Imprimerie du Devoir (p. 31-32).


LA FILEUSE


Quand j’étais jeune fiancée
J’ai filé mon beau voile blanc.
Ma collerette nuancée,
Et mon grand châle au frêle gland.
Alors mon bras était agile
Car j’avais le cœur plein d’amour ;
De ma quenouillette fragile
J’avais bien vite fait le tour !…


Ensuite, quand je devins mère,
Je filai des langes d’enfants,
Des bonnets à boucle éphémère.
Des mantelets ébouriffants ;
Je filai surtout des suaires,
Pour recouvrir les bien-aimés
Dont la mort ferme les paupières
Et qui s’en vont, inanimés !…



Maintenant je suis laide et vieille,
Ma main tremble sur le rouet.
La mort est là qui guette et veille
Auprès de mon sombre chevet.
Ma tâche est faite sur la terre,
Sans regret je me vois pâlir
Et file, pauvre solitaire,
Le drap qui doit m’ensevelir !…