 25 avr. 1763.
  148. Avis au public sur les Parricides, etc., XLII, 396 ; Remarques de l’Essai sur les Mœurs, XLI, 169 ; Dict. phil., Anecdotes, XXVI, 310.
  149. Homélie sur la Communion, XLV, 303.
  150. Cf. É. Faguet, l’Anticléricalisme, p. 85 sqq.
  151. Cf. encore Remarques de l’Essai sur les Mœurs : « Quoi ! vous dites que les temps du jacobin Jacques Clément ne reparaitront plus ? Je l’avais cru comme vous ; mais nous avons vu depuis les Malagrida et les Damiens (XLI, 168). Lettre à Condorcet, 26 févr. 1716, édition Moland, XLIX, 533 : « … Nous sommes prêts de revenir au temps des Guincestre, des Aubry, des Clément, des Châtel et des Ravaillac. »
  152. Lettre à Damilaville, 28 nov. 1762.
  153. Avis sur les Calas et les Sirven, XLII, 396.
  154. Conclusion et Examen du Tableau historique, XLI, 28.
  155. Traité sur la Tolérance, XLI, 369 sqq.
  156. Dict. phil., Contradiction, XXVIII, 197 ; Prix de la Justice, etc., L, 278.
  157. Dict. phil., Arrêts notables, XXVII, 58, Bekker, id., 322.
  158. Dans son Histoire de l’établissement du Christianisme, attribuée à un auteur anglais.
  159. Ils furent condamnés aux galères ; le Régent gracia les simples fidèles, mais non pas les pasteurs.
  160. Ayant vu Dubois obtenir le chapeau pour prix de ses violences contre le jansénisme, Lavergne de Tressan voulait se pousser lui-même au détriment des religionnaires.
  161. « Je pris la liberté de vous remettre, écrivait-il à Mme de Saint-Julien, une petite requête pour M. de Saint-Florentin [ministre d’État] en faveur d’une malheureuse famille huguenote. Le père a été vingt-trois ans aux galères pour avoir donné à souper et à coucher à un prédicant ; la mère a été enfermée, les enfants réduits à mendier leur pain » (14 sept. 1766). « J’abuse, écrivait-il à Richelieu, de votre générosité. Daignerez-vous l’employer pour une famille entière du pays que vous avez gouverné ? J’ai déjà pris la liberté d’implorer vos bontés pour les d’Espinas… réduits à l’état le plus cruel après vingt-trois ans de galères pour avoir donné à souper à un prédicant. Si on ne leur rend pas leur bien, il vaudrait mieux les remettre aux galères » (8 oct. 1766).
  162. Une actrice du temps.
  163. Lettre de Charles Gouju à ses frères, XL, 343.
  164. Au concile de Chalcédoine.
  165. Dans un concile tenu à Constantinople.
  166. Lettre de Charles Gouju à ses frères, XL, 343 sqq.; Éclaircissement historique, XLI, 59 ; Dict. phil., Péché originel, XXXI, 325 sqq.; le Pyrrhonisme de l’Histoire, XLIV, 385, 386.
  167. « Jugez, dit Jésus-Christ dans l’article Religion du Dictionnaire philosophique, si je leur apportais [aux Juifs] un culte nouveau. Je ne cessais de leur dire que j’étais venu non pour abolir la loi, mais pour l’accomplir ; j’avais observé tous leurs rites ; circoncis comme ils l’étaient tous, baptisé comme l’étaient les plus zélés d’entre eux, je payais comme eux le corban, je faisais comme eux la Pâque en mangeant debout un agneau cuit dans des laitues. Moi et mes amis, nous allions prier dans le temple ; mes amis même fréquentèrent ce temple après ma mort ; en un mot, j’accomplis toutes leurs lois sans en excepter une » (XXXII, 103).
  168. Dict. phil., Christianisme, XXVIII, 67, Juste, XXX, 505, Tolérance, XXXII, 377 ; Catéchisme de l’Honnéte homme, XLI, 111 ; Questions sur les Miracles, XLII, 119 ; Homélie du pasteur Bourn, XLIV, 313 ; Dieu et les Hommes, XLVI, 249 sqq.
  169. Cf. p. 132.
  170. Dict. phil., Raison, XXXII, 85 ; Homélie sur l’interprétation du Nouveau Testament, XLIII, 281 ; Fragment des instructions pour le Prince royal de ***, Ibid., 422, 423 ; Dieu et les Hommes, XLVI, 257.
  171. Lorsque, dans cet article Messie, il taxe, le Sepher Toldos Jeschut de livre extravagant et odieux, ce n’est là qu’une précaution ; et il ne la prend même plus dans l’Examen important, où il répète à peu près le même récit.
  172. Examen important, XLIII, 84, 85. Sentiments de J. Meslier, XL, 456 ; Catéchisme de l’Honnête homme, XLI, 108 sqq.
  173. Dict. phil., Miracle, XXXI, 220 sqq. ; Extrait des
  174. Extrait des Sentiments de J. Meslier, XL, 454. Cf. encore le Dîner du comte de Boulainvilliers, XLIII, 587.
  175. Catéchisme de l’Honnête homme, XLI, 109 ; Examen important, XLIII, 88.
  176. XLI, 328.
  177. XLIV, 134.
  178. Dieu et les Hommes, XLVI, 211 sqq. ; Traité sur la Tolérance, XLI, 323 sqq.
  179. Dieu et les Hommes, XLVI, 215.
  180. Profession de foi des Théistes, XLIV, 134 ; Hist. de Jenni, XXXIV, 353.
  181. « On a tâché dans cette tragédie… de faire voir combien le véritable esprit de religion l’emporte sur les vertus de la nature. La religion d’un barbare consiste à offrir à ses dieux le sang de ses ennemis. Un chrétien mal instruit n’est souvent guère plus juste. Être fidèle à quelques pratiques inutiles et infidèle aux vrais devoirs de l’homme, faire certaines prières et garder ses vices, jeûner mais haïr, cabaler, persécuter, voilà sa religion. Celle du chrétien véritable est de regarder tous les hommes comme ses frères, de leur faire du bien et de leur pardonner le mal » (Disc. préliminaire sur Alzire, IV, 155). — À la fin de la pièce, Gusman dit à Zamore :

    Des dieux que nous servons connais la différence :
    Les tiens t’ont commandé le meurtre et la vengeance,
    Et le mien, quand ton bras vient de m’assassiner,
    M’ordonne de te plaindre et de te pardonner.


    Et Zamore ne se convertit pas, car, dit Voltaire dans une note, « une conversion subite serait ridicule en de telles circonstances », mais il répond à Gusman :

    Ah ! la loi qui t’oblige à cet effort suprême,
    Je commence à le croire, est la loi d’un Dieu même.

    (IV, 226.)
  182. Remarques sur le Christianisme dévoilé, L, 536 sqq.
  183. Cette dissertation se trouve à la suite du poème dans l’édition de 1728, La Haye.
  184. C’est un anglican qui parle.
  185. Saltimbanques.
  186. Essai sur les Mœurs, XVII, 242.
  187. Lettre à M. Bertrand, 26 déc. 1763.
  188. Cf. p. 113, n.1.
  189. Avis au public sur les Calas et les Sirven, XLII, 410.
  190. XL, 161 sqq.
  191. Idées de La Mothe-le-Vayer, XXXIX, 376 ; Dieu et les Hommes, XLVI, 273.
  192. Cf. Lettre à M. Vernes, 2 janv. 1763 ; Lettre à M. Moultou, oct. 1766, édition Moland, XLIV, 460.
  193. Examen important, XLIII, 204.
  194. Cf. ce que dit Socrate à ses juges : « Quand vous proposez des choses ridicules à croire, trop de gens alors se déterminent à ne rien croire du tout » (Socrate, VI, 524). — Cf. encore Dict, phil., Athéisme, XXVII, 190, Sammonocodom, XXXII, 174 ; Lettre à M. de Villevicille, 26 août 1768.
  195. Dict, phil., Fraude, XXIX, 520.