Voltaire philosophe (Pellissier)/Conclusion

Armand Colin (p. 303-304).

CONCLUSION


Par la pensée et par l’action, qu’il ne sépara jamais, Voltaire résume en soi la philosophie de son temps.

Si nous mettons à part Jean-Jacques Rousseau, les autres philosophes, tous ensemble, firent beaucoup moins que lui ; et, sans lui, le xviiie siècle n’eût pas rempli sa tâche.

Buffon était trop olympien pour descendre dans la mêlée, d’Alembert trop prudent pour se compromettre. Diderot, tumultueux et effervescent, manquait de mesure, de suite, de conduite. Montesquieu restait, comme Buffon, à l’écart, sinon par indifférence ou par timidité, du moins par hauteur ; il avait peu d’élan, peu d’initiative ; ses préjugés de caste ne laissèrent pas toujours assez de liberté à sa philosophie ; enfin il s’accommodait aisément des abus, des superstitions, des iniquités sociales, ou même il s’y accommodait.

Quant à Jean-Jacques, son action ne fut pas moindre que celle de Voltaire en maints points capitaux — et surtout quand il le combattit — par ce qu’elle avait de véhément, d’âpre, voire de cynique. Mais il fit trop souvent prévaloir sur le clair et libre esprit du xviiie siècle ses aberrations de misanthrope, ses rêveries de mystique, sont fanatisme de doctrinaire.

Affranchir la raison humaine, voilà l’œuvre essentielle que Voltaire accomplit.

Onze ans après sa mort éclata une révolution dont sortit la France nouvelle ; il l’avait prédite, et nul autre n’y contribua autant que lui. Mais, quelle que soit l’importance d’un tel évènement, la grande révolution du xviiiie siècle — et 89 lui-même en procède, — c’est celle qui, s’opérant dans l’ordre moral, libéra l’intelligence et la conscience de l’homme.

Cette révolution, le nom de Voltaire la symbolise. Là-dessus, ses ennemis et ses partisans furent toujours d’accord ; et les uns pour l’en maudire, mais les autres pour l’en glorifier.

Son influence comme philosophe peut se résumer d’un mot : il a refait l’éducation de l’esprit humain en opposant le relatif à l’absolu, en substituant, dans tous les domaines de la philosophie, le point de vue critique au point de vue dogmatique.